Évolution anthropologique du bassin osseux des femmes

Évolution anthropologique du bassin osseux des femmes

Gynécologie Obstétrique & Fertilité 33 (2005) 464–468 http://france.elsevier.com/direct/GYOBFE/ Histoire Évolution anthropologique du bassin osseux ...

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Gynécologie Obstétrique & Fertilité 33 (2005) 464–468 http://france.elsevier.com/direct/GYOBFE/

Histoire

Évolution anthropologique du bassin osseux des femmes Anthropologic evolution of women’s pelvis P. Raynal *, J.-P. Le Meaux, E. Chéreau Service de gynécologie–obstétrique, hôpital Saint-Vincent-de-Paul, 74 à 82, avenue Denfert-Rochereau, 75674 Paris cedex 14, France Reçu le 13 janvier 2005 ; accepté le 13 mai 2005 Disponible sur internet le 07 juillet 2005

Résumé Selon une vision darwinienne de l’évolution, la dystocie mécanique osseuse observée dans l’espèce humaine est une aberration. À travers l’étude des bassins osseux du singe à l’Homme moderne, considérant l’acquisition de la bipédie et de la croissance cérébrale fœtale, une réflexion est menée sur les phénomènes adaptatifs développés au cours de l’évolution et leurs conséquences tant obstétricales que sociales. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract The existence of dystocia in human presents a vexing problem for an evolutionary point of view. Dealing with the great apes and modern human’s pelvis evolution, considering the bipedalism and the cerebral growth, the adaptative mechanisms and their obstetrical and social consequences are discussed. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Bassin ; Évolution ; Grands singes ; Obstétrique Keywords: Pelvis; Evolution; Great apes; Obstetrics

1. Introduction La reproduction des espèces assure leur pérennité et occupe une place prépondérante dans l’évolution qui, selon une vision darwinienne, permet la sélection des individus les mieux adaptés aux conditions de vie du moment. Dans le règne animal, l’accouchement représente la phase finale du processus reproductif et doit être optimal dans son déroulement afin de préserver la survie et la continuité de l’espèce. Ces conditions sont réunies pour un grand nombre des espèces sauvages, celle des humains se démarquant par la possibilité d’un accouchement compliqué d’une dystocie mécanique osseuse apparaissant à première vue peu compatible avec une approche darwinienne de l’évolution. Le but de ce travail a été, à travers une analyse de la littérature, de comparer les bassins osseux des primates à ceux * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (P. Raynal). 1297-9589/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.gyobfe.2005.05.017

des femmes, de suivre les modifications anatomiques du bassin et du crâne fœtal au cours de l’évolution et d’en déduire les conséquences obstétricales auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui afin de mieux comprendre ce paradoxe de l’évolution que représente la dystocie mécanique osseuse.

2. Évolution de l’Homme L’Homme appartient à l’embranchement des vertébrés, classe des mammifères, ordre des primates, familles des hominidés. La famille des hominidés, apparue il y a cinq millions d’années, se répartit en deux genres : Australopithecus (afarensis, africanus, robustus) et Homo (habilis, erectus, sapiens neanderthalensis, sapiens sapiens) correspondant aux premiers Hommes. La famille Homo n’est représentée aujourd’hui que par une seule espèce, Homo sapiens sapiens

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qui correspond à l’Homme moderne et dont les fossiles remontent à 150 000 ans avant notre ère [1].

