Fluorose osseuse « médico-légale . À propos de deux cas de probable intoxication criminelle

Fluorose osseuse « médico-légale . À propos de deux cas de probable intoxication criminelle

CARREFOUR DES S P I ~ C I A L I T E S Fluorose osseuse m dico-I gale A propos de deux cas de probable intoxication criminelle % J. RAIMONDEAU*, O. ...

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CARREFOUR

DES S P I ~ C I A L I T E S

Fluorose osseuse m dico-I gale A propos de deux cas de probable intoxication criminelle %

J. RAIMONDEAU*, O. RODAT*, G. NICOLAS*, H.L. BOITEAU**, D. LECOMTE***, A. PROST****, M. AUDRAN*****

R6sum~ -Les auteurs rapportent deux cas de fluorose osseuse chronique, survenus chez deux hommes de 55 et 69 ans. Ces deux cas, tout ~ fait typiques sur le plan clinique et radiologique et prouv~s biologiquement se singularisaient par des fluctuations des dosages de fluor, qui s'abaissaient au cou rs des hospitalisations et remontaient Iors des retours ~ domicile./'interrogatoire du patient, ainsi que tous les examens effectu~s ~ la recherche de la source d'intoxication sont rest~s n~gatifs, amenant ~ suspecter un empoisonnement criminel. Dans I'un des cas une procedure judiciaire fut d~clench~e, sans r~sultat. Ces observations doivent aussi faire examiner I'attitude du m~decin traitant qui suspecte un empoisonnement en cours de r~alisation et qui se pose la question de la possibilit~ et de I'opportunit~ de la d~nonciation aux autorit~s.

Mots-cl~s : DI~NONCIATION DE CRIME - - EMPOISONNEMENT - - FLUOR - -

FLUOROSE OSSEUSE - - MI~DECINE LI~GALE - - TOXICOLOGIE. Rev M e d Interne 1993 ; 14 : 263-267.

La toxicitO du fluor est bien 6tablie ; toxicit~ aigu~, sans doute la plus connue du m~decin I~giste mais aussi toxicit~ chronique. Nous rapportons deux cas d'intoxication fluor~e chronique, troublants par leur ~volution et leur caract&e isolO, faisant discuter une intoxication volontaire.

OBSERVATION

1 :

Un homme, ~g~ de 55 ans, est hospitalis~ en 1981 pour bilan d'une alteration de I'~tat g~nOral associ~e ~ des arthralgies diffuses. Les antOc~dents sent marqu(~s par un diab?~te noninsulinodOpendant, une psychose ddlirante hallucinatoire connue depuis 3 ans et trait~e par Mod(~cate ®, une parapar~sie en 1979 sans atteinte sensitive ni compression radiculaire ou mOdu[laire et rest~e d ' ~ t i o l o g i e i n c o n n u e . D u r a n t les hospitalisations pour la psychose et la paraparOsie, un taux de prothrombine (TP) anormalement bas fur notd (14 % en 1978 et * M6decine L6gale ; Facult~ de M~decine de Nantes (Pr O. RODAD. ** Soci6t6 d'E-tude des Risques Toxiques ; H6teI-Dieu ; Nantes (Pr H.L. BOITEAU). *** Laboratoire d'Anatomie Pathologique ; Institut M6dico-L~gal de Paris (Pr D. LECOMTE). **** Service de Rhumatologie ; CHR de Nantes (Pr A. PROST). ***** Service de Rhumatologie ; CHR d'Angers (Pr M. AUDRAN). Tir~s-~-part : Pr O. R O D A T ; MOdecine L~gale ; Facult~ de M~decine ; 1, rue Gaston Veil ; 44000 NANTES.

