Journal de pédiatrie et de puériculture 18 (2005) 217–223
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ARTICLE ORIGINAL
La sédentarité des enfants et des adolescents, un enjeu de santé publique Sedentary behaviour in children and adolescents: a public health concern C. Simon *, C. Klein, A. Wagner Faculté de médecine, université Louis-Pasteur, E1801, Epidémiologie des maladies cardiovasculaires et des cancers, rôle de la nutrition et de la sédentarité, 4, rue Kirschleger, 67085 Strasbourg cedex, France
MOTS CLÉS Activité physique ; Sédentarité ; Enfant ; Adolescent ; Santé
KEYWORDS Physical activity; Sedentary behaviour; Child; Adolescent; Health
Résumé Chez l’enfant et l’adolescent comme chez l’adulte, l’activité physique a un effet bénéfique sur plusieurs aspects de la santé physique. Par ailleurs, différentes études suggèrent que les jeunes inactifs sont peu susceptibles de devenir des adultes actifs physiquement et que les comportements établis pendant l’enfance et l’adolescence sont des déterminants essentiels de la santé des adultes. Or, selon les résultats des enquêtes menées dans différents pays, y compris en France, la proportion de jeunes dont l’activité physique n’atteint pas le minimum recommandé par les experts est importante. L’augmentation de l’activité physique dans la population générale est un des objectifs prioritaires du Programme national nutrition santé (PNNS). Mais si tout le monde s’accorde sur l’objectif, les stratégies les plus efficaces pour atteindre cet objectif restent à définir. © 2005 Publié par Elsevier SAS. Abstract In children and adolescents as in adults, physical activity has a beneficial influence on several aspects of health. In addition, different studies suggest that inactive young people are not likely to become active adults and that behaviours established during childhood and adolescence are important determinants of the future adult’s health. According to the results of recent studies conducted in various countries including France, the proportion of young people who does not reach the physical activity level recommended by the international experts is high. Increasing physical activity in the general population is one of the top priorities of the French National Nutrition and Health Program. However, if everyone agrees on the objective, the most effective strategies remain to be defined. © 2005 Publié par Elsevier SAS.
Introduction Chez l’adulte, la pratique d’une activité physique régulière est reconnue comme un déterminant es* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (C. Simon). 0987-7983/$ - see front matter © 2005 Publié par Elsevier SAS. doi: 10.1016/j.jpp.2005.04.011
sentiel de l’état de santé des individus et des populations [1]. À l’inverse, un mode de vie sédentaire est associé à une mortalité totale plus élevée et au développement des pathologies chroniques les plus fréquentes dans les pays industrialisés, parmi lesquelles le diabète de type 2, l’obésité, l’hypertension artérielle, les cardiopathies isché-
218 miques, l’ostéoporose et certains cancers. Différentes études indiquent que les processus morbides associés à ces pathologies et favorisés par un comportement sédentaire, débutent précocement, dans l’enfance ou l’adolescence. Par ailleurs, c’est à cet âge que se mettent en place les habitudes du futur adulte, en particulier celles relatives à l’activité physique, soulignant la nécessité d’enrayer la généralisation d’un mode de vie sédentaire chez les jeunes, trop souvent jugée comme inéluctable.
L’inactivité physique pendant l’enfance, facteur de risque pour la santé Bien qu’il soit largement admis que la pratique régulière d’une activité physique pendant l’enfance et l’adolescence est bénéfique pour la santé, les données scientifiques venant à l’appui de cette hypothèse sont moins nombreuses que chez l’adulte [2]. Ceci est expliqué par un intérêt scientifique récent pour cet aspect de la santé de l’enfant mais aussi par les difficultés, plus encore que chez l’adulte, à mesurer les différentes caractéristiques de l’activité physique ; de même il est difficile de mettre en place des études longitudinales suffisamment longues pour en déterminer les effets en terme de santé. Schématiquement (Fig. 1), la pratique d’une activité physique régulière pendant l’enfance peut influencer l’état de santé de l’individu par trois mécanismes [3] : • un effet direct sur l’état de santé immédiat de l’enfant (physiologique et psychologique) et sa qualité de vie ; • un effet direct sur l’état de santé du futur adulte, en retardant ou en ralentissant l’évolution des facteurs de risque qui font le lit des pathologies chroniques ;
Figure 1 Relations hypothétiques entre l’activité physique et l’état de santé des enfants et des adultes [3].