3. Évolution du bassin osseux du primate à l’Homme L’Homme est un descendant des primates dont les plus proches phylogéniquement sont les gorilles et les chimpanzés appelés singes anthropomorphes [1]. L’Homme est le seul mammifère à ne déambuler que sur ses deux jambes et la bipédie, première étape de l’hominisation, est apparue avec Australopithecus anamensis il y a quatre millions d’années [2]. La marche debout et la station érigée ont engendré des contraintes mécaniques responsables de modifications osseuses et musculaires retrouvées lors d’études anatomiques comparées sur les grands singes (gibbons et singes anthropomorphes), les australopithèques et les Hommes modernes. Pour ces trois groupes, le bassin osseux est constitué de trois détroits (supérieur, moyen et inférieur). Chez les primates qui ne sont pas des bipèdes, ces trois plans ont des dimensions plus grandes dans le plan sagittal que dans le plan transversal [4], le sacrum est plat et la cavité pelvienne similaire à un cylindre [3,4] (Fig. 1). Les australopithèques acquirent la bipédie et la station debout. Le bassin s’est rétréci dans un axe antéropostérieur, s’est élargi transversalement et est devenu platypelloïde avec un détroit supérieur prenant la forme d’un ovale étiré d’une hanche à l’autre permettant de centrer les jambes sous le corps [4–7] (Fig. 1). On observe également un raccourcissement des os iliaques avec une augmentation de leur surface pour assurer une plus large insertion des muscles fessiers permettant le redressement du tronc par rapport aux membres inférieurs. Une majoration de l’angulation entre le sacrum et les vertèbres lombaires est également notée [5]. Le bassin n’est

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pas la seule structure modifiée par la station érigée et la bipédie. Sur le rachis apparaissent quatre courbures vertébrales (une seule pour les grands singes) avec un développement de la lordose lombaire, un centrage du trou occipital permettant un port droit de la tête sans effort, une atténuation de l’angle cuisse–axe du genou diminuant le déhanchement lors de la marche, et l’apparition d’une voûte plantaire [5]. Le bassin de l’Homme moderne est différent de celui des australopithèques. Il est plus grand dans le plan sagittal et plus rond, Rosenberg et al. [4] développant la thèse d’une adaptation liée à la pression de sélection engendrée par une plus grande fréquence de dystocie des épaules observée avec les bassins platypelloïdes (Fig. 1). Chez l’Homme moderne, les axes des détroits supérieur et inférieur sont perpendiculaires alors qu’ils sont parallèles chez l’Australopithèque comme chez les grands singes [4]. Ainsi chez les grands singes, la forme du bassin est celle d’un vaste cylindre creux. Sous l’influence des forces de pression associées à la bipédie, ce cylindre s’est allongé transversalement et rétrécit dans le plan sagittal pour les australopithèques, puis s’est coudé pour donner le bassin de l’Homme moderne sous la forme d’un segment de torre (Fig. 2).

4. Croissance cérébrale Parallèlement aux modifications osseuses du bassin, les dimensions du cerveau et du crâne fœtal se sont accrues du fait de l’acquisition d’une intelligence supérieure chez l’Homme. Chez les australopithèques, le cerveau est de la taille de celui du chimpanzé actuel, la croissance du cerveau n’ayant commencé il n’y a que 2,5 millions d’années avec l’apparition de l’usage de l’outil par Homo [8]. Proportionnellement à sa taille, l’Homme est l’animal possédant le cerveau le plus volumineux (volume cérébral moyen : 400 cm3 pour le singe, 1400 cm3 pour l’Homme) [4]. Ainsi, deux phénomènes de l’évolution anthropologique ont concouru au développement de la dystocie mécanique osseuse : les modifications de forme et de taille du bassin et la croissance cérébrale fœtale. Le primatologue Adolph Schultz [9] a démontré qu’il existe une très étroite correspondance de taille entre les dimensions du bassin osseux et les dimensions de la tête fœtale à terme pour l’Homme alors que pour les grands singes, le bassin est vaste et la dystocie mécanique est exceptionnelle (Fig. 3) [4]. La forme, les dimensions du bassin et la croissance fœtale sont également sous la dépendance d’influences hormonales, alimentaires, sociales, culturelles et environnementales [10,11].

5. Apparition de la mécanique obstétricale Fig. 1. Bassin osseux de chimpanzé, australopithèque et Homme moderne. Figure modifiée d’après Rosenberg et al. [4].

