Progrès en urologie (2010) 20, 472—475
CAS CLINIQUE
Faux anévrisme rénal après chirurgie conservatrice du rein pour cancer : à propos d’un cas et revue de la littérature Renal artery pseudoaneurysm following partial nephrectomy: A case report with a current literature review F. Arroua a,∗, A. Carcenac a, H. Toledano a, A. Varoquaux b, E. Ragni a, D. Rossi a, C. Bastide a a
Service d’urologie, CHU Nord de Marseille, chemin des Bourrely, 13915 Marseille cedex 20, France b Service de radiologie, CHU de la Timone, 264, rue Saint-Pierre, 13385 Marseille cedex 5, France Rec ¸u le 29 septembre 2009 ; accepté le 12 octobre 2009 Disponible sur Internet le 8 d´ ecembre 2009
MOTS CLÉS Chirurgie rénale conservatrice ; Néphrectomie partielle ; Faux anévrisme rénal ; Embolisation sélective
KEYWORDS Nephron-sparing surgery; Partial nephrectomy; Renal artery pseudoaneurysm; Selective embolization ∗
Résumé Le faux anévrisme rénal (FAR) est une complication connue de certaines interventions rénales percutanées (biopsie, néphrostomie, néphrolithotomie) ainsi que de certains traumatismes abdominaux. Dans la littérature, peu de cas de FAR ont été décrits au décours d’une chirurgie rénale conservatrice pour cancer. Nous rapportons ici un cas de FAR après néphrectomie partielle ouverte pour cancer. Responsable d’une hémorragie aiguë, ce cas a été traité avec succès par embolisation sélective. Cette complication peut donc être potentiellement grave et nous en décrivons son diagnostic clinique et radiologique, sa prise en charge thérapeutique et réalisons une revue de la littérature récente. © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Summary Renal artery pseudoaneurysm (RAP) is a well-documented complication of percutaneous urologic procedures (biopsy, nephrostomy, nephrolithotomy) and renal trauma. Only few cases occurring after partial nephrectomy for cancer have been reported in the literature. We describe the case of one patient who presented with postoperative haemorrhage due to a RAP after partial nephrectomy. He has been successfully treated by angiographic selective embolization. This complication is rare but potentially life threatening. We describe its clinical and radiological diagnosis, and its management along with the current medical literature. © 2009 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (F. Arroua).
1166-7087/$ — see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.purol.2009.10.004
Faux anévrisme rénal après chirurgie conservatrice du rein pour cancer
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Introduction Que ce soit dans des indications électives ou de nécessité, la chirurgie rénale conservatrice est devenue le traitement standard des tumeurs rénales quand cela est techniquement possible [1]. Parmi les complications inhérentes à cette technique, l’apparition d’un faux anévrisme rénal (FAR), bien que rare, peut être potentiellement grave avec un risque hémorragique non négligeable. Peu de cas ont été décrits dans la littérature et il paraît important d’en connaître la présentation clinique et radiologique afin de pouvoir établir une prise en charge adaptée, parfois dans l’urgence.
Observation Une femme de 63 ans, aux antécédents d’hypertension artérielle (HTA), a consulté pour une lésion exophytique de 3,2 cm du pôle supérieur du rein droit de découverte fortuite et sans autres lésions associées (Fig. 1). Une tumorectomie rénale droite a été réalisée par voie ouverte rétropéritonéale (lombotomie). Seul un clampage parenchymateux a été réalisé (clamp De Bakey) et la tumorectomie a été effectuée aux ciseaux froids. Aucune plaie urinaire n’a été objectivée et l’hémostase de la tranche de section parenchymateuse a été réalisée par l’application de trois points en X de fil résorbable 3/0 sur un bourdonnet de compresse hémostatique (Surgicel® ). Aucun saignement résiduel n’a été vu au décours de cette hémostase. Le compte rendu anatomopathologique de la pièce mentionnait un carcinome à cellules rénales conventionnelles classé pT1a, Furhman 3. Les suites opératoires ont été marquées par une HTA réfractaire malgré une bithérapie anti-hypertensive intraveineuse. Au cinquième jour postopératoire, la patiente avait une fièvre persistante avec des prélèvements bactériologiques négatifs, nous poussant à réaliser une imagerie. La TDM objectivait un faux anévrisme de 10 mm sur le lit de résection tumoral, avec un hématome périrénal droit, sans fuite active de produit de contraste (PDC).
