Fistules carotido-caverneuses post-traumatiques

Fistules carotido-caverneuses post-traumatiques

Ann Fr Anesth Réanim 2001 ; 20 : 494-7 © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0750765801003975/SCO Cas cliniq...

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Ann Fr Anesth Réanim 2001 ; 20 : 494-7 © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0750765801003975/SCO

Cas clinique

Fistules carotido-caverneuses post-traumatiques B. Hmamouchi1*, A. Rakaa2, I. Alhyene1, M.A. Bouderka1, O. Abassi1 1

Service d’anesthésie-réanimation des urgences chirurgicales, hôpital 20 août, CHU Ibn Rochd, Casablanca, Maroc ; 2 service d’ophtalmologie, hôpital 20 août, CHU Ibn Rochd, Casablanca, Maroc

RE´SUME´ Les auteurs rapportent trois cas de fistule carotidocaverneuse survenus à la suite d’un traumatisme craniofacial grave. Une exophtalmie pulsatile et un souffle systolodiastolique ont permis de suspecter le diagnostic. Une artériographie a permis de confirmer ce diagnostic, avec embolisation couronnée de succès chez deux malades. Le troisième est décédé par complication neurologique avant embolisation. La fistule carotido-caverneuse est une complication rare mais grave pouvant engager le pronostic fonctionnel (cécité) et vital (hémorragie méningée et intracérébrale). L’artériographie et l’embolisation en un seul temps ont considérablement amélioré le pronostic. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS craniofacial / embolisation caverneuse / traumatisme

/

fistule

carotido-

ABSTRACT Post-trauma carotido-cavernous fistula. The authors report three cases of carotid-cavernous fistula occurring after severe cranio facial trauma. The diagnosis has been suspected on the association of a pulsatil exophtalmia and systolo-diastolic murmur, and confirmed by arteriography. Embolization was succesful in two patients, the third one died from neurologic complication before embolization. The carotid cavernous fistula is a rare but severe complication of a craniofacial trauma. The functional (blindness) and vital prognosis (subarachnoid and intracerebral haemorrage). Treatment by interventional neuroadiology

Reçu le 31 juillet 2000 ; accepté le 28 février 2001. *Correspondance et tirés à part. Adresse e-mail : [email protected] (B. Hmamouchi).

has considerably improved the outcome. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS carotid-cavernous fistula / craniofacial trauma / embolization

La fistule carotido-caverneuse (FCC) est une communication anormale entre l’artère carotide interne dans sa portion intracaverneuse et le sinus caverneux. C’est une complication rare, mais non exceptionnelle des traumatismes craniofaciaux dont le diagnostic est clinique. La situation profonde du sinus caverneux rend le traitement chirurgical difficile. Le pronostic s’est largement amélioré ces 20 dernières années grâce aux progrès de la neuroradiologie interventionnelle. Nous rapportons trois cas de fistule carotidocaverneuse apparus dans les suites de traumatisme craniofacial grave. Nous évoquerons les mécanismes de survenue, les éléments d’orientation diagnostique et le délai d’apparition des symptômes. L’intérêt original de ces observations réside dans les difficultés thérapeutiques vu le siège profond de la fistule et l’apport de la neuroradiologie interventionnelle dans le diagnostic et le traitement de cette pathologie. OBSERVATIONS Cas n° 1 Un homme de 30 ans, sans antécédent pathologique a été admis pour un traumatisme craniofacial grave suite à un accident de la voie publique. À l’admission, le patient était dans le coma. Le score de Glasgow était de 6/15, avec anisocorie droite et ecchymose en lunette. Le reste de l’examen somatique était normal. La tomodensitométrie craniofaciale a mon-

Fistule carotido-caverneuse post-traumatique

Figure 1. Exophtalmie de l’œil gauche avec chémosis « aspect en œil de méduse ».

