Expertises pour la sécurité sociale : méthodologie et spécificités

Expertises pour la sécurité sociale : méthodologie et spécificités

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Annales Médico Psychologiques 165 (2007) 43–48 http://france.elsevier.com/direct/AMEPSY/

Communication

Expertises pour la sécurité sociale : méthodologie et spécificités Psychiatric expertises for the Social Security: Methodology and specificities J.-L. Senona,*, C. Manzanerab, N. Jaafaric, L. Gotzamanisd, M. Humeaue a

Professeur des Universités, Praticien Hospitalier, chef de service, CRIMCUP Université de Poitiers, SHUPPM, CHHL et CHU BP 587, 86021 Poitiers, France b Praticien Hospitalier, Hôpital Camille Claudel, 16000 Angoulême, France c Praticien hospitalier, SHUPPM, CHHL et CHU BP 587, 86021 Poitiers, France d CCA, SHUPPM, CHHL et CHU BP 587, 86021 Poitiers, France e CCA, SHUPPM, CHHL et CHU BP 587, 86021 Poitiers, France Disponible sur internet le 12 septembre 2006

Résumé Les troubles mentaux représentent en France pour la sécurité sociale le deuxième poste de dépenses en consommation de soins et de biens médicaux avec 11,4 milliards d’Euros, soit 10,6 % des dépenses, derrière les maladies de l’appareil circulatoire. Ils restent au premier rang des pathologies justifiant l’attribution d’une pension d’invalidité, représentant 26,7 % des invalides. C’est dire l’importance de l’expertise psychiatrique pour la sécurité sociale. Ce type d’expertises est particulier parmi les expertises en psychiatrie puisque l’objectif de l’expertise est d’établir un arbitrage entre la position du médecin-conseil et celle de l’assuré ou de son médecin traitant. Effectivement, sauf vice de forme, l’avis de l’expert s’impose aux parties. La réalisation de l’expertise et sa rédaction sont détaillées dans leurs spécificités. Les problèmes spécifiques de la psychiatrie sont abordés, de même que les fonctions de l’expert qui vont bien au-delà du rôle d’arbitre vers une fonction de pédagogue et de médiateur. © 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract Mental disorders represent in France for the Social Security the second post of spending in consumption of care with 11,4 billion euro, that is 10,6% of the spending, behind the diseases of the circulatory system. They stay in the rank of the pathologies justifying the allocation of a disability pension, representing 26,7% of invalids. It is to say the importance of the psychiatric expertise for the Social Security. This type of expertises is particular among the expertises in psychiatry because the objective of the expertise is to establish an arbitrage between the position of CPAM’s doctor and his regular doctor. Effectively, except legal flaw, the opinion of the expert imposes upon the parts (parties). The realization of the expertise and its editorial staff are detailed in their specificities. Problem specific of the psychiatry are approached as well as the functions (offices) of the expert which are well beyond arbitrator’s role towards a function of teacher and intermediary. © 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Accident du travail ; Arrêt de travail ; Expertise ; Invalidité ; Maladie mentale ; Sécurité sociale Keywords: Expertise; Incapacity; Industrial accident; Medical certificate; Mental illness; Social Security

* Auteur

correspondant. Adresses e-mail : [email protected], [email protected] (J.-L. Senon). 0003-4487/$ - see front matter © 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.amp.2006.08.018