Un traitement conservateur a initialement été décidé avec transfusion de deux culots globulaires, repos au lit et antibiothérapie. Au 11e jour postopératoire, une hématurie macroscopique est apparue avec persistance de la fièvre. Une nouvelle TDM objectivait une augmentation de volume de l’hématome rétropéritonéal ainsi que de la taille du faux anévrisme qui passait de dix à 16 mm, avec caillotage de la voie excrétrice supérieure (Fig. 2). Sur cette évolution, il a été décidé de réaliser une artériographie qui confirmait la lésion précédemment décrite et permettait son embolisation de manière sélective (Fig. 3 et 4). Un contrôle scannographique à une semaine de l’embolisation montrait une bonne vascularisation du parenchyme rénal restant, l’absence de fuite de PDC et un
Figure 1. rein droit.
Figure 3. Artériographie rénale droite objectivant le faux anévrisme avec saignement actif.
Tumeur exophytique de 3,2 cm du pôle supérieur du
Figure 2. Faux anévrisme rénal droit sur le lit de résection tumoral prenant le contraste au temps précoce.
Embolisation 5 1 Cas présenté
CCC : carcinome rénal à cellules conventionnelles ; AML : angiomyolipome ; NE : néphrectomie élargie.
Parenchymateux Fièvre, hématurie Ouvert CCC
— Coelio (4), Ouvert (1) CCC 5 Cohenpour et al. [5]
—
6 Singh et Gill [4]
3,2
Embolisation 1 échec → NE 12,2 (1 à 21)
Embolisation 12 (8 à 15)
Douleur, hématurie, fièvre, syncope Hématurie Pédiculaire Coelio CCC (5), AML (1)
Pédiculaire Ouvert CCC 3 1
3,5 (2,2 à 5)
Embolisation 11
Embolisation Échec, PAR Embolisation 21 90 5
Douleur, hématurie Asymptomatique Saignement (drains et urine) Douleur, anémie Pédiculaire Ouvert Chromophobe Oncocytome CCC 4,3 — 4,9
Technique Clampage chirurgicale
Parsons et Schoenberg [3]
Cette physiopathologie explique l’histoire naturelle de cette lésion et rend compte de la variabilité de sa présentation clinique. Dans la littérature, un seul cas était asymptomatique [2]. Cependant, il est fort possible que de telles lésions n’aient été diagnostiquées car asymptomatiques. La plupart du temps, on objective une hématurie macroscopique, du fait d’une rupture du FAR dans les voies excrétrices supérieures. Le diagnostic doit aussi être évoqué devant une douleur au niveau du site opératoire et/ou une fièvre inexpliquée en dehors de tout contexte infectieux. Le délai d’apparition, en majorité dans les trois premières semaines postopératoires, est assez variable dans la littérature allant de cinq à 90 jours [2—5].
3
Diagnostic
Albani et Novick [2]
Le point de départ de la formation d’un FAR est un saignement artériel ou veineux, qui a pu être occulté en peropératoire (spasme artériel, vaisseau partiellement lié, hypotension artérielle), et qui est contenu par une structure adjacente (parenchyme, graisse périrénale, fascia de Gerota). Cette complication se présente donc comme un « hématome pulsatile » [2].
Anatomopathologie
Physiopathologie
Taille tumorale (cm)
Les principales études portant sur les FAR après chirurgie conservatrice du rein pour cancer sont résumées dans le Tableau 1.
Nombre patients
Discussion
Séries
volumineux épanchement pleural droit réactionnel avec atélectasie au contact. L’évolution a ensuite été favorable et la patiente a pu regagner son domicile au huitième jour post-embolisation.
Tableau 1
Figure 4. Cliché d’artériographie post-embolisation (coils). Absence de saignement résiduel.
Faux anévrisme rénal (FAR) après chirurgie conservatrice du rein pour cancer dans la littérature.
Présentation clinique
Traitement
F. Arroua et al.
Délai (jours)
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Faux anévrisme rénal après chirurgie conservatrice du rein pour cancer Ces symptômes doivent faire réaliser une TDM qui confirme le diagnostic par la présence d’une lésion anévrismale se rehaussant au temps précoce. Elle précise la localisation du FAR ainsi que le vaisseau aux dépens duquel il s’est développé. En outre, elle peut mettre en évidence une fistule artérioveineuse, un hématome périrénal, un caillotage vésical, un saignement actif ou une atteinte de la voie excrétrice urinaire. En cas de doute malgré la TDM ou dans un but thérapeutique, il convient de réaliser une artériographie qui confirme et précise la localisation exacte du FAR sur les branches de division de l’artère rénale et permet son traitement par embolisation sélective.