C. Simon et al. • un effet indirect sur l’état de santé du futur adulte en augmentant la probabilité de maintenir un niveau d’activité physique suffisant à l’âge adulte.
Activité physique et état de santé de l’enfant Au cours des dernières décennies, la prévalence de l’excès de poids et de l’obésité parmi les jeunes a augmenté en France [4,5] comme dans de nombreux pays. Ces données sont d’autant plus inquiétantes que des études indiquent qu’environ 40 % des enfants obèses à l’âge de sept ans et près de 70 % des adolescents obèses deviennent des adultes obèses [6], et que l’obésité à l’adolescence est associée à différentes pathologies à l’âge adulte, que l’obésité persiste ou non à cet âge [7]. Combinée à l’alimentation, la généralisation d’un comportement sédentaire est un élément déterminant de cette évolution [8]. Une relation négative entre le niveau d’activité physique (ou la condition physique) et divers indicateurs d’obésité est observée dans de nombreuses études transversales. À l’inverse, les occupations sédentaires (télévision, jeux vidéos...) sont associées à un risque plus élevé d’obésité. Quelques études longitudinales d’observation et d’intervention confirment qu’un niveau d’occupations sédentaires élevé favorise l’augmentation de l’indice de masse corporelle (IMC) ou de l’adiposité. Les relations entre niveau d’activité et évolution pondérale sont moins constantes. Une relation inverse entre la condition physique ou l’activité physique et l’évolution de l’IMC ou de l’adiposité est rapportée dans une demi-douzaine d’études menées chez l’enfant ou l’adolescent [8,9]. L’effet est plus net lorsqu’un marqueur autre que l’IMC (marqueur médiocre de l’excès de masse grasse chez l’enfant et l’adolescent) est utilisé, lorsque l’activité physique est étudiée à l’aide de techniques objectives venant compléter les questionnaires, et lorsque l’activité physique et l’alimentation sont étudiées de façon conjointe. Dans l’étude longitudinale des enfants de Framingham, débutée en 1987 et portant sur 106 enfants âgés de trois à cinq ans à l’inclusion, l’activité physique évaluée de façon annuelle par accélérométrie est inversement associée à l’évolution de l’IMC et de la masse grasse à l’âge de 11 ans. De façon intéressante, l’effet néfaste des occupations sédentaires (temps de télévision) n’est observé que chez les enfants les moins actifs ou ayant l’alimentation la plus riche en graisses. L’effet protecteur de l’activité physique n’est pas retrouvé dans quelques
La sédentarité des enfants et des adolescents, un enjeu de santé publique études où l’activité physique est évaluée sous forme de dépense énergétique mesurée à l’aide d’eau doublement marquée [10], suggérant que les aspects qualitatifs des activités pratiquées (durée, fréquence, intensité) sont peut-être des éléments déterminants. Il est probable par ailleurs que le temps passé devant la télévision ne reflète pas seulement un manque d’activité physique mais également d’autres facteurs défavorables tels que des comportements de grignotage ou les effets de la publicité à la télévision. La pratique d’une activité physique régulière est aussi inversement associée à la localisation abdominale de la graisse [11] et à différentes composantes du syndrome métabolique. Une relation inverse est observée avec la sensibilité à l’insuline, que celle-ci soit évaluée à partir des taux plasmatiques d’insuline [9] ou à l’aide d’un clamp euglycémique hyperinsulinémique. Cette relation persiste après prise en compte de la corpulence, de l’adiposité et de la localisation de la graisse, suggérant que l’activité physique a, comme chez l’adulte, un effet bénéfique indépendamment de ses effets sur la balance énergétique. Les enfants et les adolescents qui sont physiquement actifs ont également, en général [1,9], des concentrations plasmatiques de triglycérides (TG) plus bas et des taux de lipoprotéines de haute densité (HDL) plus élevés que les sédentaires. Dans deux études prospectives, le niveau de pratique à l’adolescence était même associé aux taux de ces deux marqueurs de risque cardiovasculaire à l’âge adulte. Enfin, un