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Article de recherche
Évolution de la prise en charge médicamenteuse de la maladie d’Alzheimer en EHPAD : impact de la campagne médiatique contre les médicaments spécifiques de la maladie d’Alzheimer夽 Changes in drug management of Alzheimer’s disease in nursing homes: Impact of the media campaign against specific drugs for Alzheimer’s disease A.-E. Petit a,∗ , H. Mangeard b , E. Chazard d , F. Puisieux c a
Service de médecine gériatrique, centre hospitalier de Roubaix, 59100 Roubaix, France Service de médecine gériatrique, centre hospitalier de Tourcoing, 59200 Tourcoing, France c Hôpital gériatrique « Les Bateliers », CHRU de Lille, 59000 Lille, France d EA 2694 – Santé publique : épidémiologie et qualité des soins, université de Lille, 59000 Lille, France b
i n f o
a r t i c l e
Historique de l’article : Rec¸u le 3 juillet 2014 Accepté le 23 mars 2015 Disponible sur Internet le xxx Mots clés : Maladie d’Alzheimer EHPAD Anti-cholinestérasiques
r é s u m é La maladie d’Alzheimer est une pathologie dont l’évolution est constamment défavorable et pour laquelle les traitements spécifiques sont sujets à polémique. La commission de la transparence de la Haute Autorité de santé (HAS) a rétrogradé leur service médical rendu en octobre 2011, le considérant comme faible. Notre étude, rétrospective, descriptive, transversale à 3 temps (T0 janvier 2011, T1 octobre 2011 et T2 juin 2012), a été menée au sein de 6 établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) de la métropole lilloise et a inclus 262 résidents. Son but était d’évaluer l’évolution de la consommation des traitements spécifiques de la maladie d’Alzheimer, mais aussi l’évolution de la qualité du suivi en consultation mémoire. Notre travail n’a pas montré d’impact majeur de la campagne médiatique contre les médicaments spécifiques de la maladie d’Alzheimer. Il existe néanmoins une tendance à la diminution de leur consommation chez les résidents déments en EHPAD, sans lien évident entre suivi en consultation spécialisée et prescription spécifique. Cette tendance demanderait à être confirmée par une étude de plus grande ampleur. © L’Encéphale, Paris, 2016.
a b s t r a c t Keywords: Alzheimer’s disease Nursing home Cholinesterase inhibitors
Context. – Alzheimer’s disease is a common disease in nursing homes. Evolution is constantly negative and specific treatments, which are only symptomatic, are subject to controversy. In a context of media exposure, the Transparency Committee of the Haute Autorité de santé (HAS) downgraded their medical service in October 2011, seeing it as weak. Aim. – Assess the evolution of the consumption of specific treatments for Alzheimer’s disease; assess changes in the quality of monitoring in specific consultation. Methods. – This is a retrospective and descriptive study, cross-sectional in three times (T0 January 2011, T1 October 2011 and T2 June 2012), in 6 nursing homes of Lille and its surroundings. Results. – In total, 262 residents with dementia and present at least once during the three times of the study were included. Their mean age was 85.8 years. Among them, 40 % had Alzheimer’s disease clearly identified. At T0, 76.7 % of patients present who were supposed to receive a specific treatment of Alzheimer’s disease were actually receiving such treatment, 73.6 % at T1 and 71.6 % at T2. After 17 months of observation, the discontinuation rate of anticholinesterase was 34 %, 24 % for anti-glutamate. The monitoring in specific consultations decreased slightly between the three stages.
夽 Le comité scientifique de la Société septentrionale de gérontologie clinique (SSGC) est à l’origine de cet article. ∗ Auteur correspondant. Service de médecine gériatrique, centre hospitalier Victor-Provo, boulevard Lacordaire, 59100 Roubaix, France. Adresse e-mail :
[email protected] (A.-E. Petit). http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2015.03.006 0013-7006/© L’Encéphale, Paris, 2016.
