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www.sciencedirect.com Nutrition clinique et métabolisme 26 (2012) 65–70
Article original
Évaluation des pratiques professionnelles en nutrition parentérale chez l’adulte au centre hospitalier universitaire de Nantes Relevance of parenteral nutrition prescriptions in a French University Hospital: A formative assessment Ronan Thibault a , Sylvie Jaccard b , Dominique Navas b,c , Brigitte Dessomme d , Cécile Paillé d , Leïla Moret d , Dominique Darmaun a,∗ a
IMAD, Clan, Inra, UMR 1280 physiologie des adaptations nutritionnelles, service d’hépatogastroentérologie et assistance nutritionnelle, université de Nantes, CRNH de Nantes, CHU de Nantes, 44000 Nantes, France b Pharmacie, Clan, CHU de Nantes, 44000 Nantes, France c UPRES EA3826 thérapeutiques expérimentales et cliniques des infections, CHU de Nantes, 44000 Nantes, France d Unité qualité risques évaluation, pôle d’information médicale d’évaluation et de santé publique (PIMESP), CHU de Nantes, 44000 Nantes, France Rec¸u le 5 f´evrier 2012 ; accepté le 10 f´evrier 2012 Disponible sur Internet le 24 avril 2012
Résumé Objectifs. – En 2008, une évaluation des pratiques professionnelles a étudié sur une période de deux mois la pertinence des prescriptions de nutrition parentérale (NP) chez des adultes hospitalisés au CHU. Patients et méthodes. – Cent patients issus de 22 unités de soins ont été sélectionnés à partir des ordonnances de NP. Les critères de pertinence portaient sur l’indication : nutrition orale/entérale contre-indiquée, insuffisante ou tentée mais soldée par un échec ; le dépistage de la dénutrition ; la prescription : apports énergétiques, durée, adjonction de micronutriments ; la surveillance clinicobiologique de la NP. Résultats. – La NP était exclusive dans 64 % des cas et administrée par voie périphérique chez 17 %. L’indication était pertinente dans 73 % des cas et la prescription dans 8 % des cas. Le poids, la notion de perte de poids, l’indice de masse corporelle, l’albumine et la pré-albumine étaient retrouvés dans le dossier dans 88, 46, 21, 46 et 17 % des cas, respectivement. Les apports caloriques moyens prescrits étaient de 24,0 ± 9,5 kcal/kg par jour, supérieurs à 35 chez 12 % des patients et inférieurs à 25 chez 55 %. La durée moyenne de la NP était de 9,1 ± 6,5 jours et 80 % des NP n’excédaient pas 15 jours. La prescription de micronutriments était incorrecte dans 37 % des cas. La surveillance du poids était réalisée dans 67 % des cas et la surveillance biologique était complète pour 6 % des patients. Conclusion. – La plupart des prescriptions de NP n’étaient pas conformes aux recommandations en termes de durée, modalités d’administration, adjonction de micronutriments et surveillance. Le recours à la nutrition entérale était insuffisant. © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Dénutrition ; Nutrition artificielle ; Audit ; Prescription ; Surveillance
Abstract Objective. – In the setting of a formative assessment, the relevance of parenteral nutrition (PN) prescriptions was retrospectively studied in a French University Hospital during a 2-month period in 2008. Methods. – One hundred patients (60 men, mean age: 56.7 ± 15.5 years, mean body mass index [BMI]: 22.4 ± 4.3) were randomly selected from 22 care units from the nominative prescriptions received at the pharmacy. The relevance of PN indications was evaluated on the following criteria: contraindications, insufficiency or failure of oral/enteral feeding, screening of undernutrition, and the relevance of PN prescription, on the amount of energy prescribed, PN duration, and micronutrients supplementation. The practices of the clinical and biological PN monitoring were also evaluated.
∗ Auteur correspondant. Service d’hépatogastroentérologie et assistance nutritionnelle, Hôtel-Dieu, CHU de Nantes, 1, place Alexis-Ricordeau, 44093 Nantes cedex 1, France. Adresse e-mail :
[email protected] (D. Darmaun).