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La pratique expertale destinée à la sécurité sociale est peu connue en psychiatrie. Méconnues, ces expertises sont peu pratiquées parce que redoutées pour leur complexité et leur formalisme. Elles font partie des rares types d’expertises où l’expert, en tant qu’arbitre, doit trancher. Sa décision s’impose à la caisse, sauf vice de forme. Pourtant, ces expertises pour la sécurité sociale sont indispensables pour nos patients en psychiatrie, afin d’obtenir leurs droits ; le psychiatre doit connaître la législation, très évolutive, des arrêts de travail, mais aussi des affections de longue durée ou de l’invalidité. Une meilleure connaissance de la législation de la sécurité sociale permet une meilleure rédaction des certificats médicaux, permettant une reconnaissance des droits des patients pris en charge en psychiatrie. Cette reconnaissance des droits est importante dans la prise en charge thérapeutique quand un arrêt de travail est nécessaire, quand survient un accident de travail ou quand s’impose une prise en charge longue, qu’elle soit chimiothérapique ou psychothérapique. La reconnaissance des droits est aussi très importante pour la réadaptation professionnelle du patient, pour permettre par exemple une reprise progressive, une adaptation au poste à mi-temps thérapeutique ou une invalidité catégorie 1. Si une bonne connaissance de la législation de la sécurité sociale par le psychiatre est indispensable au patient, à l’opposé, l’intervention de psychiatres en tant qu’experts est indispensable pour les caisses. La psychiatrie, que ce soit pour les arrêts de travail, l’ALD ou les invalidités pour troubles mentaux, est une des trois spécialités parmi les plus coûteuses pour l’assurance maladie. Les chiffres de l’année 2002 livrés récemment par la caisse nationale d’assurance maladie révèlent que les troubles mentaux représentent le deuxième poste de dépenses en consommation de soins et de biens médicaux (10,6 % des dépenses, soit 11,4 milliards d’euros) derrière les maladies de l’appareil circulatoire (12,6 %) et bien avant les affections ostéoarticulaires (9 %) et les maladies de l’appareil respiratoire (7,7 %). Les troubles mentaux étaient en 1998 au premier rang des pathologies justifiant l’attribution d’une pension d’invalidité, représentant 26,7 % des invalides, soit 13 591 personnes. Le contrôle de ces avantages reconnus aux malades est l’un des plus difficiles pour les médecins conseils, souvent peu habitués à la clinique psychiatrique. Il leur est difficile de conforter un diagnostic mais aussi de vérifier la nécessité d’un traitement, du fait de l’absence de consensus professionnel ou de réglementation nationale ou internationale. La durée des traitements est aussi une autre difficulté pour les médecins conseils. 1. Une législation spécifique de la sécurité sociale Le psychiatre expert doit connaître des éléments de base de la législation de la sécurité sociale dans le domaine du contentieux technique mais aussi dans la spécificité de l’intervention de l’expert. Deux grands types de contentieux médicaux peuvent être soumis à l’expert : ● Le contentieux technique de la sécurité sociale selon le décret du 22.12.1958, repris dans les articles 143.1 et sui-

vants du code de la sécurité sociale, a pour objet de régler les litiges médicaux dans quatre domaines : celui de l’invalidité, celui de l’incapacité permanente (IP) de travail et de la fixation du taux d’IP en accident du travail ou en maladie professionnelle, celui de l’inaptitude au travail entre 60 et 65 ans et enfin la contribution des caisses aux décisions des CDES et Cotorep. ● L’expertise médicale est réalisée selon le décret du 07.01.1959, repris dans les articles L 141.1 et suivants du code de la sécurité sociale. L’expertise pour la sécurité sociale est plus un arbitrage qu’une expertise telle qu’on la connaît dans d’autres domaines, explorés dans cette journée de la Société médicopsychologique. Le décret du 07.01.1959 nous précise le cadre : « Les constatations d’ordre médical relatives à l’état du malade ou à l’état de la victime, et notamment la date de consolidation en cas d’accident du travail et de maladie professionnelle, donnent lieu à une procédure d’expertise médicale dans les conditions fixées par les articles suivants… » (article 1er du décret du 07.01.1959). Il est clairement rappelé que l’objectif de l’expertise est d’établir un arbitrage entre la position du médecin-conseil et celle de l’assuré ou de son médecin traitant. L’expertise médicale réalisée selon l’article L 141.1 du code de la sécurité sociale ouvre les voies de recours légales dans deux conditions : ● recours face à une décision prise par le praticien conseil ; ● différend d’ordre médical en cours d’instance d’un contentieux administratif. 2. Une procédure qui se veut simple et rapide L’expertise en sécurité sociale est, dans l’esprit de l’expertise médicale réglementée par le décret du 07.01.1959, une expertise « expéditive ». Elle a un caractère irréfragable si l’avis est formulé de façon claire, précise et non ambiguë. La loi du 23.01.1990 détermine que le juge peut ordonner une nouvelle expertise, ce qui n’était pas le cas avant cette loi. Cette possibilité d’appel est confirmée par le décret du 19.05.1992 qui rappelle le caractère d’arbitrage de l’expert pour l’expertise de première intention et assimile à une expertise judiciaire l’expertise de deuxième intention. Nous examinerons successivement : ● ● ● ●

les étapes de l’expertise ; le protocole d’expertise ; l’accomplissement de la mission d’expertise ; la rédaction de l’expertise.

2.1. Étapes de l’expertise Les étapes de l’expertise sont parfaitement codifiées : demande d’expertise, contenu de la demande et désignation de l’expert.