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15 % en 1979), sans que n'apparaisse la moindre cause. Dans les deux cas, le TP dtait remontO spontan~ment durant ['hospitalisation. A I'entr~e, [e patient se plaint de dou[eurs osseuses diffuses, de ['ensemble des articulations des membres sup&ieurs ainsi qu'h la hanche gauche, survenant sans horaire particu[ier. On note aussi une asth6nie, un amaigrissement, sans ~[~vation thermique. L'examen retrouve des dou[eurs h [a mobilisation des articulations des membres, sans limitation r~elle de ['amplitude des mouvements, ni signe d'inflammation locale. Par ailleurs, on remarque une masse prOtibiale sup~rieure droite faisant corps avec I'os et de m~me consistance. Le reste de I'examen clinique est sans particularitY. Le bilan radiologique montre un aspect de p~riostose engainante Iocalisde ~ [a ceinture scapulaire, aux humerus, aux os des avant-bras, f~murs et os de la jambe avec conservation des rapports anatomiques sans modification de la trame osseuse. Sur le plan biologique, on note un syndrome inflammatoire (VS ~a84/109). La recherche de facteurs rhumatoides est n~gative. Re~u le 14-4-1992 Renvoi pour correction [e 05-12-1992 AcceptationdOfinitivele 18-2-1993

Fluorose osseuse ~ m~dico-l£gale ~

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Le bilan phosphocalcique montre : calc6mie : 96 mg/I, phosphor~mie : 33 mg/I, phosphatases alcalines : 90 U/I, phosphaturie : 150 mg/24 h, hydroxyprolinurie : 56 mg/24 h (N < 30), clairance du phosphore : 4 ml/mn (N = 9 h 15), uric~mie : 72 mg/I. Le bilan h~patique, r(~nal, h6matologique (avec my~logramme) et les marqueurs tumoraux sont normaux. Le TP est ~ 75 %. La scintigraphie osseuse au technetium montre de multiples foyers d'hyperfixation. L'hyperfixation correspond globalement aux zones radiologiques d'hyperostose. Des biopsies osseuses sont r~alis~es, qui confirment le diagnostic d'ossification p6riost~e en faveur d'une p@iostose engainante, sans aucun caractEre de malignitY. L'6volution dans le service est spontan~ment favorable, avec reprise de la marche, gain de poids, disparition des douleurs et normalisation de la VS. Un an plus tard, en 1982, le patient est de nouveau hospitalis~ en raison de I'apparition depuis trois semaines d'une alt6ration de l'~tat gOn~ral. Des arthralgies sont r~apparues, aux quatre membres, accompagnOes de troubles de la marche progressifs, indolores et aboutissant ~ I'entr~e dans le service h rendre la marche impossible sans aide. L'examen clinique, similaire ~ celui de I'ann~e pr6c~dente, note en plus une limitation importante de la mobilit~ de toutes les articulations. Par ailleurs des tumOfactions osseuses sont apparues aux coudes et aux omoplates. Les radiographies montrent I'extension des I~sions d'hyperostose. Comme pr6c6demment, il n'y a ni modification de I'os sous-p(~riost~, ni alt&ation des interlignes articulaires, ni atteinte du r~chis.

envisagea de d(!noncer ce qui lui paraissait ~tre une intoxication criminellle tr~s probable, mais devait y renoncer. L'~voluti0n s'est fake encore vers la s~dation spontan6e des signes cliniques et la normalisation biologique. En revanche, les anomalies osseuses biologiques sont demeur~es inchang~es.

OBSERVATION

2 :

Un homme de 69 ans, ancien gendarme, est hospitalis(~ en 1989 pour bilan d'une importante ost~ocondensation diffuse. Les ant6c~dents sont marqu6s par une tuberculose pulmonaire ancienne ayant fait I'objet d'une Iobectomie en 1963 et une intoxication ~thylique chronique. Par ailleurs, une ~l~vation des phosphatases alcalines sans ~l~vation concommitante des 5' nucl~otidases @ait connue depuis plusieurs ann~es et en 1982 et 1983, deux scintigraphies osseuses avaient montr~ une hyperfixation diffuse du rachis, du sacrum, des articulations sacro-iliaques, des genoux et des chevilles. Dans I'ann6e pr(~c~dant I'hospitalisation, des douleurs et un enraidissement du rachis se sont progressivement install(~s, accompagn~s d'une importante alt@ation dl~ I'~tat gOnOral, avec un amaigrissement de 8 kg. A I'examen clinique, on note essentiellement un enraidissement indolore du rachis cervical. Les radiographies mettent en Ovidence une importante ost6ocondensation du bassin, du rachis (figure 1), des c6tes et un aspect calcifi~ des membranes inter-osseuses. La scintigraphie osseuse montre une hyperfixation importante et sym~trique des articulations scapulo-hum~rales, coxo-f6morales, des genoux, chevilles, coudes, poignets et des mains. Des hyperfixations moins intenses existent aussi au rachis, sacrum, sacro-iliaques, gril costal et bassin.

