Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 22 (2003) 349–352 www.elsevier.com/locate/annfar
Cas clinique
Fistule trachéo-œsophagienne. Une complication rare de la trachéotomie percutanée Tracheo-oesophageal fistula. A rare complication of percutaneous tracheostomy J.S. Louis *, E. Antok, P.A. Charretier, A. Winer, P. Ocquidant Réanimation neurochirurgicale, groupe hospitalier Sud-Réunion, BP 350, 97448 Saint-Pierre, La Réunion Reçu le 1 février 2002 ; accepté le 1 novembre 2002
Résumé La trachéotomie percutanée est une technique de plus en plus souvent utilisée en service de soins intensifs. Cependant celle-ci n’est pas dénuée de risques. Nous rapportons le cas d’une patiente ayant présenté une fistule trachéo-œsophagienne mise en évidence 23 j après le geste, à la suite d’une décanulation, alors que durant celui-ci, lors de la mise en place de la canule, des difficultés importantes avaient été notées. Cette observation permet de rappeler l’importance du contrôle fibroscopique peropératoire, ainsi que la nécessité d’un apprentissage rigoureux de la technique. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Percutaneous tracheostomy is more and more used in the intensive care units. However, it’s not devoid of risks. We report the case of a patient who developed a tracheo-esophageal fistula discovered after removal of the cannula 23 days after tracheotomy. During the procedure, difficulties occurred during the insertion of the cannula. This case report reminds the importance of a peroperative continuous endoscopic guidance and the need of a rigorous learning. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Trachéotomie percutanée ; Fistule trachéo-œsophagienne ; Fibroscopie Keywords: Percutaneous tracheostomy; Tracheo-esophageal fistula; Endoscopy
1. Introduction La trachéotomie percutanée (TPC) apparaît comme la technique de choix pour la trachéotomie du patient de réanimation ou de soins intensifs [1,2]. Une revue générale récente fait le point sur les différentes techniques de TPC, évaluant leurs complications, et comparant ces méthodes avec les trachéotomies chirurgicales (TC) [3]. Il apparaît que dans l’arsenal thérapeutique de l’anesthésiste-réanimateur, entre des mains expérimentées, et sous contrôle visuel endos* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (J.S. Louis). © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. DOI: 10.1016/S0750-7658(03)00065-0
copique, la TPC s’avère être une technique sûre, pourvoyeuse d’une faible incidence de complications, tendant à supplanter peu à peu la TC [4]. Nous rapportons le cas d’une patiente ayant présenté une fistule trachéo-œsophagienne, complication sérieuse et rare, secondaire à une TPC.
2. Observation Une femme de 49 ans était admise dans le service de réanimation neurochirurgicale pour hémorragie sousarachnoïdienne sur rupture d’un anévrisme. Elle était opérée
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à j1 avec exclusion de l’anévrisme par mise en place d’un clip. Après levée de la sédation, devant la persistance des troubles de la conscience, il était décidé de réaliser au vingtième jour de l’hospitalisation une TPC selon la technique de Griggs (société Simms Portex™). Le bilan de coagulation était normal, l’examen clinique du cou ne montrait pas de contre-indications anatomiques à la réalisation d’une TPC. Deux praticiens étaient présents pour cette procédure : l’un avait en charge l’anesthésie et le contrôle des voies aériennes supérieures, le second réalisait la trachéotomie. La TPC était conduite sous anesthésie générale par propofol, fentanyl et atracurium. La patiente était ventilée en mode contrôlé, avec une fraction inspirée en oxygène de 100 % et était installée en décubitus dorsal strict avec un billot sous les épaules pour dégager la trachée. La surveillance comportait les paramètres standard (ECG, SpO2, PA, ETCO2), sans avoir recours à la fibroscopie. Pendant que le premier médecin, qui avait en charge le contrôle des voies aériennes, retirait la sonde d’intubation en position sous-glottique sous laryngoscopie directe, le second, après désinfection locale, mise en place de champs stériles et vérification du matériel, recherchait les différents repères (cartilage cricoïde, échancrure sternale). Après avoir réalisé une anesthésie locale par lidocaïne 1 % adrénalinée, il réalisait une incision horizontale de 2 cm à mi-distance entre l’échancrure sternale et le cartilage cricoïde. Après avoir légèrement disséqué le plan superficiel, la trachée était ponctionnée à l’aveugle, sans l’aide de la fibroscopie. La bonne position du cathéter de ponction était vérifiée par un test d’aspiration. Il était laissé en place et sa bonne position était vérifiée par un second test d’aspiration. Le guide en « J » était alors descendu dans la trachée et de petits mouvements de va-et-vient venaient confirmer l’absence de coudure du guide. Une fois le cathéter de ponction retiré, la pince de dilatation était passée sur le guide métallique laissé en place. La dilatation était alors conduite en 2 temps : d’abord les plans prétrachéaux puis de la trachée elle-même. Après