0985-0562/$ – see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.nupar.2012.03.002
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Results. – PN was total in 64%, and administered through a peripheral catheter in 17% of cases. Weight, weight loss, BMI, serum albumin and transthyretin were reported in the medical record in 88, 46, 21, 46, and 17% of cases, respectively. Mean total energy prescribed was 24.0 ± 9.5 kcal/kg per day, greater than 35 kcal/kg per day in 12% and less than 25 kcal/kg per day in 55% of patients. The mean duration of PN was 9.1 ± 6.5 days (range 1–35), and less than 15 days in 80% of cases. PN was administered without any micronutrient in 37% of cases. The weight and biological parameters were monitored in 67% and 6% of patients, respectively. Conclusion. – Most PN prescriptions are either irrelevant or inadapted regarding the duration, route of administration, monitoring, and micronutrients supplementation. The use of enteral nutrition is clearly insufficient. © 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Undernutrition; Nutrition support; Survey; Prescription; Monitoring
1. Introduction La prise en charge de la dénutrition constitue un enjeu majeur de santé publique. À domicile comme à l’hôpital, la dénutrition augmente la morbidité, la mortalité, la durée d’hospitalisation et les dépenses de santé, et compromet la qualité de vie et l’autonomie des patients [1–3]. C’est pourquoi les sociétés savantes recommandent le dépistage de la dénutrition et la mise en œuvre d’une prise en charge nutritionnelle adaptée [4]. Le bon usage de la nutrition parentérale (NP) passe par le respect des recommandations de bonnes pratiques d’indication, de prescription et de surveillance du traitement. Dans une étude précédente, Nardo et al. ont montré que les pratiques en NP étaient fréquemment inadéquates, même dans les hôpitaux disposant d’équipes de référence en nutrition [5]. Au CHU de Nantes, le Comité de liaison alimentation nutrition (Clan) diffuse depuis 2005 un guide intitulé « Bases de l’assistance nutritionnelle chez l’adulte », ainsi qu’un support de prescription spécifique à la NP pour guider les prescripteurs. Dans le cadre du programme d’évaluation des pratiques professionnelles (EPP) [6] et du contrat de bon usage du médicament 2008–2010 [7], un groupe de travail issu du Clan a réalisé un audit pour évaluer la pertinence des indications, de la prescription et de la surveillance de la NP dans les services de médecine-chirurgie-obstétrique (MCO) du CHU de Nantes.
nutrition orale ou entérale était contre-indiquée, (ii) soit le patient était autorisé à manger, mais la nutrition orale ou entérale était insuffisante ou avait été tentée mais s’était soldée par un échec. Ces indications de la NP sont préconisées par les recommandations de bonnes pratiques en nutrition artificielle éditées en 2009 et 2002 par l’European Society for Clinical Nutrition and Metabolism (ESPEN) [8] et l’American Society for Parenteral and Enteral Nutrition (ASPEN) [9], respectivement. La nutrition entérale (NE) doit être préférée à la NP chez les patients autorisés à boire, à manger ou à prendre leurs médicaments par voie orale. La réalisation ou non d’un dépistage de la dénutrition était recherchée selon les recommandations de la Société francophone nutrition clinique et métabolisme (SFNEP) pour les patients de moins de 70 ans [10] et de celles de la Haute Autorité de santé pour les patients de plus de 70 ans [11]. Les éléments suivants ont été colligés : poids, taille, indice de masse corporelle (IMC), perte de poids des six derniers mois, albuminémie et transthyrétinémie. 2.3. Définition des critères de pertinence de prescription de la NP La prescription de la NP était considérée pertinente si les critères suivants étaient réunis :
2. Patients et méthodes 2.1. Sélection des patients Cent dossiers médicaux de patients adultes du département de MCO ont été sélectionnés de fac¸on aléatoire à partir des 132 ordonnances nominatives de NP parvenues à la pharmacie entre janvier et février 2008. Les différentes unités de soins (US) ont été classées en trois groupes en fonction du nombre de patients pour lesquels une NP était prescrite : US « consommatrices » (plus de dix patients sur la période d’étude), US « moyennement consommatrices » (entre cinq et dix patients) et US « peu consommatrices » (moins de cinq patients) (Tableau 1). Pour les US consommatrices, il a été décidé de tirer au sort dix patients par US. Pour les autres, toutes les prescriptions ont été retenues. 2.2. Définition des critères de pertinence de l’indication de la NP L’indication de la NP était jugée pertinente si : (i) soit le patient n’était pas autorisé à manger, c’est-à-dire que la
Tableau 1 Répartition des 100 patients en fonction du type d’unités de soins (US). Unité de soins
Nombre de patients
US consommatrices Hépatogastroentérologie (2 US) Chirurgie digestive (2 US) Réanimation chirurgicale (3 US) Hématologie clinique
59 11 21 17 10
US moyennement consommatrices Oncologie médicale Brûlés adultes Transplantation rénale Réanimation médicale