Les examens biologiques retrouvent un syndrome inflammatoire (VS : 52/75), un TP abaiss~, une ~lOvation des phosphatases alcalines (293 UI/I). Le reste du bilan est n~gatif. L'analyse histomorphomOtrique des biopsies osseuses montre une ost~oscl~rose avec hyperost(~o'fdose mod&~e sans hyperrOsorption ost6oclastique. Le volume trab~culaire osseux est normal. Cet aspect est consid&~ comme ~vocateur d'une fluorose osseuse. Les analyses toxicologiques montrent alors les taux de fluor ionis~ (F-) suivants : - - plasma : 346 ~g/I (N < 20 l~g/I) - - urines : 8.800 ~g/I, soit 18,5 mg/24 h (N < 0,69 rag/24 h) --OS

:

• sec : 6 mg/g (N : 0,2 } 0,4 rag/g) • cendres : 17 mg/g (N : 0,4 ~ 0,8 mg/g) L'enqu~te toxicologique s'est attach~e d'une part ~ ~liminer route autre intoxication associ~e : plomb, arsenic, thallium, mercure, cadmium, manganese, m~dicaments (benzodiaz(~pines, imipraminiques, m~probanate, oxyde de carbone, ph~nothiazines, salicyl~s), d'autre part ~ trouver la source de contamination par le fluor. Cette recherche n'a pas abouti. Aucun autre cas ne fut retrouv~ dans I'entourage du patient. Enfin, la fluor~mie et la fluorurie chutaient dans les semaines qui suivirent I'hospitalisation : (346 I-~g/[puis 168 I.Lg/Idans le sang et 8.800 lu,g/I puis 3.200 Ixg/I dans les urines). Le m(~decin du patient

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Figure 1 : Observation n ° 2 : importante ost~ocondensation du bassin et du rachis

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Le bilan biologique trouve un syndrome inflammatoire (VS : 40/80), une 61~vation de la parathormone (PTH) ~ 79 pcg/ml (N : 10 h 55 pcg/ml) et des phosphatases alcalines d'origine osseuse (265 U/I). La fonction r6nale est normale. La biopsie osseuse montre de profonds remaniements avec une rar6faction majeure de la m6dullaire et un tissu irr6gulier, avec des activit6s ost6oblastiques et clastiques intenses. La min6ralisation est aussi perturb6e avec du tissu ost(~o'fde au sein de I'os min6ralis6. Les dosages toxicologiques mettent en 6vidence u ne fl uor6m ie 1,3 mg/I (N < 50 ILtg/I), une fluorurie ~ 50 mg/I (N < 500 ILtg/I), un fluor osseux h 9,5 g/kg (N : 0,1 ~ 0,3 g/kg).

Au total, I'intoxication fluor6e chronique 6tait confirm6e, mais une intoxication aigu~ 6tait 61imin6e comme cause de la mort. Le reste du bilan toxicologique est rest6 n6gatif.

DISCUSSION Le fluor fait partie de la famille des halog?mes. II est tr~s largement r~pandu dans notre environnement, ~ la fois de fa~on naturelle et en rapport avec les activit6s humaines. Les principales sources d'intoxication sont les suivantes : --