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La demande d’expertise obéit à des conditions fixées par le code de sécurité sociale. L’auteur de la demande est le malade ou la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle. La caisse peut aussi être auteur de la demande. De la même façon, la demande peut être celle du juge du tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS). La forme de la demande obéit à un protocole précis. Elle se fait par écrit en recommandé ou est déposée contre récépissé. Le délai réglementaire est d’un mois en assurance maladie, de deux ans en accident du travail ou en maladie professionnelle. Elle peut se faire auprès du TASS en cas de contestation de l’avis de l’expert précédent. Le contenu de la demande est lui aussi très codifié. Il comporte : l’objet de la contestation, le nom et l’adresse du praticien traitant, et il est rappelé que le courrier doit être précisément daté puisque chaque étape de l’expertise a un délai légal très cadré par la loi, puisqu’il s’agit de protéger les droits du patient à un moment donné et face à une clinique qui peut être évolutive. La désignation de l’expert se fait selon une procédure précise, qui est différente selon qu’il s’agit d’une expertise en première intention ou en deuxième intention. Quand l’expertise est réalisée en première intention, la demande est faite par l’assuré ou par le TASS au service du contrôle médical de la CPAM. Celle-ci a trois jours pour se mettre en rapport avec le médecin. Cet échange doit permettre la désignation rapide d’un commun accord de l’expert. Dans ces conditions, une liste particulière des experts psychiatres, notamment la liste des experts à orientation sécurité sociale de la cour d’appel, n’est pas nécessaire. À défaut d’un accord entre le praticien conseil et le médecin traitant dans le délai d’un mois, l’expert est désigné par le médecin inspecteur de la santé de la DDASS. Dans l’expertise de deuxième intention, l’expert, obligatoirement sur la liste des experts psychiatres à orientation sécurité sociale de la cour d’appel, est désigné par le TASS. 2.2. Protocole d’expertise Chaque Caisse Primaire d’Assurance Maladie a un protocole qui s’inspire d’un protocole national précis. Ce protocole est préparé et géré par le service médical de la caisse. Il est transmis à l’expert par le service médical. Il comporte des mentions obligatoires : l’avis du médecin traitant, l’avis du praticien conseil, la motivation très précise de l’expertise ainsi que l’énoncé précis des questions pour obtenir des réponses précises, claires et non ambiguës. 2.3. Accomplissement de la mission d’expertise L’accomplissement de la mission d’expertise comporte plusieurs temps : l’information des parties puis la réalisation pratique de la mission d’expertise. L’information des parties est très protocolisée. Elle est destinée au patient, au praticien traitant et au praticien conseil. Tous les formulaires sont joints à la mission d’expertise, préparés pour l’expert qui n’a à remplir que la date et l’heure fixées pour la réalisation de l’expertise. Le secrétariat de

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l’expert psychiatre doit être très attentif à envoyer de façon obsessionnelle la convocation au patient, au médecin traitant et au médecin-conseil. En cas de deuxième absence du patient, il est établi un constat de carence, ce qui laisse supposer que l’expert est quasiment dans l’obligation de convoquer une deuxième fois en cas de première absence. Le temps de l’expertise est un temps important. Celle-ci se fait éventuellement en présence du médecin traitant (qui dans la plupart des cas est absent, excusé ou non) et du médecinconseil (parfois présent, souvent excusé). L’examen doit avoir lieu en théorie dans les cinq jours, chose que peu d’experts peuvent respecter. L’expert doit prendre en compte obligatoirement l’avis du praticien traitant et celui du praticien conseil inclus dans le protocole. L’expert a donc l’obligation de lire ces avis avant même de commencer l’expertise. Il doit aussi intégrer l’ensemble des éléments du dossier fournis par la caisse ou par le praticien traitant, ou encore amenés lors de la consultation par le patient lui-même. Dans certains cas, le patient peut remettre à l’expert un courrier du médecin traitant. Il doit en être fait mention dans le compte rendu. L’expert doit prendre en compte les dires des parties présentes : prise de position s’appuyant sur l’analyse clinique de l’état du patient, qu’elle soit exprimée par le médecin traitant, écrite dans un courrier apporté par le patient ou exprimée par le médecinconseil. L’examen clinique est un examen clinique classique mais qui, à un moment, doit se focaliser sur la recherche de signes cliniques évoqués par les questions du protocole. 2.4. Rédaction de l’expertise La rédaction de l’expertise est sous-tendue par deux obligations : ● celle de répondre dans les délais prévus (48 heures pour les conclusions motivées et un mois pour le reste du rapport) ; ● celle de répondre précisément, en les motivant dans la discussion (et uniquement dans celle-ci), aux questions posées dans la mission. Bien des experts commencent par répondre aux conclusions motivées qui doivent donc être adressées dans les 48 heures, en double exemplaire : au praticien traitant et au service médical de la caisse quand on est en maladie, ou à la victime et au service médical en accident du travail ou en maladie professionnelle. Ces conclusions motivées doivent donc être établies et envoyées immédiatement et la réflexion de l’expert tout au long de l’examen doit être sous-tendue par sa capacité à répondre précisément, clairement et de façon non ambiguë aux questions posées. L’expert doit répondre par oui ou par non, sans digression : son rôle est de trancher. Il tranche dans les conclusions motivées mais peut toutefois discuter ses motivations dans la discussion du rapport. Ses conclusions motivées ne comportent donc qu’une réponse précise à la question, sans diagnostic, pour respecter le secret médical, car l’expert doit

