La Revue de médecine interne 32 (2011) e52–e54
Cas clinique
Gravité de l’amylose AL de localisation digestive Seriousness of AL amyloidosis involving the intestinal tract M. Pavic a,∗ , C. Camus a , F. Pasquet a , L. Karkowski a , E. Galoo b , A. Nibaud a , P. Debourdeau a a b
Service de médecine interne–oncologie, HIA Desgenettes, 108, boulevard Pinel, 69003 Lyon, France Service de pathologies digestives, HIA Desgenettes, 108, boulevard Pinel, 69003 Lyon, France
i n f o
a r t i c l e
Historique de l’article : ´ Disponible sur Internet le 23 fevrier 2011 Mots clés : Amylose Amylose AL Tube digestif Pronostic
r é s u m é L’atteinte du tube digestif chez les patients porteurs d’amylose systémique est quasi constante mais rarement symptomatique. En outre, la symptomatologie clinique n’est pas spécifique. Cette atteinte est rarement isolée. Nous rapportons l’observation d’un patient de 64 ans présentant une amylose AL d’expression uniquement digestive et insistons sur la gravité de cette localisation. © 2010 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
a b s t r a c t Keywords: Amyloidosis AL amyloidosis Digestive tract Prognosis
Systemic amyloidosis usually does not spare the digestive tract but its involvement is rarely symptomatic. The clinical manifestations are not specific. We report a 64-year-old patient, presenting with a weight loss related to an AL amyloidosis. The amyloidosis was apparently limited to the digestive tract. We discuss the various presentations of the digestive amyloidosis and we insist on the seriousness of this localization. © 2010 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
L’amylose AL est une thésaurismose caractérisée par des dépôts extracellulaires de fibrilles amyloïdes composées en grande partie de chaînes légères d’immunoglobulines monoclonales. Son expression est le plus souvent systémique (atteinte rénale, cardiaque, digestive, cutanée, articulaire et nerveuse). Nous rapportons l’observation d’un patient présentant une amylose d’expression uniquement digestive révélant un myélome multiple et insistons sur la gravité de cette localisation. 1. Observation Un homme de 64 ans était hospitalisé en octobre 2007 pour altération de l’état général, douleurs abdominales et alternance de diarrhée et de constipation. On notait une perte de poids (20 kilos en un mois) associée à une intolérance alimentaire et des vomissements. Il était apyrétique. L’examen clinique était non informatif, hormis la cachexie
∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (M. Pavic).
(pas de macroglossie, pas de signe de l’épaulette, pas de neuropathie. . .). Les examens biologiques étaient en faveur d’une entéropathie exsudative (albumine à 13 g/L en l’absence d’insuffisance hépatocellulaire et de fuite urinaire), avec malabsorption (effondrement du fer sérique, de la calcémie, des folates, des lipides et baisse du TP à 55 %) et syndrome inflammatoire modéré. La protéinurie était mesurée à 0,30 g/24 heures. Le dosage des facteurs V, IX et X de la coagulation était normal, tandis que celui des facteurs II, VII était abaissé autour de 55 %. Le scanner trouvait un aspect d’œdème sous-muqueux régulier du cadre duodénal et un pseudoépaississement circonférentiel régulier de la paroi jéjunale, avec rehaussement muqueux marqué et de nombreux ganglions mésentériques de petit diamètre, de densité et de contours aspécifiques (Fig. 1). La coloscopie était normale. La gastroscopie montrait une duodénite infiltrée et ulcérée, sans relief villositaire (Fig. 2). Un lymphome du grêle était évoqué mais non retrouvé sur les biopsies intestinales, le prélèvement montrant la présence d’une infiltration plasmocytaire et macrophagique associée à une atrophie villositaire. L’aspect histologique était très évocateur d’une maladie de Whipple mais la coloration au
0248-8663/$ – see front matter © 2010 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.revmed.2009.09.040
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Fig. 1. Examen tomodensitométrique abdominal. Œdème sous-muqueux de l’intestin grêle.
