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LES GREFFES
Greffe d’organes et Islam : une quête en climat de réticence ! Correspondance M.S. Ben Ammar, à l’adresse ci-contre. e-mail :
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M.S. Ben Ammar Service d’Anesthésie Réanimation, CHU Mongi Slim, Sidi Daoud 2046, Tunisie.
Résumé En Islam l’homme est seul responsable de ses actes devant Dieu. Nul ne peut dicter la conduite à un autre au nom de cette religion. Les références éthiques sont claires et la préservation de la vie prime sur tous les interdits. La règle de nécessité abroge les interdits à partir du moment où l’intérêt commun ou individuel le dicte. À partir de cette lecture des textes le don d’organes et leur greffe deviennent non seulement licites mais vivement recommandés au nom de la religion. C’est d’ailleurs l’avis exprimé clairement par l’ensemble des instances religieuses depuis plus de trois décennies. Les musulmans qui refusent le don d’organes et qui le font au nom de la religion sont seuls responsables de leur choix. Plusieurs raisons laissent penser que ce refus se justifie par d’autres raisons non exprimées. Mots-clés : Islam - don d’organes - greffe d’organes - solidarité - règle de nécessité Summary Organ grafting and Islam: search in a climate of silence Ben Ammar MS. Ethique & Sante 2004; 1: 211-215
According to Islam, man is solely responsible for his acts before God. No one can, in the name of Islam, dictate the conduct of another. The ethical references are very clear and the preservation of life predominates over all other interdictions. The rule of necessity overrides interdictions whenever required by the necessities of common or individual interest. This reading of the texts makes organ transplantation not only licit but also highly recommended in the name of Islam. This is the opinion clearly expressed by religious leaders for more than three decades. Muslims who refuse organ transplantations, and who do so in the name of Islam, are making an individual choice. There are several reasons to believe that such refusals are based on unexpressed reasons. Key words: Islam - organ donation - organ transplantation - solidarity - rule of necessity
« O gens du Livre! Ne sortez pas de la juste mesure dans votre religion et ne dîtes sur Dieu que la vérité ». Sourat4 Verset 171.
I
l y a quelques mois, dans un hôpital universitaire les parents d’un jeune homme de 18 ans d’origine maghrébine en état de mort encéphalique avaient invoqué l’argument de l’Islam pour expliquer leur refus du don des organes de leur fils. Cette banale histoire n’aurait rien d’exceptionnel si le père travailleur immigré bien intégré dans la société française, n’avait pas lui-même été greffé quelques mois plus tôt à partir d’un donneur cadavérique. Cette anecdote, rapportée par le médecin qui avait sollicité le don, lui-même musulman et d’origine maghrébine, nous interpelle pour au moins trois raisons : beaucoup de médecins en occident acceptent cette argumentation tant la religion musulmane est perçue comme une religion rétrograde empreinte de fatalisme, de juridisme et même de fanatisme. Pourtant le don et la greffe d’organes sont pratiqués dans la plupart des pays musulmans depuis plus de vingt ans avec l’approbation des autorités religieuses nationales et supranationales. Enfin autant, certains musulmans vivent tout progrès comme une acculturation et autant, pour d’autres l’urgence serait de « prendre pied » dans le monde moderne ou risquer de « perdre pied » définitivement ! En réalité, l’Islam est loin d’être un obstacle au progrès, ainsi que cela sera démontré plus loin, mais il a été instrumentalisé par tous. La question greffe d’organes et Islam l’illustre parfaitement. Ceci a (permis d’) occulter les réels obstacles au développement de cette thérapeutique, c’est-à-dire les insuffisances techniques, médicales, éducationnelles ou économiques existantes.
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Greffe d’organes et Islam : une quête en climat de réticence !
Indéniablement, la religion a pris une place démesurée dans la vie quotidienne des musulmans. Tous les acteurs ont esquivé les vrais problèmes. L’impact réel des lois émises en toute bonne foi, mais parfois à la hâte n’a pas été mesuré, car comme le dit FlissTrêves, « plus le contenu d’une loi est grave, moins l’élaboration doit en être précipitée et monopolisée » [1]. Les répercussions des pratiques quotidiennes sur l’exigence éthique ont été sous évaluées, aux dépends des questions théologiques.