effet bénéfique de l’activité physique sur la pression artérielle a été démontré chez des adolescents obèses [9]. Les effets de l’activité physique sur les paramètres lipidiques et la pression artérielle, plus nets chez les enfants et les adolescents à risque (obèses, diabétiques, hypertendus ou du fait d’antécédents familiaux), semblent largement expliqués par ses effets sur l’adiposité [9]. L’intensité (moyenne ou élevée), la durée (plus de 20 minutes par séance) et la fréquence des activités (trois fois par semaine ou plus) pourraient également être déterminantes. Comme chez l’adulte, les perturbations des différentes composantes du syndrome métabolique (HDL, TG, pression artérielle et insulinémie) ont tendance à coexister chez l’enfant réalisant une forme pédiatrique du syndrome métabolique. Quelques études transversales récentes indiquent que les enfants présentant une élévation de plusieurs de ces facteurs ont un IMC plus élevé mais également une condition physique moindre. La pratique régulière d’activités physiques, surtout celles où l’on doit supporter son poids, est également nécessaire au développement optimal des tissus osseux et musculaires de l’enfant. Elle
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favorise notamment la minéralisation et la densité osseuse du squelette [9,12], avec un effet à long terme ainsi qu’en témoigne l’augmentation de la masse osseuse du bras dominant des joueurs de tennis, même après deux ans d’une pratique considérablement réduite [13]. La pratique régulière d’activités physiques, notamment de celles suscitant un stress mécanique (activités aérobies et anaérobies non portées d’intensité modérée ou élevée, exercices en résistance), contribue ainsi à prévenir l’ostéoporose du sujet âgé. La pratique régulière d’activités physiques durant l’adolescence est également associée à une meilleure estime de soi, réduit l’anxiété, les effets du stress et les symptômes de la dépression [9,12]. Enfin, quelques études suggèrent que les jeunes physiquement actifs ont un mode de vie plus sain que celui des jeunes qui sont sédentaires ou moins actifs. Il est bien évidemment difficile d’affirmer que ces associations sont plus qu’une simple conjonction de comportements de santé et d’établir une relation de cause à effet. Une étude longitudinale menée au Québec suggère toutefois que les jeunes qui sont encouragés à être actifs ont moins tendance plus tard à fumer.
Activité physique et état de santé du futur adulte C’est surtout parce qu’elle contribue à prévenir les maladies chroniques chez l’adulte que la lutte contre la sédentarité se révèle importante du point de vue de la santé publique [1]. Nous ne disposons pas, à cet égard, d’études longitudinales suffisamment longues pour établir une relation directe entre l’activité physique dans l’enfance et la mortalité ou la morbidité cardiovasculaires à l’âge adulte. En revanche, un grand nombre d’adolescents présente déjà au moins un facteur de risque cardiovasculaire et la pratique régulière d’activités physiques pendant l’enfance est associée à une réduction de plusieurs de ces paramètres mesurés chez l’enfant, l’adolescent ou à l’âge adulte. De plus, c’est à cet âge que se mettent en place les habitudes du futur adulte. Différentes études indiquent en effet que les jeunes inactifs sont peu susceptibles de devenir des adultes actifs physiquement. Une étude nationale menée en GrandeBretagne auprès de 6000 sujets rapporte que 25 % des adultes qui étaient classés comme actifs entre 14 et 19 ans l’étaient à l’âge adulte, contre 2 % des adultes qui étaient inactifs lorsqu’ils étaient adolescents [14]. Le niveau d’activité physique à l’âge de 15 ans est par ailleurs associé positivement avec l’estime qu’a le sujet en ses capacités à faire de
220 l’activité physique à l’âge de 30 ans [9]. Il a été montré que ce paramètre est prédictif du niveau d’activité physique de l’adulte. En outre, l’adulte aura plus de facilités à demeurer physiquement actif s’il a acquis, dès l’enfance ou l’adolescence, les habiletés motrices et les habitudes de vie requises pour une pratique régulière.
