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Article original
Fiscalite´ des rhums traditionnels en outre-mer et sante´ publique : l’exemple de l’ıˆle de La Re´union Taxation of traditional rums in French overseas territories and public health: The example of Reunion Island D. Me´te´ a,*,b b
a Service d’addictologie, CHU Fe´lix-Guyon, route de Bellepierre, 97405 Saint-Denis cedex, La Re´union Fe´de´ration re´gionale d’addictologie de La Re´union, CHU Fe´lix-Guyon, route de Bellepierre, 97405 Saint-Denis cedex, La Re´union
Rec¸u le 23 janvier 2017 ; accepte´ le 29 juin 2017
Abstract Background. – France has a complex system for the taxation of alcoholic beverages. In the French overseas territories (FOT), the system includes little-known specificities whose purpose is to preserve the sugar–cane–rum sector, a pillar for the weak economies in these territories. Taxes are reduced for traditional rums produced and sold locally. This favors the marketing of alcoholic spirits at low prices. In metropolitan France, on the contrary, spirits are heavily taxed drinks and their share in consumption is minor. Reunion Island (RI) is a FOT confronted with significant socioeconomic precariousness and with one of the highest national morbidity and mortality rates associated with alcohol abuse. Spirits account for half of the total consumption of pure alcohol, with a strong predominance for local traditional rums. These products are preferentially consumed by vulnerable subjects, often affected by an alcohol-use disorder. Methods. – This study consists of three parts. First, a comparative analysis of alcoholic beverage prices between RI and mainland France. Second, an analysis of the bibliography on the consequences of preferential consumption of spirits. Third, a literature review on the impact of taxation on alcohol-related morbidity and mortality. Results. – In France, the cheapest gram of pure alcohol is found in the FOT. The preferential consumption of spirits is associated with more frequent and more rapid complications. It is correlated with the level of alcoholic psychoses. Taxation is effective in reducing damage caused by the abuse of alcoholic beverages. The World Health Organization recommends the application of a minimum price for alcohol and tax increases. Conclusion. – The reduced taxation of the traditional rums of the FOT does not take into account public health data. Its purpose is economic. In RI, it contributes to a high level of consumption of spirits and encourages excess mortality through alcohol abuse. It constitutes an inequality of health for these populations. Changes in this tax system is desirable in order to reduce the harm caused by alcohol. It should be closer to the tax system in force in metropolitan France. Alcohol lobbies and lack of political courage have so far inhibited this change to the detriment of the health of the populations. # 2017 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Reunion; Alcoholic beverages; Taxes; Alcohol-related disorders; Alcoholic psychoses
Re´sume´ Position du proble`me. – La fiscalite´ franc¸aise des boissons alcoolise´es est complexe. Dans les De´partements d’outre-mer (DOM), elle pre´sente des singularite´s peu connues, dont la finalite´ est de pre´server la filie`re sucre–canne–rhum, pilier pour leurs e´conomies de´ficitaires. Elle est re´duite pour les rhums traditionnels produits, vendus sur place et favorise leur commercialisation a` bas prix. En France me´tropolitaine, les spiritueux sont, au contraire, lourdement taxe´s et leur part dans la consommation est minoritaire. La Re´union est un DOM confronte´ a` une importante pre´carite´ socio-e´conomique, ainsi qu’a` l’une des plus fortes morbi-mortalite´s nationales lie´es a` l’abus d’alcool. Les spiritueux repre´sentent la moitie´ de la consommation totale en alcool pur, avec une place pre´dominante pour les rhums traditionnels locaux. Ces produits sont pre´fe´rentiellement consomme´s par des sujets vulne´rables, souvent concerne´s par un trouble lie´ a` l’usage d’alcool.
* Correspondance. Adresse e-mail : D.Me´te´a*
[email protected] http://dx.doi.org/10.1016/j.respe.2017.06.003 0398-7620/# 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.
Pour citer cet article : Me´te´ D. Fiscalite´ des rhums traditionnels en outre-mer et sante´ publique : l’exemple de l’ıˆle de La Re´union. Rev Epidemiol Sante Publique (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.respe.2017.06.003
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Me´thodes. – Cette e´tude comporte trois volets. Premie`rement, l’analyse comparative des prix des boissons alcoolise´es entre La Re´union et la me´tropole. Deuxie`mement, une analyse de la bibliographie sur les conse´quences de la consommation pre´fe´rentielle de spiritueux. Troisie`mement, une revue bibliographique consacre´e a` l’impact de la fiscalite´ sur la morbi-mortalite´ lie´e a` l’abus d’alcool. Re´sultats. – Le gramme d’alcool pur le moins cher de France est trouve´ dans les DOM. La consommation pre´fe´rentielle de spiritueux est associe´e a` la survenue de complications plus fre´quentes et plus rapides. Elle est corre´le´e avec le niveau des psychoses alcooliques. La fiscalite´ est efficace pour lutter contre les dommages induits par l’abus de boissons alcoolise´es. L’Organisation mondiale de la sante´ recommande l’application d’un prix minimum pour l’alcool et la majoration des taxes. Conclusion. – La fiscalite´ re´duite des rhums traditionnels des DOM ne tient pas compte des donne´es de sante´ publique. Sa finalite´ est e´conomique. ` La Re´union, elle contribue a` un haut niveau de consommation de spiritueux et favorise la surmortalite´ par abus d’alcool. Elle constitue une ine´galite´ A de sante´ pour ces populations. Son e´volution est souhaitable afin de diminuer les dommages induits par l’alcool. Elle devrait se rapprocher de la fiscalite´ en vigueur en me´tropole. Les lobbies alcooliers et le manque de courage politique ont jusqu’a` pre´sent empeˆche´ cette e´volution. # 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. Mots cle´s : La Re´union ; Boissons alcoolise´es ; Fiscalite´ ; Troubles lie´s a` l’alcool ; Psychoses alcooliques
