Revue du Rhumatisme 74 (2007) 902–904 http://france.elsevier.com/direct/REVRHU/
Fait clinique
Fibrose rétropéritonéale : une maladie vasculaire ou immunitaire responsable de lombalgie Retroperitoneal fibrosis: a rare vascular and immune entity disclosed by chronic lombalgia◊ Gaelle Blanca,*, Nicolas Girardb, Christian Alexandrec, Eric Vignona b
a Service de rhumatologie, centre hospitalier Lyon-Sud, 165, chemin du Grand-Revoyet, 69310 Pierre-Bénite, France Service de pneumologie, centre de référence des maladies orphelines pulmonaires, hôpital Louis-Pradel, hospices civils de Lyon, Lyon, France c Service de rhumatologie, hôpital Bellevue, centre hospitalier universitaire de Saint-Étienne, Saint-Étienne, France
Reçu le 21 septembre 2006 ; accepté le 21 décembre 2006 Disponible sur internet le 26 juin 2007
Résumé La fibrose rétropéritonéale est une maladie rare, inflammatoire et fibrosante du tissu rétropéritonéal périaortique, associée à un engainement des uretères et des organes adjacents. Nous rapportons un nouveau cas de fibrose rétropéritonéale primitive chez un patient de 55 ans hospitalisé pour lombalgie inflammatoire. Avec un recul d’un an, la corticothérapie s’est associée à une très bonne réponse clinique, biologique et paraclinique. Cette observation nous permet de discuter de l’étiopathogénie et de la stratégie thérapeutique de la fibrose rétropéritonéale primitive. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Lombalgie ; Fibrose rétropéritonéale ; Périaortite chronique Keywords: Lombalgia; Retroperitoneal fibrosis; Chronic periaortitis
1. Observation Un patient de 55 ans a été hospitalisé pour lombalgie inflammatoire évoluant depuis deux mois. L’interrogatoire a révélé des antécédents de lumbago avec une sciatique droite deux ans auparavant, résolutif après traitement médical, d’hypertension artérielle contrôlée, d’hypercholestérolémie traitée par statine, de tabagisme actif à 30 paquets-années. La douleur lombaire était apparue sans facteur déclenchant particulier, et irradiait dans les organes génitaux externes ; il existait une altération de l’état général modérée avec un amaigrissement de 3 kg, sans anorexie, sans asthénie. L’examen clinique était normal. La biologie montrait un syndrome inflammatoire biologique, avec une vitesse de sédimentation à la première heure * Auteur
correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (G. Blanc). ◊ Pour citer cet article, utiliser le titre en anglais et sa référence dans le même volume de Joint Bone Spine.
à 70 mm, un taux de protéine C réactive à 50 mg/l, et une insuffisance rénale avec une créatininémie à 210 μmol/l. Les radiographies du rachis dorsal, lombaire, et du bassin de face étaient normales. L’imagerie par résonance magnétique du rachis dorsolombaire n’objectivait pas de lésion infectieuse, inflammatoire ou tumorale. La radiographie de thorax était normale. En revanche, la tomodensitométrie thoracoabdominopelvienne, réalisée à la recherche d’une douleur projetée, a retrouvé un engainement rétropéritonéal non nodulaire, responsable d’une hypotonie urétéropyélocalicielle sus-jacente, faisant porter le diagnostic de fibrose rétropéritonéale (Fig. 1). Le bilan étiologique immunitaire, infectieux, néoplasique, hormonal était négatif. Nous avons donc retenu le diagnostic de fibrose rétropéritonéale idiopathique. La stratégie thérapeutique a consisté en outre, à des antalgiques simples, une corticothérapie intraveineuse à la dose de 1 mg/kg par jour pendant deux semaines, suivie d’un relais per os à la même dose pendant trois mois. L’évolution favorable, avec une disparition des douleurs lombaires, une norma-
1169-8330/$ - see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.rhum.2006.12.011
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Fig. 1. Tomodensitométrie abdominopelvienne sans injection de produit de contraste : engainement rétropéritonéal non nodulaire périaortique, athérome calcifié. Diagnostic : fibrose rétropéritonéale.
Fig. 2. Tomodensitométrie abdominopelvienne sans injection de produit de contraste : diminution de l’engainement rétropéritonéal périaortique après trois mois de corticothérapie.
lisation du syndrome inflammatoire biologique et de l’insuffisance rénale (créatininémie à 95 μmol/l), et une réduction de l’engainement périaortique et de l’hypotonie pyélocalicielle à l’imagerie, a permis une diminution de la dose de corticoïdes à 0,75 mg/kg par jour pendant trois mois (Fig. 2). Avec un recul d’un an, le patient n’a pas présenté de nouvelle poussée inflammatoire, et la corticothérapie est poursuivie à doses décroissantes. 2. Discussion La fibrose rétropéritonéale est une maladie rare, caractérisée par la présence de tissu rétropéritonéal périaortique constitué d’inflammation chronique et de fibrose, engainant les uretères et les organes adjacents [1]. Son incidence est de 0,1/100 000.