L'6volution dans ie service est caract6ris6e par une am61ioration spontan6e des douleurs et de I'enraidissement, ainsi que par la r6gression des anomalies biologiques ~ I'exception d'un accroissement encore plus marqu6 des phosphatases alcalines osseuses (460 U/I). L'ensemble du bilan s'est en fait d6roul6 au cours de quatre hospitalisations rapproch~es au cours desquelles les taux de fluor sanguins et urinaires ont eu tendance ~ s'abaisser et ~ remonter I'occasion des retours ~a domicile, 6voluant ainsi entre 1,3 mg/I et 0,78 mg/I pour la fluor6mie et entre 50 mg/I et 21 mg/I pour la fluorurie. Comme dans I'observation pr6c6dente, la recherche d'une autre intoxication min6rale ainsi que celle de la source de fluor sont rest6es n6gatives. II est ~ signaler que des clich6s osseux de 1'6pouse ne montraient pas d'ost6ocondensation et qu'aucun autre cas ne fur retrouv6 dans I'entourage. Ce tableau 6vocateur d'une intoxication volontaire amena 1'6quipe m6dicale ~aeffectuer le signalement aux autorit6s d'une suspicion d'empoisonnement~ Une information judiciaire fur ouverte. De multiples pr61~vements furent effectu6s au domicile, qui fut compl~tement fouill6 par la Police Judiciaire, sans que la source d'intoxication ne soit retrouv6e. Le patient est d6c6d6 brutalement en novembre 1990. L'autopsie m6dico-16gale pratiqu6e devait retrouver les s6quelles de la tuberculose pulmonaire associ6es ~. des poumons ced6mateux ainsi qu'une duret~ inhabituelle des os, notamment Iors de la d6coupe de la calotte cr~nienne. Le reste de I'examen 6tait sans particularitY, ne permettant pas de pr6ciser I'origine du d6c~s. Des pr61~vements ~ v i s 6 e anatomo-pathologique (poumon, coeur, foie, os) d'une part et toxicologique, d'autre part furent r~alis6s. L'examen anatomopathologique a conclu ~ la pr6sence d'une pneumonie fibrineuse et ~ polynucl6aires et d'un foie de choc cardio-vasculaire. Le myocarde 6tait normal. Le tissu osseux 6tait typiqued'une ost6ocondensation, avecdes ost6oblastes r6guliers et sans ost~oclaste. Les analyses toxicologiques retrouvaient des quantit6s importantes de fluor dans les os, avec une concentration maximale atteinte au cr~ne (1,75 mg/g de cendres pour une normale entre 0,4 et 0,8 mg/g). La fluor6mie d~termin~e sur du sang pr~lev~ dans le sac p6ricardique ~tait tr~s 61ev6e (16,3 mg/I), alors que les dosages dans les tissus mous (foie, rein, cceur, cerveau) 6talent un peu sup6rieurs ~ la normale.

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origine hydro-tellurique ~ porte d'entr~e digestive : notamment dans les r6gions dont les sols sont d'origine volcanique ou riches en phosphates naturels, cryolithe, fluorine. Des cas secondaires ~ une g6ophagie ont 6t~ rapport~s (1). Les eaux de boisson, notamment en France I'eau de Vichy-St-Yorre (2), ainsi que de tr?~s nombreux aliments, comme le th6 ou les poissons de mer (3, 4) peuvent ~tre aussi en cause. Par ailleurs, le fluor a ~t~ utilis6 comme additif dans certains vins, en particulier en Espagne (5), activit~s i ndustrielles (6, 7), oO les voies de p6n(~tration du toxique sont digestive et pulmonaire. Des produits issus de ces industries sont fr6quemment retrouv~s dans les intoxications, notamment les antirouille fluor6s (8), les insecticides et les raticides (9, 10), fluor m~dicamenteux : anti-inflammatoires non st(~ro'fdiens (acide niflumique) (11 ), acide fluf6namique ou anesth~siques fluor~s (12), pr6parations ~ usage dentaire (4) et enfin traitement de I'ost~oporose par le fluorure de sodium. On rapprochera de ces cas le r61e possible des bains de dialyse (13).

L'absorption du fluor se fair le plus souvent par voie gastrique ou par inhalation (4), mais il existe aussi une possibilit6, moindre, d'absorption buccale et intestinale. L'absorption gastrique ou pulmonaire est pratiquement complete et extr~mement rapide. L'absorption digestive peut ~tre perturb6e en cas de formation de complexes avec le calcium, le magn6sium et I'aluminium, ainsi qu'en cas de diminution de I'acidit~ gastrique. Dans les minutes qui suivent I'ingestion, on note une augmentation du fluor plasmatique, t~moignant de la rapidit6 de I'absorption. La fixation aux prot~ines tissulaires est tr~s faible. L'61imination est tr~s majoritairement r6nale, d6pendante de la diur~se et du pH urinaire et plus de 20 % de la dose ing~r~e sont ~limin~s en 4 heures et 50 % en 24 heures. Une ~limination mineure par les selles, la sueur, la salive et le lait maternel existe aussi. Environ 95 % du contenu total de I'organisme en fluor est concentr(~ darts ' les os. La liaison avec le tissu osseux n'est pas irreversible : en cas de carence en apport fluor6, on peut noter un relargage de fluor par letissu osseux. Apr~s une ingestion unique, le pic plasmatique est atteint en environ une demi-heure, puis la concentration d~cro~t essentiellement sous I'effet de I'~limination r~!nale et de la captation par les tissus calcifi6s. Toxicit~

aigu~

(10,

14)