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savoir que ses conclusions sont destinées au service médical qui n’est pas, comme le praticien conseil, lié au secret médical. Il est aussi important pour l’expert de savoir que, dans la plupart des cas, le patient lira les conclusions, si ce n’est l’ensemble du rapport. Effectivement, il en est destinataire en accident du travail ou en maladie professionnelle, et son médecin traitant en est destinataire en maladie. L’enjeu de l’expertise est tellement important pour le patient qu’il fait souvent l’assaut de son médecin traitant pour obtenir rapidement les conclusions, si ce n’est le rapport complet de l’expert rencontré. La rédaction du rapport obéit à un plan imposé : ● ● ● ●

Commémoratifs ; Examen ; Discussion ; Conclusions motivées.

Dans les commémoratifs, il est indispensable de reprendre de façon sobre mais précise l’énoncé du praticien conseil en rappelant la position du médecin traitant. Ce sont des données qui figurent dans le protocole d’expertise et qu’il convient de respecter au mieux, sans digression. L’examen est rédigé de façon assez classique dans l’entretien psychiatrique, avec la reprise de l’histoire de la maladie du patient et la lecture de celle-ci et de ses aléas à travers sa biographie et les événements de vie qui ont une importance pour la psychopathologie ayant rapport avec les questions posées. Il est important, autant que faire se peut, de se limiter dans la biographie, comme dans les événements de vie du patient, à ce qui est indispensable à l’analyse psychopathologique de la clinique ayant rapport avec les questions du protocole. Cet examen clinique doit reprendre de façon détaillée la symptomatologie clinique au moment fixé par le médecinconseil. Dans bien des cas, il faut revenir en arrière et tenter d’évaluer, le plus précisément possible, l’état clinique au temps donné par la caisse. La discussion est un temps fort de l’expertise. Elle permet tout à la fois de justifier les décisions qui seront reprises dans les conclusions motivées et éventuellement de faire des propositions de prise en charge, d’orientation, de réadaptation des principes du traitement mais aussi très souvent de tenter d’expliquer, dans l’intérêt du malade, la psychopathologie de celui-ci tant au médecin traitant, le plus souvent un généraliste, qu’au médecin-conseil. Il s’agit d’assouplir ce qui peut être très conflictuel et de permettre une ouverture vers une négociation dans l’intérêt du patient. Dans bien des cas, il s’agit aussi de faire passer des éléments cliniques au patient, ce qui a une grande utilité quand l’enjeu de l’expertise a une évidente dimension narcissique. On n’oublie pas dans ces cas que le patient lira probablement le rapport. Le rapport d’expertise doit être envoyé au service médical ou au secrétariat du TASS dans un délai d’un mois. Il est bien entendu fondamental de rappeler que les conclusions motivées envoyées avant les 48 heures doivent être les mêmes que celles

qui clôturent le rapport envoyé dans le délai d’un mois… La notification de l’avis de l’expert est faite par la caisse dans les quinze jours. Il s’agit d’une décision exécutoire, sauf si la traduction de l’avis expertal est source de recours quand les conclusions ne sont pas claires, précises et non ambiguës. 3. Problèmes spécifiques de l’expertise psychiatrique pour la sécurité sociale Des problèmes spécifiques multiples peuvent être posés à l’occasion d’une expertise psychiatrique pratiquée pour la sécurité sociale. On peut les regrouper en plusieurs axes : ● ● ● ●

Les difficultés de la clinique psychiatrique ; Le fait que l’expert n’est pas qu’arbitre ; Les problèmes de la reprise de l’activité professionnelle ; Les difficultés de réadaptation dans la période actuelle de récession de notre société.