1. Une fiscalite´ re´duite pour les rhums traditionnels et leurs de´rive´s produits et vendus en outre-mer Les boissons alcoolise´es font l’objet d’une fiscalite´ complexe en France. Elles sont de´finies1 par leur titre alcoome´trique volumique, ou degre´ alcoolique, supe´rieur a` 1,28 ou % vol. Leur taxation se de´cline en trois volets : la taxe sur la valeur ajoute´e (TVA), non spe´cifique aux alcools, qui est de 20 % dans l’Hexagone pour son taux normal. Elle se calcule sur le prix de vente du produit en incluant les autres taxes ; les droits d’accise2, qui sont des taxes spe´cifiques, des droits de consommation indirects qui s’appliquent en distinguant de multiples cate´gories de boissons alcoolise´es. Ils portent sur la quantite´ et non sur la valeur du bien. Selon la cate´gorie concerne´e, sera pris en compte soit le volume global, soit le volume d’alcool pur (AP) ou soit le degre´ alcoolique par volume ; la cotisation ou vignette de Se´curite´ sociale3 (CSS) qui est e´galement une taxe spe´cifique ; elle concerne les boissons alcoolise´es titrant plus de 188. Elle s’e´le`ve a` 557,90 s/ hectolitre d’alcool pur (hlap) en 2017. Les taux pratique´s e´voluent annuellement. Ce re´gime fiscal privile´gie la filie`re viticole et s’ave`re plus lourd pour les spiritueux, frappe´s par les droits d’accise les plus e´leve´s (1737,56 s/hlap) auxquels se rajoute la CSS vu leur titre alcoolique. Les spiritueux repre´sentent moins d’un quart des boissons alcoolise´es vendues en France rapporte´es en AP et plus de 80 % de leurs recettes fiscales4. Cette fiscalite´, non fonde´e sur des impe´ratifs de sante´ publique, est juge´e peu efficace par la Cour des comptes5. 1
Article L3321-1 du Code de la sante´ publique. Arreˆte´ du 27 de´cembre 2016 fixant pour 2017 le tarif des droits d’accises sur les alcools et les boissons alcooliques. 3 Article L245-7 a` L245-12 du Code de la se´curite´ sociale. 4 Rapport d’information no 399 de M. Yves Daudigny et Mme Catherine Deroche, fait au nom de la mission d’e´valuation et de controˆle de la Se´curite´ sociale et de la Commission des affaires sociales. Fiscalite´ et sante´ publique : e´tat des lieux des taxes comportementales. Se´nat, Paris, 26 fe´vrier 2014. 5 Cour des comptes. Les politiques de lutte contre les consommations nocives d’alcool. Paris, juin 2016. 2
Afin de prote´ger la filie`re canne–sucre–rhum dans les De´partements d’outre-mer (DOM) face a` la concurrence internationale (pays tiers et Afrique–Caraı¨bes–Pacifique), les droits d’accise sont re´duits de 50 % pour les rhums dits traditionnels produits dans les DOM6 et commercialise´s en France me´tropolitaine : 869,27 s/hlap (contre 1737,56 s/hlap en 2017) dans la limite de 120 000 hlap7. Ce contingent d’exportation est re´parti8 entre la Martinique (54 500 hlap), la Guadeloupe (42 109 hlap), La Re´union (22 905 hlap) et, dans une moindre mesure, la Guyane (500 hlap). Par rhums traditionnels des DOM9, on entend des rhums produits dans les DOM a` partir de cannes a` sucre re´colte´es sur le lieu de fabrication ayant une teneur en substances volatiles e´gale ou supe´rieure a` 225 grammes par hlap et un titre alcoome´trique volumique acquis e´gal ou supe´rieur a` 40 %. Ces produits constituent, sur le plan fiscal, une cate´gorie a` part. Cette de´rogation repre´sente un manque a` gagner the´orique pour l’E´tat de plus de 110 M s par an10. La mesure a e´te´ reconduite jusqu’au 31 de´cembre 202011. En outre-mer, la fiscalite´ sur les boissons alcoolise´es est diffe´rente et peu connue. Les droits d’accise ne s’appliquent pas selon les re`gles en vigueur dans l’Hexagone et dans l’Union europe´enne : en effet,
6 Rapport no 574 de MM. Georges Patient et E´ric Dolige´, fait au nom de la commission des finances. Proposition de re´solution sur le renouvellement du re´gime fiscal applicable au rhum traditionnel des De´partements d’outre-mer. Se´nat, Paris, 15 mai 2013. 7 Article 403 du Code ge´ne´ral des impoˆts. 8 Arreˆte´ du 9 octobre 2012 portant re´partition entre les distilleries du contingent d’exportation de rhum traditionnel et relatif a` la gestion de ce contingent. 9 De´cret no 88-416 du 22 avril 1988 portant application de la loi du 1er aouˆt 1905 sur les fraudes et falsifications en matie`re de produits ou de services en ce qui concerne les rhums d’appellation d’origine. 10 Office de de´veloppement de l’e´conomie agricole d’outre-Mer (ODEADOM) : re´gime de fiscalite´ re´duite applicable aux rhums produits par les De´partements d’outre-mer : http://www.odeadom.fr/wp-content/ uploads/2015/06/ Re´gime-de-fiscalite´-re´duite-applicable-aux-rhums-produits-par-les-DOM.pdf. 11 De´cision no 189/2014/UE du Conseil du 20 fe´vrier 2014 autorisant la France a` appliquer un taux re´duit concernant certaines taxes indirectes sur le rhum « traditionnel » produit en Guadeloupe, en Guyane franc¸aise, en Martinique et a` La Re´union et abrogeant la de´cision 2007/659/CE.
Pour citer cet article : Me´te´ D. Fiscalite´ des rhums traditionnels en outre-mer et sante´ publique : l’exemple de l’ıˆle de La Re´union. Rev Epidemiol Sante Publique (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.respe.2017.06.003
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Tableau 1 Comparaison de la fiscalite´ pratique´e en 2016 sur les spiritueux en France me´tropolitaine et a` La Re´union (DOM). Cate´gorie fiscale
Taxes ad valorem
Accises
De´nomination
Vente en me´tropole
Vente a` La Re´union
Rhums DOM contingent
Autres spiritueux
Spiritueux importe´s
Rhums pays tiers
Rhums autres DOM
Rhums locaux
TVA
20 %
20 %
8,5 %
8,5 %
8,5 %
8,5 %
OM externe OM interne OM re´gional Total ad valorem Droit de consommation France/UE Droit de consommation DOM CSS (VSS) DADOM Total accises
– – – 20 % 869,27 s/hlap
– – – 20 % 1737,56 s/hlap
61,5 % – 2,5 % 72,5 % –
30,5 % – 2,5 % 41,5 % –
30,5 % – 2,5 % 41,5 % –
– 10,5 % 2,5 % 21,5 % –
–
–
1737,56 s/hlap
1737,56 s/hlap
38,11 s/hlap
38,11 s/hlap
557,90 s/hlap – 1427,17 s/hlap
557,90 s/hlap – 2295,46 s/hlap
557,90 s/hlap – 2295,46 s/hlap
557,90 s/hlap – 2295,46 s/hlap
Accises pour 70 cL a` 408
4s
6,43 s
6,43 s
6,43 s
0,4 s/L 106,71 s/hlap 144,82 s/hlap + 0,4 s/L 0,69 s
0,4 s/L 106,71 s/hlap 144,82 s/hlap + 0,4 s/L 0,69 s
OM : octroi de mer ; CSS : cotisation Se´curite´ sociale ; VSS : vignette de Se´curite´ sociale ; DADOM : droits assimile´s au droit d’octroi de mer ; hlap : hectolitre d’alcool pur ; DOM : De´partements outre-mer.