tré un hématome extradural temporal droit, un hématome sous-dural pariétal droit, une hémorragie méningée, un œdème cérébral, des fractures de l’arcade zygomatique, du sphénoïde, du toit de l’orbite gauche, du sinus frontal, de la lame criblée de l’ethmoïde, une pneumocéphalie et un pneumoorbite. L’hématome extradural a été évacué en urgence. À j1 on notait l’apparition d’une exophtalmie gauche (figure 1) pulsatile avec un souffle systolo-diastolique périorbitaire évoquant une FCC, de même qu’une dilatation de la veine ophtalmique à la TDM de contrôle. Une artériographie carotidienne a permis de confirmer le diagnostic en opacifiant les deux sinus caverneux (figure 2). Le patient a bénéficié en même temps d’une embolisation de la fistule par ballonnet (figure 3). L’évolution était marquée par la régression de l’exophtalmie et la disparition du souffle, une amélioration neurologique avec un score de Glasgow à 9/15, et un sevrage respiratoire à j15.

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Figure 2. Artériographie carotidienne gauche montrant au temps artériel une fistule carotido-caverneuse (flèche) avec opacification précoce des sinus caverneux.

ecchymose en lunette. Le reste de l’examen était normal. La tomodensitométrie craniofaciale a montré un œdème cérébral, une hémorragie méningée, une pneumocéphalie associée à des fractures de l’os frontal, temporal, du sinus sphénoïdal, maxillaire et des

Cas n° 2 Une femme de 30 ans, sans antécédent notable a été victime d’un accident de la voie publique avec impact crânien. À l’admission, le score de Glasgow était de 8/15 avec anisocorrie droite. Elle présentait une

Figure 3. Artériographie carotidienne après embolisation montrant les ballonnets (flèche) au niveau de la carotide interne.

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B. Hmamouchi et al.

deux orbites. À j8, on a constaté l’apparition d’une exophtalmie droite pulsatile, un souffle systolodiastolique périorbitaire à l’auscultation. Une artériographie a montré une FCC droite à haut débit. L’embolisation par ballonnet étant impossible vu la taille importante de la fistule, le patient a bénéficié d’une embolisation par spires métalliques (coils) en amont de la fistule, permettant ainsi l’occlusion de la carotide interne droite dans sa portion caverneuse. À j1 d’embolisation, l’état neurologique s’est amélioré (Glasgow à 11/15), avec régression de l’exophtalmie et disparition du souffle. La patiente a été sevrée du respirateur à j10 et sa trachée extubée à j15. Cas n° 3 Il s’agit d’un patient âgé de 24 ans, sans antécédent pathologique, qui était hospitalisé dans notre service pour traumatisme craniofacial grave secondaire à un accident de la voie publique. À l’admission, il présentait un score de Glasgow à 4/15 sans déficit moteur, les pupilles étaient symétriques et réactives. Le reste de l’examen somatique était sans particularité. La tomodensitométrie cérébrale pratiquée en urgence montrait une contusion frontale gauche, une hémorragie méningée et des fractures temporopariétales, de l’orbite gauche, de l’arcade zygomatique, du sinus maxillaire gauche et du rocher droit. Il a eu une trachéotomie à j3. L’état neurologique s’est amélioré progressivement. Le score de Glasgow était à 10 à j8 et le patient a pu être sevré du respirateur à j10. A j13, on a constaté l’apparition d’une exophtalmie gauche pulsatile associée à un chémosis et un souffle systolo-diastolique. L’artériographie carotidienne a montré une volumineuse FCC gauche opacifiant les deux sinus caverneux, et le drainage veineux périorbitaire et de la base du crâne. Le traitement de la FCC par embolisation était prévu dans un autre centre de neuroradiologie mais le patient est décédé à j20 après aggravation neurologique brutale. DISCUSSION La fistule carotidocaverneuse est une communication anormale entre la carotide interne et le sinus caverneux, c’est la forme la plus fréquente des fistules artério-veineuses cérébrales post-traumatiques. Il s’agit d’une pathologie rare mais non exceptionnelle [1], dont l’étiologie traumatique est retrouvée