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à 567 mg/L (n < 26,3), avec un rapport kappa/lambda très pathologique à 0,05. L’association d’une entéropathie exsudative et d’une gammapathie monoclonale faisait évoquer le diagnostic d’amylose digestive. Ce diagnostic était confirmé par la coloration au rouge Congo très positive et les immunomarquages des dépôts amyloïdes exprimant de fac¸on prédominante les chaînes lambda sur les biopsies duodénales. Le myélogramme notait une plasmocytose médullaire estimée à environ 30 % signant le myélome associé. Plusieurs lacunes osseuses étaient visualisées sur les radiographies simples (myélome de stade III). Le bilan d’extension de cette amylose confirmait l’atteinte digestive isolée. La fonction rénale était respectée (pas de diminution de la clairance de la créatinine estimée par la formule de Cockroft). La recherche d’une atteinte cardiaque associée était aussi négative (pas de signe de cardiopathie amyloïde en échographie ni d’élévation de la troponine ou du NT-pro-BNP). Une première cure de melphalan et dexaméthasone était administrée mais rapidement compliquée de neutropénie et d’infection pulmonaire, malgré des perfusions de gammaglobulines prophylactiques. Puis, survenait une hématémèse en l’absence de thrombopénie ou de majoration des troubles de l’hémostase (TP stable à 55 % et TCA à 1,4 fois le témoin), avec à la gastroscopie et l’entéroscopie, une hémorragie en nappe de l’ensemble de la paroi digestive visionnée. Le traitement symptomatique (inhibiteur de la pompe à protons, acide tranexamique) était efficace. Il pouvait recevoir une seconde cure de chimiothérapie (bortézomib et dexaméthasone). Le décès survenait moins de deux mois après le début de prise en charge par récidive de l’hémorragie digestive. 2. Discussion
Fig. 2. Endoscopie digestive haute. Duodénite infiltrée et ulcérée, sans relief villositaire.
PAS était très peu positive et la recherche de Tropheryma whippleii par PCR était négative. L’électrophorèse des protéines sériques (EPS) montrait une profonde hypogammaglobulinémie initialement attribuée à l’entéropathie exsudative. Cet examen montrait, en outre, un pic monoclonal migrant dans les -globulines (IgG lambda), mesuré à 12 g/L. Le dosage des chaînes libres sériques kappa était normal mais celui des chaînes libres sériques lambda était très augmenté
Les amyloses sont des maladies de surcharge héréditaires ou acquises dues à des dépôts extracellulaires d’une substance amorphe (substance amyloïde). Parmi les amyloses acquises, la protéine responsable peut, par exemple, être une chaîne légère d’immunoglobuline monoclonale (amylose AL) ou une protéine normale présente en excès du fait d’une inflammation chronique (amylose AA) ou d’une insuffisance rénale (2-microglobuline). Le diagnostic est histologique : du fait de leur structure bêta plissée, les dépôts amyloïdes présentent une biréfringence verte en lumière polarisée après coloration par le rouge Congo. L’amylose AL est une complication rare mais grave des dyscrasies plasmocytaires. Elle peut compliquer le cours évolutif du myélome multiple (habituellement tardivement), avec une fréquence pouvant aller jusqu’à 6 à 15 % et même jusqu’à 38 % en cas de biopsies systématiques chez des patients asymptomatiques révélant alors une amylose AL occulte [1]. Le risque relatif d’amylose AL chez un patient atteint de gammapathie monoclonale de signification indéterminée est estimé entre 8,4 et 16,3 selon les études [2]. L’atteinte du tube digestif est quasi constante chez les patients porteurs d’amylose systémique mais tous les patients n’ont pas des symptômes digestifs [3]. L’atteinte amyloïde du tractus digestif concerne, en effet, 70 à 100 % des patients (toutes formes d’amylose confondues) et 70 % des cas d’amylose AL [3]. Souvent, le diagnostic d’amylose digestive est difficile. Un nombre important de patients porteurs d’une amylose digestive documentée est asymptomatique : seuls 30 à 60 % présentent des symptômes digestifs [4,5]. Lorsque des symptômes sont présents, ceux-ci sont aspécifiques : • • • • •
douleurs abdominales (50 %) ; troubles digestifs à type de diarrhée ou de constipation (47 %) ; perte de poids (39 %) ; altération de la motilité intestinale (39 %) ; perforation digestive spontanée (16 %) ;
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• hémorragie digestive extériorisée (39 %) ; • infarctus intestinaux [4,6–9]. D’autres symptômes ont été rapportés : • • • •
pseudo-obstruction intestinale ; incontinence anale ; mégacôlon ; malabsorption par entéropathie exsudative [10].