si les DOM appartiennent bien au territoire douanier de l’Union europe´enne, en revanche, ils ne font pas partie de son territoire fiscal12,13. Concernant les rhums traditionnels produits et vendus en outre-mer, ces droits s’e´le`vent seulement a` 38,11 s/ hlap14, soit 45 fois moins que le taux normal a` cate´gorie e´quivalente (spiritueux : 1737,56 s/hlap) ou 2,2 % de ce taux. Ils sont de 54,73 s/hlap pour les punchs et liqueurs15. Pour les autres boissons alcoolise´es, il est inte´ressant de noter que les taux de taxation sont identiques a` ceux de la me´tropole. La CSS dans les DOM, ainsi qu’a` Saint-Martin et a` SaintBarthe´lemy, est re´duite a` 0,04 s par de´cilitre, soit 0,4 s par litre « pour les rhums, tafias et spiritueux compose´s a` base d’alcool de cru produits et consomme´s sur place »16. Il s’agit d’une taxe unitaire, base´e sur le volume. En me´tropole, depuis 2012, la CSS s’applique en fonction du titre alcoome´trique volumique. ` titre comparatif, un litre de spiritueux a` 498 commercialise´ A dans l’Hexagone est frappe´ d’une CSS de 2,72 s, soit pre`s de sept fois plus. L’octroi de mer17,18 (OM) est un vieil impoˆt indirect ad valorem a` haut rendement, non spe´cifique aux alcools. Il est
12 Directive 2008/118/CE du Conseil du 16 de´cembre 2008 relative au re´gime ge´ne´ral d’accise et abrogeant la directive 92/12/CEE. 13 Article 302C du Code ge´ne´ral des impoˆts. 14 Re´fe´rentiel inte´gre´ tarifaire automatise´ (RITA). ProDou@ane. [Internet]. Version 4.2.4. Montreuil (F) : Direction Ge´ne´rale des Douanes et Droits Indirects; 2008. Accessible en ligne : https://pro.douane.gouv.fr. 15 Source : Douanes de La Re´union. 16 Article L758-1 du Code de la se´curite´ sociale. 17 Loi no 2004-639 du 2 juillet 2004 relative a` l’octroi de mer. 18 Rapport d’information sur l’octroi de mer no659 de´pose´ par MM. Mathieu Hanotin et Jean Jacques Vlody. Assemble´e nationale, Paris, 29 janvier 2013. 19 Article L4434-1 du Code ge´ne´ral des collectivite´s territoriales. 20 Article 296 du Code ge´ne´ral des impoˆts.
de´cline´ en OM externe, qui frappe la majorite´ des produits importe´s, et en OM interne qui concerne certains produits fabrique´s localement. Les conseils re´gionaux fixent leurs taux par de´libe´ration annuelle. Cet impoˆt a deux objectifs : financer ` La les collectivite´s locales et prote´ger la production locale. A ´ ` Reunion, pour l’OM externe, des taux de 36 a 64 % sont applique´s sur la valeur en douane, selon les cate´gories de boissons alcoolise´es importe´es : 64 % pour le whisky, 33 % pour le rhum importe´. L’OM interne s’applique a` la production locale : il est de 6,5 % pour la bie`re, les liqueurs et autres spiritueux a` base de rhum et de 13 % pour le rhum. Il existe e´galement des « droits assimile´s au droit d’octroi de mer19 » (DADOM). Il s’agit de droits d’accise qui s’e´le`vent a` ` ne pas confondre avec le « droit additionnel a` 106,76 s/hlap. A l’octroi de mer » (DAOM) qui est l’ancien nom de l’OM re´gional (2,5 % a` La Re´union sur l’ensemble des boissons alcoolise´es entie`rement affecte´s au fonctionnement de la re´gion). La TVA s’applique dans les DOM aux meˆmes conditions que dans l’Hexagone mais re´duite20 a` 8,5 % contre 20 %. Ce re´gime fiscal spe´cifique favorise tout particulie`rement les rhums traditionnels produits et vendus localement (Tableau 1). Ils cumulent de nombreuses exone´rations (droits d’accise, CSS, TVA et octroi de mer re´duits) auxquelles se rajoutent d’autres formes d’aides nationales et communautaires indirectes : aides aux planteurs de canne a` sucre, aux industries sucrie`res et aux distilleries. Et pour terminer, les fabricants be´ne´ficient de l’absence de couˆts de transports et de la disponibilite´ locale de la matie`re premie`re (canne a` sucre). La Re´union est le premier producteur de canne a` sucre et de rhum en France et pour la CEE. La production de rhum fait partie inte´grante de la filie`re sucrie`re, pilier de l’e´conomie locale6, de´nomme´e par extension filie`re « canne–sucre–rhum ».
Pour citer cet article : Me´te´ D. Fiscalite´ des rhums traditionnels en outre-mer et sante´ publique : l’exemple de l’ıˆle de La Re´union. Rev Epidemiol Sante Publique (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.respe.2017.06.003
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Fig. 1. Exemple de rhum traditionnel local premier prix titrant 498 vendu a` La Re´union au prix de 15 s le litre en octobre 2016 dans une grande surface (cliche´ de l’auteur).