Pour citer cet article : Petit A-E, et al. Évolution de la prise en charge médicamenteuse de la maladie d’Alzheimer en EHPAD : impact de la campagne médiatique contre les médicaments spécifiques de la maladie d’Alzheimer. Encéphale (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2015.03.006
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Conclusion. – Our work did not show major impact of the media campaign against specific drugs for Alzheimer’s disease. There is however a trend towards a decrease of their consumption in people with dementia living in nursing homes with no obvious link between monitoring in specific consultation and specific prescription. This trend would ask to be confirmed by a study on a larger scale. © L’Encéphale, Paris, 2016.
1. Introduction La maladie d’Alzheimer est un enjeu majeur de santé publique [1], de par sa fréquence (évaluée à 860 000 personnes atteintes [2] en France en 2006), son retentissement médico-social, son évolution constamment défavorable et la dépendance qu’elle entraîne. On estime que 42 à 72 % [2–4] des personnes institutionnalisées présentent une démence. À ce jour, seuls des traitements symptomatiques, dits « spécifiques de la maladie d’Alzheimer » sont sur le marché (trois inhibiteurs de l’acétylcholinestérase (IACE) et un antagoniste des récepteurs NMDA ou anti-glutamate). Plusieurs études ont montré une efficacité thérapeutique, certes modeste, des IACE dans les stades léger et modéré de la maladie d’Alzheimer, et une efficacité de la mémantine dans les stades modéré et sévère [5–10]. En 2011, les médicaments spécifiques de la maladie d’Alzheimer ont été sujets à polémique. Cette polémique, fortement médiatisée, s’inscrivait dans un contexte plus général de mise en cause des laboratoires pharmaceutiques et de leurs liens avec les prescripteurs. En mai 2011, la recommandation de la HAS datant de mars 2008 sur le traitement de la maladie d’Alzheimer était abrogée par le collège de la HAS [11] et après un débat de plusieurs mois, la Commission de la transparence de la HAS rendait son avis définitif en octobre 2011 : le service médical rendu (SMR) était désormais considéré comme faible [12]. De nouvelles recommandations étaient alors émises en décembre 2011 [13] qui étaient en fait très superposables aux précédentes recommandations de 2008 : critères d’instauration identiques, mesures de précautions identiques, suivi identique. Ces décisions ont clairement renforcé le discours de ceux qui, depuis leur mise sur le marché, ont constamment remis en cause l’efficacité et l’innocuité des médicaments spécifiques de la maladie d’Alzheimer. Cette campagne médiatique a modifié les prescriptions des médicaments spécifiques, comme le montrent les chiffres des ventes en France qui ont diminué de près de 30 % [14]. Qu’en est-il en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ? L’utilisation des médicaments spécifiques de la maladie d’Alzheimer a-t-elle diminué ? En l’absence de prescription de traitement spécifique, les patients atteints de démence ont-ils continué de se rendre en consultation spécialisée de suivi ? Objectifs de l’étude : l’objectif principal de l’étude était de mesurer l’évolution de l’utilisation des traitements spécifiques de la maladie d‘Alzheimer chez les patients atteints d’une maladie d’Alzheimer résidant en EHPAD en considérant trois temps différents : avant, pendant et après la campagne médiatique et les décisions des autorités de santé. L’objectif secondaire était de mesurer l’évolution du suivi en consultation mémoire chez ces mêmes résidents.
2. Méthode Nous avons mené une étude transversale à 3 temps, descriptive, multicentrique, au sein de 6 EHPAD de la métropole lilloise, tirés au sort parmi une liste de 52 structures. Quatre EHPAD de petite taille (< 70 résidents) et deux EHPAD de grande taille (> 70 résidents) ont participé à l’étude, pour une capacité d’accueil de 385 résidents.