une dernière vérification pour s’assurer que le guide coulissait bien sur la pince, la canule de trachéotomie était mise en place dans la trachée à l’aide de son introducteur, laissant apparaître une sensation de résistance au passage de la paroi trachéale. Lors du branchement au respirateur, aucune courbe de CO2 expiré n’apparaissait, les poumons ne se soulevaient pas, et l’alarme de pression du respirateur se déclenchait. Après retrait immédiat de la canule, une seconde tentative de canulation se soldait par un échec identique. La patiente devenant hypoxémique et la sonde d’intubation ne semblant plus en place, on décidait de réintuber la trachée avec une sonde de même calibre. Malgré une exposition facile de la glotte et aucun doute sur la position intratrachéale de la sonde, la patiente restait hypoxémique et devenait bradycarde, la ventilation restait inefficace. La sonde d’intubation était retirée pour reprendre une ventilation au masque facial. La survenue d’une bradycardie extrême nécessitait l’injection intraveineuse de 0,25 mg d’adrénaline permettant à la patiente de récupérer rapidement un rythme cardiaque et une
saturation corrects. Il était alors décidé de faire appel à un chirurgien présent dans le service au moment des faits pour entreprendre une trachéotomie chirurgicale. Dans l’intervalle, une nouvelle tentative d’intubation permettait d’obtenir une ventilation efficace avec une courbe de CO2 expiré normale. Le chirurgien élargissait l’incision et introduisait la canule sous contrôle de la vue, mais la ventilation s’avérait de nouveau impossible, avec apparition d’un nouvel épisode de désaturation nécessitant le retrait de la canule, une deuxième séance de ventilation au masque et une troisième réintubation. Le chirurgien s’exposait de nouveau et tentait une deuxième canulation avec succès. Les 2 champs pulmonaires se soulevaient avec une auscultation symétrique, et le capnographe mettait en évidence la présence de CO2 expiré. Cliniquement, il n’y avait pas d’emphysème sous-cutané, et la radiographie pulmonaire de contrôle réalisée immédiatement confirmait la bonne position de la canule et l’absence de pneumothorax ou de pneumomédiastin. Un avis spécialisé était demandé auprès d’un médecin ORL qui ne jugeait pas utile de réaliser un contrôle fibroscopique dans l’immédiat. Le premier changement de canule une semaine après s’était déroulé sans aucun problème. La patiente évoluait favorablement tant sur le plan ventilatoire que neurologique. Vingtdeux jours après sa TPC, elle était transférée au centre de rééducation fonctionnelle. Vingt-quatre heures après son arrivée en rééducation, à l’occasion d’un nouveau changement de canule de trachéotomie, la patiente présentait un nouvel épisode de détresse respiratoire, spontanément résolutif, qui s’aggravait secondairement à la quarante-huitième heure. Devant ce tableau, la patiente était réadmise en réanimation, c’est-à-dire 24 j après la TPC. À l’admission, l’examen clinique retrouvait une dyspnée irrégulière, sans signe de tirage avec une auscultation claire, symétrique et dépourvue de râles sibilants. La canule de trachéotomie, de petit calibre cependant, était en place. Dans la nuit suivant l’admission, un nouvel épisode de désaturation avec frein expiratoire était constaté. Il était résolu par le changement de la canule pour un modèle de plus gros calibre. Une fibroscopie alors pratiquée, mettrait en évidence une fistule trachéo-œsophagienne. Le traitement en a été chirurgical : fermeture par voie antérieure. Une épreuve au bleu de méthylène ainsi qu’un transit œsophagien à la gastrograffine confirmaient la fermeture de la fistule. La fibroscopie trachéobronchique de contrôle, pratiquée avant le retour en rééducation, retrouvait une zone sténotique et granulomateuse sus-orificielle débutant à 30 mm des cordes vocales, pour laquelle un nouveau geste chirurgical, voire une endoprothèse seront nécessaires avant d’envisager la décanulation. Un mois après, elle pouvait être décanulée en rééducation sans nécessité de recours à une endoprothèse ni autres gestes chirurgicaux, la sténose trachéale s’étant avérée asymptomatique. 3. Discussion La fistule trachéo-œsophagienne fait partie des complications sérieuses et rares de la trachéotomie percutanée [5] ;
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son incidence est de l’ordre de 17 pour 10 000 [4]. Parmi les 4 techniques disponibles actuellement sur le marché (Fantoni-Mallinckrot™, Ciaglia-Cook™, Griggs-Simms Portex™, et dernièrement Frova-Rush™), la plus répandue dans la littérature est la technique de Ciaglia, gold standard pour certains lorsqu’elle est assistée par endoscopie continue [1]. Depuis novembre 1998, date à laquelle cette technique a été introduite dans le service, pour l’ensemble des 67 trachéotomies percutanées réalisées, la technique que nous avons employée est celle proposée par Griggs en 1991 [6]. Les avantages de la TPC par rapport à la TC semblent nombreux : gain de temps, moindre coût, moindre surinfection, supériorité en termes de complications tardives. En réanimation chirurgicale, nous avons choisi la TPC