Elle repre´sente 23 000 emplois [1]. Elle contribue modestement a` re´e´quilibrer une balance commerciale tre`s de´favorable : le sucre repre´sente 23 % du montant des exportations et le rhum ` La 6 %. La filie`re rhum ge´ne`re 15 000 emplois en outre-mer. A ´ ´ Reunion, la moitie de la production de rhums traditionnels est exporte´e, en Guadeloupe21 et Martinique22 le niveau d’exportation atteint les 80 %. En Guyane, la majeure partie de la production est consomme´e sur place. La Re´union produit quasi-exclusivement du rhum dit « industriel » – ou « de sucrerie » – a` partir d’un re´sidu de raffinage du sucre non cristallisable appele´ « me´lasse ». Aux Antilles et en Guyane [2], l’usage pre´dominant est la fabrication de rhum a` partir de jus de canne fermente´ que l’on de´nomme « rhum agricole ». Pour les rhums industriels bas de gamme produits a` La Re´union, le litre a` 498 est commercialise´ autour de 7 s, voire 6 s en pe´riode promotionnelle (Fig. 1). Ces produits font l’objet d’une publicite´ intensive et constituent des produits d’appel pour les enseignes commerciales. Ce re´gime fiscal de´rogatoire rend ces produits particulie`rement attractifs. Il oriente le choix des consommateurs, en particulier celui des populations les plus vulne´rables et des personnes ayant un trouble lie´ a` l’usage d’alcool. Un rapport de
l’Inspection ge´ne´rale des finances, paru en 2011, de´nonce son caracte`re injustifie´ de niche fiscale, ainsi que ses conse´quences ne´gatives sur la sante´ publique23. 2. La Re´union : un de´partement d’outre-mer marque´ par une importante morbi-mortalite´ lie´e a` l’alcool Situe´e dans le sud-ouest de l’oce´an Indien, l’ıˆle de La Re´union est le DOM le plus peuple´ avec 843 500 habitants [3]. Sa densite´ est presque trois fois supe´rieure a` celle de l’Hexagone. Sa population est plus jeune, les moins de 20 ans sont deux fois plus nombreux que les 60 ans et plus. La fe´condite´ est plus importante : 2,45 enfants par femme contre 1,98. La Re´union est confronte´e a` une importante pre´carite´ sociale [4] avec un taux de pauvrete´ e´leve´24 (42 % contre 13,7 % en me´tropole), le plus haut niveau d’allocataires du revenu de solidarite´ active (RSA) et de la couverture maladie universelle (CMU) comple´mentaire. Sur le plan du travail, le taux d’emploi est de 49 % (contre 64 % en me´tropole) avec le plus haut taux national de choˆmage [5] (24,6 % contre 9,8 % en me´tropole), malgre´ un dynamisme qui ne parvient pas a` 23
21
Institut d’e´mission des de´partements d’outre-Mer (IEDOM). Rapport annuel 2015. Guadeloupe (2016). 22 IEDOM. Rapport annuel 2015. Martinique (2016).
Guillaume H., Ohier M., Schlosser F., Angrand N. Rapport du comite´ d’e´valuation des de´penses fiscales et des niches sociales. Inspection ge´ne´rale des finances, Paris, juin 2011 (356 pp.). 24 IEDOM. Rapport annuel 2015. La Re´union (2016). http://www.iedom.fr/ IMG/pdf/ra_2015_iedom_reu_.pdf.
Pour citer cet article : Me´te´ D. Fiscalite´ des rhums traditionnels en outre-mer et sante´ publique : l’exemple de l’ıˆle de La Re´union. Rev Epidemiol Sante Publique (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.respe.2017.06.003
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Fig. 2. De´ce`s avant 65 ans par alcoolisme et cirrhose pour 10 000 habitants aˆge´s de 40 a` 64 ans, 2013. Source : Inserm SC8 1997 a` 1999 – Inserm/Ce´piDc a` partir de 2000.
endiguer l’augmentation de la population active. En 2011, 23 % des personnes aˆge´es de 16 a` 65 ans ayant e´te´ scolarise´es e´taient en situation d’illettrisme contre 7 % en France hexagonale [6]. Un jeune Re´unionnais sur trois quitte le syste`me scolaire sans diploˆme [7], le taux de choˆmage des jeunes est le plus e´leve´ de France (46 % contre 16 % pour la moyenne nationale). La Re´union pre´sente l’un des taux de mortalite´ lie´ a` l’alcool les plus e´leve´s du territoire national. Elle se situe a` la 4e place a` e´galite´ avec les Pays-de-la-Loire, apre`s le Nord-Pas-de-Calais et la Picardie, la Bretagne puis la Normandie25 (Fig. 2). L’alcool est a` l’origine de 1,8 % des de´ce`s a` La Re´union (principalement chez les hommes ou` il atteint 2,9 %) contre 0,5 % des de´ce`s en me´tropole [4], soit 3,6 fois plus. La mortalite´ lie´e a` la consommation inapproprie´e d’alcool est pre´mature´e pour 7 de ces de´ce`s sur 10 avec un sex-ratio nettement masculin (quatre hommes pour une femme). Il existe un lien important entre la criminalite´ et la consommation d’alcool26. La proble´matique alcool est une priorite´ de sante´ publique reconnue depuis longtemps par les autorite´s sanitaires (Drass puis ARS).
Paille et Reynaud [8] montrent que La Re´union est concerne´e par les taux les plus e´leve´s d’hospitalisations pour les ivresses e´thyliques aigue¨s ainsi que pour les syndromes de de´pendance, avec la Normandie et le Nord (Fig. 3). L’une des spe´cificite´s de cette mortalite´ lie´e a` l’alcool est le niveau e´leve´ de psychoses alcooliques avec un taux trois fois supe´rieur a` celui de l’Hexagone27. Cette particularite´ est identifie´e et mise en lien avec la consommation pre´dominante de spiritueux depuis longue date [9]. Les troubles lie´s a` l’alcoolisation fœtale sont fre´quents [10– 12]. En 2016, les autorite´s sanitaires ont engage´ un plan d’action expe´rimental avec la cre´ation du premier centre de ressources et d’expertise franc¸ais sur le syndrome d’alcoolisation fœtale (SAF) et des troubles cause´s par l’alcoolisation fœtale (TCAF) a` l’ıˆle de La Re´union. La consommation annuelle moyenne d’AP par habitant aˆge´ de plus de 15 ans a` La Re´union est de 11,1 litres en 2014 contre 12 litres dans l’Hexagone. Ce chiffre montre une augmentation de +8 % par rapport a` 201327. L’analyse des consommations rapporte´es en AP montre que plus d’un quart de l’alcool consomme´ a` La Re´union est du rhum
25
Observatoire des drogues pour l’information sur les comportements en re´gions (ODICER) : en ligne : http://odicer.ofdt.fr. 26 Rapport d’information no 676 de MM. Jean-Pierre Sueur, Christian Cointat et Fe´lix Desplan. Services publics, vie che`re, emploi des jeunes: La Re´union a` la croise´e des chemins. Se´nat, Paris, 18 juillet 2012.