25 6 6 6 7
US peu consommatrices Médecine interne Néphro-immunologie clinique Pneumologie Maladies infectieuses et tropicales Neurologie Chirurgie vasculaire
16 3 4 2 4 1 2
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• apports énergétiques conformes aux besoins le jour de la prescription : absence de situations de sous-nutrition (< 25 kcal/kg poids actuel par jour) et de surnutrition (> 35 kcal/kg poids actuel par jour) ; • durée prévisible et effective de la NP sur cathéter veineux central supérieure ou égale à 15 jours ; • NP supplémentée en vitamines hydro- et liposolubles et éléments traces (soit au moins un flacon injectable par voie intraveineuse de chaque par jour) [8]. 2.4. Définition des critères de pertinence de surveillance de la NP La pertinence de la surveillance de la NP a été évaluée par le suivi du poids et de paramètres biologiques évaluant la tolérance (numération formule sanguine, plaquettes, ionogramme sanguin, phosphorémie, glycémie capillaire à huit heures et veineuse, transaminases, gamma-glutamyl-transpeptidases, phosphatases alcalines, bilirubine totale et conjuguée, triglycéridémie) et l’efficacité (transthyrétinémie, albuminémie, CRP). Ces paramètres devaient être mesurés au moins une fois pendant la durée de la NP dans l’US concernée. 2.5. Recueil des données En plus des critères recueillis ci-dessus, les données suivantes ont été recueillies : • caractéristiques démographiques du patient et diagnostic principal ; • réalisation ou non d’un bilan biologique avant la mise en route de la NP : transaminases, gamma-glutamyl-transpeptidases, phosphatases alcalines, bilirubine totale et conjuguée, glycémie, triglycéridémie, albuminémie, transthyrétinémie ; • modalités de prescription de la NP : NP exclusive ou non, NP cyclique ou continue, voie d’administration centrale ou périphérique, type de soluté nutritif prescrit, durée du traitement ; • motif d’arrêt de la NP ; • réalisation d’une consultation avec une diététicienne ou un médecin de l’équipe d’assistance nutritionnelle lors du séjour. Les données ont été recueillies rétrospectivement par deux binômes pharmacien–médecin à partir des informations portées sur l’ordonnance nominative de NP et complétées par les informations présentes dans le dossier du patient, incluant le dossier de soins, les prescriptions médicales et le diagramme infirmier. 2.6. Analyse statistique Les données ont été saisies dans le logiciel Access 2000 (version 9.0 de Microsoft) et leur analyse descriptive a été réalisée par le pôle d’information médicale d’évaluation et de santé publique (PIMESP) avec le logiciel Statistical Package for the Social Sciences (SPSS) version 17.0 (SPSS Inc., Chicago, ÉtatsUnis). Les résultats ont été exprimés en nombre et pourcentage
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Tableau 2 Motif principal d’hospitalisation des 100 patients inclus. Diagnostic principal
Nombre de patients
Cancer (dont hémopathie) Infection (dont sepsis sévère) Post-greffe médullaire et rénale Maladie digestive (pancréatite aiguë) Chirurgie digestive Brûlures étendues Chirurgie vasculaire Maladie neurologique Insuffisance cardiaque Polytraumatisme
43 (19) 15 (5) 8 14 (8) 7 6 3 2 1 1
rapporté au total des patients pour lesquels l’information était disponible. 3. Résultats 3.1. Caractéristiques des patients L’étude a porté sur 100 patients hospitalisés dans 22 US (Tableau 1). Le motif d’hospitalisation principal retenu à l’issue de l’hospitalisation est présenté dans le Tableau 2. L’âge, le poids et l’IMC moyens (±déviation standard) étaient respectivement de 56,7 ± 15,5 ans (extrêmes : 24–93), 65,5 ± 15,0 kg (extrêmes : 37–110) et 22,4 ± 4,3 (extrêmes : 14–30). Soixante pour cent des patients étaient de sexe masculin. L’avis d’une diététicienne et d’un médecin de l’équipe transversale d’assistance nutritionnelle a été donné pour six et 13 patients, respectivement. 3.2. Modalités d’administration de la NP La NP était exclusive chez 64 % (n = 57/89) des patients. Elle était administrée par voie veineuse centrale dans 83 % des cas (n = 75/90), essentiellement dans les services de réanimation (36 %), de chirurgie (24 %) et d’oncologie (21 %). La NP était administrée par voie veineuse périphérique dans 17 % des cas. La NP était cyclique nocturne sur 12 heures pour 16 patients, et 30 patients recevaient une NP en continu 24 heures sur 24 (54 % de données manquantes après analyse du dossier médical). 3.3. Pertinence de l’indication de la NP L’indication de la NP a été jugée pertinente chez 73 % (n = 71/97) des patients (Tableau 3). Le dépistage de la dénutrition n’était pas systématiquement réalisé avant la prescription de la NP. La proportion de patients dépistés variait en fonction des paramètres considérés. La mesure du poids, la recherche d’une perte de poids durant les six derniers mois et le calcul de l’IMC étaient réalisés pour 88 % (n = 86/98), 46 % (n = 36/78) et 21 % (n = 20/96) des patients, respectivement. L’albuminémie et la transthyrétinémie étaient mesurées chez 46 % (n = 45/97) et 17 % (n = 16/97) des patients, respectivement.