Traitement Pour certaines équipes, et si l’état du patient le permet, un traitement conservateur est réalisé et consiste en un repos strict au lit, une éventuelle transfusion et une surveillance clinique, biologique et radiologique rapprochée [2,4]. Si un traitement est jugé nécessaire, il consiste en la réalisation d’une artériographie permettant une embolisation sélective à l’aide de coils et /ou d’éthylvinyl alcool copolymère (Onyx® ). L’embolisation est efficace dans la majorité des cas. Dans la littérature, deux échecs ont été décrits sur 33 procédures (6,1 %). Dans un cas, il s’agissait d’un patient initialement asymptomatique. Le FAR persistait malgré plusieurs tentatives d’embolisation [2]. Le patient est resté asymptomatique et les contrôles radiologiques ont montré une régression spontanée du FAR (certainement par thrombose) jusqu’à disparition complète à un an. Dans l’autre cas, l’échec de l’embolisation a conduit à une reprise chirurgicale aboutissant à une néphrectomie totale d’hémostase [5]. En plus de son taux de succès important, l’embolisation sélective préserve un capital néphronique maximal en comparaison d’une reprise chirurgicale qui peut aboutir à une néphrectomie totale. En outre, si le FAR se situe sur l’artère rénale ou une de ses branches principales, et afin d’éviter une ischémie complète du rein restant, l’artériographie permet la mise en place d’un stent couvert, excluant le FAR tout en préservant la vascularisation rénale.
Prévention Peu de facteurs de risque de FAR après chirurgie rénale conservatrice ont été mis en évidence. En premier lieu, il convient de prendre en compte la taille et l’aspect endophytique ou sinusal de la tumeur. Ces situations, potentiellement plus hémorragiques, peuvent faire reconsidérer la réalisation d’une chirurgie partielle dans les indications électives. En peropératoire, une hémostase la plus rigoureuse possible doit être effectuée. Il faut prendre garde de ne pas créer la brèche vasculaire responsable du FAR en passant les points hémostatiques. Une attention particulière est à observer lorsqu’on opte pour un clampage parenchymateux qui peut léser le rein et
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être pourvoyeur de FAR. Cependant, des cas de FAR ont été rapportés quel que soit le type de clampage. Le procédé d’hémostase lui même ne semble pas jouer un rôle majeur car des cas de FAR ont été décrits dans la littérature avec différentes techniques telles que des points séparés appliqués sur la tranche de section parenchymateuse [2,3], l’application de laser Argon, de compresses hémostatiques [3,4] ou de colle biologique [4]. Pour les interventions laparoscopiques, il est important de visualiser le site opératoire après exsufflation afin de ne pas méconnaître un saignement qui aurait été masqué par le pneumopéritoine. De plus, une hyper-insufflation pulmonaire, par augmentation de la pression veineuse centrale et rénale, peut être réalisée en fin d’intervention, pour mettre en évidence un saignement veineux passé inaperc ¸u. Un contrôle tensionnel doit être rigoureux. En peropératoire, une hypotension contrôlée peut masquer un saignement. Il convient donc de revenir à une tension normale avant de terminer l’intervention. Une hypertension mal contrôlée en postopératoire ne pourra qu’aggraver un éventuel saignement. Hormis un cas de régression spontanée [2], l’histoire naturelle du FAR, au vu de sa physiopathologie, évolue plutôt vers une croissance en dehors de tout traitement. C’est pourquoi, il nous semble licite de proposer une embolisation sélective dès lors qu’il est diagnostiqué et de ne pas attendre qu’il se complique. Dans la littérature, cinq patients ont initialement été pris en charge de manière conservatrice. Tous ont finalement été traités par embolisation ou mise en place d’un stent, pour une aggravation de la symptomatologie.
Conclusion Le FAR après chirurgie rénale conservatrice pour cancer est une complication rare mais potentiellement grave. Il doit être évoqué devant l’apparition d’une hématurie macroscopique, d’une douleur au niveau du site opératoire ou d’une fièvre inexpliquée. La TDM porte le diagnostic et l’artériographie avec embolisation sélective reste le traitement le plus efficace avec le souci constant d’une épargne néphronique maximale. De plus, et au vu de l’histoire naturelle de cette lésion, il nous semble licite de traiter un FAR dès lors qu’il est diagnostiqué, quand bien même il est peu ou pas symptomatique.
Références [1] Mejean A, Correas JM, Escudier B, de Fromont M, Lang H, Long JA, et al. Tumeurs du rein. Prog Urol 2007;17:1101—44. [2] Albani JM, Novick AC. Renal artery pseudoaneurysm after partial nephrectomy: three case reports and a literature review. Urology 2003;62:227—31. [3] Parsons JK, Schoenberg MP. Renal artery pseudoaneurysm occurring after partial nephrectomy. Urology 2001;58:105. [4] Singh D, Gill IS. Renal artery pseudoaneurysm following laparoscopic partial nephrectomy. J Urol 2005;174:2256—9. [5] Cohenpour M, Strauss S, Gottlieb P, Peer A, Rimon U, Stav K, et al. Pseudoaneurysm of the renal artery following partial nephrectomy: imaging findings and coil embolization. Clin Radiol 2007;62:1104—9.