27
Observatoire re´gional de la sante´ oce´an Indien (ORS-OI). Tableau de bord. Les Addictions a` La Re´union. Actualisation des donne´es disponibles en 2015. En ligne: http://www.ors-reunion.org.
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Fig. 3. Re´partition re´gionale des troubles lie´s a` l’alcool en me´decine, chirurgie, obste´trique (MCO) : intoxication aigue¨ versus syndrome de de´pendance, France, 2011. Source : Paille F., Reynaud M. avec l’autorisation de l’e´diteur.
(26 %). Avec les autres spiritueux, c’est donc la moitie´ de l’alcool (49 %) qui est consomme´ sous forme d’alcools forts dans ce DOM. Les rhums locaux et leurs de´rive´s peu taxe´s repre´sentent 70 % de ces spiritueux. Dans l’Hexagone, la consommation des spiritueux compte, a` peine, pour 20 % de la consommation totale. La part du rhum, apre`s avoir baisse´ a` un niveau historique en 2008, augmente a` nouveau progressivement. Cette importante proportion des spiritueux dans la consommation re´unionnaise explique vraisemblablement, en partie, le haut niveau de mortalite´. En me´tropole, le vin compte pour 58 % de la consommation (contre 25 % a` La Re´union) et pre´sente un effet protecteur relatif, bien que controverse´ [13]. ` La Re´union, le paradoxe d’une consommation moyenne A plus basse que dans l’Hexagone malgre´ une mortalite´ supe´rieure, est la conse´quence vraisemblable d’une concentration des consommations, en particulier des rhums traditionnels bon marche´, au sein d’une part vulne´rable de la population. Bien qu’aucune e´tude re´gionale ne pre´cise ces taux, sur le plan international, il a e´te´ e´value´ que plus de 50 % des ventes d’alcool se concentrent chez 20 % des consommateurs [14,15]. La distribution de ces produits a` La Re´union est facilite´e par l’atomisation des points de vente au de´tail (petits commerces traditionnels de proximite´), la grande distribution et l’appui d’une publicite´ intensive. Dans les structures de soins recevant des patients pour un trouble lie´ a` l’usage de l’alcool a` La Re´union, les sujets les plus en difficulte´ (haut niveau d’alcoolode´pendance, e´tat de sante´ alte´re´, pre´carite´) consomment majoritairement du rhum traditionnel local ou l’un de ses de´rive´s bon marche´. Les niveaux quotidiens de consommation peuvent eˆtre tre`s e´leve´s. Le choix de la boisson alcoolise´e rele`ve de facteurs socioculturels, mais aussi de son prix.
Dans les autres DOM, si la mortalite´ n’atteint pas le niveau observe´ a` La Re´union, le niveau de psychoses alcooliques est e´galement plus e´leve´ que dans les de´partements me´tropolitains. L’un de leurs points communs est la place particulie`re occupe´e par les rhums traditionnels.
3. Prix des rhums traditionnels dans les De´partements d’outre-mer Comme dans les autres DOM, a` La Re´union, tout couˆte plus cher que dans l’Hexagone, notamment +28 % pour l’alimentation [16,17]. Les boissons alcoolise´es importe´es sont en moyenne 25 % plus couˆteuses. Lors de leur importation dans les DOM, elles sont assujetties aux droits d’accise, a` la CSS selon les meˆmes re`gles que dans l’Hexagone ainsi qu’a` l’OM qui peut atteindre 64 % sur les spiritueux importe´s comme le whisky. Une cate´gorie de produits se de´marque pour ses prix tre`s bas : les rhums traditionnels bas de gamme produits localement. Nous avons effectue´ une analyse compare´e des prix des boissons alcoolise´es par cate´gorie a` La Re´union et dans l’Hexagone en se basant sur le produit de re´fe´rence le moins cher, par contenance infe´rieure a` 2 litres. Les rhums traditionnels vendus dans les DOM couˆtent 50 a` 60 % moins chers que les spiritueux e´quivalents en AP vendus dans l’Hexagone : soit 6 a` 7 s le litre a` 498 (Fig. 1) contre 15 s minimum. Nous avons ensuite rapporte´ ces prix en centimes d’euros par gramme d’AP et constate´ que l’on trouve dans les DOM le prix du gramme d’AP le plus bas du territoire national (Tableau 2). En me´tropole, c’est le vin qui est la boisson la moins che`re en valeur absolue d’alcool, en raison la` aussi d’un re´gime fiscal de complaisance.
Pour citer cet article : Me´te´ D. Fiscalite´ des rhums traditionnels en outre-mer et sante´ publique : l’exemple de l’ıˆle de La Re´union. Rev Epidemiol Sante Publique (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.respe.2017.06.003
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D. Me´te´ / Revue d’E´pide´miologie et de Sante´ Publique xxx (2017) xxx–xxx Tableau 2 Prix des boissons alcoolise´es en centimes d’euro par gramme d’alcool pur selon la cate´gorie et son repre´sentant le moins cher en me´tropole et a` La Re´union. Cate´gorie
Sous-cate´gorie
Prix me´tropole (cts s)
Prix Re´union
Spiritueux
Rhum Vodka Whisky
3,52 4,02 3,77 1,80 3,92
1,57a 4,00a 3,96 2,84 4,90a
Vin de table Bie`re de luxe a
Produits fabrique´s localement.