La macroglossie est un symptôme caractéristique de l’amylose AL et est présente dans 25 % des cas. James et al. [4] ont montré sur une série de 235 patients atteints d’amylose que le diagnostic pouvait être fait grâce à l’endoscopie digestive dans 84 % des cas. Les signes endoscopiques étaient variés et non spécifiques. Lorsque l’endoscopie était réalisée en dehors d’une hémorragie digestive, les trois quarts des sujets avaient un examen endoscopique normal [4,11]. Les aspects endoscopiques possibles sont : une apparence granuleuse de la muqueuse, des hématomes sous-muqueux, des polypes (pouvant être le résultat de dépôts intenses de protéine AL dans des régions circonscrites), un épaississement des plis muqueux, des érosions superficielles ou des ulcérations [5,6]. L’aspect d’atrophie villositaire qui était retrouvé chez notre patient n’est pas un aspect classique des atteintes digestives de l’amylose et mérite d’être signalé. L’amylose peut atteindre le tractus gastro-intestinal sous la forme de plages localisées ou de fac¸on diffuse. Les hémorragies intestinales peuvent parfois être massives mais restent une présentation rare. Elles peuvent (rarement) révéler l’amylose (25 % des cas) [6,7]. Lorsqu’elles sont inaugurales, des signes extradigestifs d’amylose sont le plus souvent associés. Yood et al. [12] ont montré que sur 100 patients atteints d’amylose, 41 patients avaient eu un ou plusieurs épisodes d’hémorragie, dont 18 des hémorragies digestives. Les lésions diffuses de l’amylose digestive sont plus sujettes aux hémorragies. L’hémorragie peut provenir d’un ulcère, sur une région visiblement infiltrée ou, plus couramment, d’un suintement généralisé sans lésion identifiable [7,9]. Kaiserling et Krober [13] ont émis l’hypothèse que la réduction de la motilité intestinale et l’augmentation de la rigidité de la musculaire muqueuse entraînaient des forces de cisaillement (créées par la présence de tensions mécaniques) conduisant à des déchirures de la musculaire muqueuse et à des hémorragies massives. Les dépôts amyloïdes réduiraient la mobilité de la musculaire muqueuse par rapport à la muqueuse et la sous-muqueuse. Les sites les plus habituels de dépôts amyloïdes dans le tube digestif sont les veines et artères de la sous-muqueuse et de la muscularis propria. Les vaisseaux lymphatiques de la sous-muqueuse et de la sous-séreuse sont également impliqués, de même que la musculaire muqueuse. Les dépôts amyloïdes entraîneraient une fragilité vasculaire favorisant le saignement. Des troubles de coagulation sont rarement retrouvés. Chez notre patient, le TP était à 55 %, en rapport avec la malabsorption. Les endoscopies digestives avaient retrouvé un suintement généralisé sans lésion identifiable, en faveur d’une atteinte diffuse du tube digestif et de contraintes mécaniques à l’origine du saignement. L’amylose digestive a un mauvais pronostic : au moins 16 % des sujets décèdent de complications de l’amylose dans le mois suivant le diagnostic (complications hémorragiques, dénutrition sévère liée à la malabsorption). La médiane de survie est de 12 mois [4,11]. L’exérèse chirurgicale peut occasionnellement être utile et efficace dans l’amylose digestive localisée [3]. Dans les formes diffuses, le traitement est difficile et mal codifié. Le traitement symptomatique de l’hémorragie digestive consiste en la mise à jeun, la nutrition