3.1. Difficultés de la clinique psychiatrique Le médecin-conseil est très en difficulté dans le champ de la psychiatrie. La clinique psychiatrique est pour lui complexe, multithéorique dans ses références, et il peut difficilement s’appuyer sur des recommandations professionnelles reconnues par tous. Si le médecin-conseil est manifestement en difficultés dans ce domaine, le psychiatre expert lui aussi découvre, à l’occasion de l’expertise psychiatrique pour les caisses, des pathologies souvent inhabituelles qui accèdent en fait assez peu à des prises en charge psychiatriques. C’est le cas par exemple des hystéries graves, longtemps méconnues, se présentant sous le tableau de troubles somatoformes modernes : « spasmophilies », fatigue chronique, fibromyalgies, syndromes polyalgiques diffus… La clinique de l’hystérie est la grande oubliée de la clinique moderne, surtout si elle s’appuie sur le DSM-IV. Les hystéries graves consultent rarement les psychiatres qui peuvent tout à fait les méconnaître. Elles se retrouvent le plus souvent dans des services de médecine interne ou passent d’une spécialité à l’autre, pour des symptomatologies de conversion multiples. Il en est de même des dépressions d’allure résistante, favorisées par un trouble de la personnalité méconnu. Les troubles de la personnalité sont rarement pris en compte, et l’existence d’une personnalité dépendante, d’une personnalité anankastique ou d’une personnalité narcissique grave rend souvent résistante une dépression ayant pourtant une allure banale lors des premiers mois d’évolution. La longueur des arrêts de travail interpelle alors le médecin-conseil. Très souvent aussi, l’expert psychiatre se retrouve devant des pathologies narcissiques qui créent des situations critiques à fort risque de passages à l’acte. La situation est alors extrêmement conflictuelle entre le malade et son médecin, d’une part, et la caisse, d’autre part. Souvent, ces situations

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s’enlisent et le risque de passage à l’acte peut être majeur, y compris à la sortie du cabinet de l’expert. Il en est de même, mais ici l’expert en a peut-être plus l’habitude, des pathologies paranoïaques méconnues à fort risque médicolégal. 3.2. L’expert n’est pas qu’arbitre, il est souvent médiateur, conciliateur ou mobilisateur

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dans l’explicitation de la position des parties en dédramatisant les enjeux. Il se fait aussi par une relation recréée entre le médecin généraliste, le psychiatre traitant et le praticien conseil. Dans tous ces cas, il s’agit bien de permettre la négociation d’une solution honorable en ayant un souci constant de l’évolution du patient dans son environnement familial comme professionnel. 3.3. Des limites multiples

Dans bien des cas, l’expertise, sans que l’expert ne le sache, est provoquée par le médecin généraliste face à un patient qui s’enlise ou refuse le recours à une prise en charge spécialisée. Dans ce cas, l’expertise a comme but de mobiliser le patient, de lui faire accepter la nécessité des soins et de lui renvoyer sa capacité à s’inscrire dans une démarche de psychothérapie qu’il redoutait. Dans d’autres cas, l’expertise est provoquée au contraire par le praticien conseil, face à une prise en charge du médecin généraliste qui s’enlise, soit que le médecin généraliste « colle » à son patient, soit qu’il n’entrevoit la thérapeutique qu’autour d’une seule chimiothérapie parfois mal conduite. Dans ces caslà, l’intervention de l’expert a un caractère pédagogique. Il vise à proposer un type de prise en charge et à en donner les orientations, que ce soit dans le domaine chimiothérapique ou psychothérapique. Dans d’autres situations, l’expert intervient à l’opposé face à un malade inscrit dans une psychothérapie sans fin et sans objectif de réadaptation, notamment vis-à-vis de son activité professionnelle. Là aussi, l’expert est médiateur et conciliateur. Dans d’autres cas, le praticien conseil, face à une pathologie pouvant être sévère, utilise l’expertise comme évaluation psychopathologique précoce afin que le contrat de soins soit rapidement précisé. Dans certaines situations, l’expert est dans une position de médiateur face à l’employeur, avec la complicité du médecin du travail. L’expert médiateur et conciliateur est une situation très fréquente. Il s’agit dans bien des cas de faire passer le recours et la position de la caisse sans que celle-ci ne soit vécue comme une blessure narcissique, mais respecte quand même un rappel à la loi et à la réalité de la vie sociale et professionnelle. Dans ces cas, l’expertise peut être considérée comme ayant un caractère thérapeutique. C’est le cas des pathologies névrotiques et notamment hystériques méconnues, quand l’expert rappelle le caractère indispensable d’une psychothérapie et la nécessité pour le patient de se donner les moyens de s’y inscrire. L’expertise a un caractère thérapeutique dans les situations critiques envisagées ci-dessus où la composante narcissique est centrale, avec un fort sentiment d’injustice et de ne pas être reconnu. C’est aussi le cas dans les tableaux de paranoïa méconnue et de quérulence entretenue par la méconnaissance de la caisse ou des praticiens traitants de ces pathologies, où le patient ne vit qu’à travers ce qu’il entreprend comme lutte guerrière vis-à-vis de l’Administration. L’objectif dans ce cas est multiple. Il vise à mettre à plat le problème de façon acceptable pour le patient. Il s’appuie sur une pédagogie évidente