4. Consommation de spiritueux et sante´ publique Historiquement, la naissance du concept d’alcoolisme est contemporaine de la mise a` disposition des spiritueux a` l’ensemble des populations graˆce a` l’industrialisation des techniques de distillation. L’e´pisode de la « folie du gin » (gin craze) en Angleterre au de´but du XVIIIe sie`cle [18] avec la popularisation de l’eau-de-vie dans un Londres paupe´rise´, a profonde´ment marque´ les esprits par ses conse´quences sanitaires. La re´volution industrielle au XIXe sie`cle, associe´e a` l’apparition de l’alcoolisme de masse, ame`nera l’e´laboration des premie`res mesures le´gales visant a` le re´guler [19]. Ces donne´es historiques sont repre´sentatives du danger de la commercialisation d’alcools forts, accessibles et a` bas prix, lorsque les mesures de re´gulation sont absentes ou insuffisantes. Coder et al. (2009) [20] ont analyse´, en Allemagne, les consommations de 1011 hommes ayant un usage proble´matique de l’alcool. Ils montrent que la consommation exclusive de spiritueux chez les patients en difficulte´ avec l’alcool est associe´e a` un plus haut risque de pre´senter des pathologies lie´es a` l’alcool. Ils concluent en mentionnant que les consommateurs de vin pre´sentent habituellement moins de complications du fait d’un effet protecteur relatif spe´cifique du vin. Kerr et Ye (2011) [21] ont publie´ un remarquable travail sur les relations entre les types de boissons alcoolise´es consomme´es et la mortalite´. Ils pre´sentent une revue de la bibliographie, mais aussi une e´tude originale sur les liens entre la mortalite´ routie`re aux E´tats-Unis et la cate´gorie de boissons consomme´es. Ils de´montrent qu’il existe des liens plus significatifs entre la consommation de spiritueux et la mortalite´ par cirrhoses, cardiopathies ische´miques et tumeurs de la teˆte et du cou. Ils e´tablissent une relation entre la vente de spiritueux et la mortalite´ par accidents de la route, par homicides. Enfin, ils mettent en e´vidence une corre´lation entre la consommation de spiritueux et la mortalite´ par suicide. Ma¨kela¨ et al. (2007) [22] proposent une revue de la bibliographie sur les diffe´rences entre les types de boissons alcoolise´es en fonction des dommages sur la sante´. Ils constatent que dans la population finlandaise, le binge drinking concerne surtout les spiritueux : plus les gens boivent, plus la proportion de spiritueux est importante. Les intoxications e´thyliques aigue¨s fatales (comas e´thyliques) sont le plus ` ge´ne´ralement observe´es apre`s l’ingestion de spiritueux. A quantite´ d’AP e´gale sur estomac vide, les spiritueux entraıˆnent une e´le´vation plus rapide de l’alcoole´mie que les autres boissons alcoolise´es. Les comportements agressifs sont plus
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fre´quents lors de la consommation de spiritueux que de vin ou de bie`re. Ils concluent en sugge´rant que les spiritueux soient davantage taxe´s que les autres boissons alcoolise´es. Andreuccetti et al. (2014) [23] se sont inte´resse´s au type de boisson alcoolise´e consomme´ chez les personnes ayant consulte´ aux urgences pour un traumatisme survenu sous influence de l’alcool. Leur e´tude concerne huit pays d’Ame´rique du sud et de la Caraı¨be. Elle montre que les consommateurs des spiritueux ont un risque plus important de pre´senter un e´ve`nement traumatique. Des e´tudes re´alise´es en Russie, en Pologne e´tablissent le lien particulier entre la consommation de spiritueux et l’incidence des psychoses alcooliques [24,25]. Des liens forts sont e´tablis entre la consommation de spiritueux et le niveau d’homicides [26,27]. C’est e´galement le cas pour le suicide chez les hommes chez qui la consommation de spiritueux est un facteur de risque de´montre´ [28,29]. Dans un pays comme la Russie, ou` la part de spiritueux dans la consommation est importante, il est de´montre´ qu’il existe un lien avec l’importante mortalite´ pre´mature´e observe´e [30]. La consommation de spiritueux est associe´e a` davantage de complications. Principalement du fait de leur teneur importante en e´thanol, la part des conge´ne`res (me´thanol, alde´hydes, par exemple) dans cette dangerosite´ est marginale dans les conditions actuelles de production [31]. D’autres facteurs interviennent, comme le profil des consommateurs, leurs attentes spe´cifiques qui peuvent guider leur choix de consommation. Ces e´le´ments justifient la fiscalite´ particulie`re, beaucoup plus lourde, qui est applique´e aux spiritueux dans de nombreux pays [21].
5. L’impact de la fiscalite´ et du prix des boissons alcoolise´es sur la sante´ publique La revue de la bibliographie re´alise´e ci-dessous montre que le prix de l’alcool a une influence sur la consommation globale et sur les dommages lie´s a` ces consommations selon une relation inversement proportionnelle. L’augmentation des taxes sur l’alcool est une mesure efficace pour re´duire la consommation totale, la morbidite´ et la mortalite´ lie´es a` l’alcool. Le prix de l’alcool a une influence sur la criminalite´ et les accidents de la route. Les consommateurs qui ont des proble`mes de sante´ lie´s a` l’alcool ache`tent majoritairement des boissons alcoolise´es a` bas prix. Les plus vulne´rables et les plus de´pendants, mais aussi les adolescents et les jeunes adultes sont particulie`rement sensibles a` l’augmentation de la taxation sur les boissons alcoolise´es. Contrairement a` une ide´e rec¸ue, celleci ne pe´nalise pas les consommateurs mode´re´s. Wagenaar et al. (2010) [32] de´montrent dans leur me´taanalyse que le prix de l’alcool est inversement proportionnel a` la consommation mais e´galement a` la morbidite´ et a` la mortalite´. Leurs re´sultats objectivent que le doublement de la taxation de l’alcool re´duit la mortalite´ de 35 %, les accidents mortels de circulation de 11 %, la transmission d’infections sexuellement transmissibles de 6 %, la violence de 2 % et les crimes de 1,4 %.