dans 75 % des cas. Des auteurs ont trouvé une fréquence de 3,1 % dans les fractures de la base du crâne [2]. D’autres rapportent 10 cas dans une série de 989 traumatismes de la face [3]. Desal et Leaute, sur une période de 20 ans rapporte 49 FCC dont 45 post-traumatiques et ceci dans un service de neuroradiologie interventionnelle [4]. Dans notre unité, trois cas de FCC ont été diagnostiqués sur une série de 148 traumatisme crânien grave sur une période de trois ans. Les mécanismes incriminés dans la genèse des FCC post-traumatiques sont de trois ordres : un arrachement sous l’effet du choc de rameaux artériels intracaverneux du siphon carotidien ; une rupture d’un anévrysme préexistant ou bien une plaie artérielle secondaire au déplacement d’un fragment osseux dans les grands fracas craniofaciaux, et notamment les fractures de la base du crâne [5, 6]. Dans les trois cas rapportés dans notre étude, ce dernier mécanisme semble être le plus probable du fait de l’importance des lésions osseuses de la face engendrées par le traumatisme. Le délai d’apparition des symptômes est variable de quelques semaines à quelques mois. Desal et Leaute rapportent un délai inférieur à 15 jours dans 50 % des cas, inférieur à 48 heures dans les autres cas [4]. Dans notre série, le délai d’apparition des symptômes était de 48 heures dans la première observation, de 8 jours dans la deuxième observation et de 13 jours dans la troisième observation. Les signes cliniques sont dominés par les manifestations ophtalmologiques, essentiellement l’exophtalmie qui est unilatérale et pulsatile associée à un chémosis, une dilatation du réseau veineux de la paupière supérieure (aspect de méduse) et une paralysie oculomotrice. L’auscultation de la région périorbitaire et temporale retrouve un souffle intracrânien systolodiastolique disparaissant à la compression manuelle de l’artère carotide homolatérale au niveau du cou [5]. Cette symptomatologie peut être absente ou bien méconnue dans les grands fracas cranio-faciaux avec œdème important du visage et la FCC sera révélée plusieurs mois, voire plusieurs années après le traumatisme par des céphalées, des manifestations ophtalmologiques ou bien une hémorragie cérébrale ou sous-arachnoïdienne [7, 8]. L’exploration neuroradiologique constitue un temps essentiel dans le diagnostic et le traitement des FCC post-traumatiques. La tomodensitométrie quantifie l’exophtalmie en mesurant l’indice oculo-orbitaire, recherche une dila-

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tation de la veine ophtalmique supérieure (cas n° 2) et un bombement du sinus caverneux, qui constituent des signes indirects de la fistule [6, 9]. L’échoDoppler couleur permet d’affirmer la fistule artérioveineuse en montrant au niveau des veines ophtalmiques un signal Doppler inversé dirigé vers la face à renforcement systolique. Cet examen permet en outre un suivi non invasif après embolisation ou abstention thérapeutique [5, 9, 10]. Le Doppler transcrânien visualise directement la fistule avec une sensibilité de 95 % [5]. Il peut être associé à une manœuvre de compression de l’artère carotide homolatérale, permettant d’apprécier les suppléances vasculaires afin de prévoir les éventuelles perturbations de l’hémodynamique cérébrale si un axe carotidien interne est sacrifié. Chieregato [11] a rapporté la découverte précoce et fortuite d’une FCC devant l’augmentation brutale et rapide de la SvjO2. Cependant, l’artériographie reste l’examen clé de cette pathologie. Elle a un double intérêt : diagnostique et thérapeutique. En effet, elle permet d’affirmer le diagnostic et de localiser la fistule ainsi que les voies afférentes et efférentes [5, 9, 12], et permet aussi un geste thérapeutique par embolisation. Elle consiste à fermer la fistule à l’aide d’un ballonnet interne largable mis en place par voie artérielle en conservant l’axe carotidien interne. Cette technique a bénéficié de beaucoup de progrès aussi bien concernant la voie d’abord (artérielle ou veineuse rétrograde) que du matériel sclérosant (ballonnet en latex, en silastic, ou spires métalliques « coils ») [4]. Dans notre deuxième observation, l’embolisation par ballonnet était réalisée au niveau de la carotide interne vue la taille très petite de la fistule. En réalité, un tableau clinique évocateur (exophtalmie brutale, pulsatile + souffles systolodiastoliques) impose d’emblée la réalisation d’une artériographie diagnostique et thérapeutique en un seul temps. Cependant, le Doppler transcrânien reste indiqué pour la surveillance après embolisation. Non traitées, les FCC engagent le pronostic vital (hémorragie intracérébrale ou sous-arachnoïdienne, épistaxis foudroyant) [8]. Dans la dernière observation le décès est très probablement secondaire à une complication intracérébrale de la fistule. En effet, il est survenu à j20 du traumatisme rapidement après altération neurologique brutale, pour cette raison il est nécessaire de souligner le caractère urgent du traitement dès que le diagnostic est posé. Ultérieurement,