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Elle est trois fois plus fréquente chez l’homme, avec un âge moyen au diagnostic compris entre 50 et 60 ans [1,2]. La fibrose rétropéritonéale est idiopathique dans deux tiers des cas, et secondaire dans un tiers des cas [1,2]. Il n’existe pas de prédisposition ethnique ou génétique. Deux hypothèses physiopathologiques ont été développées pour expliquer le développement de la fibrose rétropéritonéale primitive [1,3–5] : l’hypothèse interne, avec un point de départ endovasculaire, au niveau de la plaque d’athérome, dont la fissuration entraîne la libération de LDL oxydé et de céroïdes, et une forte réaction inflammatoire locale, à l’origine de la fibrose [3] ; l’hypothèse externe, au sein de l’adventice, implique au contraire une vascularite des vasavasorum, à l’origine à la fois d’une athérosclérose avec formation d’anévrisme, et d’une fibrose périvasculaire périphérique, dans un cadre similaire à celui observé au cours des maladies systémiques [4,5] (Fig. 3). Le contexte clinique de notre patient, porteur de plusieurs facteurs de risque cardiovasculaires (hypercholestérolémie, tabagisme, âge, sexe masculin) et de plaques d’athérome calcifiées (Figs. 1,2), est plus en faveur de l’hypothèse endogène. La fibrose rétropéritonéale secondaire peut avoir plusieurs étiologies [1,2,5,8] : médicamenteuse (méthysergide, bêtabloquants, ergotamine…), néoplasique (soit par métastases rétropéritonéales, soit par sécrétion de facteurs de croissance comme le fibroblastic growth factor), infectieuses, postradique, postopératoire. L’examen anatomopathologique retrouve un infiltrat inflammatoire (prolifération lymphoplasmocytaire et monocytaire) associé à du tissu fibreux (travées de collagène avec des calcifications), en proportion variable suivant le stade précoce ou tardif [1,4,6,8]. Les signes cliniques locaux sont essentiellement compressifs : ● douleur (symptôme le plus fréquent) ; ● compression urinaire (hématurie, polyurie, infection urinaire) ; ● vasculaire (œdèmes, thrombose, claudication, ischémie mésentérique) ; ● génitale (hydrocèle, varicocèle, douleur testiculaire) ; ● digestive (constipation), associés à des signes généraux (fébricule, AEG, nausées) [2,5,6,8,14]. Les signes cliniques sont peu spécifiques, expliquant un retard au diagnostic, qui entraîne de fréquentes complications : obstruction urétérale dans 80 à 100 % des cas, avec risque d’insuffisance rénale [1,4,14]. Sur le plan biologique, il existe un syndrome inflammatoire dans plus de 80 % des cas, une insuffisance rénale, une anémie inflammatoire [1,4,10,11]. L’incidence et la signification clinique des anomalies immunologiques sont mal connues. L’anomalie la plus fréquente est la positivité des anticorps antinucléaires, retrouvée dans 60 % des cas [1,4]. En imagerie, l’échographie abdominopelvienne retrouve une masse iso- ou hypoéchogène, et une hydronéphrose. L’urographie intraveineuse montre une déviation médiane des uretères, une com-
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Fig. 3. Deux hypothèses physiopathologiques dans la fibrose rétropéritonéale primitive : hypothèse interne (a), à point de départ endovasculaire, au niveau de la plaque d’athérome ; hypothèse externe (b), au sein de l’adventice, impliquant une vascularite des vasavasorum.