Elle correspond ~ des accidents ou suicides. La dose ~ partir de laquelle une toxicit6 clinique se manifeste r~guli~rement est de I'ordre de 5 mg/kg. La symptomatologie est digestive et neurologique. Les gaz fluor6s peuvent entratner des OAP ou des bronchospasmes, ainsi que des 16sions cutan6es.

Fluorose osseuse ~ m~dico-l~gale ~

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Toxicit~

chronique

(15)

La dur~e d'exposition au fluor avant qu'apparaissent des troubles chroniques est fr~quemment estim~e ~ 10 ou 20 ans, mais elle peut &tre inf~rieure (16) : une atteinte osseuse a 6t~ rapport~e chez un enfant de deux ans (17), ainsi que des I~sions iatrog~nes au cours de traitements de I'ost~oporose post m6nopausique de dur~e inf(~rieure ~ 2 ans (18). Les principales manifestations c[iniques sont tes sqivantes : - - t~ches pigment~es dentaires, Iors d'une intoxication survenue dans I'enfance, - - exostoses, principalement sur le squelette axial (16, 19), parfoi~ o~t,~oporose, d6formations (20 22t, notamment dans Jes tormes debutant dans I emance, - - fissu res osseuses ou tractures, notam ment clans ies fl uoroses secondaires au traitement par le fluorure de sodium (18, 23), --calcifications des structures peri-articulaires (2, 19,241, du gril costal (15), - - atteintes neurologiques, de type radiculaireou mddullaire (19, 24-28), - - surdit~ par d~p6ts au niveau des organes de Corti (2), - - atteinte directe du syst~me nerveux central (26). La possibilit6 d'atteinte de la thyroTde, des parathyro'fdes, des reins, du coeur et des organes h~matopo'f~tiques n'est pas de!montr~e. Radiologiquement, il est possible d'observer une augmentation de la densit~ osseuse plus ou moins homog~ne, pouvant aboutir ~ des aspects pseudo-pag~tiques, des calcifications ligamentaires, une hyperostose avec masses p~rioste!es. Des. images d'oste!omalacie ont ~t~ aussi d~crites. L'aspect des l(~sions est souvent syme~trique avec h abituellement respect des extr(~mit~s des membres et des interlignes articulaires. Le diagnostic repose finalement sur les dosages de fluor dans le sang, les urines et I'os. Aspects m~dico-I~gaux

Les deux patients dont nous avons rapport6 les cas sont porteurs d'unefluorose osseuse confirm~e. Lestableaux cliniques, radiologiques, anatomopathologiques sont caract6ristiques. Les dosages toxicologiques permettent d'affirmer le diagnostic, en retrouvant des taux tr~s ~lev~s de fluor dans le sang, les urines et ['OS.

Ce diagnostic amine ~ rechercher une source d'intoxication prolong~e. En effet, la constitution de I~sions osseuses correspond la forme chronique de ['intoxication fluor6e. La litt(~rature nous apprend que des fluoroses osseuses peuvent se manifester pour des intoxications d'une dur~e de 2 ans environ, mais souvent plus Iongue. S'il n'est pas possible dans notre premiere observation d'appr~cier I'anciennet~ de I'intoxication Iors de la premiere constatation des anomalies osseuses, dans le deuxi?~me cas, on peut admettre une anciennet~ sup~rieure ~ 7 ans, en raison des anomalies scintigraphiques de 1982. La recherche de I'origine du fluor a permis dans les deux cas d'~liminer les sources habituelles d'apport fluor~ : m~dicaments, boissons (eau de Vichy-St-Yorre, eau du service d'eau, vin),