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Tableau 3 Pertinence de l’indication de la nutrition parentérale chez les 100 patients inclus. Critères de pertinence
n patients/effectif analysé (%)
Patient autorisé à boire Patient autorisé à manger Prise de médicaments per os Nutrition orale/entérale Tentée et soldée par un échec Insuffisante
59/97 (61) 33/95 (35) 52/95 (55)
Pertinence globale de l’indication
71/97 (73)
26/97 (27) 75/93 (81)
3.4. Pertinence de la prescription de la NP Au moment de la prescription, la durée prévisible de la NP était de 15 jours ou plus chez 55 % des patients (Tableau 4). En pratique, la durée de NP était moins de 15 jours pour 80 % et 93 % des patients qui recevaient une NP en voie veineuse centrale et périphérique, respectivement. Les patients recevant plus de 35 kcal/kg par jour étaient tous hospitalisés dans des services de médecine court séjour. Seul un tiers des patients avait un apport conforme aux besoins énergétiques totaux compris entre 25 et 35 kcal/kg par jour. Un soluté de NP destiné à la voie veineuse périphérique était prescrit dans 47 % des cas et administré par voie veineuse centrale dans 60 % des cas. Les principaux motifs d’arrêt de la NP étaient la reprise de l’alimentation orale (41 %) ou entérale (27 %), une suspicion d’infection du cathéter veineux central (11 %) et le décès (10 %). Neuf pour cent des patients sont sortis en NP à domicile. Après exclusion du critère « durée effective de la NP », cette dernière ne pouvant être anticipée au moment de la prescription, la prescription était pertinente dans 20 % (n = 19/93) des cas. En revanche, lorsque tous les critères Tableau 4 Pertinence de la prescription de la nutrition parentérale (NP) chez les 100 patients inclus. Critères Apports énergétiques totaux moyens 25 kcal/kg/j 25–35 kcal/kg/j > 35 kcal/kg/j
n patients/effectif analysé (%), saufa 50/91 (55) 30/91 (33) 11/92 (12)
Durée totale de la NP Durée de la NPa (jours) (moyenne ± DS) (extrêmes) Durée effective de la NP ≥ 15 jours Durée de la NP par VVC ≥ 15 jours Durée de la NP par VVP ≥ 15 jours Durée prévisible de la NP ≥ 15 jours
19/95 (20) 15/75 (20) 1/14 (7) 49/89 (55)
Prescription de micronutriments Vitamines Oligo-éléments Vitamines + oligo-éléments
62/95 (65) 60/97 (62) 60/97 (62)
Pertinence globale de la prescription
8/97 (8)
9,1 ± 6,5 (1–35)
DS : déviation standard ; VVC : voie veineuse centrale ; VVP : voie veineuse périphérique. a La durée moyenne de la nutrition parentérale qui est exprimée en jours à la différence des autres résultats exprimés en nombre de patients et pourcentage.