pression extrinsèque, et l’hydro-urétéronéphrose. Le scanner et l’imagerie par résonance magnétique sont les examens de référence. Le scanner retrouve une masse de tissu fibreux de densité homogène, bien délimitée, engainant les gros vaisseaux et les uretères, se rehaussant à l’injection de produit de contraste dans les stades précoces [1,7,8]. L’imagerie par résonance magnétique retrouve un hyposignal en T1, un hypersignal en T2 dans les stades précoces, et un hyposignal dans les stades tardifs. Le signal est moins homogène dans les fibroses rétropéritonéales secondaires [7,8]. La tomodensitométrie par émission de positons n’apparaît pas utile au diagnostic, mais peut avoir un intérêt dans le bilan étiologique et d’extension [9]. La fréquence de l’association, synchrone ou métachrone, avec les maladies auto-immunes est inconnue, et probablement sous-estimée. Si la plus fréquente est la thyroïdite autoimmune, toutes peuvent être retrouvées : lupus, vascularites des petits et moyens vaisseaux, polyarthrite rhumatoïde, glomérulonéphrite, uvéite, cholangite sclérosante, spondylarthrite ankylosante [1,2,4,5,8]. L’objectif du traitement est d’arrêter la progression de la réaction inflammatoire, de lever le syndrome obstructif, de prévenir la rechute de la maladie. Il repose sur la corticothérapie, dont la dose et la durée optimale sont mal connues. Le traitement le plus fréquemment rapporté est la prednisone, à la dose de 0,5 à 1 mg/kg, pendant une durée moyenne de deux ans [1, 5,10]. Les immunosuppresseurs sont parfois utilisés, mais il n’existe pas d’études randomisées efficacité/tolérance versus corticothérapie [11,12]. Le tamoxifène a montré son efficacité dans quelques séries de patients. Son mécanisme d’action est inconnu, a priori indépendant des récepteurs hormonaux, mais plutôt par inhibition de la production des facteurs de croissance comme le tranforming growth factor bêta [13]. La chirurgie, conservatrice le plus souvent est parfois nécessaire (pose de sonde JJ, voire néphrostomie) [1,8,10,14]. L’évolution est le plus souvent favorable. La principale complication est l’insuffisance rénale chronique. Il n’existe pas de facteurs prédictifs de la réponse aux traitements [1]. Le recul des séries publiées est souvent insuffisant, et le taux de rechute est difficile à évaluer. Il est estimé à 10 % après corticothérapie, et à 50 % après chirurgie seule [1,11,14].
Au total, la fibrose rétropéritonéale est une maladie rare, multifactorielle et mal connue. De nouvelles études sont nécessaires pour établir des critères diagnostiques, bien différencier les fibroses rétropéritonéales primitive et secondaire, mieux comprendre leur pathogénie, et clarifier le traitement, dose et durée optimale de la corticothérapie, rôle des immunosuppresseurs et du tamoxifène. Références [1] Vaglio A, Salvarani C, Buzio C. Retroperitoneal fibrosis. Lancet 2006; 367:241–51. [2] Jois RN, Gaffney K, Marshall T, Scott DGI. Chronic periaortitis. Rheumatol 2004;43:1441–6. [3] Parums DV. The spectrum of chronic periaortitis. Histopathology 1990; 16:423–31. [4] Vaglio A, Corradi D, Manenti L, Ferretti S, Garini G, Buzio C. Evidence of autoimmunity in chronic periaortitis: a prospective study. Am J Med 2003;114:454–62. [5] Vaglio A, Buzio C. Chronic periaortitis: a spectrum of diseases. Curr Opin Rheumatol 2005;17:34–40. [6] Mitchinson MJ. The pathology of idiopathic retroperitoneal fibrosis. J Clin Pathol 1970;23:681–9. [7] Vivas I, Nicolas AI, Velazquez P, Elduayen B, Fernandez-Villa T, Martinez-Cuesta A. Retroperitoneal fibrosis: typical and atypical manifestations. Br J Radiol 2000;73:214–22. [8] Kottra JJ, Dunnick NR. Retroperitoneal fibrosis. Radiol Clin North Am 1996;43:1259–75. [9] Salvarani C, Pipitone N, Versari A, Vaglio A, Serafini D, Bajocchi G, et al. Positron emission tomography (PET): evaluation of chronic periaortitis. Arthritis Rheum 2005;53:298–303. [10] Kardar AH, Kattan S, Lindstedt E, Hanash K. Steroid therapy for idiopathic retroperitoneal fibrosis: dose and duration. J Urol 2002;168:550–5. [11] Marcolongo R, Tavolini IM, Laveder F, Busa M, Noventa F, Bassi P, et al. Immunosuppressive therapy for idiopathic retroperitoneal fibrosis: a retrospective analysis of 26 cases. Am J Med 2004;116:194–7. [12] Warnatz K, Keskin AG, Uhl M, Scholz C, Katzenwadel A, Vaith P, et al. Immunosuppressive treatment of chronic periaortitis: a retrospective study of 20 patients with chronic periaortitis and a review of the literature. Ann Rheum Dis 2005;64:828–33. [13] Bourouma R, Chevet D, Michel F, Cercueil JP, Arnould L, Rifle G. Treatment of idiopathic retroperitoneal fibrosis with tamoxifen. Nephrol Dial Transplant 1997;12:2407–10. [14] Baker LR, Mallinson WJ, Gregory MC, Menzies EA, Cattell WR, Whitfield HN, et al. Idiopathic retroperitoneal fibrosis. A retrospective analysis of 60 cases. Br J Urol 1987;60:497–503.