Activité physique recommandée chez l’enfant et l’adolescent Il est probable que l’activité physique permettant d’améliorer la condition physique des jeunes est supérieure à celle nécessaire à ses effets positifs sur la santé. Cependant, contrairement à l’adulte, nous ne disposons pas chez l’enfant de données permettant d’établir avec précision la quantité et le type d’activités physiques nécessaires à un effet positif sur la santé immédiate et future des individus. Les premières recommandations destinées aux jeunes [3] s’appuyaient sur celles destinées aux adultes [1], et indiquaient que, comme ces derniers, « tous les enfants devraient pratiquer, en une ou plusieurs fois, au moins 30 minutes d’activité physique d’intensité modérée la plupart, et si possible tous les jours de la semaine ». Les experts de deux conférences de consensus récentes s’accordent aujourd’hui pour dire que ceci n’est probablement pas suffisant [12,15] et que les enfants devraient de plus « pratiquer, trois fois par semaine minimum, des activités physiques d’intensité plus élevée pendant au moins 20 minutes par séance, sous forme d’activités physiques individuelles ou de sports collectifs et, pour les adolescents, d’entraînement musculaire avec résistance (musculation) ». Dans l’une des conférences, récemment reprise dans les recommandations nutritionnelles américaines, les experts ajoutent qu’un minimum de 60 minutes par jour d’activités physiques d’intensité moyenne ou plus élevée est souhaitable chez les jeunes sous forme de sports, de jeux ou d’activités de la vie quotidienne. Dans les deux cas, les experts ont tenu à mettre en avant le fait que la promotion d’un mode de vie physiquement actif doit être l’affaire de tous (famille, éducateurs physiques, écoles, collectivités...). Il faut noter que ces recommandations reposent sur le concept d’un seuil minimal ou d’un ensemble de recommandations supposées optimales pour la santé, concept pour lequel il n’existe pas à l’heure actuelle d’évidence épidémiologique ou expérimentale chez l’enfant.
C. Simon et al.
Activité et condition physiques des enfants et des adolescents Données récentes Les données disponibles, relativement homogènes d’un pays à l’autre, convergent pour démontrer que nombre d’adolescents ont adopté un style de vie sédentaire [2,15]. D’une façon générale, quels que soient l’âge et le pays, le niveau d’activité physique des garçons est plus élevé que celui des filles. En Europe, la majorité des enfants en bas âge accumule l’équivalent de 30 minutes d’activité physique modérée par jour, puis l’activité physique décline avec l’âge, notamment à l’adolescence, pour atteindre progressivement les chiffres observés chez l’adulte. En revanche, un grand nombre de jeunes ne pratiquent pas aujourd’hui l’équivalent de deux à trois séances de 20 minutes d’activité physique d’intensité modérée ou intense par semaine. Dans le baromètre santé nutrition 2002 [16], réalisé auprès d’un échantillon représentatif de français âgés de 12 à 75 ans, 96 % des adolescents interrogés déclarent avoir marché ou fait une activité sportive la veille ; cependant, seuls 64 % des filles et 79 % des garçons ont réalisé ces activités plus de 30 minutes, et la proportion de sujets ayant réalisé une activité vigoureuse au moins une fois les 15 jours précédant l’enquête n’est que de 15 % chez les filles et 24 % chez les garçons. En revanche, ils sont 88 % à avoir regardé la télévision la veille (110 minutes en moyenne) et 40 % à avoir utilisé un ordinateur (85 minutes en moyenne). Un adolescent sur deux ou trois passe plus de trois heures par jour devant un écran. Ces données sont en accord avec différentes études régionales ou nationales qui indiquent que près de la moitié des filles et un tiers des garçons ne font pas d’activité physique structurée en dehors des cours obligatoires de gymnastique et d’EPS à l’école. Une étude menée auprès d’un échantillon de 4326 collégiens de sixième du Bas-Rhin révèle de plus qu’à peine un tiers d’entre eux marche ou utilise le vélo plus de 20 minutes par jour pour aller et revenir du collège [11]. Certes, la majorité des adolescents déclare suivre régulièrement les cours d’EPS. Toutefois, les élèves ne sont généralement actifs que pendant moins du quart de leur période d’EPS1 [12]. L’étude, dans un sous-échantillon d’élèves, de l’activité physique à l’aide d’accéléromètres, qui permet de mieux estimer l’activité physique non structurée et celle de la vie quotidienne mal prise en compte par les questionnaires, montre que la majo1
