Formation médicale continue Pathologie muqueuse buccale
Ann Dermatol Venereol 2006;133:725-7
Fistules cutanées d’origine dentaire L. GUYOT, J.H. CATHERINE, O. RICHARD, P. OLIVI, C. CHOSSEGROS
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ne infection d’origine dentaire associe classiquement de manière concomitante une symptomatologie douloureuse dentaire, un syndrome infectieux buccal (abcès vestibulaire endobuccal) ou facial (cellulite ou abcès de la face) et selon la gravité un syndrome infectieux général. Dans certains cas, le syndrome infectieux s’exprime sur les téguments de la face à travers un trajet fistuleux entre les plans de moindre résistance tissulaire. Dans ce cas, le diagnostic peut être difficile et retardé [1-4] car la séméiologie dentaire, discrète et méconnue du patient, est souvent retrouvée tardivement par des spécialistes de la cavité buccale (odontologistes, stomatologues et chirurgiens maxillo-faciaux). Les foyers infectieux d’origine dentaire sont liés soit à une pathologie dentaire pure, soit à une pathologie du tissu de soutien de la dent, le parodonte. Le plus souvent la cause est une nécrose de la pulpe dentaire secondaire à un processus infectieux carieux évolué ou à un traumatisme dentaire parfois passé inaperçu. Un terrain défavorable peut être retrouvé comme facteur aggravant ou déclenchant [5]. La nécrose entraîne des lésions des racines dentaires (lésions apicales) avec formation d’un granulome ou d’un kyste dentaire selon la taille, intra-osseux, point de départ de la fistule. Les infections du parodonte concernent la gencive (gingivites), le ligament alvéolo-dentaire (parodontites) et l’os alvéolaire (alvéolites). Elles sont rarement responsables de fistules cutanées bien qu’elles aient été décrites autour d’implants dentaires mandibulaires (péri-implantites) [6]. Les autres causes sont plus rares et sont associées à un contexte pathologique particulier : il peut s’agir d’ostéomyélites des maxillaires, lors des ostéoradionécroses mandibulaires où les patients expulsent des séquestres osseux et plus récemment lors des « chimionécroses » mandibulaires secondaires à l’emploi des biphosphonates [7]. Quelle que soit l’étiologie, le processus infectieux va se développer dans les tissus mous et suivre un trajet de moindre résistance tissulaire pour s’extérioriser après une cellulite suppurée ou plus souvent à bas bruit [8-10]. Pour les infections des incisives inférieures, le mode de drainage est lié à la situation des apex des incisives par rapport aux muscles mentonniers (M Mentalis ou muscle de la houppe du menton). Lorsque les apex sont situés en dessous de leurs insertions osseuses mandibulaires, l’infection se développe vers le bas, sous les corps des muscles mentonniers pour s’extérioriser à la peau du menton à un niveau inférieur de celui des apex (fig. 1, 2, 3). Dans le cas contraire (insertion basse des
Fig. 1. Fistule mentonnière paramédiane gauche.
Fig. 2. Vue endobuccale de la dent 31 en cause (grise après un traumatisme).
Service de Stomatologie, Chirurgie Maxillo-faciale et Plastique de la Face, CHU Nord, Chemin des Bourrelys, 13015 Marseille. Tirés à part : L. GUYOT, à l’adresse ci-dessus. E-mail :
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Fig. 3. Panoramique dentaire montrant le kyste apical de la dent 31 (flèche).
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Fig. 4. Fistule génienne basse gauche.