Le don et la greffe d’organes sont pratiqués dans la plupart des pays musulmans depuis plus de 20 ans. Le don d’organe se situe uniquement dans le registre du symbole : « À l’inverse d’être un signe de générosité sociale, les greffes d’organes introduisent une faille dans le lien social, elles modifient la morale collective… » [2]. Cette face cachée de la greffe a pris des proportions inquiétantes. Un dialogue défaillant a ébranlé la confiance des familles dans le corps soignant, intermédiaire professionnel incontournable dans cette dynamique. Or cette confiance entre les trois partenaires, donneurs, receveurs et corps médical ne se bâtit que sur une communication soutenue, sur une valorisation du citoyen et de l’acte, sur une reconnaissance de l’expertise des soignants, sur un équilibre des connaissances permettant un dialogue équilibré. Elle est conditionnée par la gratuité, l’anonymat. En l’absence d’équité du système de santé, rien n’est possible. Bref, autant de questions non réglées dans un monde musulman en proie à des soubresauts. Dans ces conditions le plus aisé aura été de dévier le débat sur le don d’organes vers la question religieuse.
Islam et lois Afin de mieux saisir les fondements du raisonnement sur lesquels seront bâtis les différents avis, il est souhaitable de rappeler quelques principes en Islam. 212
Les références en Islam L’Islam est la dernière des religions révélées, il se réclame de l’universalisme Abrahamique. En Islam, la norme est la parole du Créateur créatrice du droit, c’est le Coran. Le Coran Il contient les paroles de Dieu. Il est inaltérable « Voici l’Écrit que nul doute n’entache, en guidance à ceux qui veulent se prémunir » S2 V2 Il donne une synthèse globale de tout et comprenant des thèmes variés comme les lois canoniques, la jurisprudence, l’histoire, la philosophie, l’éthique les systèmes sociaux et bien d’autres sujets. Selon les lectures 200 à 500 versets, sur un total de 6 236, sont à normativité juridique. Mais « Si certains versets du Coran sont clairs et règlent un problème bien précis. D’autres au contraire poseront des principes généraux qui auront besoin d’être détaillés et approfondis pour constituer véritablement du droit » [3]. Dans ce cas le recours à d’autres procédés s’impose. Enfin, le texte oral a été écrit pour la première fois vers 650, soit près de 20 ans après la mort du prophète Mohamed. La Sunna (traditions du prophète Mohammed) et le Hadith (l’équivalent des évangiles) Ce sont des sources de lois en Islam « Nous vous avons envoyé un prophète parmi vous, il vous communique nos signes, Il vous purifie, Il vous enseigne le Livre et La sagesse, Il vous enseigne ce que vous ne savez pas » S2 V151. Dans une hiérarchie de références bien établies, ils viennent tout de suite après le Coran ; mais la véracité de plusieurs hadiths est douteuse. El Ijmaä Ce sont les consensus que dégagent les musulmans à partir des sources émanant ou relevant du texte sacré ou de la Sunna, sont aussi des sources tout à fait reconnues. Il définit conformément à des « ultimités », c’est-à-dire la fin dernière et les causes premières les principes de méthodes différents, le convenable, le bien commun, la continuité, la fermeture des voies vers l’illicite, le principe de nécessité et les principes de possibilité. El Qyas El Qyas est une autre source de droit en Islam, c’est une technique de raisonnement par analogie. « C’est donc établir
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un rapport de similitude entre une chose dont la loi n’a pas parlé et une chose dont la loi a parlé. ». Le fikh À ces quatre piliers vient s’ajouter le fikh : droit musulman issu de la réflexion des hommes de religion. Il l’assimile au regard de Dieu posé sur les hommes qui traite des dogmes, des rites, du droit et de la moralité en Islam.