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aliments, intoxications professionnelles, s~jours en zones dont les sols sont riches en fluor. II est important ici de rappeler que les deux sujets en question constituaient des cas isol6s de fluorose osseuse : aucun autre cas ne fut retrouv~ dans leur entourage, notarnment familial ; ce qui permet d'61iminer une intoxication involontaire, dont on voit mal comment el le aurait pu ~tre unique dans nos deux cas. La seule possibilit~ restante est donc celle d'un apport volontaire. L'evoiution des dosages du fiuor dans ie sang et dans ies urines, avec la tendance ~ la baisse durant [es hospitalisations et la remont~e Iors des s~jours ext~rieurs est en effet evocatrice d'un apport exog~ne interrompu ~ I'h6pital. Dans ce cadre, on ne p,eut clue faire un rapprochemerfi ave( la !)r6se~nce C13@7 l~~ premier patient d'une anomalie de la coagulation (TP abaisse!, non expliqu~e et se corrigeant aussi au cours de plusieurs hospitalisations. Une question reste alors ~ trancher : s'agit-il d'une auto-intoxication ou bien d'un empoisonnement par un ti~rq ? lO~nq I~q deu× cnq le mvqt~re demeure I I nous paratt int~ressant de revenir sup le bilan toxicologique effectu~ sur le cadavre du sujet n°2. La fluor~mie ~tait tr~s ~lev~e, a[ors que les concentrations dans les tissus mous ~taient seulement un peu sup~rieures ~ la normale. La fluor~mie pouvait faire ~voquer une intoxication aigu~, mais les taux des tissus mous s'opposaient ~ cette hypoth~se. Cette discordance peut sans doute &tre expliqu~e par un relargage du fluor du myocarde dans le sang contenu dans les cavit~s cardiaques. Comme le sang a stagn~ de fagon prolong~e au contact du tissu cardiaque, il a pu se charger consid~rablement e n fl uor. I I est permis de se demander si un tel ph~nom~ne ne pourrait passe rencontrer avec d'autres toxiques dont la fixation prot~ique est faible, amenant ~ relativiser certaines donn~es autopsiques et toxicologiques. L'interpr~tation des dosages toxicologiques doit ainsi toujours tenir le plus grand soin de la date de la mort par rapport aux pr~l~vements et de leur proximit~ anatomique vis-a-vis d'un tissu pouvant ~tre le site d'un stockage pr~f(~rentiel, ce qui invite ~ des recueils de sang diffdrents niveaux, dans des zones protegees et ~ une ~valuation comparative des taux. Un autre point m~rite d'etre discut~ ~ la lumi~re de nos deux observations : quelle peut ~tre I'attitude du m6decin traitant face un tel tableau d'intoxication possiblement criminelle ? Dans la premi?~re observation, le m~decin s'est tO ; dans la seconde, il a provoqu~ une proc6dure judiciaire. Le probl~me est complexe car les imp~ratifs sont contradictoires. Le respect du secret m~dical (article 378 du code p~nal et article 11 du code de D~ontologie) s'oppose ~ la divulgation des craintes ou des certitudes du m~decin. A I'inverse, I'article 62 du code pdnal r~prime la non d~nonciation de crime, tout particuli?~rement dans les cas o~ le crime n'a pas produit tous ses effets, ce qui ~tait le cas pour les deux patients. II faut signaler qu'il s'agit uniquement de la d~nonciation du crime et non du criminel (crim. 26 f~vrier 1959). I~viter la non-:assistance ~ personne en danger (article 63 CP et article 4 C D~ontologie) est aussi une raison de parler pour le m~decin. Enfin, il ne faut pas oublier que I'acte spontan~ et pr(~judiciable une personne que repr6sente le signalement d'un crime fait peser sur le m~decin le risque de I'application de I'article 373 CP pour d~nonciation calomnieuse.