Pour citer cet article : Me´te´ D. Fiscalite´ des rhums traditionnels en outre-mer et sante´ publique : l’exemple de l’ıˆle de La Re´union. Rev Epidemiol Sante Publique (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.respe.2017.06.003
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Dans un pre´ce`dent travail [33] (2009), les meˆmes auteurs ont effectue´ une me´ta-analyse a` partir de 112 e´tudes. Leur travail a montre´ une forte corre´lation entre le prix de l’alcool et la consommation selon une relation inverse. L’augmentation des taxes de 10 % entraıˆne une re´duction de 5 % de la consommation, soit une e´lasticite´ de 0,5. Babor et al. [14] e´voquent une e´lasticite´ plus efficace pour le vin et les spiritueux a` 0,7 : une augmentation du prix de vente de +10 % entraıˆne une baisse de 7 % des ventes. Elder et al. (2010) [34] ont proce´de´ a` une analyse syste´matique de la litte´rature disponible concernant l’efficacite´ des taxes sur la consommation excessive d’alcool et ses dommages. Ils ont retenu 72 publications remplissant les crite`res de qualite´ requis. La quasi-totalite´ d’entre elles montre qu’il existe une relation inverse entre le niveau de taxation ou de prix de l’alcool et sa consommation excessive ainsi que les dommages occasionne´s. ¨ sterberg [35] (2009) sont deux auteurs finlandais Ma¨kela¨ et O qui ont analyse´ les conse´quences de la baisse de la taxation des boissons alcoolise´es applique´e dans leur pays a` partir de 2004 pour satisfaire a` la re´glementation europe´enne. Leurs travaux ont objective´ une augmentation imme´diate de la consommation d’alcool mais e´galement des dommages qui lui sont lie´s : de´lits d’ivresse, conduites sous l’emprise de l’alcool, hospitalisations et de´ce`s. Ils observent que depuis 2004, la mortalite´ induite par les cirrhoses alcooliques ainsi que par les autres he´patopathies alcooliques a augmente´ de +50 %. L’e´le´vation des consommations a surtout concerne´ les personnes ayant de bas revenus ainsi que les jeunes. Les dommages concernent davantage les populations les plus vulne´rables : sans-emplois, pensionne´s, personnes seules. Xu et Chaloupka (2011) [36], dans une de revue de la bibliographie, montrent que l’augmentation des taxes sur les boissons alcoolise´es est une mesure tre`s efficace. Elle re´duit les dommages lie´s a` l’alcool : conduite sous l’emprise de l’alcool, criminalite´, cirrhose et autres pathologies favorise´es par l’alcool, sexualite´ a` risque et e´chec scolaire chez les jeunes. Les adolescents et les jeunes adultes sont particulie`rement sensibles a` ces augmentations. Le be´ne´fice de ces mesures est encore plus perceptible dans le long terme. L’e´quipe mene´e par Mohler-Kuo (2004) [37] s’est inte´resse´e aux conse´quences de la baisse de la taxation sur les spiritueux importe´s applique´e en Suisse en 1999 en vertu des accords sur le libre-e´change. Outre une augmentation de la consommation de spiritueux, ils notent une augmentation des dommages lie´s a` l’alcool en particulier parmi les plus jeunes davantage consommateurs de spiritueux. Dans une autre publication a` partir du meˆme e´chantillon de population (2003) [38], la meˆme e´quipe montre que les jeunes sont davantage influence´s que les aıˆne´s par le prix des boissons alcoolise´s. Chaloupka et al. (2002) [39], dans une revue de la bibliographie, montrent que le prix des boissons alcoolise´es a une influence sur la consommation des adolescents et des jeunes adultes. L’augmentation des prix re´duit la conduite sous l’effet de l’alcool dans tous les groupes d’aˆge et diminue la fre´quence des pathologies, des accidents et des de´ce`s lie´s a` l’alcool mais e´galement de la violence et de la criminalite´ lie´es a` l’alcool.
Un axe de re´flexion diffe´rent mais comple´mentaire a e´te´ engage´ par l’E´cosse avec le concept d’e´tablissement d’un prix minimum le´gal de l’alcool [40]. Ces e´tudes mene´es sur une pe´riode de plus de 20 ans apportent un niveau de preuves important. Un e´conomiste ame´ricain, Nelson J.P., mode`re ces e´le´ments sur la porte´e des taxes ou du roˆle ne´gatif de la publicite´ dans ses travaux [41,42]. Cet auteur a fait l’objet de critiques se´ve`res par la communaute´ scientifique [43] en raison de ses conflits d’inte´reˆt avec des travaux finance´s par l’industrie des boissons alcooliques via l’International Center for Alcohol Policies (ICAP) ou` il a e´te´ consultant. 6. Discussion L’alcool n’est pas un bien de consommation comme les autres [14]. Il s’agit d’une substance toxique, addictive et le´gale, dont la vente est fortement re´gule´e. Si la fiscalite´ franc¸aise des boissons alcoolise´es est complexe, celle des DOM l’est davantage et comporte des particularite´s peu connues. Les droits d’accise pratique´s localement sur les rhums traditionnels sont conside´rablement re´duits : 45 fois plus faible. Cela constitue un manque a` gagner pour l’E´tat, mais surtout un soutien a` la production et a` la distribution locale bon marche´ de ces produits. La CSS a une finalite´ de sante´ publique : elle a e´te´ institue´e « en raison des risques que comporte l’usage immode´re´ de ces produits pour la sante´ »28. Son niveau tre`s faible, calcule´ par unite´ de volume pour les rhums traditionnels (0,4 s/L) dans un de´partement comme La Re´union au titre de la spe´cificite´ outremer est un non-sens au regard des re´alite´s de sante´ publique. Le taux de mortalite´ lie´e a` l’alcool y est en re´alite´ trois fois supe´rieur a` la moyenne nationale [4] avec l’un des plus hauts niveaux d’hospitalisation pour ivresse aigue¨ e´thyliques et syndrome de de´pendance a` l’alcool [8]. L’E´tat soutient la commercialisation locale du rhum au de´triment du budget de la se´curite´ sociale. Il existe des taxes comple´mentaires sur les boissons alcoolise´es spe´cifiques a` l’outre-mer, l’OM qui s’e´le`ve a` 12 % et les DADOM. Elles ne changent que modestement le poids tre`s relatif de la fiscalite´ sur ces produits. Un rhum traditionnel produit et vendu a` La Re´union est six fois moins taxe´ que son e´quivalent me´tropolitain en AP. Pour un spiritueux vendu dans l’Hexagone, la part des taxes dans le prix final est de plus de 80 %, pour un rhum traditionnel vendu localement, elle est de l’ordre de 35 % du prix de´finitif. Ce re´gime fiscal expose les populations d’outre-mer a` un double e´cueil : des boissons fortement alcoolise´es, tre`s disponibles comme a` La Re´union ou` il existe un re´seau de distribution local e´tendu, tre`s efficace et renforce´ par une publicite´ massive ; des prix extreˆmement bas : de l’ordre de 6–7 s le litre a` 498 (Fig. 1). 28
Article L245-7 du Code de la se´curite´ sociale.
