Gènes de l’horloge biologique et métabolisme : implications dans le diabète

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Pour la science

Gènes de l’horloge biologique et métabolisme : implications dans le diabète Circadian control of metabolism and type 2 diabetes

H. Duez Institut Pasteur de Lille ; INSERM UMR 1011 « Nuclear receptors, cardiovascular disease and diabetes », Lille ; Université Lille Nord de France, Faculté des sciences pharmaceutiques et biologiques et Faculté de médecine ; UDSL, Lille ; European genomic institute for diabetes (EGID), FR 3508, Lille.

Résumé L’horloge biologique contrôle des processus physiologiques essentiels, tels que l’alternance veille/sommeil, la température corporelle, la fréquence cardiaque et les voies métaboliques, afin d’anticiper les périodes prédictibles d’activité ou de prise alimentaire. La pression économique et sociétale des dernières décennies a contribué à l’apparition du travail posté et à une réduction du temps de sommeil. Ces désordres des rythmes biologiques sont associés au développement des maladies métaboliques (dyslipidémies, diabète de type 2) et leurs conséquences cardiovasculaires. Mots-clés : Rythmes circadiens – horloge biologique – métabolisme – diabète de type 2 – travail posté.

Summary Circadian rhythms are generated by oscillators operating in the brain and peripheral organs to temporally gate physiological processes to the right time window. For instance, glucose and lipid metabolism, body temperature and hormonal secretion oscillate diurnally. Circadian disorders, either due to genetic defects or environmental risk factors such as shift work and sleep restriction, are linked to metabolic and hormonal deregulation leading to the development of obesity, dyslipidemia and type 2 diabetes. Key-words: Circadian rhythms – metabolism – diabetes – shift-work – biological clock.

Introduction

Correspondance Hélène Duez UR1011 INSERM Institut Pasteur de Lille BP 245 1, rue Calmette 59019 Lille cedex [email protected] © 2014 - Elsevier Masson SAS - Tous droits réservés.

• L’existence d’une horloge circadienne paraît aujourd’hui évidente. Il suffit d’avoir ressenti, à la suite d'un vol transatlantique, quelques troubles du sommeil, de l’appétit ou de la digestion, pour se rendre compte que l’organisme reste à l’heure du pays de départ et mettra environ un jour par heure de décalage à se réajuster. • Les rythmes circadiens (un mot dérivé du latin circa diem, environ un jour) ont été décrits pour la première fois par Androsthènes de Thasos (au 4e siècle avant notre ère) pour définir le mouvement nycthéméral des feuilles du Tamarinier. Ce mouvement quotidien d’ouverture et de fermeture des feuilles n’a d’abord été

perçu que comme une réaction de l’arbre à son environnement. Ce n’est qu’en 1729 que l’astronome français JeanJacques d’Ortous de Mairan rapporta la nature endogène de ces rythmes chez le Mimosa : ses feuilles s’ouvrent et se ferment chaque jour, et ce rythme persiste même lorsque le mimosa est placé à l’obscurité constante, c’est-à-dire en dehors de tout signal environnemental. Pourtant, l’horloge biologique autonome restera mal comprise, et donc décriée, jusqu’au milieu du 20e siècle et la découverte, en 1971, par Benzer, du premier gène de l’horloge (period) chez la drosophile. • La plupart des fonctions biologiques présentent un rythme circadien, c’est à dire endogène, persistant dans le temps en dehors de tout signal ; c’est le cas

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de l’alternance veille/sommeil, l’activité locomotrice, la prise des repas, la température corporelle, la sécrétion de certaines hormones, le métabolisme des lipides et du glucose, et même de la sensibilité à l’insuline. Ces rythmes permettent à l’organisme d’anticiper les changements prédictibles de l’environnement, et de mettre en résonance le métabolisme énergétique et les sécrétions hormonales avec l’heure du jour (et des repas). Pourtant, l’horloge biologique peut subir des perturbations d’origine génétique (mutations ou polymorphismes dans un gène de l’horloge) ou environnementale : sous la pression économique et sociétale, et les progrès technologiques, le siècle dernier a été témoin d’une diminution sans précédent du temps de sommeil (en moyenne, 1h30 de moins qu’il y a 50 ans), d’une progression du travail posté ou de nuit,

et de l’irruption des écrans, du bruit et de la lumière jusque tard dans la soirée, voire la nuit. Or, le manque de sommeil répété et les perturbations des rythmes entraînent, non seulement des troubles de l’humeur (dépression), une somnolence diurne et des troubles de la vigilance et de l’apprentissage, mais également des désordres métaboliques : prise de poids et augmentation de l’incidence du diabète de type 2 (DT2), de l’hypertension artérielle et des maladies cardiovasculaires. Une étude pionnière, publiée en 2005, démontrait le lien de cause à effet entre désordres des rythmes et développement de l’obésité et de la résistance à l’insuline dans un modèle murin. De nombreux travaux, dont je présenterai quelques exemples, sont, depuis, venus étayer cette relation et appréhender les mécanismes la sous-tendant.