Les médecins prescripteurs étaient des médecins généralistes dans 5 établissements. Dans le sixième, il s’agissait d’un gériatre. Les trois temps de l’étude ont été définis en fonction des temps médiatiques et politiques : • le premier temps, T0, correspond à janvier 2011, date du début de remise en cause des traitements spécifiques de la maladie d’Alzheimer ; • le second temps, T1, octobre 2011, correspond à la date de l’avis définitif rendu par la commission de la transparence de la HAS ; • le dernier temps, T2, a été défini de manière arbitraire, 9 mois après l’avis définitif de la HAS. Dans chaque EHPAD, tous les dossiers des résidents présents à T0 et/ou à T1 et/ou à T2 ont été examinés. Tous les sujets dont les dossiers comportaient la mention « troubles cognitifs » ou « démence » (avec ou sans précision du diagnostic étiologique) ont été inclus dans l’étude. Aucun critère d’exclusion n’a été retenu. Le pourcentage de patients traités a été calculé de deux manières en utilisant comme dénominateur soit le nombre de patients inclus présents (ensemble des patients présents à T0, T1 ou T2 ayant des troubles cognitifs ou une démence), soit le nombre de patients « traitables » (patients pour lesquels le diagnostic étiologique précis de la démence peut relever d’un traitement spécifique de la maladie d’Alzheimer). Les informations ont été recueillies après accord des médecins coordinateurs/directeurs à partir du dossier médical et du dossier de soins du résident. Des données générales ont été relevées (âge, sexe, motif d’entrée en institution, score ADL, GIR, nombre de médicaments, diagnostic étiologique précis de la démence) ainsi que des données spécifiques (suivi en consultation mémoire et délai depuis la dernière consultation, score MMSE, traitement spécifique de la maladie d’Alzheimer, traitement par psychotropes). Ces données ont été transcrites en variables binaires ou numériques, sous forme de tableur. Analyse statistique : la première partie du travail a consisté à définir les caractéristiques de la population étudiée. Puis, nous avons isolé 3 groupes distincts : • le groupe T0 des résidents présents en janvier 2011 ; • le groupe T1 des résidents présents en octobre 2011 ; • le groupe T2 des résidents présents en juin 2012. Les résidents pouvaient être présents à 1, 2 ou aux 3 temps de l’étude. Pour chaque groupe, nous avons analysé : la prévalence de la démence, le pourcentage de déments recevant un traitement spécifique de la maladie d’Alzheimer et celui de déments recevant un traitement spécifique de la maladie d’Alzheimer alors qu’il y avait effectivement l’indication (maladie d’Alzheimer, démence mixte, démence à corps de Lewy, démence Parkinsonienne), la prévalence de suivi en consultation spécifique. Nous avons également analysé le taux d’arrêt de traitement spécifique en réalisant des courbes de survie de type Kaplan–Meier. Ces courbes ont été construites en sélectionnant des patients ayant au moins 2 mesures et en recherchant les séquences « traitementarrêt » et « traitement-poursuite ». Les patients présents à un seul
Pour citer cet article : Petit A-E, et al. Évolution de la prise en charge médicamenteuse de la maladie d’Alzheimer en EHPAD : impact de la campagne médiatique contre les médicaments spécifiques de la maladie d’Alzheimer. Encéphale (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2015.03.006
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Tableau 1 Caractéristiques générales de la population. Caractéristiques Socio-démographiques Âge moyen Sexe (F/H) ADL (moyenne/médiane) GIR (moyenne/médiane) Motif d’entrée Troubles cognitifs Autres Médicales HTA AVC Épilepsie Syndrome parkinsonien Néoplasie Psychose Syndrome anxio-dépressif Nombre de médicaments T0 (moyenne/médiane)a T1 (moyenne/médiane)a T2 (moyenne/médiane)a Troubles cognitifs Maladie d’Alzheimer Démence vasculaire Démence mixte Démence à corps de Lewy Dégénérescence fronto-temporale Syndrome de Korsakoff MCI Non précisés Score MMSE T0 (moyenne/médiane)a T1 (moyenne/médiane)a T2 (moyenne/médiane)a
Ensemble des patients (n = 262) (%) 85,8 ans ± 6,6 219/43 = 5/1 2,24/2 2,13/2 132 (50 %) 130 (50 %) 185 (71 %) 78 (30 %) 21 (8 %) 12 (5 %) 28 (11 %) 15 (6 %) 89 (34 %) 7,5/7 (n = 177) 8/7,5 (n = 186) 7,9/7 (n = 200) 106 (40 %) 34 (13 %) 31 (12 %) 10 (4 %) 2 (1 %) 4 (2 %) 2 (1 %) 73 (28 %) 14/14 (n = 151) 14,2/14,5 (n = 168) 13,9/14,5 (n = 178)
ADL : activities of daily living ; GIR : groupe iso-ressources ; HTA : hypertension artérielle ; AVC : accident vasculaire cérébral ; MCI : mild cognitive impairment. n représente le nombre de patients pour lequel la donnée est effectivement disponible. a Données n’intéressant que les patients présents au temps étudié.