Une éthique islamique : principes et contradictions Une image caricaturale de la religion musulmane est véhiculée, il n’en demeure pas moins que de légitimes questions d’éthique se posent ici et là, peutêtre en raison d’une lecture fondamentaliste du Coran par certains. À titre d’illustration, il est prescrit aux musulmans de diffuser la parole de Dieu, mais de l’assimiler automatiquement au djihad et à la guerre sainte est abusif. Il est clairement dit dans le Coran « Combattez dans le chemin de Dieu, ceux qui vous combattent et n’agressez point » S 11 V190. On pourrait de la même façon aborder la question du statut de la femme ou de la polygamie. En réalité, la multiplicité des moments et des lieux où se jouent les choses pour les musulmans ne permet pas de parler d’un Islam. La tolérance et l’intolérance des hommes au nom de cette religion ont souvent été conditionnées par des facteurs économiques ou politiques. Toutefois des constantes existent dans la conduite d’un musulman. Les références éthiques sont claires [4]. Ainsi, il ne devrait prendre position concernant un problème précis, en l’absence de textes clairs, qu’en s’appuyant sur sa propre réflexion. Il n’y a pas de clergé en Islam ! L’homme est seul responsable de ses choix devant Dieu « redoutez le jour : où nul ne sera récompensé pour autrui, où nulle intercession ne sera acceptée, où nulle compensation ne sera admise, où personne ne sera secouru » S II V 48. La vision du monde pour un musulman ne doit pas être statique. L’approfondissement des connaissances est une obligation en Islam « Dieu élèvera ceux parmi vous qui croient et ceux à qui a été donné d’atteindre des degrés de savoir » S LVIII V11, pour que l’homme en déduise que l’existence n’est pas le fruit du
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hasard mais la volonté de Dieu. La réflexion et la rectification de vues est un mode de vie. L’Islam prône le pragmatisme. C’est une religion aisée, dans sa conception et sa pratique « Dieu veut alléger vos obligations, car l’homme a été créé faible » S IV V28. L’avortement, par exemple, est interdit en Islam, mais il devient licite dès lors qu’il s’agit de sauver la mère ou si l’enfant à naître risque d’avoir des malformations majeures. Il faut tout faire pour éviter de faire souffrir l’homme. Éviter les complications, être accommodant, rechercher l’apaisement des cœurs, agir avec pondération et mesure et être stoïque devant l’adversité sont des vertus en Islam. « Ceux qui remplissent leurs engagements ; ceux qui sont patients dans l’adversité, le malheur et au moment du danger : voilà ceux qui sont justes ! Voilà ceux qui craignent Dieu ! ». SII V177.
En Islam, l’intérêt de la collectivité prime toujours sur l’intérêt de l’individu, mais l’homme reste la mesure de toute chose. En Islam, l’intérêt de la collectivité prime toujours sur l’intérêt de l’individu mais l’homme reste la mesure de toute chose. Un exemple qui illustre l’importance qu’accorde l’Islam à la préservation de la vie : si par hasard trois hommes risquent de mourir de soif dans un désert faute d’eau et que la quantité d’eau disponible ne peut en sauver qu’un seul, elle reviendra de droit et en totalité à celui qui a le plus de chance de survivre. Le respect de la vie, l’inviolabilité, l’intégrité du corps humain et l’interdiction de toute pratique eugénique sont rappelés à plusieurs reprises dans le Coran. La mort n’est pas une fin mais une transition vers une vie plus heureuse pour les justes. Il n’en demeure pas moins que la préservation de la vie est un devoir sacré.
La question de la concordance entre les écritures et la science La première question que se sont posée les musulmans pratiquants face à toutes les découvertes est la même depuis quatorze siècles : est-elle conforme aux textes sacrés ? Du fait que le Coran a pris source de l’Omniscience divine, il Ethique & Santé 2004; 1: 211-215 • © Masson, Paris, 2004
devrait donc contenir tout ce que nous savons et ne savons pas. Pour lui, l’ensemble du savoir humain n’est qu’une goutte minime de la sagesse éternelle. Par exemple la polémique soulevée par la Sourate XXIII, versets 12 à 14 « Nous avons certes créé l’homme d’un extrait d’argile, Puis Nous en fîmes une goutte de sperme dans un reposoir solide… » illustre le dilemme pour les musulmans qui tiennent à interpréter littéralement le Coran. Les récentes traductions de ces versets avec l’intention de les faire coïncider avec les connaissances actuelles de l’embryologie sont pathétiques. Peuton exiger du Coran de donner des détails médicaux précis ? En réalité le message coranique dans son esprit ordonne aux hommes d’acquérir le savoir pour s’approcher de Lui. La manipulation des organes humains peut parfaitement être assimilée à un progrès qui assure le bien être de l’homme, tout comme on peut avoir une lecture littérale de certains versets pour s’y opposer.