L’horloge biologique moléculaire • L’horloge fonctionne, au niveau moléculaire, grâce à des facteurs de transcription.  Clock (pour circadian locomotor output cycles kaput) et Bmal1 (pour brain and muscle ARNt like protein 1) induisent l’expression des gènes Per (period) et Cry (cryptochrome). Per et Cry vont, en retour, réprimer l’activité de l’hétérodimère Clock/Bmal1. Les récepteurs nucléaires Rev-erb et ROR (pour Retinoic acid-receptor-related Orphan Receptor) interviennent en réprimant et activant, respectivement, l’expression de Bmal1 et Clock (figure  1). Ces facteurs, en s’autorégulant, génèrent et entretiennent des oscillations transcriptionnelles.

Figure 1. Contrôle circadien du métabolisme. Le mécanisme moléculaire de l’horloge est composé de facteurs de transcription qui, en s’autorégulant, génèrent des oscillations transcriptionnelles. Les modifications post-traductionnelles, en modifiant leur stabilité, contraignent le cycle à s’effectuer sur une période de 24 heures. Ces facteurs de transcription (Clock, Bmal1, Per, Cry, Rev-erb) répondent à des signaux métaboliques et nutritionnels, et, en retour, régulent des gènes clés des voies métaboliques. Ce dialogue permet d’ajuster très finement les régulations sur les changements prédictibles de l’environnement (veille/sommeil ; prise alimentaire/jeûne) et de séparer dans le temps des processus incompatibles.

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Par ailleurs, des modifications post-traductionnelles, telles que la phosphorylation, l’ubiquitinylation, l’acétylation, l’ADP-ribosylation ou la O-GlcNAcylation de ces protéines et/ ou de la chromatine, modulent leur stabilité ou leur accessibilité, respectivement, permettant à ces boucles transcriptionnelles de s’opérer sur une période de 24 heures [1]. • Le siège de l’horloge biologique dite « centrale », se situe dans les noyaux suprachiasmatiques de l’hypothalamus, un ensemble de neurones qui perçoivent la lumière au travers de l’axe hypothalamo-rétinien. Cette horloge centrale synchronise, avec le cycle jour/nuit, des horloges dites « périphériques », qui existent dans toutes les cellules du corps, y compris dans les organes métaboliques. Toutefois, les horloges périphériques peuvent également intégrer d’autres signaux locaux énergétiques (tels que l’abondance du NAD+ et le ratio AMP:ATP), hormonaux (glucocorticoïdes, par exemple) et nerveux, afin d’intégrer les conditions métaboliques locales. Il est aujourd’hui accepté que 5 à 20 % du transcriptome cycle y compris des transcrits encodant des protéines impliquées dans le métabolisme des lipides, du cholestérol, des acides biliaires ou de la phosphorylation oxydative, et des études récentes montrent des variations circadiennes du métabolome [2].

Gènes de l’horloge et métabolisme : les preuves expérimentales d’une relation très étroite • De nombreuses observations suggéraient depuis longtemps un lien entre horloge et métabolisme, mais ce n’est qu’en 2005 qu’a été démontrée, pour la première fois, une relation de cause à effet entre une mutation d’un gène de l’horloge et des altérations du métabolisme. Cette étude montrait que la souris porteuse d’une mutation du gène Clock est hyperglycémique, et devient obèse et résistante à l’insuline lorsqu’elle est nourrie avec un régime riche en graisse [3]. D’autres travaux ont souligné