G. Cazorla, données non publiées.
La sédentarité des enfants et des adolescents, un enjeu de santé publique rité des adolescents cumule plus de 30 minutes par jour d’activité physique d’intensité au moins modérée, mais qu’ils sont seulement 30 % à atteindre l’objectif de 60 minutes d’activité modérée par jour, et moins de 40 % à réaliser 60 minutes cumulées par semaine d’activité physique intense (≥ 6 Mets).
Évolution au cours des dernières décennies Nous n’avons que peu de données sur l’évolution réelle du niveau d’activité physique des enfants et des adolescents au cours des dernières décennies. Différents éléments suggèrent fortement une diminution de celui-ci : • les données de consommation alimentaire depuis 1930 indiquent une réduction substantielle des apports énergétiques sans qu’il n’y ait eu diminution, bien au contraire, de la masse corporelle des adolescents [8]. Même si une sousestimation des apports ne peut être éliminée, cela indique une diminution de la dépense énergétique totale et donc de celle liée à l’activité physique au cours de 60 dernières années ; • on peut affirmer sans risque de se tromper que les loisirs inactifs (télévision, jeux vidéos, ordinateur, Internet) ont augmenté de façon majeure et interfèrent avec les habitudes de vie des jeunes, en particulier avec leur niveau d’activité physique ; • enfin, plus d’une dizaine d’études indique que les performances physiques des enfants et des adolescents, en particulier leur capacité aérobie, ont diminué de façon importante ces 20 dernières années. Dans une méta-analyse portant sur les mesures obtenues lors d’un test de Léger (course navette de 20 mètres) chez près de 130 000 enfants et adolescents de 11 pays entre 1981 et 2000, les auteurs ont observé une diminution de la capacité aérobie moyenne de 0,43 % par an, soit 8,6 % en 20 ans [17] !
L’inactivité physique, conséquence inéluctable de notre société ? Les motivations et les raisons de désengagement Les principales raisons invoquées par les adolescents qui ne font pas d’activité physique en dehors de l’école sont l’absence de désir de faire de la compétition, les contraintes liées aux horaires ou l’éloignement des lieux de sports. Deux tiers des adolescents déclarent pourtant souhaiter faire plus de sport, qu’ils en pratiquent déjà ou non ; le
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manque de temps et l’éloignement des structures sont à nouveau les obstacles les plus souvent cités. Au cours des dernières années, de nombreuses données sont venues souligner l’influence déterminante de l’environnement sur le mode de vie et les comportements des individus et sur leur état de santé [18]. Aujourd’hui, notre société est structurée de telle sorte que la majorité des individus n’a pas besoin d’être physiquement active au cours d’une journée habituelle. Non seulement l’urbanisation favorise la dépendance vis-à-vis de la voiture, mais elle décourage souvent l’utilisation de modes de transports plus actifs (marche, vélo). Par ailleurs, alors que les opportunités d’activité physique dans la vie de tous les jours diminuent, l’offre de loisirs (télévision, jeux vidéo) favorise les comportements inactifs. Il apparaît ainsi clairement que les facteurs intrapersonnels — génétiques, biologiques et psychologiques — qui conditionnent l’activité physique (ceci est vrai également pour les choix alimentaires) ne peuvent plus être considérés de façon isolée, mais doivent être intégrés dans un réseau complexe de facteurs individuels, interpersonnels et environnementaux qui interagissent [18]. Plus spécifiquement, la compréhension des caractéristiques et des comportements qui mettent l’individu en situation de risque (d’obésité, de diabète ou de risque cardiovasculaire) nécessite de prendre en considération le contexte — la niche écologique — dans lequel cet individu évolue : dans le cas de l’enfant, la famille et l’école, mais également de façon plus large la cité et la société.
