Exposition solaire derrière les barreaux. Analyse du comportement de photoprotection des personnes détenues dans un centre de détention français Sun exposure behind bars. Sun protection analysis in a french detention center Les cancers cutanés sont les cancers les plus fréquents [1] et le rayonnement UV en est le principal facteur de risque accessible à une prévention [2]. Aucune évaluation ou campagne d’information n’a été menée sur ce sujet en milieu carcéral. En mai 2008 l’UCSA (Unité de consultation et de soins ambulatoires, consultation hospitalière intégrée au sein de la prison) du centre de détention de Muret (Haute Garonne, France) a participé pour la première fois à la journée de dépistage des cancers cutanés organisée par le syndicat des dermatologues français. Dans ce centre pénitentiaire les personnes détenues ont accès au plein air toute la journée (cours de promenade, de
sport, travail en extérieur). À cette occasion les comportements de photoprotection et la connaissance des risques liés à l’exposition solaire ont été évalués. Le dépistage a été proposé à l’ensemble des personnes détenues, plus de 600 hommes condamnés à de longues peines. Cent six ont participé et rempli un autoquestionnaire anonyme dont les principaux résultats sont rapportés dans le tableau I. L’âge moyen était de 48,9 ans 13,53. Les phototypes III (42,4 %) et V (23,6 %) étaient les plus nombreux. Dans l’imaginaire collectif, on s’expose peu au soleil à l’ombre des barreaux : l’originalité de cette étude est de confirmer l’existence d’une exposition solaire significative (de « modérée » à « dès que possible ») chez 70 % des personnes détenues, corroborée par la fréquence et la gravité des coups de soleil. Des érythèmes solaires après une faible exposition ont également été signalés chez des patients traités par psychotropes. En prison les maladies psychiatriques sont nombreuses [3] et les traitements photosensibilisants largement prescrits. Ceci peut expliquer en partie le nombre élevé de coups de soleil. Le principal but de l’exposition était d’être en bonne santé, morale ou physique, mais aussi de bronzer (25 % des cas). Dans les études sur la dermatologie en prison [4–6], la peau est une préoccupation importante et l’altération cutanée est perçue
Lettres à la redaction
Lettres a` la re´ daction
Tableau I Résultats de l’auto-questionnaire % (n = 106)
Dés que possible
32
30,2
Modérée
43
40,6
Rare
21
19,8
nulle
10
9,4
Bronzer
27
25,5
Etre en bonne santé
25
23,6
Se sentir bien
46
43,4
Antécédent de coup de soleil dans l’année précédente
26
24,5
Signes de gravité
13
12,7
Motif d’exposition
Connaissance des risques liés à l’exposition solaire
Souhait de recevoir des informations Moyens de photoprotection utilisés
tome 38 > n812 > décembre 2009
Aucun
4
3,8
Cancer de la peau
34
32,1
Vieillissement
4
3,8
Coup de soleil, brûlures, insolation
23
21,7
Problème ophtalmologique
0
0
Absence de réponse
62
58,5
Oui
83
78,3
Non
11
10,4
Aucun
7
6,6
Vêtements
66
62,3
Chapeau
41
38,7
Ombre
56
52,8
Crème solaire
27
25,5
1863
Nombre de cas Fréquence d’exposition
Lettres a` la re´daction
1864
comme le premier signe visible d’une détérioration de l’état général en rapport avec l’incarcération : ainsi s’explique l’importance du bien être qu’apporte le contact du soleil sur la peau et du bronzage lui-même, signe positif esthétique mais aussi de bonne santé : encore plus qu’ailleurs, en prison, le « beau » rejoint le « sain ». La connaissance des risques liés à l’exposition solaire était plus faible que dans la population générale française [7] : aucun ne rapportait le risque ophtalmologique. Quatre seulement citaient le vieillissement, premier item en population libre (92 %) : ceci est-il à interpréter comme un défaut de connaissance ou comme un rapport particulier au temps, temps d’incarcération, temps perdu dont le vieillissement cutané est un témoin qu’on préfère occulter ? Enfin, malgré le contexte de dépistage, moins de la moitié des personnes interrogées évoquaient le cancer (89 % en population générale). L’interprétation de ces résultats doit tenir compte de la précarité de la population étudiée [8], souvent peu suivie médicalement avant l’incarcération et bénéficiant moins souvent des campagnes d’information et de prévention. De plus la prédominance des phototypes III et plus peut en