temps de l’étude ont donc été exclus de l’analyse du « taux de survie » (risque instantané d’arrêt des IACE). Ces taux d’arrêt ont été comparés dans la population suivie en consultation spécifique et dans la population non suivie. Ces courbes ont été construites par les médecins statisticiens de la plate-forme d’aide méthodologique du pôle de santé publique du CHRU de Lille. 3. Résultats Au total, 262 patients ont été inclus dans l’étude dont 177 étaient présents à T0 (janvier 2011), 186 à T1 (octobre 2011) et 200 à T2 (juin 2012). Parmi les 262 patients, 122 étaient présents aux trois temps de l’étude, 57 à deux temps (24 à T0 et T1, 33 à T2 et T3) et 83 à un seul temps (31 à T0, 7 à T1 et 45 à T2). 3.1. Caractéristiques générales de la population La moyenne d’âge de la population des 262 patients inclus était de 85,8 ± 6,6 ans. Le sex-ratio était de 5 femmes pour un homme. L’ADL moyen était de 2,24 ± 1,65 et le GIR moyen de 2,13 ± 1,06 (Tableau 1).
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Les patients étaient polymédicamentés avec un nombre moyen de médicaments compris entre 7,5 et 8 à T0, T1 et T2. Le MMSE moyen était également stable (14 ± 7,69 à T0 ; 14,2 ± 7,87 à T1 et 13,9 ± 7,9 à T2). Le diagnostic étiologique des troubles cognitifs n’était pas précisé chez 28 % des sujets. Quand il était connu, il s’agissait le plus souvent d’une maladie d’Alzheimer (40 %), plus rarement d’une démence vasculaire (13 %) ou mixte (12 %). Parmi les 262 patients inclus, le nombre de patients « traitables » c’est-à-dire relevant des indications des traitements symptomatiques de la maladie d’Alzheimer était de 103 résidents à T0, 106 résidents à T1, 109 résidents à T2. 3.2. Évolution de la consommation des traitements spécifiques Le nombre de patients inclus recevant un traitement spécifique était stable au cours du temps (81 à T0, T1 et T2), la proportion de patients traités diminuant légèrement, mais de fac¸on non significative : 45,8 % à T0 contre 43,5 % à T1 et 40,5 % à T2 (Tableau 2). Le nombre de patients « traitables » et effectivement traités était également en légère diminution : 79 sur 103 à T0 (76,7 %), 78 sur 106 à T1 (73,6 %) et 78 sur 109 à T2 (71,6 %). 3.3. Arrêt des traitements spécifiques Le taux d’arrêt des traitements spécifiques ne variait pas significativement entre les différents temps, que l’on considère les IACE et la mémantine séparément ou ensemble. Entre T0 et T1, on relevait 11 arrêts de prescription, soit 14 % contre 10 arrêts de prescription entre T1 et T2, soit 12 %. Après 17 mois d’observation, le taux d’arrêt des IACE était de 34 %, celui de la mémantine était de 24 % (courbe de Kaplan–Meier). 3.4. Suivi en consultation mémoire La moitié des résidents atteints de démence ne bénéficiaient pas de suivi en consultation spécifique de la mémoire. Tous temps confondus, 95 patients sur 210, soit 45 % (IC 95 % [38,42–52,23]) se sont rendus à une consultation de suivi. Il existait une tendance à la diminution des suivis en consultation : 56 des 177 résidents (31 %) présents à T0 se sont rendus à une consultation de suivi au cours des neuf mois précédents ; pour respectivement 57 des 186 (31 %) résidents présents à T1 et 49 des 200 résidents (24 %) présents à T2. 3.5. Lien entre suivi en consultation et arrêt des traitements spécifiques Les courbes de Kaplan–Meier représentant le risque instantané d’arrêt des IACE en l’absence de suivi spécialisé et en présence de suivi sont superposables. Il n’y a pas de différence en fonction du suivi (Fig. 1). Les courbes de Kaplan–Meier représentant le risque d’arrêt de la mémantine en l’absence et en présence de suivi spécialisé diffèrent à 8 mois d’observation et finissent par se rejoindre après 17 mois d’observation. On ne décrit pas de différence en fonction du suivi.