Tableau 5 Pertinence de la surveillance de la nutrition parentérale chez les 100 patients inclus. Critères mesurés
n patients/effectif analysé (%)
Critères de surveillance hebdomadaire (saufa ) de la tolérance Poids Glycémie capillaire quotidienne à 8 ha Glycémie veineuse Phosphorémie Transaminases Phosphatases alcalines Gamma-glutamyl-transpeptidases Bilirubine totale Bilirubine conjuguée Triglycéridémie
63/94 (67) 38/79 (48) 88/95 (93) 58/94 (62) 70/95 (74) 70/95 (74) 70/95 (74) 68/95 (72) 67/95 (71) 37/95 (39)
Critères de surveillance hebdomadaire de l’efficacité (saufa ) Albuminémiea Transthyrétinémie Protéine C réactive
48/93 (52) 21/95 (22) 46/92 (50)
Pertinence globale de la surveillance a
3/92 (3)
Sauf glycémie capillaire (quotidienne) et albuminémie (bi-mensuelle).
de pertinence étaient pris en compte, la prescription était jugée pertinente chez 8 % (n = 8/97) des patients. 3.5. Pertinence de la surveillance La surveillance de l’ensemble des paramètres biologiques était réalisée chez seulement 6 % (n = 6/92) des patients et associés à la surveillance du poids chez 3 % (n = 3/92) d’entre eux (Tableau 5). Tous les patients avaient une numération formule sanguine plaquettes et un ionogramme sanguin hebdomadaires après la mise en place de la NP. La triglycéridémie, les tests hépatiques (transaminases, gamma-glutamyl-transpeptidases, phosphatases alcalines, bilirubine totale et conjuguée) et la glycémie étaient réalisés avant l’instauration du traitement dans 33, 84 et 95 % des cas, respectivement. 4. Discussion Ce travail réalisé conjointement par les médecins de l’équipe d’assistance nutritionnelle et les pharmaciens a permis de dresser un état des lieux des pratiques d’usage clinique de la NP et de dépistage de la dénutrition au sein des services MCO du CHU. Le recours à la NP était le plus souvent approprié puisque l’indication de la NP était jugée pertinente dans 73 % des cas. D’autres études dont celles de Nardo et al. [5] et Malbranche et al. [12] ont montré chez respectivement, 200 patients hospitalisés dans des services de médecine, chirurgie et réanimation, et 50 patients adultes hospitalisés en réanimation et hépatogastroentérologie, que 86 % et 96 % des prescriptions de NP étaient justifiées. Dans notre étude, l’analyse de l’ordonnance nominative et du dossier médical n’a pas permis de connaître le caractère continu ou périphérique de la NP chez 54 % des patients. Cela démontre l’insuffisante trac¸abilité de ce
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critère, qui n’est pas inclus dans le libellé de la prescription de la NP par les praticiens, et non relevé par les infirmières lors de son administration. L’analyse de la pertinence de la prescription a également montré que les apports caloriques n’étaient pas toujours adaptés. Ainsi, les 11 patients qui recevaient plus de 35 kcal totales/kg par jour étaient hospitalisés dans des services de court séjour de médecine. Cet apport calorique excessif peut favoriser la survenue de complications métaboliques et infectieuses et ainsi, augmenter la morbi-mortalité des patients [13]. A contrario, la moitié des patients recevait un apport calorique insuffisant (< 25 kcal totales/kg par jour), ce qui les expose aux complications éventuelles de la NP sans le bénéfice nutritionnel attendu. Les sociétés savantes, ESPEN et ASPEN, recommandent, lorsque le tube digestif est fonctionnel, le recours en première intention à la NE plutôt qu’à la NP [8,14]. Or, dans notre étude, la NE a été tentée, puis soldée par un échec chez seulement 27 % des patients, alors que 35 % des patients étaient autorisés à manger. La sensibilisation des personnels soignants et l’intervention plus fréquente des diététiciennes permettraient d’augmenter l’utilisation de la NE et réduire celle de la NP, et ainsi réduire les coûts de santé liés à la nutrition artificielle. Malgré un rappel écrit sur l’ordonnance nominative de prescription de NP, les micronutriments n’étaient pas associés à la NP chez 38 % des patients, ce qui représente un taux plus élevé que dans l’étude de Nardo et al., dans laquelle 24 % des patients ne recevaient pas de micronutriments [5]. Ce résultat révèle le manque d’information des prescripteurs et une mauvaise utilisation de l’ordonnance nominative de prescription. Nous avons également observé une insuffisance de la surveillance clinicobiologique de la NP, ce qui pourrait également favoriser la survenue de complications, telles que le syndrome de renutrition ou les complications hépatobiliaires. Cela est d’autant plus à craindre que le caractère rétrospectif de notre étude n’a pas permis d’évaluer si les critères biologiques