partie expliquer l’ignorance des risques. Plus la peau est foncée, plus les signes de photovieillissement et le risque de cancer cutané sont réduits [9] : la culture de la protection solaire est encore peu étendue chez les peaux colorées. Cette méconnaissance semble peu influer sur la photoprotection : les vêtements et l’ombre étaient largement privilégiés (respectivement 62 % contre 40 % en milieu libre et 53 % contre 34 %) devant la crème solaire, à laquelle un tiers ne pensait même pas. Les produits solaires étaient utilisés par un quart des personnes détenues, qui peuvent se les procurer en « cantine » (achat extérieur autofinancé) : sous la vision d’une pratique quotidienne en milieu pénitentiaire, ce chiffre paraît élevé mais est comparable à l’utilisation en milieu libre [7]. Les personnes détenues s’adaptent donc de manière logique et avec « bon sens » aux moyens à leur disposition. Cette étude, autorisée uniquement en centre de détention, a étudié une sous population carcérale particulière : les temps en extérieurs varient selon les prisons. Un autre biais de sélection est lié au principe du dépistage volontaire des cancers cutanés : toutes les personnes interrogées auraient dû connaître ce risque ; elles n’étaient que de 32 % ; le contexte semble donc avoir peu influencé les réponses. Le nombre relativement élevé de participants (16,6 % de l’ensemble des détenus du centre de détention, 2/3 des personnes ayant initialement demandé à participer) s’explique par un bénéfice direct d’accès à des soins spécialisés, à de la prévention, avec une organisation similaire à celle du milieu libre. L’intérêt porté par cette population à ce
type d’action est donc véritable et confirmé par les 78 % de demande d’information complémentaire. Cette étude montre pour la première fois l’existence d’expositions solaires significatives chez des personnes détenues, assortie d’une moindre connaissance des risques. Elle confirme l’intérêt de proposer un dépistage des cancers cutanés, comme en milieu libre, mais aussi de mettre en place un large projet d’éducation à la santé autour de l’exposition solaire, à visée dermatologique, ophtalmologique et autour de la prise médicamenteuse.
Références [1]
[2] [3]
[4]
[5] [6]
[7]
[8] [9]
Remontet L, Estève J, Bouvier AM, Grosclaude P, Launoy G, Menegoz F et al. Cancer incidence and mortality in France over the period 19782000. Rev Epidemiol Sante´ Publique 2003;51:3-30. Armstrong BK, Kricker A. The epidemiology of UV induced skin cancer. J Photochem Photobiol B 2001;63:8-18. Falissard B, Lose J-Y, Gasquet I, Duburc A, De Beaurepaire C, Fagnani F et al. Prevalence of mental disorders in French prisons for men. BMC Psychiatry 2006;6:33. Bayle P, Cuzin L, Paul L, Blanc C, Grill A, Rougé SD et al. Prisoners and skin diseases in Toulouse. France: epidemiological analysis and evaluation of life impact. J Eur Acad Dermatol Venereol 2009;23:52-7. Brauner GJ, Goodheart HP. Dermatologic care behind bars. J Am Acad Dermatol 1988;1066-73. Grange F, Levin B, Pellenq E, Haegy JM, Guillaume JC. Consultation dermatologique en milieu carcéral. Analyse de trois années d’activité dans une maison d’arrêt française. Ann Dermatol Vénéréol 2001;128:513-6. Stoebner-Delbarre A, Thezenas S, Kuntz C, Nguyen C, Giordanelle JP, Sancho-Garnier H et al. Connaissances, attitudes et comportements des adultes vis-a` vis du soleil en france. Ann Dermatol Ve´ ne´ re´ ol 2005;132:652-7. Guérin G. La population carcérale. Actualité et dossier en Santé Publique 2003;44:21-5. Fotoh C, Humbert P. Le vieillissement cutané selon les éthnies. Dermatologie pratique 2008;324:4-6. Paule Bayle1, Nicolas Meyer2, Stéphane Grill1, Xavier Bouissou2, Norbert Telmon1 1 Centre Hospitalier de Toulouse, Hôpital Rangueil, Service de Médecine Légale et Médecine en Milieu Pénitentiaire, F-31059 Toulouse Cedex 9, France 2 Centre Hospitalier de Toulouse, Hôpital Purpan, Service de Dermatologie, F-31300 Toulouse, France
Correspondance : Paule Bayle, Service de Médecine Légale et Médecine en Milieu Pénitentiaire, CHU Rangueil, TSA 50032, F-31059 Toulouse Cedex 9, France.
[email protected] Reçu le 10 mars 2009 Accepté le 8 juillet 2009 Disponible sur internet le 5 septembre 2009 ß 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi: 10.1016/j.lpm.2009.07.005
tome 38 > n812 > décembre 2009