Les stratégies d’intervention Si les causes de la sédentarisation croissante des populations sont assez aisément identifiables, les moyens de contrecarrer la tendance observée sont moins bien définis. Les interventions en matière de promotion de l’activité physique habituelle et de lutte contre la sédentarité ont fait l’objet d’une revue récente [19]. D’une façon générale, les interventions fondées sur la seule information et l’éducation (éducation à la santé par exemple) ont certes parfois amélioré les connaissances, mais n’ont eu qu’un effet très limité sur les comportements ou l’état de santé des populations, probablement du fait de l’absence de modification favorable de l’environnement [18,20]. Cinq études contrôlées de plus d’un an, ciblant l’activité physique à l’école, ont montré des résultats prometteurs suggérant l’intérêt de démarches visant à modifier l’offre [19]. Cependant, ces études n’ont ciblé que les cours d’EPS (modification du contenu et de la forme des cours afin d’augmenter le temps effectif et l’intensité des activités ainsi que la participation du plus grand nombre) et n’ont pas cherché à modifier
222 les autres formes d’activité physique (loisirs, trajet de la vie quotidienne...) ni les comportements sédentaires. À la lueur du modèle écologique dont l’adéquation a été montrée pour différents problèmes de santé publique, il peut être postulé qu’une stratégie ciblant les facteurs personnels mais également l’environnement social et structurel a plus de chance d’être efficace à long terme. C’est sur cette stratégie, requérant des partenariats multiples, que repose ICAPS (Intervention auprès des collégiens centrée sur l’activité physique et la sédentarité), une étude d’intervention randomisée menée depuis septembre 2002 dans huit collèges du Bas-Rhin [21]. Au terme des six premiers mois, cette étude, prévue pour une durée de quatre ans, s’accompagne de résultats prometteurs. La proportion d’adolescents ne faisant pas d’activité physique structurée en dehors des cours d’EPS a été réduite de moitié dans les collèges « action » (p < 10–4), de façon plus nette chez les filles. Parallèlement, les élèves des collèges « action » ont diminué de façon significative le temps passé devant la télévision : aujourd’hui ils sont 26 % de moins (p < 10–4) à passer plus de trois heures par jour devant la télévision ou leur console de jeux vidéo. Mais surtout, les élèves des collèges « action » manifestent une plus grande confiance en eux quant à leur capacité à faire de l’activité physique, même en présence d’obstacles et l’intention d’en faire régulièrement. Ces paramètres sont habituellement considérés comme de bons prédicteurs de changement de comportement à plus long terme.
Conclusion et perspectives Si les modalités d’activité physique optimales chez l’enfant et l’adolescent ne sont pas définies avec précision, l’ensemble des données disponibles indique que, comme chez l’adulte, l’activité physique est un déterminant essentiel de leur état de santé immédiat et futur. La lutte contre la sédentarité et la promotion de l’activité physique représentent de ce fait un enjeu majeur de santé publique. À la lueur du modèle écologique dont l’adéquation a été montrée pour différents problèmes de santé publique, il peut être postulé que des stratégies ciblant les facteurs environnementaux — physiques et socioculturels mais aussi économiques, législatifs et politiques — sont nécessaires pour une action efficace à large échelle et à long terme. Moins familières, de telles stratégies, dont l’efficacité ne peut se juger qu’à long terme, concernent de nombreux sites d’action (écoles, lieux de travail, cités, régions) et requièrent des partenariats avec des secteurs non associés avec les secteurs habituels de la
C. Simon et al. santé : familles, éducateurs, industriels, économistes, urbanistes, collectivités territoriales et décideurs politiques...
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