parentérale, ainsi que d’autres mesures symptomatiques : transfusions, traitement par inhibiteur de la pompe à protons et traitement hémostatique (antifibrinolytique). Concernant le traitement étiologique, divers traitements ont été testés : melphalan et prednisone, colchicine, diméthylsulfoxide, D-pénicillamine. La supériorité du traitement par melphalan et dexaméthasone par rapport aux autres traitements a été démontrée. Tout récemment, le bénéfice de l’autogreffe a été remis en question [14]. Sur 100 patients, le traitement par fortes doses de melphalan suivi d’une autogreffe de cellules souches n’était pas supérieur au traitement standard par melphalan et dexaméthasone. Des essais thérapeutiques spécifiques testant les nouveaux médicaments du myélome (inhibiteurs des protéasomes, thalidomide, lénalidomide) permettront de préciser la place de ces thérapeutiques dans l’amylose AL. 3. Conclusion L’amylose AL peut être de diagnostic difficile lorsque les symptômes digestifs sont isolés. Les manifestations digestives sont, en effet, totalement aspécifiques. L’hémorragie digestive est rarement le symptôme initial mais elle n’est pas rare au cours de l’évolution. Le traitement de l’hémorragie est difficile, car il n’existe le plus souvent pas de lésion identifiable. Le traitement reste symptomatique, sans oublier le traitement spécifique de l’amylose. Malgré tout, le pronostic de l’amylose digestive reste redoutable avec une survie à 12 mois de l’ordre de 50 %. Conflit d’intérêt Aucun des auteurs n’a de conflit d’intérêt relatif aux données publiées dans cet article. Références [1] Desikan KR, Dhodapkar MV, Hough A, Waldron T, Jagannath S, Siegel D, et al. Incidence and impact of light chain associated (AL) amyloidosis on the prognosis of patients with multiple myeloma treated with autologous transplantation. Leuk Lymphoma 1997;27:315–9. [2] Kyle RA, Therneau TM, Rajkumar SV, Offord JR, Larson DR, Plevak MF, et al. A long-term study of prognosis in monoclonal gammopathy of undetermined significance. N Engl J Med 2002;346:564–9. [3] Béchade D, Carmoi T, Algayres J-P. Amylose digestive (foie exclu). EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Gastroentérologie 9-089-C-15, 2008. [4] James DG, Zuckerman GR, Sayuk GS, Wang HL, Prakash C. Clinical recognition of AL type amyloidosis of the luminal gastrointestinal tract. Clin Gastroenterol Hepatol 2007;5:582–8. [5] Repiso A, Valle J, Rodriguez-Merlo R, Munoz-Rosas C, Bolano F, Alvarez J. Gastrointestinal bleeding and small bowel amyloidosis. Rev Esp Enferm Dig 2003;95:578–80 [575–577]. [6] Chang SS, Lu CL, Tsay SH, Chang FY, Lee SD. Amyloidosis-induced gastrointestinal bleeding in a patient with multiple myeloma. J Clin Gastroenterol 2001;32:161–3. [7] Levy DJ, Franklin GO, Rosenthal WS. Gastrointestinal bleeding and amyloidosis. Am J Gastroenterol 1982;77:422–6. [8] Usui M, Matsuda S, Suzuki H, Hirata K, Ogura Y, Shiraishi T. Gastric amyloidosis with massive bleeding requiring emergency surgery. J Gastroenterol 2000;35:924–8. [9] Chang HS, Myung SJ, Yang SK, Jung HY, Lee GH, Hong WS, et al. Massive small bowel bleeding in a patient with amyloidosis. Gastrointest Endosc 2004;59:126–9. [10] Alvares JF, Thomas J, Ramakrishna K, Rao L, Rao AC. Multiple myeloma with amyloidosis presenting with recurrent gastrointestinal bleeding. Indian J Gastroenterol 2003;22:196. [11] Lau CF, Fok KO, Hui PK, Tam CM, Tung YM, Wong MC, et al. Intestinal obstruction and gastrointestinal bleeding due to systemic amyloidosis in a woman with occult plasma cell dyscrasia. Eur J Gastroenterol Hepatol 1999;11:681–5. [12] Yood RA, Skinner M, Rubinow A, Talarico L, Cohen AS. Bleeding manifestations in 100 patients with amyloidosis. JAMA 1983;249:1322–4. [13] Kaiserling E, Krober S. Massive intestinal hemorrhage associated with intestinal amyloidosis. An investigation of underlying pathologic processes. Gen Diagn Pathol 1995;141:147–54. [14] Jaccard A, Moreau P, Leblond V, Leleu X, Benboubker, Hermine O, et al. Highdose melphalan versus melphalan plus dexamethasone for AL amyloidosis. N Engl J Med 2007;357:1083–93.