mesurés après la mise en route de la NP l’étaient pour la surveillance spécifique de la NP. Afin de favoriser le suivi par les prescripteurs des recommandations du Clan, l’ordonnance nominative de prescription de NP a été modifiée. Au recto, deux informations cliniques ont été ajoutées pour améliorer la pertinence des indications de la NP : la voie orale est-elle contre-indiquée ? L’alimentation orale/entérale est-elle insuffisante ? D’autres items permettent aux prescripteurs d’évaluer les besoins nutritionnels du patient, puis de choisir le mélange nutritif adéquat en fonction de la durée prévisible de la NP. Au verso de la prescription, des items complémentaires permettent de calculer la dépense énergétique de repos et les apports énergétiques usuels, de connaître la composition des mélanges nutritifs disponibles et de contacter les référents nutrition. Nous espérons ainsi améliorer les pertinences de l’indication et de la prescription de la NP dans notre CHU. Des formations spécifiques des médecins devraient permettre d’améliorer les pratiques en termes de surveillance de la NP. La présence du poids a été objectivée dans 88 % des dossiers patients, ce qui est plus fréquent que la moyenne générale du CHU mesurée avec les indicateurs pour l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins (IPAQSS) en 2009 et 2010 (respectivement 55 % et 79 %) et supérieur à l’objectif national
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de 80 % fixé par l’HAS en 2010. Cependant, la recherche d’une perte de poids et le calcul de l’IMC étaient encore insuffisamment réalisés. Nous devons poursuivre des actions spécifiques afin d’améliorer les pratiques de dépistage de la dénutrition dans notre établissement. Pour améliorer la mesure et l’enregistrement par le personnel infirmier du poids, de l’IMC et de la notion de perte de poids à l’admission, un encart spécifique intitulé « Évaluation de l’état nutritionnel » a été inséré dans la fiche de synthèse de soin du dossier médical. Cette évaluation globale des pratiques en NP au CHU montre que les recommandations du Clan diffusées auprès des prescripteurs, via le guide de nutrition artificielle depuis 2005, sont insuffisamment suivies. Afin de sensibiliser les médecins, les résultats de cette EPP ont été adressés aux différents chefs des services participant, ont été présentés à la COMEDIMS et diffusés à l’ensemble des prescripteurs dans le bulletin pharmacothérapeutique du CHU. Comme le montre l’étude de C. Levet et al. [15], la seule diffusion de recommandations ne suffit pas pour améliorer les pratiques de la NP et sa surveillance. Il est nécessaire de développer des actions de formation et d’information auprès de l’ensemble du personnel médical, et en particulier, des internes de médecine. L’intervention plus fréquente de l’équipe d’assistance nutritionnelle est nécessaire pour améliorer la pertinence des prescriptions et de la surveillance des NP. Cette EPP devrait être complétée par d’autres travaux pour identifier par type de service (réanimation par exemple) les pratiques spécifiques (NP complémentaire, NP exclusive de courte durée, contrôle glycémique. . .), et ainsi cibler les actions de formation des soignants à planifier. D’autres EPP seront réalisées afin d’évaluer l’impact clinique des interventions du Clan dans notre CHU. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Pirlich M, Schutz T, Norman K, et al. The German hospital malnutrition study. Clin Nutr 2006;25:563–72. [2] Amaral TF, Matos LC, Tavares MM, et al. The economic impact of diseaserelated malnutrition at hospital admission. Clin Nutr 2007;26:778–84. [3] Pichard C, Kyle UG, Morabia A, Perrier A, Vermeulen B, Unger P. Nutritional assessment: lean body mass depletion at hospital admission is associated with increased length of stay. Am J Clin Nutr 2004;79:613–8. [4] Kondrup J, Allison SP, Elia M, Vellas B, Plauth M. Educational and Clinical Practice Committee, European Society of Parenteral and Enteral Nutrition (ESPEN). ESPEN guidelines for nutrition screening 2002. Clin Nutr 2003;22:415–21. [5] Nardo P, Dupertuis YM, Jetzer J, Kossovsky MP, Darmon P, Pichard C. Clinical relevance of parenteral nutrition prescription and administration in 200 hospitalized patients: a quality control study. Clin Nutr 2008;27:858–64. [6] Guide méthodologique « Élaboration de critères de qualité pour l’évaluation et l’amélioration des pratiques professionnelles », HAS; 2007. [7] Décret no 2010-1029 du 30 août 2010 relatif à la politique du médicament et des dispositifs médicaux stériles dans les établissements de santé.
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