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II n'existe pas de solution s i m p l e au p r o b l e m e q u e nous soulevons. II est b i e n e v i d e n t q u e si le m(~decin n'a q u e d e vagues s o u p c o n s m a l Oayes, la plus g r a n d e reserve est de mise. M a i s le m e d e c i n est au service de I ' i n d i v i d u (article 2 C D e o n t o l o g i e ) ; I ' i n t & 6 t absolu du m a l a d e nous s e m b l e d e v o i r passer a v a n t t o u t e autre c o n s i d e r a t i o n , la defense de la sant~, v o i r e de la v i e repr~sente la plus a r d e n t e des o b l i g a t i o n s du m ~ d e c i n . Un s i g n a l e m e n t ne peut certes se c o n c e v o i r q u ' e n cas de tres iortes p r e s u m p t i o n s d ' e m p o i s o n n e m e n [ c r i m i n e t , tout p a r t i c u l i & e m e n t si I'on p e u t c r a i n d r e une a g g r a v a t i o n de I'(~tat du patient. Le s i g n a [ e m e n t ne d e v r a porter q u e sur le c r i m e p o t e n t i e l , j a m a i s sur I ' i d e n t i t e d ' u n ~ventuel c r i m i n e l . M a i s Iorsque ces c o n d i t i o n s sont rdunies, co qui ('tail le cas clans notre d e u x i ~ m e observation ~ou tes m e d e c i ns n ont [ait I obiet d aucu ne pOLJlSLII[~), i'attitude du m ~ d e c i n qui p r o t e g e son p a t i e n t en a v i s a n t les autorit~s c o m p e t e n t e s nous paratt ~tre t o u t ~. fait 16gitime. Q u e se passerait-il si un m e m b r e de la f a m i l l e v e n a i t } r e p r o c h e r au m ~ d e c i n d ' a v o i r eu c o n n a i s s a n c e de I ' e m p o i s o n n e m e n t et de n ' a v o i r rien fair mais q u e d e v i e n d r a i t aussi la c o n f i a n c e trahie du m a l a d e c o n n a i s s a n t I ' e m p o i s o n n e u r et ne s o u h a i t a n t pas q u e I'on d i v u l g u e son nora ? Les m o d i f i c a t i o n s r6centes du c o d e penal (JO 23/7/92) app o r t e n t une s o l u t i o n claire si le m a l a d e , q u e l q u e soit son age, n'est pas c a p a b l e de se prot~ger : <<... Le secret n'est pas a p p l i c a b l e ~ celui q u i i n f o r m e les autorites judiciaires, m ~ d i c a l e s ou a d m i n i s t r a t i v e s de sevices ou privations d o n t il a eu c o n n a i s sance et qui o n t ~t~ infligees ... ~ une p e r s o n n e qui n'est pas en

mesure de se p r o t e g e r en raison de son Age ou de son etat p h y s i q u e ou p s y c h i q u e . . . >>(article 2 2 6 - 1 4 CP ; ex-article 378). Le m e d e c i n legiste c o n n a t t bien I ' i n t o x i c a t i o n aigu~ par le fluor. L ' i n t o x i c a t i o n c h r o n i q u e est le plus s o u v e n t la conseq u e n c e d ' a p p o r t s naturels ou artificiels bien identifies, n o t a m m e n t industriels ou sanitaires. C e p e n d a n t , les d e u x o b s e r v a t i o n s q u e nous avons rapportees suggerent q u e la f o r m e c h r o n i q u e de I ' i n t o x i c a t i o n p o u r r a i t parfois c o r r e s p o n d r e ~ une i n t o x i c a t i o n v o l o n t a i r e , sans q u ' i l air 6[4 possible de trancher rorme[lemer/t entre e m p o i s o n n e m e n t et a u t o - i n t o x i c a t i o n . Summary - - Skeletal fluorosis and forensic medicine. Report of two cases of possible criminal poisoning.

W e r e p o r t t x o cases of skeletal fluorosis in t w o men,

55 and 69 year-old. The physical findings and the roentgenograms were typical and chemical analysis confirmed the diagnosis. Surprisingly, fluoride concentrations in blood and urine were increased at the beginning of the hospitalizations and lower during the hospitalizations. The origin of fluor intake remained unknown, leading to consider a possible criminal poisoning. Then, we discuss the attitude of physician in a case a possible criminal poisoning : denunce the crime to the police or not, as regards french law. Key-words : D E N U N C I A T I O N OF CRIME - - F L U O RIDE-SKELETAL FLUOROSIS -- POISONING -FORENSIC M E D I C I N E - - T O X I C O L O G Y .

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