la FCC peut engager le pronostic fonctionnel (baisse de l’acuité visuelle, diplopie, ophtalmoplégie, cécité) avec risque de développement d’un faux anévrysme du sinus caverneux qui justifie une surveillance à distance. CONCLUSION La FCC doit être évoquée devant l’apparition d’une exophtalmie et d’un souffle systolo-diastolique dans les suites d’un traumatisme craniofacial. L’artériographie est indispensable pour préciser l’anatomie du shunt et réaliser une embolisation en un seul temps de l’orifice de la fistule. Actuellement, c’est le traitement de choix qui doit être réalisé rapidement pour préserver la fonction visuelle et prévenir la survenue de complications neurologiques qui engagent le pronostic vital. RE´ FE´ RENCES 1 El Kettani C, Salmi S, Guartite A, Idali B, Miguil M, Abassi O. Fistule carotido caverneuse post-traumatique. A propos d’un cas. Cah Anesthesiol 1997 ; 45 : 363-5. 2 Kunz U, Waldbaur H, Oldenkoff P. Early and late complications of craniocerebral trauma. Unfallchirurg 1993 ; 16 : 595-603. 3 Chang CJ, Chen YR, Noordhoff MS, Chang CN, Yeh YS. Facial bone fracture associated with carotid-cavernous sinus fistula. J Trauma 1990 ; 30 : 1335-9. 4 Desal H, Leaute F. Étude clinique, radiologique et thérapeutique des fistules carotidocaverneuses directes. À propos de 49 cas. J Neuroradiol 1997 ; 24 : 141-54. 5 Dupoirieux L, Coubes P, Jammet P, Hlan G, Souyris F. Apport de l’imagerie médicale moderne dans les fistules carotidocaverneuses post-traumatiques : à propos d’un cas. Rev Stomatol Chir Maxillo-Fac 1993 ; 94 : 371-4. 6 Compere JF, Lobbe D, Sauheuil B, Langerard, Courtheaoux P, Theron J. Fistules carotido-caverneuses traumatiques : diagnostic et acquisitions thérapeutiques récentes. Rev Stomatol Chir Maxillo-Fac 1986 ; 87 : 119-23. 7 Brosnahon D, McFadzeon RM, Teasdale E. Neuro-ophtalmic features of carotid-cavernous fistulas and their treatment by endoarterial ballon embolisation. J Neurol Neurosurg Psychiatry 1992 ; 55 : 553-6. 8 Hiramatsu K, Utsumi S, Kyoi K. Intracerebral hemorrhage in carotid-cavernous fistula. Neuroradiology 1991 ; 33 : 67-9. 9 Soulier-Sotto V, Beaupère L, Laroche JP, Dauzat M, Bourbotte G, Agnaud B, et al. Diagnostic par écho-doppler couleur d’une fistule durale de la loge caverneuse à révélation ophtalmologique. J Fr Ophtalmol 1992 ; 15 : 38-42. 10 Munk PL, Downey D, Pelz D, Vellet AD, Nicolle DA, Levin MF. Color-flow doppler imaging of a carotid-cavernous fistulas : analysis of five cases. Surg Neurol 1992 ; 38 : 179-85. 11 Chieregato A, Veronesi V, Calzolari F, Marchi M, Targa L. Prematurely detected traumatic carotid-cavernous sinus fistula, by means of unintentional controlateral inferior petrosal sinus catheterization : bilateral bulb oxygen saturation findings. J Neurosurg Anesthesiol 1998 ; 10 : 16-21. 12 Milbouw G, Born JD, Flandroy P, Bonnal J. Traumatisme crânien, shunt artérioveineux, limite du CT scan cérébral. Neurochirurgie 1986 ; 32 : 254-7.