le politique se réclame de l’Islam pour lever les réserves. Ce n’est pas le cas, au contraire, il est convaincu que ce n’est que pour des raisons de nécessité, en l’occurrence la greffe d’organes, que le politique s’est appuyé sur la religion. Et dans les faits, l’Islam par son intemporalité, son conservatisme a été considéré comme un instrument de droit pour préserver l’homme et la société ! C’est plus qu’une religion, c’est un moyen de résistance sociale ! Pour les musulmans vivant dans des pays laïcs, où des lois ne concordent pas avec le Coran, ils auront à décider en tant qu’individus, car il n’y a pas de clergé en Islam. À chacun de fournir, à partir de sa propre conviction, des éléments de réponse objective et personnelle face aux évolutions majeures de la société.
Le statut de la transplantation en droit musulman
Islam moyen de résistance Riche de ces connaissances sur l’islam, on est en droit de s’interroger sur le fossé qui existe entre les vrais valeurs de l’Islam et le refus du don d’organes très souvent exprimé au nom de ce même Islam dans nos pays. La précarité des citoyens, associée à une certaine corruption des moeurs et à l’amateurisme du corps soignant face aux interrogations légitimes posées par la greffe pourraient à elles seules justifier la réponse. Les références de la culture médicale, ici plus qu’ailleurs, sont très éloignées du mode de vie quotidien qui imprègnent nos sociétés arabo-musulmanes. Le commerce des organes dans certaines régions a miné définitivement les esprits. Lorsque le corps social dans les sociétés musulmanes s’est senti attaqué, il se défend comme à son habitude depuis le moyen âge, il invoque l’Islam : patrie de référence identitaire (selon Benjamin Stora). Les musulmans sont convaincus de la portée universelle du droit coranique, adaptable à toutes les conjonctures et à toutes les époques. Ainsi dans les pays où l’Islam est religion d’état « Le juriste Musulman n’a pas du juridique une vision détachée du religieux. Le droit est religion appliquée, la religion est règle de droit » [5]. On pourrait penser qu’il suffit au citoyen musulman que
À l’initiative de certains pays et plus particulièrement ceux du Golfe, des organismes inter-Islamiques d’Ifta (pluriel de Fatwa : consultation juridique sollicitée auprès de jurisconsultes afin de connaître le statut de la religion vis-à-vis d’un acte) ont vu le jour. Les travaux de ces Organismes sont sanctionnés par la publication de décisions qui constituent en fait des « Fatwas consensuelles ». À nouveau interviendra la déviation, et ces organismes obéiront souvent au pouvoir politique, comme on le verra pour la question de la gratuité, néanmoins leurs travaux sont en général d’une grande rigueur. La première conférence internationale de médecine islamique s’est tenue au Koweït en 1981 [6].
En 2004, la greffe humaine est admise dans tous les pays musulmans. En 2004, la greffe humaine est admise dans tous les pays musulmans. Le Conseil de l’Académie des sciences religieuses Islamiques [7] a émis plusieurs fatwas bien argumentées. Ces mêmes arguments ont été utilisés dans 213
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différentes fatwas émanant des autres organismes. La première fatwa date de 1952, depuis plusieurs fatwas et décisions ont été émises (Tableau 1). La décision de 1988 [8] résume bien l’ensemble de la réflexion. Il y est précisé les conditions qui doivent servir de base à toute greffe d’organes pour assurer sa légitimité charaîque à savoir : l’engagement médical quant à la nécessité vitale de l’acte. La notion de mort encéphalique est reconnue. S’il s’agit du don du vivant l’assurance que l’ablation n’entraînera pas un handicap au donneur. L’assurance de la volonté du donneur et de ses héritiers ainsi que la gratuité de l’acte ; si cela est possible la xénogreffe est jugée préférable à la greffe d’organes humains.