l’importance de Clock dans l’absorption intestinale et la production hépatique des lipides, ainsi que dans le maintien de l’homéostasie glucidique. De nombreux autres modèles sont venus par la suite illustrer la relation étroite entre les gènes de l’horloge et le métabolisme (tableau I). En effet, la délétion de Bmal1 entraîne également des déséquilibres énergétiques (prise de poids et augmentation de la masse grasse, risque augmenté de développer une obésité), ainsi que des désordres lipidiques (hypertriglycéridémie, défauts d’absorption intestinale des lipides). Par ailleurs, Bmal1 joue également un rôle important dans la fonction musculaire, et une déficience de ce gène dans le muscle entraîne une myopathie et une altération du métabolisme musculaire du glucose. De façon étonnante, une délétion d’un gène de l’horloge, dans un tissu métabolique particulier ou dans un autre, peut donner lieu à des phénotypes apparemment contradictoires, soulignant la complexité de l’horloge métabolique. En effet, une délétion de Bmal1 au niveau du pancréas induit une hypoinsulinémie et une hyperglycémie, alors que sa délétion au sein des hépatocytes provoque une hypoglycémie pendant la période de repos (donc de jeûne). Pourtant, une délétion de Bmal1 spécifiquement dans la lignée myéloïde induit une inflammation du tissu adipeux accompagnée d’une prise de poids, d’une stéatose hépatique et du développement d’une insulinorésistance, lorsque les souris sont nourries avec un régime riche en graisse. De la même façon, une délétion de Bmal1 au sein des adipocytes a pour conséquences une obésité et une altération de la prise alimentaire. Les protéines Per1/2 et Cry1/2 interviennent, elles aussi, dans le maintien du poids corporel et le métabolisme du glucose (tableau I). • Si les protéines Clock, Bmal1, Per et Cry ont, depuis l’origine, été considérées comme des protéines de l’horloge à part entière, le rôle des facteurs de transcription et récepteurs nucléaires Rev-erb-D et Rev-erb-E a longtemps été restreint à un rôle de boucle de régulation accessoire, ajoutant à la stabilité des rythmes générés. Pourtant, un travail publié en 2012,

remettait ces deux protéines au centre du mécanisme moléculaire de l’horloge en montrant qu’une double délétion de Rev-erb-D et Rev-erb-E provoque une arythmie chez les souris mutantes [4]. Les Rev-erb modulent l’homéostasie lipidique et glucidique, ainsi que l’adipogenèse. En effet, des souris déficientes pour Rev-erb-D présentent des altérations de la synthèse des acides biliaires, une hypertriglycéridémie, ainsi qu’une stéatose hépatique, celle-ci étant encore plus prononcée chez la souris doublement mutante pour Rev-erb-D et Rev-erb-E. De plus, Rev-erb-D régule la différenciation des adipocytes en culture, ainsi que la fonction thermogénique du tissu adipeux brun, puisque les variations nycthémérales de la température corporelle sont perdues chez les souris mutantes [5]. Enfin, Rev-erb-D intervient dans l’équilibre glucidique en modulant la synthèse hépatique de glucose, ainsi que la production de l’insuline et du glucagon par le pancréas.

Couplage de l’horloge et du métabolisme par les signaux énergétiques • Il est intéressant de noter que si l’horloge exerce un contrôle circadien sur les voies métaboliques, l’état nutritionnel influence l’horloge de retour, permettant un dialogue constant. En effet, il a été montré, chez la souris, que la consommation d’un régime riche en graisses conduit à une perte de l’amplitude des rythmes d’expression des gènes de l’horloge et des voies métaboliques. De plus, la restriction de l’accès à la nourriture durant la journée (période de sommeil chez cette espèce nocturne) conduit à une augmentation significative de la prise de poids [6], alors que, de façon spectaculaire, la consommation de la même quantité de calories restreinte à la période de veille permet de lutter contre le développement de l’obésité, de la résistance à l’insuline et de la stéatose hépatique chez la souris [7]. • Plusieurs signaux pourraient permettre de mettre l’horloge au diapason

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Tableau I. Phénotype métabolique des mutants de l’horloge chez la souris [références, en matériel supplémentaire]. Modèle/mutant