Pour citer cet article : Me´te´ D. Fiscalite´ des rhums traditionnels en outre-mer et sante´ publique : l’exemple de l’ıˆle de La Re´union. Rev Epidemiol Sante Publique (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.respe.2017.06.003
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Ces spiritueux sont vendus 50 a` 60 % moins chers que leurs e´quivalents en valeur d’AP de l’Hexagone. Cette fiscalite´ permet de trouver dans ces re´gions le prix du gramme d’AP le moins cher du territoire franc¸ais (Tableau 2). ` La Re´union, ou` la consommation de spiritueux A pre´domine, les conse´quences sur la sante´ de la population sont plus importantes que dans les autres DOM et que dans l’Hexagone. Le niveau e´leve´ des psychoses alcooliques est particulie`rement re´ve´lateur de cette spe´cificite´. Cette fiscalite´, qui favorise la commercialisation de spiritueux a` bas prix, est donc paradoxale au regard des re´alite´s de sante´ publique dans ce de´partement. Sa finalite´ est avant tout e´conomique ; une re´alite´ difficilement acceptable qui re´sulte d’une politique re´gionale et d’E´tat accepte´e par l’Europe. L’Organisation mondiale de la sante´ (OMS) [44] e´nonce un ensemble de recommandations afin de re´duire l’usage nocif de l’alcool. Parmi elles, plusieurs concernent le prix et les taxes des boissons alcoolise´es. « Les consommateurs, y compris les gros buveurs et les jeunes, sont sensibles au changement du prix des boissons. [. . .] L’augmentation du prix des boissons alcoolise´es est l’un des moyens les plus efficaces de re´duire l’usage nocif de l’alcool. L’une des conditions essentielles pour que les politiques de prix contribuent a` re´duire l’usage nocif de l’alcool est un syste`me d’imposition efficace et efficient couple´ a` un bon syste`me de perception des taxes et de re´pression » (§. 32).
« Les politiques et interventions consistent notamment a` re´duire ou supprimer les subventions aux acteurs e´conomiques du secteur de l’alcool » (§. 34f).
« Plus l’alcool est accessible – c’est-a`-dire plus le prix des boissons est bas ou plus le revenu disponible est e´leve´ – plus la consommation augmente et avec elle les conse´quences nocives. [. . .] On estime que l’augmentation des prix et la fixation d’un prix minimum ont une influence bien plus grande sur les gros buveurs que sur les consommateurs plus mode´re´s » (Annexe II. 8, p. 34). Au regard des donne´es de sante´ publique, de la litte´rature et des recommandations de l’OMS, le dispositif fiscal des rhums traditionnels fabrique´s et consomme´s en outre-mer devrait eˆtre modifie´ afin de mieux prote´ger les populations de ces re´gions face au risque alcool. Il participe de manie`re importante a` une ine´galite´ de sante´ majeure pour la population re´unionnaise. La logique premie`re consisterait a` aligner la CSS sur le mode`le national par l’abrogation simple de l’article L758-1 du Code de la se´curite´ sociale et a` aligner les droits d’accise sur les bare`mes pratique´s dans l’Hexagone. Sous l’influence des lobbies alcooliers et en l’absence de volonte´ politique, cette fiscalite´ perdure au de´triment de la sante´ des populations. Cet aspect particulier de la fiscalite´ des rhums traditionnels d’outre-mer fabrique´s et vendus sur place illustre de manie`re dramatique et extreˆme les failles d’une fiscalite´ franc¸aise qui devrait eˆtre davantage comportementale et authentiquement
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base´e sur une re´flexion de sante´ publique exempte de conflits d’inte´reˆts. 7. Conclusion Une fiscalite´ re´duite est applique´e aux rhums traditionnels et a` leurs de´rive´s produits dans les DOM, a` partir de la canne a` sucre locale, et vendus sur place. La filie`re canne–sucre–rhum constitue un pilier e´conomique pour ces re´gions fortement de´pendantes des transferts sociaux. Alors que le couˆt de la vie y est plus e´leve´, cette fiscalite´ permet paradoxalement la vente de spiritueux a` haut degre´ d’alcool a` des prix infe´rieurs de 50 a` 60 % aux tarifs les plus bas rencontre´s en France hexagonale pour des boissons a` teneur d’AP e´gale. Leur fiscalite´ est en effet six fois moins importante que pour les autres spiritueux. La Re´union est un DOM confronte´ a` d’importantes difficulte´s socio-e´conomiques. La morbi-mortalite´ lie´e a` l’alcool est l’une des plus importantes du territoire national. Les spiritueux occupent une place importante dans la consommation locale avec une position e´lective pour les rhums traditionnels locaux. Si la consommation inapproprie´e d’alcool re´sulte de facteurs multiples : socio-e´conomiques, comportementaux et culturels, elle de´pend aussi du prix de l’alcool, de sa disponibilite´ et de la publicite´. Dans les DOM, en particulier a` La Re´union, la fiscalite´ complexe et peu connue de ces produits va a` l’encontre des donne´es de sante´ publique car elle favorise la commercialisation de boissons alcoolise´es bon marche´ a` haut degre´ d’alcool. Elle a pour objet de pre´server les inte´reˆts d’une filie`re e´conomique dans ces de´partements marque´s par un haut niveau de choˆmage. La fiscalite´ actuelle est inadapte´e et contribue a` une ine´galite´ majeure de sante´ pour un DOM comme La Re´union. Il est souhaitable que ses re`gles de´rogatoires e´voluent. Sont propose´es, l’alignement de la CSS et l’application de taux d’accise aux meˆmes niveaux que ceux pratique´s sur le territoire national. L’e´le´vation des taxes sur les boissons alcoolise´es est une mesure de sante´ publique reconnue pour son efficacite´ dans la lutte contre les dommages induits par la consommation d’alcool avec une re´duction de la morbi-mortalite´, de la criminalite´ et de la conduite sous l’emprise de l’alcool. Dans ce cas pre´cis, elle permettrait de mettre un terme a` la de´faillance d’un syste`me fiscal qui favorise la consommation de spiritueux. De´claration de liens d’inte´reˆts L’auteur de´clare ne pas avoir de liens d’inte´reˆts. Remerciements J’adresse mes since`res remerciements a` Madame Monique Ricquebourg, directrice des e´tudes a` l’observatoire re´gional de la sante´ oce´an Indien, ainsi qu’au Service des douanes de La Re´union pour leur aide. Re´fe´rences [1] Biannic L, Jeuffrault E, Orgerit R. La filie`re canne-sucre re´unionnaise. In: Aujourd’hui, demain, face aux nouveaux enjeux. CaroCanne. 2013;25–6.
Pour citer cet article : Me´te´ D. Fiscalite´ des rhums traditionnels en outre-mer et sante´ publique : l’exemple de l’ıˆle de La Re´union. Rev Epidemiol Sante Publique (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.respe.2017.06.003
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Pour citer cet article : Me´te´ D. Fiscalite´ des rhums traditionnels en outre-mer et sante´ publique : l’exemple de l’ıˆle de La Re´union. Rev Epidemiol Sante Publique (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.respe.2017.06.003