Tableau 2 Consommation des traitements spécifiques.
Nombre de déments recevant un traitement symptomatique Nombre de déments « traitables » recevant un traitement symptomatique
T0 (n = 177) (%)
T1 (n = 186) (%)
T2 (n = 200) (%)
81 (45,8 %) 79 (n = 103) (76,7 %)
81 (43,5 %) 78 (n = 106) (73,6 %)
81 (40,5 %) 78 (n = 109) (71,6 %)
Pour citer cet article : Petit A-E, et al. Évolution de la prise en charge médicamenteuse de la maladie d’Alzheimer en EHPAD : impact de la campagne médiatique contre les médicaments spécifiques de la maladie d’Alzheimer. Encéphale (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2015.03.006
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Fig. 1. Courbes de Kaplan–Meier pour l’arrêt des médicaments spécifiques de la maladie d’Alzheimer en fonction du suivi en consultation spécifique.
4. Discussion L’étude ne montre pas de modification significative de l’usage des médicaments spécifiques de la maladie d’Alzheimer au moment et dans les mois suivant la campagne médiatique de 2011 et la révision des avis des autorités de santé. Il existe néanmoins une tendance à la diminution de la prescription de ces traitements chez les résidents atteints de démence, et en particulier chez ceux ayant une indication théorique à recevoir ce type de traitement. Le suivi en consultation spécialisée semble légèrement diminuer au cours du temps, avec un peu moins de la moitié des patients bénéficiant d’un suivi. On ne décrit pas de différence de prescriptions de médicaments spécifiques en fonction du suivi en consultation mémoire. En France, dans l’étude REHPA de 2008 qui avait intéressé près de 5000 résidents de 250 EHPAD, la moitié des résidents atteints
de démence bénéficiaient d’un traitement spécifique de la maladie d’Alzheimer [15]. Les données de la Banque nationale Alzheimer pour l’année 2010 permettent de constater que 76,9 % des patients atteints d’une maladie d’Alzheimer et suivis en consultation mémoire en France bénéficient d’un traitement spécifique [16]. Cependant, la prescription des médicaments spécifiques de la maladie d’Alzheimer ayant baissé en France de 26 % en volume depuis 2010, passant de 3732 millions d’unités en 2010 à 2775 millions en 2013, il est probable que les chiffres soient en diminution au moins dans la population générale [14]. Dans notre étude, les chiffres observés ne sont guère différents, puisque la proportion de patients atteints de troubles cognitifs recevant un traitement spécifique était un peu inférieure à la moitié (entre 40,5 % et 45,8 %), tandis que le taux de prescription chez les patients déments relevant d’un traitement spécifique était de l’ordre de 75 %.