Islam et greffe d’organes Manipulations du corps humains en Islam – Tout en affirmant que « L’islam interdit avec rigueur toute dissection ou tout usage du cadavre à des fins étrangères au repos ultime de l’homme. L’homme doit entrer dans la mort de la même façon qu’il est entré dans la vie. Le corps devient un “bien inaliénable” dont il faut préserver l’intégri-
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té » on peut avancer sans l’ombre d’un doute que la greffe d’organes est permise en Islam. Certes la préservation du corps humain est un devoir « Oui, Nous avons crée l’homme dans la forme la plus parfaite » S.95.v.4, mais cette lecture du Coran serait partielle et partiale si on omettait les faits : – que la préservation de la vie est une injonction encore plus forte en Islam « Et ne vous tuez pas vous même » S4 V29 ; – que le concept communautaire est quasiment mythique pour les musulmans. Tout acte individuel est jugé, plus méritoire, quand il est accompli collectivement, car il donne alors, une nouvelle occasion d’affermir le rapprochement des hommes. « Que de vous se forme une communauté qui appelle au bien, ordonne le convenable, proscrive le blâmable : ce seront eux les triomphants » S3 V104. Cette idée de communauté solidaire est très forte en Islam ; – que la solidarité est éthiquement et légalement obligatoire pour les musulmans : « En vérité la Fraternité qui est la vôtre est une seule Fraternité… » S21 V92. La Zakat, qui est « la dîme » à payer sur ses revenus est le troisième des cinq fondements de l’Islam. Dans une communauté solidaire où chacun est libre de ses actes en son âme et conscience, la greffe d’organes peut-elle être
Tableau 1 Principales décisions et Fatwas sur le don et la greffe d’organes. Année 1952 1959 1966 1969 1972 1973 1977 1978 1979 1980 1982 1986 1988 1988 1990 1994 1994 1995 1995 214
Source Cheikh Makhloof Hassanine (grand mufti Égypte) Cheikh Maamon H. (grand mufti Égypte) Hureidi H. (grand mufti Égypte) Conférence islamique internationale (Malysie) Conseil islamique supérieur (Algérie) Cheikh Khater (grand mufti Égypte) Court suprême Jordanienne Grand Uléma Saoudien Cheikh Gad al-Haq Koweït Grand Uléma Saoudien Décision n° 99 IIIe conférence des juristes musulmans IVe conférence des juristes musulmans Cheikh Tantawi M (grand mufti Égypte) Décision n° 6/7/58 des juristes musulmans Oman Al Azhar Conseil islamique Britannique Dr Al Qaradawi Y
Fatwa Cornée Cornée Organes Organes Organes Peau Organes Cornée et Mort encéphalique Organes et cadavres Organes Organes Mort encéphalique Trafic d’organes Commerce d’organes Embryons; cellules nerveuses Donneurs vivants et cadavres Cadavre ; donneurs vivants Donneurs vivants et cadavres Cadavre ; xénogreffe
interdite au 21e siècle en invoquant l’Islam ? – Enfin, en Islam, les dogmes éthiques s’effacent au nom de la nécessité : « Dieu vous a indiqué ce qui vous est interdit, à moins que vous n’y soyez contraints, par nécessité. Ton Dieu connaît mieux que quiconque les transgresseurs. » S6V119.
Préservation de la vie, concept communautaire et solidarité sont les fondements de l’Islam. La règle de nécessité est un des fondements de la conduite des musulmans. « L’état de nécessité est la situation de celui à qui il apparaît clairement que le seul moyen d’éviter un mal plus grand, est de causer un moindre mal » [9]. La règle de nécessité fait l’objet d’un consensus, l’Islam donne toujours la primauté à l’état de nécessité « Dharourate » sur les interdits « Mahdhourate ». Bien que reconnue par tous les jurisconsultes musulmans, la règle de la primauté de la nécessité sur les interdits, a été rejetée par la fatwa du Cheikh Chaãraoui, (homme de religion Égyptien) en 1988, uniquement pour la transplantation d’organes, et pour toute atteinte à l’intégrité d’un corps humain. Mais dans un contexte socioéconomique difficile, l’interprétation de la religion par certains n’est pas toujours innocente et ce rejet a semé le trouble jusque dans l’esprit des parlementaires égyptiens, qui à ce jour refusent d’autoriser les prélèvements sur cadavres qui demeurent interdits en Égypte. Pour conclure, la notion de « Maslaha » (utilité) autorise les actes sur le corps humain : le raisonnement se fonde sur le fait que si Dieu ordonne de préserver le corps humain, il permet au nom de la solidarité et de la nécessité, d’enfreindre les interdits quand il s’agit de sauver une vie.