Phénotype métabolique

Mutation de perte de fonction/délétion dans le gène Clock

Hyperphagie et prise de poids augmentée, hypertriglycéridémie et hypercholestérolémie, taux élevés de leptine, hyperglycémie et hypoinsulinémie à jeun; développement d’une obésité et d’une stéatose hépatique sur régime HFD [Turek et al, 2005] ; taille des îlots de Langerhans réduite et diminution de la sécrétion d’insuline [Marcheva et al, 2010] ; absorption intestinale des lipides modifiée et hypercholestérolémie conduisant au développement de l’athérosclérose lorsque les souris sont croisées dans un fond génétique susceptible au développement de la pathologie [Oishi K et al, 2006 ; Pan et al, 2009 ; Pan et al, 2013]. Délétion totale du gène Bmal1 Gluconéogenèse diminuée, altération des oscillations diurnes des taux de glucose [Rudic et al, 2004] ; augmentation de la masse grasse, perte des rythmes alimentaires, intolérance au glucose accompagnée d’une diminution des taux d’insuline [Lamia et al, 2008] ; morphologie et taille des îlots de Langerhans altérées, sécrétion d’insuline diminuée [Marcheva et al, 2010]. Délétion du gène Bmal1 dans les adipocytes Hypertriglycéridémie, obésité et altération des rythmes de prise des repas (et hyperphagie), exacerbée lorsque les souris sont nourries avec un régime HFD ; tolérance au glucose, sensibilité à l’insuline (mesurée par clamp hyperinsulinémique) et insulinémie normales [Paschos et al, 2012] ; hypertrophie des adipocytes confirmant l’effet de Bmal1 sur la différenciation adipocytaire observée in vitro [Shimba et al, 2005]. Délétion du gène Bmal1 spécifiquement Hyperglycémie et hypoinsulinémie, altération des modifications circadiennes de la tolérance dans le pancréas au glucose, réduction de la sécrétion d’insuline stimulée par le glucose mais contenu insulinique des îlots inchangé, accumulation d’espèces réactives de l’oxygène secondaire à un dysfonctionnement mitochondrial [Marcheva et al, 2010 ; Lee et al, 2013 ; Saddaca et al, 2011]. Délétion du gène Bmal1 spécifiquement Rythmes de la prise alimentaire normaux, hypoglycémie pendant la période de jeûne dans les hépatocytes accompagnée d’une meilleure tolérance au glucose, diminution du glycogène hépatique ; masse grasse inchangée [Lamia et al, 2008]. Délétion du gène Bmal1 spécifiquement Augmentation du poids des muscles mais morphologie conservée, glycémie normale mais dans le muscle squelettique réduction de la captation musculaire du glucose induite par l’insuline et de l’oxydation du glucose [Dyar et al, 2014]. Délétion du gène Bmal1 spécifiquement Obésité et résistance à l’insuline sur un régime HFD, accompagnées d’une infiltration de dans la lignée myéloïde monocytes/macrophages dans le tissu adipeux [Nguyen et al, 2013]. Délétion totale du gène Per2 Perte des rythmes alimentaires et prise de poids exacerbée sur un régime HFD, au moins partiellement due à une altération de l’expression hypothalamique de peptides contrôlant l’appétit [Yang et al, 2009]. Délétion totale des gènes Cry Intolérance au glucose associée à une augmentation des taux de corticostérone [Lamia et al, 2011]. Délétion totale du gène Rev-erb-D Augmentation des triglycérides [Raspé et al, 2002] ; diminution de la synthèse des acides biliaires [Duez et al, 2008] ; diminution du nombre et de l’activité des mitochondries au sein du muscle squelettique, accompagnée d’une incapacité à l’exercice physique et d’une augmentation de l’autophagie [Woldt et al, 2013] ; perte des variations circadiennes de la température corporelle [Gerhart-Hines et al, 2013]. Double délétion des gènes Rev-erb-D et Augmentation de la glycémie et des triglycérides, diminution des taux d’acides gras libres, Rev-erb-E altération des variations circadiennes du quotient respiratoire (témoin de la répartition des substrats – acides gras versus glucose – utilisés) [Cho et al, 2012] ; stéatose hépatique [Bugge et al, 2012]. HFD : high fat diet (régime riche en graisses).

du statut énergétique cellulaire. Tout d’abord, le ratio AMP:ATP qui, lorsqu’il augmente, active le capteur métabolique qu’est l’AMPK (pour AMP-activated protein kinase) et qui permet d’ajuster les réactions métaboliques aux besoins énergétiques de la cellule. L’AMPK module la stabilité de Cry1, liant ainsi la période du cycle nycthéméral au statut énergétique cellulaire. Le NAD+ renseigne également l’horloge sur le statut nutritionnel en activant la sirtuine cytoplasmique SIRT1, laquelle non seulement

régule l’activité de l’hétérodimère Clock/ Bmal1, participant ainsi aux oscillations circadiennes de plusieurs gènes de l’horloge, mais aussi module leur stabilité en participant à leur dé-acétylation, donc à leur dégradation [1]. D’ailleurs, les taux de NAD+ sont soumis à des variations circadiennes, puisque l’horloge contrôle l’expression de NAMPT (encore appelée visfatine), l’enzyme responsable de la synthèse du NAD+. Ceci permet une synchronisation temporelle entre l’activité de la cellule, et donc ses besoins