Pour citer cet article : Petit A-E, et al. Évolution de la prise en charge médicamenteuse de la maladie d’Alzheimer en EHPAD : impact de la campagne médiatique contre les médicaments spécifiques de la maladie d’Alzheimer. Encéphale (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2015.03.006
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Les taux d’arrêt des traitements spécifiques rapportés dans différents travaux sont de l’ordre de 30 % à un an dans deux études franc¸aises [17,18]. Les chiffres observés dans notre étude sont plutôt inférieurs, laissant à penser que la campagne médiatique a exercé une faible influence sur les prescripteurs. Actuellement, il n’existe pas de consensus ni de recommandations claires quant à l’arrêt des traitements spécifiques de la maladie d’Alzheimer. Dans les dernières recommandations de la HAS [13], il est proposé qu’après initiation de traitement, celui-ci soit réévalué régulièrement afin d’en mesurer l’efficacité et la survenue d’effets indésirables qui pourraient motiver leur arrêt. Scarpini et al. [19] rapportent que les principales explications à une rupture de traitement sont l’absence d’efficacité (30 %), les effets indésirables (9 %) puis les raisons personnelles (5,3 %). Par ailleurs, Hermann et al. observent qu’à la demande des aidants ou en cas de difficulté d’administration, le traitement peut être suspendu [20]. Sans qu’ils remettent en question l’intérêt des médicaments spécifiques de la maladie d’Alzheimer, les médecins prescripteurs peuvent donc être amenés à arrêter ces traitements chez un patient particulier parce qu’ils sont mal tolérés, parce qu’ils n’apportent pas l’amélioration escomptée, parce que le patient est en fin de vie [21] ou parce que la démence a évolué jusqu’à un stade sévère, pauci-relationnel [13]. Une autre raison pourrait amener les médecins à réduire la prescription des traitements spécifiques de la maladie d’Alzheimer : leur coût qui pèse sur le forfait soin en EHPAD. La décision d’arrêt des médicaments spécifiques de la maladie d’Alzheimer doit cependant être bien réfléchie, car plusieurs études suggèrent que cet arrêt pourrait être délétère pour le patient, tant sur le plan comportemental que cognitif [6,9,19,22–25] et pourrait augmenter le risque de décès et d’institutionnalisation [18]. Parmi ces études, l’étude DOMINO, parue en 2012 dans le New England Journal of Medecine, c’est-à-dire après la réévaluation par la HAS des traitements spécifiques de la maladie d’Alzheimer, est celle qui a eu le plus de retentissement dans le monde médical [6]. Son objectif était d’évaluer le bénéfice cognitif et fonctionnel à 12 mois de la poursuite du donépézil, du remplacement du donépézil par la mémantine, de l’association du donépézil et de la mémantine. Comparée à l’arrêt du traitement, la poursuite du donépézil ou de la mémantine a été associée à une amélioration statistiquement significative du MMSE standardisé, par rapport au placebo. La prescription médicamenteuse étant un motif de venue en consultation spécialisée, [13] tout comme l’association FranceAlzheimer [26], nous nous attendions à une rupture de suivi spécialisé en cas d’arrêt des médicaments spécifiques. De même que nous n’avons pas observé de réduction significative de l’utilisation des traitements spécifiques de la maladie d’Alzheimer, nous n’avons pas retrouvé de baisse significative du suivi même s’il existait une tendance à la diminution du suivi en consultation spécialisée. Nous n’avons pas objectivé de différence dans les prescriptions médicamenteuses des traitements spécifiques selon la qualité du suivi en consultation spécialisée. Il est à noter que certains EHPAD ont comme médecins coordonnateurs un gériatre ou un médecin titulaire de la capacité de gériatrie qui sont susceptibles de prescrire eux-mêmes les médicaments spécifiques et prennent le relais du spécialiste [27]. L’étude comporte un certain nombre de limites qui tiennent premièrement, au nombre relativement limité de résidents et d’EHPAD participants, rendant difficile la généralisation, deuxièmement, à son caractère rétrospectif, certaines données pouvant manquer dans les dossiers des résidents qui ne sont pas tous informatisés, mais aussi au délai entre la fin de l’étude (juin 2012) et l’avis définitif de la commission de la transparence qui est inférieur à 1 an, ce qui est peut-être insuffisant pour évaluer l’impact de cet avis sur les prescriptions.