L’évocation des situations cliniques complexes que peut être amené à connaître l’expert psychiatre pour la sécurité sociale ne doit pas cacher les limites de son intervention. Celles-ci sont multiples, souvent liées à l’ancienneté des troubles et de la problématique révélée par la situation d’expertise mais aussi de la difficulté de mobilisation du patient, soutenu par son médecin traitant. Les limites sont aussi celles de la situation de l’emploi dans l’actuelle période de récession où le chômage limite toute recherche chez un patient en difficultés. C’est aussi la limite des politiques d’aide à la réadaptation du patient ayant une pathologie psychiatrique, même stabilisée. Très souvent, c’est aussi la limite de la situation des assurés de plus de 50 ans, dont l’avenir professionnel est compromis, avec l’importance actuelle du chômage. Une autre limite est celle de la difficulté d’accès pour le patient, même convaincu de la nécessité de cette démarche, à une consultation de psychiatrie ou de psychothérapie : les listes d’attente dans de nombreuses régions ne font que s’allonger alors que la situation est souvent très aiguë et nécessiterait une prise en charge immédiate, le plus possible à proximité de l’évaluation expertale. Une autre limite est celle de la difficulté pour l’expert de proposer une réévaluation quelques mois après, réévaluation qui aurait pourtant un sens pour poursuivre la mobilisation. Les limites liées au problème de la reprise de l’activité professionnelle sont non moins importantes. L’expert doit se souvenir qu’il ne traite que l’aptitude à la reprise d’une quelconque activité et non pas de l’activité actuelle du patient. Dans la réalité se pose le problème du lien entre la pathologie et un milieu de travail à transaction pathogène. L’expert prend en compte la position du médecin du travail qui peut toutefois être fort ambiguë. C’est aussi le problème du harcèlement dans l’entreprise et de la reconnaissance de la souffrance du salarié. 4. Conclusion L’expertise psychiatrique pour la sécurité sociale est indispensable pour défendre les droits du patient. Chaque psychiatre devrait connaître au mieux les éléments essentiels du code de la sécurité sociale pour la prescription des arrêts de travail, la reconnaissance des affections de longue durée ou de l’invalidité de son patient. Au-delà, il est indispensable que les psychiatres mesurent l’importance de l’expertise psychiatrique qui est indispensable pour les caisses où les médecins conseils sont peu habitués aux pathologies psychiatriques et très en difficultés pour évaluer les

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prises en charge et les traitements. La difficulté de l’expertise psychiatrique vient du fait qu’en sécurité sociale, l’expert intervient en tant qu’arbitre en répondant de façon claire et non ambiguë à la question posée dans le protocole par le médecin-conseil. Pour en savoir plus Code de la sécurité sociale, 2006, Dalloz. Daubech L. Le malade à l’hôpital. Paris: Érès; 2000.

Mémeteau G. Droit médical, Litec, CD, les Cours de Droit, Paris; 1997. Senon JL, Lafay N, Papet N. Bipolarité : vie civile, responsabilité et protection du patient. In: Troubles bipolaires et incidences médicolégales. Interlignes; 2004. Senon JL, Jonas C. Aspects médicolégaux des troubles de la personnalité. In: Féline A, Guelfi JD, Hardy P, editors. Les troubles de la personnalité. Paris: Flammarion « Médecine-Sciences »; 2004. p. 430–40. Senon JL, Jonas C. Protection de la personne et droits des patients en psychiatrie. Med Droit 2005;70:3–20. Senon JL, Manzanera C, Papet N. Aspects médicolégaux des troubles bipolaires. L’Encéphale 2006:59–64 (cahier 2).