pour sa faisabilité et sa simplicité de réalisation en Usi, permettant d’éviter un transport intrahospitalier pouvant s’avérer délétère chez nos patients traumatisés crâniens [7–9]. Ainsi, au fil des ans, la TPC a supplanté la TC dans notre service, le recours à celle-ci relevant des contre-indications de la précédente. L’apprentissage est conduit par un praticien ayant une bonne expérience de cette technique, sous contrôle fibroscopique non systématique. Au fil du temps, l’ensemble des praticiens du service a pu maîtriser la technique. Les facteurs qui peuvent être avancés pour expliquer cette complication sont l’absence d’endoscopie continue et l’inexpérience de l’opérateur principal dont c’était la première TPC, et le défaut d’apprentissage puisque que ce n’était que la deuxième TPC à laquelle il assistait, en dépit du fait que le médecin qui avait en charge les voies aériennes était un médecin expérimenté à cette technique, qui avait plus de 20 TPC à son actif. Comme le souligne une étude récente portant sur une cohorte de 100 TPC, l’apprentissage est un facteur important de bonne réussite et permet une diminution du nombre des complications. Il existe une courbe d’apprentissage, avec un taux de complications qui diminue de manière significative au-delà de 20 procédures consécutives (Fig. 1) [10]. Mais l’élément clé de sécurité reste la fibroscopie continue, à condition que celle-ci soit réalisée par le praticien le plus expérimenté de l’équipe, comme le rappelle une mise au point récente [11]. En effet, ses avantages sont multiples : • permettre le contrôle de la ponction ; • faciliter la prise des repères par transillumination ;
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• s’assurer que la canule est bien en place ; • et autoriser une toilette bronchique soigneuse à l’issue du geste. Dans une étude prospective dont l’objectif était l’étude de l’incidence des complications après TPC réalisées avec ou sans fibroscopie, les complications sérieuses étaient plus fréquentes lorsque la TPC était faite à l’aveugle (1 décès par pneumothorax suffocant, 2 cas de perforations de la paroi postérieure de la trachée) [12]. Dans le cas présent, on peut imaginer que la ponction trachéale a perforé la paroi postérieure de la trachée, le guide métallique, la dilatation et la mise en place de la canule se faisant en position aberrante. La ventilation est restée possible durant la phase de dilatation et est devenue impossible une fois la canule en place. La recanulation et la réintubation ont produit les même effets : les sondes se sont placées dans le faux chenal ainsi créé. Il faudra que le chirurgien expose davantage les différents plans pour que la canulation soit suivie de succès. Or, la ponction transfixiante ainsi que la dilatation aberrante auraient pu être évitées sous fibroscopie continue. Enfin, un autre enseignement que peut nous apporter cet incident est qu’en cas de difficulté rencontrée au cours de la réalisation de toute TPC réalisée à l’aveugle, même si cliniquement et radiologiquement tout semble normal, il ne faut pas hésiter à faire rapidement une fibroscopie de contrôle. En effet, alors que nous avions rencontré de sérieux problèmes ventilatoires liés au faux chenal, nous avons été faussement rassurés par les bonnes positions visuelles apparentes de la sonde d’intubation et de la canule, par la normalité de la radiographie de thorax, et n’avons pas insisté pour avoir une fibroscopie de contrôle. Or, les conséquences de cette complication auraient pu être plus dramatiques (décès par arrêt hypoxique). Une fibroscopie dans les suites immédiates de cette TPC aurait permis un diagnostic rapide et une prise en charge chirurgicale précoce. La présence d’une sténose au contrôle fibroscopique fait aussi partie des complications sérieuses et tardives de la TPC [4]. Cette pathologie découle des problèmes rencontrés pendant la procédure, aggravée par le geste chirurgical dans l’urgence. Ces complications nous ont amené à revoir l’apprentissage de nos médecins juniors dans le service, facteur déterminant de la réussite et de la diminution du nombre de complications, avec réalisation systématique « à 4 mains » sous contrôle fibroscopique continu. 4. Conclusion
Fig. 1. Trachéotomie percutanée.
Les complications sérieuses sont heureusement rares au cours des TPC. Leur incidence pourrait augmenter si ce geste, victime de son succès, venait à être banalisé. Il faut garder à l’esprit que la TPC est un geste invasif avec une potentialité de complications précoces et tardives qui ne doit souffrir d’aucune négligence. Dans la démarche d’assurance qualité des services hospitaliers, l’objectif pour les Usi amenées à réaliser des TPC est la mise en place d’un protocole où
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devront figurer en bonne place l’utilisation de la fibroscopie en continue, ainsi que l’importance de l’apprentissage et de l’expérience de l’opérateur. La TPC, effectuée avec rigueur, entre des mains expertes, sous contrôle fibroscopique continu, a encore de beaux jours devant elle.
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