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5. Conclusion La maladie d’Alzheimer est une préoccupation majeure de santé publique, la polémique concernant son traitement symptomatique divise le corps médical : d’un côté les défenseurs de ce type de traitement, de l’autre les détracteurs. Nous nous attendions à une chute significative de prescriptions des médicaments spécifiques de la maladie d’Alzheimer après la publication des recommandations de la HAS. Notre travail montre certes une tendance à la diminution de la consommation des traitements médicamenteux spécifiques de la maladie d’Alzheimer chez les résidents d’EHPAD, mais pas une forte diminution. Contrairement à nos attentes, nous n’avons pas observé de lien entre suivi en consultation spécialisée et modification des thérapeutiques spécifiques. Notre étude suggère que la campagne médiatique contre les anti-cholinestérasiques et la mémantine n’a pas eu d’impact majeur sur la prise en charge médicamenteuse des patients déments dans les EHPAD de la métropole lilloise. Elle mériterait cependant confirmation par une étude de plus grande ampleur. Cette campagne peut en revanche avoir incité les prescripteurs à réévaluer leurs prescriptions, ce qui est toujours utile chez le malade âgé quelle que soit la nature des médicaments prescrits. Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. Références [1] Le Duff F, Develay AE, Quetel J, et al. French National Alzheimer databank (BNA). The 2008–2012 French Alzheimer plan: description of the national Alzheimer information system. J Alzheimers Dis 2012;29:891–902. [2] Helmer C, Pérès K, Letenneur L, et al. Dementia in subjects aged 75 years or over within the PAQUID cohort: prevalence and burden by severity. Dement Geriatr Cogn Disord 2006;22:87–94. [3] Barro-Belaygues N, Abellan van Kan G, Rolland Y, et al. Patterns of dementia treatment use in assisted living facilities: a cross-sectional study of 1975 demented residents. J Am Med Dir Assoc 2011;12:648–54. [4] Dutheil N, Scheidegger S [Étude et résultats (494)] Les pathologies des personnes âgées vivant en établissement. DREES; 2006. [5] Robert PH, Gokalsing E, Bertogliati C. Cholinergic hypothesis and Alzheimer’s disease: the place of donepezil (Aricept). Encéphale 1999;5:23–7. [6] Howard R, McShane R, Lindesay J, et al. Donepezil and memantine for moderate-to-severe Alzheimer’s disease. N Engl J Med 2012;8(366): 893–903. [7] O’Brien JT, Burns A, BAP Dementia Consensus Group. Clinical practice with anti-dementia drugs: a revised (second) consensus statement from the British Association for Psychopharmacology. J Psychopharmacol 2011;25:997–1019. [8] Birks J. Cholinesterase inhibitors for Alzheimer’s disease. Cochrane Database Syst Rev 2006. Disponible sur : http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/ 16437532. [9] Gaudig M, Richarz U, Han J, et al. Effects of galantamine in Alzheimer’s disease: double-blind withdrawal studies evaluating sustained versus interrupted treatment. Curr Alzheimer Res 2011;8:771–80. [10] Gallarda T, Lôo H. Memantine (Ebixa): a new therapeutic strategy for the treatment of moderate to severe forms of Alzheimer’s disease. Encéphale 2004;30(1):69–79. [11] HAS. Abrogation de la recommandation relative à la prise en charge de la maladie d’Alzheimer; 2011. [12] HAS. Compte rendu de la commission de la transparence du 19 octobre; 2011. [13] HAS. Maladie d’Alzheimer et maladies apparentées : diagnostic et prise en charge. Recommandation de bonne pratique.; 2011. [14] Celtipharm, société spécialisée dans le recueil d’informations sur les produits vendus en officine; 2013 http://www.celtipharm.org/tabid/185/ itemid/1530/Pharmaceutiques–17-septembre-2013.aspx. [15] Rolland Y, et al. Description des résidents d’EHPA : données de l’enquête menée par le REHPA (Recherche en établissements d’hébergement pour personnes âgées). Cah Annee Gerontol 2009:35–41. [16] Tifratene K, Duff F, Pradier C, et al. Use of drug treatments for Alzheimer’s disease in France: a study on a national level based on the National Alzheimer’s Data Bank (Banque nationale Alzheimer). Pharmacoepidemiol Drug Saf 2012;21:1005–12. [17] Vidal JS, Lacombe JM, Dartigues JF, et al. Memantine therapy for Alzheimer disease in real-world practice: an observational study in a large representative sample of French patients. Alzheimer Dis Assoc Disord 2008;22:125–30.
Pour citer cet article : Petit A-E, et al. Évolution de la prise en charge médicamenteuse de la maladie d’Alzheimer en EHPAD : impact de la campagne médiatique contre les médicaments spécifiques de la maladie d’Alzheimer. Encéphale (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2015.03.006
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Pour citer cet article : Petit A-E, et al. Évolution de la prise en charge médicamenteuse de la maladie d’Alzheimer en EHPAD : impact de la campagne médiatique contre les médicaments spécifiques de la maladie d’Alzheimer. Encéphale (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2015.03.006