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en énergie, et la production de celle-ci. SIRT3 est une sirtuine mitochondriale qui désacétyle les enzymes mitochondriales, modulant ainsi l’oxydation des acides gras et la production d’ATP. Cette activité est elle aussi sous le contrôle de l’horloge dans le foie [8], permettant d’ajuster temporellement la production d’énergie aux besoins de la cellule. Chez la souris déficiente pour Bmal1, l’altération de l’horloge s’accompagne d’une diminution des taux de NAD+ et de l’activation de SIRT3, et provoque une transition

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depuis un métabolisme hépatique oxydatif vers un métabolisme glycolytique. Il en est de même au sein du muscle, où la production d’ATP par la phosphorylation oxydative mitochondriale est sous le contrôle de Rev-erb-D, dont la délétion, là encore, diminue l’activité mitochondriale et redirige l’activité métabolique vers un métabolisme glycolytique avec, en corollaire, une capacité moindre à l’exercice physique [9]. Il est d’ailleurs intéressant de soulever le fait que la délétion de Rev-erb-D (qui réprime Bmal1) et celle de Bmal1 (qui active Rev-erb-D) conduisent à un phénotype similaire, laissant à penser que la détérioration observée est liée à un dysfonctionnement général de l’horloge, au-delà des fonctions individuelles de ces deux gènes. • Ces données suggèrent que l’horloge est renseignée sur l’état énergétique de la cellule, ce qui lui permet, à la fois de séparer temporellement des processus incompatibles, et de synchroniser les fluctuations circadiennes du métabolisme au niveau transcriptionnel et post-traductionnel, de façon à anticiper les périodes d’activité/sommeil et de prise alimentaire/jeûne.

Données cliniques et épidémiologiques • De nombreuses données documentent la relation entre désordres de l’horloge et altérations métaboliques chez l’Homme. Tout d’abord, une réduction, même

passagère, du temps de sommeil et de sa qualité induit une détérioration des paramètres métaboliques, incluant des changements significatifs des taux de leptine et ghréline, augmentant la sensation de faim et la prise alimentaire, et une hyperglycémie, et pourrait prédire la survenue d’un DT2 [10]. De plus, des altérations métaboliques apparaissent à la suite d’une désynchronisation induite par un décalage – même temporaire – des rythmes biologiques. En effet, des sujets sains soumis à un rythme de vie de 28  heures présentent rapidement une diminution du taux sanguin de leptine et une augmentation significative de l’hyperglycémie post-prandiale et une hyperinsulinémie, démontrant ainsi l’effet délétère d’une altération des rythmes [11]. • Cette relation a, par ailleurs, été mise en évidence chez des travailleurs postés ou de nuit, chez lesquels une désynchronisation prolongée de l’horloge vis-à-vis de l’environnement entraîne une augmentation de la survenue de dyslipidémies, de l’obésité, du DT2 [12], et des conséquences cardiovasculaires avec une augmentation du risque de développer des lésions d’athérosclérose. • Enfin, plusieurs études ont associé des polymorphismes dans les gènes de l’horloge (Clock, Bmal1, Cry, Per et Rev-erb-D) à une incidence accrue de l’obésité, de l’hyperglycémie et du DT2. Par exemple, des polymorphismes indépendants dans le gène codant Rev-Erb-D sont associés avec un risque augmenté d’obésité et un changement d’activité physique. De

plus, un variant de Cry2 est associée à une hyperglycémie chez des sujets non diabétiques. De la même façon, des polymorphismes dans le gène codant pour Per2 sont associés à une hyperglycémie à jeun et à un risque accru de développer une obésité. Enfin, des variants du gène Clock sont associés avec une incidence augmentée d’obésité. Déclaration d’intérêt L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêt en lien avec le contenu de cet article. Remerciements Plusieurs sources ont financé le travail relatif à ce manuscript  : l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), le Contrat Plan Etat Région (CPER), la Région Nord Pas-de-Calais/FEDER, le Consortium européen Eurhythdia (FP7), l’ANR-Labex-EGID (EGID, ANR-10-LABX-46), un financement ITMO/AstraZeneca, la Société Francophone du Diabète (SFD) dans le cadre d’une bourse scientifique Merck Sharp & Dohme (MSD), l’European Foundation for the Study of Diabetes (EFSD) conjointement avec Eli Lilly. Abréviations AMPK : Adenosine Monophosphate-activated Protein Kinase ; BMAL1 : Brain and Muscle ARNT like protein 1 ; CLOCK  : Circadian Locomotor Output Cycles Kaput ; CRY  : Cryptochrome ; NAD : nicotinamide adenine dinucleotide ; NAMPT : nicotinamide phosphoribosyltransfèrase ; PER : period ; ROR : Retinoic acid-receptor-related Orphan Receptor ; SIRT : sirtuine.

