Symposium A 46 : Aspects fondamentaux et nouvelles perspectives dans le SAS
Génétique du syndrome d’apnées du sommeil
C. Gaultier
L
a composante héréditaire du syndrome d’apnées du sommeil (SAS) est documentée depuis longtemps par la description de familles comportant plusieurs membres atteints de SAS [1]. L’agrégation familiale du syndrome d’apnées a conduit récemment à étudier sa composante génétique. Le SAS est une pathologie génétique complexe impliquant des gènes de susceptibilité et des facteurs environnementaux. Le SAS présente un trait phénotypique majeur, l’index d’apnées-hypopnées (IAH), et des phénotypes intermédiaires tels que l’obésité, les anomalies des voies aériennes supérieures. La stratégie traditionnelle de mise en évidence de la composante génétique d’une pathologie complexe repose sur deux approches complémentaires : d’une part, des études d’association recherchant une relation significative entre phénotype et génotype, et d’autre part, l’analyse de ségrégation qui, si elle est informative, conduit à l’analyse de liaison génétique. Le principe de l’analyse de ségrégation est de mettre en évidence une vraisemblance maximum entre un modèle génétique théorique et celui de la pathologie étudiée. L’analyse de liaison génétique recherche sur l’ensemble du génome un pic de liaison significatif entre une ou plusieurs région(s) génomique(s) et le trait phénotypique étudié.
Identification d’un gène de susceptibilité
Service de physiologie, Hôpital Robert-Debré, 48, boulevard Sérurier, 75019 Paris. Correspondance :
[email protected] Rev Mal Respir 2006 ; 23 : 7S109-7S112 Doi : 10.1019/200530200
L’équipe de Buxbaum et coll. a réalisé une analyse de ségrégation auprès de 1 195 membres des familles de 177 patients Caucasiens avec un SAS (index d’apnées-hypopnées (IAH) > 15) [2]. Le trait phénotypique était l’IAH ajusté pour l’âge et le sexe. Cette analyse a défini le modèle du SAS comme un modèle avec transmission mendélienne récessive avec 30 % de la variance en faveur d’un gène majeur et 11 % en faveur de facteurs polygéniques et environnementaux. Après ajustement de l’IAH non seulement sur l’âge et le sexe, mais aussi l’IMC (index de masse corporelle), la vraisemblance pour un gène majeur diminuait chez les hommes, mais pas chez les © 2006 SPLF, tous droits réservés
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femmes. Cette analyse de ségrégation a été suivie d’une analyse de liaison génétique. L’analyse de liaison génétique a été conduite par Palmer et coll., en utilisant la méthode des paires de germains pour améliorer la puissance statistique (soit 349 membres des familles de 66 patients avec un SAS), et sur le génome des marqueurs microsatellites espacés de 9,1 cM (centiMorgan) ; l’IAH était le trait phénotypique [3]. Le LOD score obtenu était non significatif (< 3,3), mais évoquait un pic suggestif de liaison pour une région génomique du chromosome 2q (LOD score = 1,64) et du chromosome 19q (LOD score = 1,40). Cependant, avec l’IAH ajusté sur l’IMC, la valeur du LOD Score diminuait pour la région génomique du chromosome 2q (la liaison n’était donc pas spécifique du trait phénotypique, l’IAH), mais ne changeait pas pour le chromosome 19 (LOD score = 1,44), évoquant un gène de susceptibilité au SAS dans la région 13,2 du chromosome 2.