Le consentement et l’Islam Au Koweït une fatwa [10] déclare non seulement permettre la transplantation d’un organe prélevé sur une personne, qu’elle soit vivante ou morte. Mais va plus loin et déclare licite le prélèvement d’organes sur un cadavre qu’il ait formulé son acquiescement
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pré mortem ou non, en vertu de la règle de nécessité qui permet d’outrepasser l’interdit lorsqu’il s’agit de sauver une vie humaine. Cette fatwa n’a pas été suivie ni par le ministère de la santé ni par le parlement. Elle est donc restée lettre morte et n’a pas reçu d’application. Elle posait la question du consentement implicite qui est un réel problème. Conformément à l’esprit de l’Islam, la majorité des textes s’accorde sur la nécessité de l’accord du donneur, de son vivant ou du moins qu’il n’ait pas formulé de refus, quitte à solliciter l’accord des héritiers ou de l’autorité compétente, en cas de silence. D’ailleurs en Iran où les Chiites prédominent le consentement exprès du donneur est exigé et une restauration tégumentaire parfaite doit être réalisée avant toute inhumation, il en est de même en Arabie Saoudite pays à majorité sunnite.
La gratuité du don en Islam L’immense majorité des fatwas ou décisions interdisent le commerce ou la vente d’organes. Néanmoins certains de ces textes [8] essayent de la légitimer en déclarant licites les récompenses ou compensations accordées au donneur ! Cela va à l’encontre de la gratuité du don qui est la base de toute cette dynamique. Ce détournement de la règle est illustré dans le contenu de l’article 7 de la décision de l’académie des
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sciences du fikh [11] qui semble justifier des pratiques courantes dans certains pays. Le Pr Bel Hadj El Arbi Ben Ahmed docteur en droit et législation Islamique et professeur de fikh à Oran évoque cette contradiction et précise bien les principes du fikh qui interdisent la vente ou le commerce du corps humain. Par ailleurs, il expose toutefois que le fikh contemporain permet la légitimité de cette vente en ne s’appuyant sur aucune référence.
les pays musulmans pour que cette thérapeutique puissent s’y développer.
Références 1. Fliss-Trêves M, Mehl D, Pisier. Contre l’acharnement législatif. Pouvoir, revue française d’études constitutionnelle et politiques. Bioéthique 1991 ; 6 : 122-34. 2. Le Breton D. La chair à vif. Édition AM Métailié 19 : 274. 3. Ben Achour Y. Normes, foi et loi en particulier dans l’Islam. CERES éditions 1993 ; 78 : 101 Tunis, 2002.
Conclusion La dimension religieuse a souvent été exagérée à chaque fois qu’on a posé le problème du don d’organe pour les musulmans. Les obstacles sont sans doute, au moins autant liés à l’absence de confiance dans le système de soins et aux facteurs socio économiques qu’à la religion à proprement parler. Rien, ni dans l’esprit de la religion, ni dans les faits ne s’oppose au don ou à la greffe d’organes pour les musulmans. La notion de responsabilité individuelle et collective et la règle de nécessité sont essentielles. L’éthique islamique au nom du pragmatisme pour le bien être des hommes font qu’elle ne s’oppose d’aucune façon à la greffe d’organes. Toutefois les principes éthiques universels indépendants des religions tel que l’information des malades, la transparence, doivent aussi être respectés dans
4. Stehly R. Un traité d’éthique islamique : université de Strasbourg, faculté de théologie protestante, 1976. 5. Ben Achour Y. L’État nouveau et la philosophie politique et juridique occidentale. Tunis, 1980. 6. Islamic code of medical ethics. International Organization of Islamic Medicine. Koweït. 7. VIIIe session tenue à la Mecque du 19 au 28 Janvier 1985 puis en août 1986 8. Conseil de l’Académie des sciences du Fikh Islamique n° 1 en date du 4 août 1988. 9. Savatier R. Doyen Honoraire de la faculté de droit de Poitiers. Traité de la Responsabilité Civile. T.I.N, 1998. 10. La fatwa émise par le Ministère des Wakfs (biens de main-morte) et des affaires Islamiques au Koweït en date du 24.11.1979 sous le n° 132/79. 11. Décision du Conseil de l’Académie des Sciences du Fikh Islamique la Mecque 1721 octobre 1978 et décision n° 5 à Amman du 16 octobre1986 reconnaissant la mort encéphalique.
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