Les points essentiels • Il existe de nombreux facteurs génétiques et environnementaux connus pour augmenter le risque de développement des maladies cardio-métaboliques. Parmi ceux-ci, les perturbations des rythmes biologiques ou du sommeil, ou des polymorphismes dans certains gènes de l’horloge, augmentent significativement le risque de développer une obésité, un diabète de type 2 et leurs conséquences cardiovasculaires. • L’horloge consiste en un oscillateur central, hypothalamique, qui agit en chef d’orchestre, et des oscillateurs périphériques, existant dans toutes les cellules, qui contrôlent la physiologie locale en intégrant les signaux énergétiques, hormonaux et nerveux. • L’impact d’un dérèglement des oscillations de l’horloge sur le métabolisme, et vice versa, a été clairement démontré grâce à des modèles murins de mutations des gènes de l’horloge, ou des modèles chez lesquels la prise alimentaire (horaire, nombre de calories) a été modifiée. • Chez l’Homme, de nombreuses études viennent corroborer ce lien et montrent un risque accru de perturbations métaboliques évoluant vers un diabète chez les sujets présentant des altérations des rythmes et du sommeil (travail posté, réduction du temps de sommeil ou de sa qualité – par exemple, apnée du sommeil) ou portant des polymorphismes dans les gènes de l’horloge. • Cette relation soulève la question d’une approche pharmacologique adaptée, prenant en compte les rythmes biologiques.

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Conclusion et perspectives • Les données expérimentales mettent en exergue le contrôle par les gènes de l’horloge des grandes voies métaboliques. La plupart des mutations de ces gènes résultent en des défauts de l’équilibre lipidique, glucidique et de maintien du poids corporel, associés ou non à des altérations de la prise alimentaire. Néanmoins, les observations récentes qu’une délétion d’un même gène dans un tissu ou un autre peut avoir des conséquences diverses, soulèvent une nouvelle complexité dans l’étude de ce dialogue horloge/ métabolisme. Ainsi, même si les bases moléculaires sont jetées, il reste beaucoup à faire pour comprendre comment le dialogue entre gènes de l’horloge et points clés du métabolisme s’établit. • Bien que ces données proviennent largement de modèles animaux expérimentaux, plusieurs études de polymorphismes chez l’Homme ont montré que des variants des gènes de l’horloge sont associés à des défauts de maintien de l’équilibre énergétique. De plus, l’observation qu’une réduction du temps de sommeil, ou le travail posté, augmente le risque de développer une obésité, un DT2 et leurs cortèges de conséquences cardiovasculaires (infarctus du myocarde, athérosclérose) viennent renforcer ce lien entre dérèglements de l’horloge et perturbations du système endocrinien et cardiovasculaire. • Face au nombre toujours croissant de personnes dont les rythmes endogènes sont contrariés, de nouvelles pistes doivent être suivies afin de palier aux conséquences de ces perturbations sur la santé. La luminothérapie a déjà fait ses preuves dans le traitement de la dépression saisonnière, mais l’effet de son action re-synchronisatrice des rythmes sur les paramètres métaboliques n’est pas connu ; il en va de même pour la mélatonine, utilisée dans le traitement des insomnies dues à de fréquents changements d’horaire. Une autre piste serait d’utiliser le potentiel de certains gènes de l’horloge à répondre à des hormones ou des molécules pharmacologiques comme c’est le cas du récepteur aux glucocorticoïdes ou de Rev-erb-D/E. Une étude récente a d’ailleurs posé les bases, en montrant que l’activation pharmacologique de Rev-erb permet de diminuer la prise de poids de souris nourries avec un régime riche en graisses. Enfin, il parait nécessaire de reconsidérer le potentiel de la chronobiologie, comme cela l’a été fait dans le domaine des traitements anti-cancéreux, pour lesquels l’heure de l’administration du traitement conditionne son efficacité, sa toxicité, et donc sa tolérance. L’intégration de cette notion sera importante dans le développement de nouvelles molécules et le choix de leur demi-vie et mode d’administration.

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