Résultant de la confrontation entre une tête fœtale aux dimensions croissantes et un bassin osseux aux formes et

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Fig. 2. Axe de la cavité pelvienne chez le singe et chez l’Homme. Figure modifiée d’après Stewart et al. [5].

dimensions ne permettant plus la descente du fœtus dans la filière pelvienne, des phénomènes d’adaptation du mobile fœtal à type de rotation et flexion sont apparus, donnant naissance à la mécanique obstétricale (Fig. 4) [5]. Du fait de la forme du crâne fœtal et du canal pelvien vaste et plus large dans sa partie postérieure, les primates naissent sans avoir recours à des rotations intrapelviennes, en présentation de la face ou de variétés postérieures défléchies (Fig. 5) [4].

Fig. 3. Rapport entre la tête fœtale et le bassin osseux chez le chimpanzé, le gorille et l’Homme. Figure modifiée d’après Rosenberg et al. [4].

Chez les australopithèques, du fait de l’ouverture du détroit inférieur en avant des tubérosités ischiatiques, l’accouche-

Fig. 4. Évolution de la mécanique obstétricale chez le chimpanzé, l’australopithèque et l’Homme moderne. Figure modifiée d’après Rosenberg et al. [4].

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Fig. 5. Naissance en variété antérieure fléchie chez les humains, en variété postérieure défléchie chez les singes. Figure modifiée d’après Rosenberg et al. [4].

ment était déjà partiellement de type humain. Par une analyse morphométrique géométrique, Bouhallier et al. ont comparé la forme de la cavité pelvienne des humains et des australopithèques et il est probable que les fœtus de ces derniers effectuaient un mouvement de rotation et de flexion moins accentué que dans l’espèce humaine [12]. Une longue période de stagnation du volume cérébral a été observée au cours du début du pléistocène suivi d’une encéphalisation très importante avec l’apparition de Homo au milieu de cette même période (600 à 150 000 ans avant notre ère) [13]. Ainsi, ce n’est que tardivement, avec la croissance cérébrale, que la rotation et la flexion céphalique fœtale intrapelvienne deviendront nécessaires [4,14]. Cette accommodation de la tête fœtale selon ses plus petites dimensions aux plus grandes dimensions du bassin a conduit à la prédominance des variétés occipitoantérieures bien fléchies, les fœtus humains naissant alors en regardant le sol (Fig. 5) [6].

6. Conséquences évolutives et sociales Chez les australopithèques, l’incapacité à la rotation fœtale intrapelvienne du fait des contraintes osseuses aurait représenté un frein au développement cérébral de l’espèce et ce n’est qu’avec Homo et les mécanismes d’adaptation de la présentation fœtale dans la filière génitale que la croissance cérébrale a pu se développer [13,14]. Promoteurs de l’évolution de l’intelligence humaine, ces phénomènes de flexion–rotation lors de l’accouchement ont eu des conséquences sociales. En effet, les primates naissent le visage tourné vers la mère qui peut les saisir et les prendre en charge immédiatement sans intervention d’une aide extérieure (Fig. 6) [4]. Chez les humains, l’enfant naît en regardant dans la direction opposée de celle de sa mère qui ne peut ni l’aider, ni le saisir aisément. La parturiente doit alors être assistée par d’autres humains socialisant ainsi l’accouchement qui acquiert ainsi une place importante dans la communication, l’empathie et la coopération interhumaine [4,6].

Fig. 6. Accueil du nouveau-né par la mère chez le singe. Figure modifiée d’après Rosenberg et al. [4].

7. Conclusion Du fait d’une pression de sélection naturelle assurant la survie des individus les mieux adaptés, la dystocie osseuse peut apparaître comme une entrave à l’évolution des espèces. Dans l’espèce humaine, les modifications majeures représentées par l’acquisition de la station debout, la bipédie et de la croissance cérébrale fœtale ont représenté autant d’obstacles à l’accouchement. Les mécanismes adaptatifs développés ont été l’accommodation de la présentation fœtale par flexion– rotation dans le bassin osseux, permettant la poursuite du développement cérébral chez les humains et attribuant un rôle social majeur à l’accouchement.

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