Fig. 6. Panoramique dentaire montrant la dent 36 (flèche double) avec une carie de la chambre pulpaire, une lésion apicale. À noter une lésion de l’apex de la dent 47 (deuxième molaire inférieure droite) (flèche double) pouvant entraîner les mêmes conséquences.
muscles mentonniers, sous les apex), l’infection s’extériorise dans la cavité buccale, dans le vestibule labial inférieur. Lorsque les dents en cause ont des racines proches de la surface externe de la mandibule comme les prémolaires et la première molaire (les deuxièmes et troisièmes molaires sont internes et responsables d’abcès et de fistules du plancher buccal latéral), les infections diffusent au niveau génien en raison des insertions du muscle buccinateur (M Buccinator signifie en latin « joueur de trompette » et désignait les soldats romains chargés de sonner le buccin forme ancestrale de la trompette). Lorsque les apex sont situés sous l’insertion mandibulaire du muscle buccinateur, les infections diffusent le long de la gouttière buccinato-mandibulaire (de Chompret et L’Hirondel), oblique en bas et en avant, qui s’ouvre dans l’espace cellulo-graisseux génien inférieur limité en haut par le muscle buccinateur, en bas par le bord inférieur de la mandibule, en arrière par le bord antérieur du muscle masséter et en avant par le bord postérieur du muscle abaisseur de l’angle de la bouche (M Depressor anguli oris ou muscle triangulaire des lèvres). La fistulisation cutanée siègera en regard de cet espace (fig. 4, 5, 6). 726
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Fig. 5. Vue endobuccale de la dent 36 délabrée.
Les étiologies mandibulaires sont prédominantes dans 80 p. 100 des cas quant au siège des lésions dentaires [10]. Dans le cas de dents maxillaires, le siège de la fistule cutanée est la lèvre supérieure et le vestibule nasal pour les incisives, le sillon naso-génien pour les canines, la région génienne haute pour les prémolaires et parfois génienne basse pour les molaires. En faveur du diagnostic, les fistules présentent classiquement un aspect infundibuliforme lié à la rétraction tissulaire associé à un cordon induré adhérent à l’os sous-jacent et donc non mobilisable par rapport aux plans profonds. Ceci explique les possibles persistances de la rétraction après traitement efficient de la cause dentaire [8]. L’absence de dent à l’examen clinique ne doit pas faire éliminer le diagnostic car il peut persister des débris sous-muqueux de racines dentaires [11] ou des kystes résiduels des maxillaires après extractions dentaires. La radiographie confirme le diagnostic, il faut réaliser un cliché dentaire rétro-alvéolaire et un panoramique dentaire. L’aspect radiologique habituel est celui d’une lésion radio-claire appendue aux racines dentaires dans le cas d’un granulome ou d’un kyste. La radiographie permet également d’apprécier l’état de la dent en cause et des dents voisines, ses possibilités ou non de conservation. Les germes en cause ne sont pas spécifiques car la flore est polymorphe et comprend des bactéries aérobies et anaérobies, des levures et des spirochètes. Les actinomycoses sont caractérisées par l’issue de grains jaunes, un diagnostic microbiologique difficile et un traitement antibiotique prolongé [12]. Les diagnostics différentiels sont nombreux. Il peut s’agir de fistules congénitales en rapport avec les arcs branchiaux, de corps étrangers voire de carcinomes cutanés [13, 14] dont l’aspect histologique peut être trompeur lors d’une biopsie. Les autres diagnostics sont ceux des infections à germes spécifiques (adénite tuberculeuse fistulisée, gomme syphilitique) ou non (kystes épidermiques surinfectés…).
Fistules cutanées d’origine dentaire
La prise en charge thérapeutique est dentaire en premier lieu. Un traitement conservateur endodontique (traitement du canal de la dent et désinfection de la lésion apicale) parfois associé à un curetage apical ou à une résection apicale permet le plus souvent une guérison de la fistule. En cas d’impossibilité de conserver la dent trop délabrée, une extraction est réalisée avec curetage du foyer apical. Des soins locaux sont réalisés pour guider la cicatrisation de la lésion cutanée ; le curetage et le drainage filiforme peuvent être indiqués en cas de collection fluctuante en amont de la fistule. Il peut persister à titre de séquelles une ombilication et une rétraction autour de l’orifice de fistule accessibles à un traitement chirurgical plastique de comblement.
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