Rôle du génotype apolipoprotéine E dans le SAS Dans la région génomique 13,2 du chromosome 19q, est situé le gène codant pour l’apolipoprotéine E, qui possède 3 variants alléliques (E2, E3, E4). L’apolipoprotéine E a été montrée avoir une action protectrice contre l’agression neuronale (vieillissement, stress oxydatif, excitotoxicité), mais cette action varie en fonction des variants allèliques. Des études chez la souris ont montré que les variants E2 et E3 sont protecteurs et réparateurs tandis que le variant E4 ne protège pas contre la dégénérescence neuronale. Chez l’homme, le génotype E4 est présent dans 25 % de la population générale et chez 45 à 60 % des patients avec une maladie d’Alzheimer. Quatre études ont recherché une association entre le variant E4 et le SAS [4-7]. Deux études, seulement, ont montré une association significative entre un IAH > 15 et E4 [6, 7]. Il est donc difficile de conclure en l’absence de reproductibilité des études d’association. Une nouvelle étude d’association, publiée en 2006, conduite chez 1 211 membres de familles de patients (55 % de Caucasiens) avec un IAH > 15 et génotypés pour les variants E4 et E2 du gène de l’apolipoprotéine (ApoE), n’a pas trouvé d’association avec le variant E4 mais a en revanche observé une association significative avec le variant E2 (odds ratio de 1,72 pour les personnes âgées de 18 à 60 ans) [8]. Une nouvelle analyse de liaison génétique a été effectuée sur un échantillon de 201 membres de 56 familles Caucasiennes. Cette étude a utilisé des marqueurs microsatellites espacés, non plus de 9,1 cM [3], mais de 2 cM dans la région génomique du pic de liaison du chromosome 19q précédemment identifiée [3]. Cet affinement du criblage génétique (dit fine mapping) a montré une augmentation du LOD score (passant de 1,44 à 2,51), suggérant une liaison génétique avec ApoE E4 [8]. Cependant, l’analyse statistique avec les génotypes E4 et E2 en 7S110
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co-variables a montré que : le variant E2 n’était pas responsable du pic de liaison (LOD score inchangé), et que la faible réduction du LOD score obtenue avec le variant E4 comme co-variable (de 2,51 à 1,50) n’était pas suffisante pour que le variant E4 soit considéré comme responsable du pic de liaison génétique. Cette étude montre que le variant E4 n’est pas impliqué dans la susceptibilité génétique du SAS. Cependant, d’autres gènes de la région génomique identifiée du chromosome 19q peuvent jouer un rôle.
L’apolipoprotéine E4 et les troubles cognitifs du SAS O’Hara et coll. ont mené une étude chez 36 patients âgés de 70 ans en moyenne, avec IAH et génotype renseignés et réalisation de tests cognitifs [9]. Ces auteurs ont observé une relation négative entre l’IAH et un score de mémoire chez les patients porteurs du variant E4. Ainsi, le variant E4 du gène de l’ApoE pourrait être un facteur de susceptibilité pour des troubles cognitifs chez les patients atteints de SAS. Une équipe a récemment étudié les mécanismes physiopathologiques entre les troubles cognitifs et la perte de fonction du gène d’ApoE chez la souris. Les souris ApoE -/- (perte de fonction du gène ApoE) et des souris sauvages ont été exposées à 14 jours d’hypoxie intermittente [10]. Des tests de mémoire spatiale et des études histochimiques au niveau de l’hippocampe ont été pratiquées. Les souris -/- avaient des anomalies de mémoire spatiale et des réponses oxydatives et inflammatoires au niveau de l’hippocampe significativement plus importantes que celles observées chez les souris sauvages. L’absence d’ApoE augmente donc la susceptibilité à l’hypoxie intermittente. Ainsi, les patients atteints de SAS et porteurs du génotype APoE E4 auraient une susceptibilité génétique pour la survenue de troubles cognitifs.
Phénotype intermédiaire : l’obésité Deux traits phénotypiques de l’obésité ont été étudiés: l’IMC et la leptine plasmatique. Les relations entre l’obésité et le SAS, souvent associés chez l’homme, sont complexes (fig. 1). D’une part, l’obésité peut agir sur le SAS par l’intermédiaire de facteurs tels que des anomalies du contrôle ventilatoire, une réduction des volumes pulmonaires ou encore l’étroitesse des voies aériennes supérieures ; d’autre part, le SAS peut retentir sur l’obésité par le biais de la fragmentation du sommeil, l’hypoxie intermittente ou la résistance à la leptine [11]. Enfin, des gènes de susceptibilité du SAS ainsi que ceux de l’obésité peuvent modifier ces interactions.
Trait phénotypique : l’IMC Palmer et coll. ont mené une analyse de liaison génétique avec l’IMC, comme trait phénotypique, chez des Caucasiens
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Phénotypes intermédiaires : anomalies des VAS et du contrôle ventilatoire
Fig. 1.
Relations entre obésité et SAS (d’après réf. [11])
(349 membres de la famille de 66 patients) et des AfricainsAméricains (277 membres de la famille de 59 patients) avec un IAH > 15 [3, 12]. Ils ont observé chez les Caucasiens des pics de liaison avec des LOD scores de 3,08, 2,57, et 3,41 respectivement pour des régions génomiques sur les chromosomes 2, 7 et 12. Mais, après ajustement de l’IMC pour l’IAH, les LOD scores ont diminué. [3]. Chez les Africains-Américains, les LOD scores étaient de 2,63, 2,56, et 2,08 respectivement pour des régions génomiques sur les chromosomes 4, 8 et 10 et diminuaient après ajustement pour l’IAH [12]. L’IMC n’apparaît pas comme un trait phénotypique pertinent pour les études de liaison génétique dans le SAS.
Trait phénotypique : la leptine plasmatique La leptine est l’hormone qui stimule la satiété [13]. Elle active des récepteurs spécifiques au niveau des neurones hypothalamiques à pro-opiomélanocortine et inhibe les neurones hypothalamiques à neuropeptide Y. Le taux plasmatique de leptine est augmenté chez les patients obèses, cette élévation serait responsable d’une insensibilité (résistance à la leptine). Une équipe a effectué une analyse de liaison génétique (402 marqueurs microsatellites espacés de 10 cM) avec le taux de leptine plasmatique comme trait phénotypique chez 160 paires de germains, membres de 59 familles (69 % d’Africains Américains, IMC moyen à 30,5, taux de leptine moyen à 20,2 ng/ml, 35 % avec un IAH > 15, 10 % de patients diabétiques) [14]. Les auteurs ont observé des pics de liaison suggestifs ou significatifs pour des régions génomiques des chromosomes 2, 3, 4, et 21. Dans la région génomique du chromosome 2 concernée, est situé le gène de l’IRS1 (Insulin Receptor Substrate 1) et dans celle du chromosome 3 est situé le gène de la GSK3ß (Glucogen synthetase kinase-3 beta). Les auteurs concluaient que les pics de liaison observés avec le taux plasmatique de leptine sont en rapport des régions génomiques où se situent des gènes plus impliqués dans la physiopathologie du syndrome métabolique associé au SAS que dans celle de l’obésité.
D’autres phénotypes intermédiaires peuvent intervenir dans la susceptibilité génétique du SAS. Schwab a récemment revu toutes les anomalies des VAS qui pourraient être liés à des déterminants génétiques de la susceptibilité au SAS : tissu adipeux (gènes de susceptibilité pour l’obésité), structures anatomiques (gènes de l’Edn1, FGF, TGF...), gènes impliqués dans le développement des tissus mous et de la langue (MyoD, Myf-5...) [15]. Deux travaux récents ont, d’autre part, montré l’absence d’association entre des polymorphismes des gènes des récepteurs 2A et 2C de la sérotonine ou du gène du transporteur de la sérotonine et le SAS [16, 17]. Enfin, Redline et coll. ont observé que des membres non atteints de familles de SAS avaient une diminution de la réponse à l’hypoxie par rapport à des membres de familles de sujets non porteurs de SAS [18].
En conclusion La donnée récente la plus pertinente est que le variant allèlique E4 du gène codant pour l’apolipoprotéine E ne semble pas avoir de rôle dans la susceptibilité du SAS, mais il serait un facteur de risque pour les troubles cognitifs du SAS. Pour avancer dans la compréhension de la génétique du SAS, plusieurs orientations peuvent être proposées : (i) réévaluer la pertinence des traits phénotypiques utilisés, étudier la génétique de susceptibilité aux complications du SAS (tels que les troubles cognitifs, la dépression, etc.) ; (ii) étudier le phénotype de souris invalidées pour des gènes d’intérêt ; (iii) utiliser de nouvelles méthodes d’épidémiologie génétique avec un modèle statistique adéquat et une population suffisamment importante [19]. Dans la pratique quotidienne, en raison de la composante héréditaire du SAS, il faut avoir une attitude de dépistage en pensant en présence d’un adulte avec un SAS à rechercher des symptômes du SAS chez ses enfants et, à l’inverse, rechercher un SAS chez les parents en présence d’un enfant atteint de SAS.
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