Histoire de la chéloïde

Histoire de la chéloïde

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Histoire de la chéloïde Antoine PETITa Dermatologue, praticien hospitalier AP-HP, hôpital Saint-Louis, Paris, France

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La chéloïde fut décrite pour la première fois en 1790 sous le nom de “dartre graisseuse”. Sa description fut affinée ensuite par Alibert, qui inventa sa dénomination actuelle. Les principales caractéristiques de la chéloïde étaient parfaitement répertoriées dès 1860. Au fil du temps, l’idée s’imposa que cette lésion résultait d’un processus cicatriciel anormal. Toutefois, la focalisation sur ce mécanisme physiopathologique aboutit parfois à négliger le savoir clinique plus ancien, au détriment des patients. © 2018 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Mots clés – chéloïde ; cicatrice hypertrophique ; dartre graisseuse ; histoire de la médecine

The history of keloid. The keloid was described for the first time in 1790 under the name of

« fatty scab ». This description was then refined by Alibert, who invented the current name of « keloid ». The main characteristics of the keloid were perfectly recorded as early as 1860. Over time, the idea became clear that this lesion resulted from an abnormal scarring process. However, focusing on this pathophysiological mechanism sometimes results in neglecting older clinical knowledge, to the detriment of patients. © 2018 Elsevier Masson SAS. All rights reserved

Keywords – history of medicine; hypertrophic scar; fatty scab; keloid

Références [1] Petit A. Chéloïdes : de l’offre de soins au vocabulaire. Ann Dermatol Venereol 2014;141:489–90. [2] Retz M. Des maladies de la peau et de celles de l’esprit (telles que les vapeurs, la mélancolie, la manie etc.), qui procèdent des affections du foie. Leur origine, la description de celles qui sont le moins connues, les traitements qui leur conviennent. 3e éd Paris: Méquignon, l’aîné; 1790. p. 155–8. [3] Alibert JL. Précis théorique et pratique sur les maladies de la peau. t. 1. Paris: Charles Barrois; 1810. p. 418–30. [4] Alibert JL. Monographie des dermatoses ou précis théorique et pratique des maladies de la peau. Paris: chez le docteur Daynac; 1832. p. 465. [5] Alphée Cazenave PL. Leçons sur les maladies de la peau, professées à l’école de médecine de Paris. Paris: Labe; 1856.

Adresse e-mail : [email protected] (A. Petit).

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e travail résume une présentation orale donnée lors du forum “Histoire de la Dermatologie” des Journées dermatologiques de Paris 2014 et publiée en 2016 sous sa forme complète [1]. La plus ancienne description connue de chéloïde a été publiée en 1790 sous le nom de “dartre graisseuse” [2]. Peu de temps après, Jean-Louis Alibert observait, à l’hôpital Saint-Louis (Paris), alors dénommé “Hospices du Nord”, des lésions originales qu’il appelait “cancroïdes”, pour les renommer en “chéloïdes” en 1810 [3], afin de les distinguer des cancers. Il avait créé ce mot à partir du grec χηλή, qui désigne la forme des pinces de certains crustacés, comme l’écrevisse, en référence aux figures formées par les prolongements polypodiques des lésions. Les principaux auteurs de la dermatologie se sont à leur tour penchés sur la chéloïde durant le xixe siècle ; Wilson, en 1867, en dénombrait 30 cas publiés. Les caractères cliniques et évolutifs de l’affection étaient parfaitement connus en 1880 : lésions uniques ou multiples dans une topographie préférentielle comprenant notamment la région présternale ; évolution bénigne mais chronique et capricieuse ; signes fonctionnels fréquents à type de prurit et douleurs parfois allodyniques évoquant « une compression des terminaisons nerveuses ». Les auteurs qui avaient déjà eu l’occasion de l’observer dans leur pratique s’accordaient à trouver la chéloïde facile à reconnaître, mais leurs descriptions se heurtaient à la variété et à l’hétérogénéité de sa morphologie. L’essor de l’imagerie médicale, d’abord sous forme de gravures, puis de photographies et de moulages, contribua à mieux faire connaître la maladie.

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Durant la seconde moitié du xixe siècle, l’histopathologie cutanée se développait dans une dermatologie européenne dominée par l’école de Vienne, dirigée par von Hebra. Kaposi, élève, gendre et successeur de ce dernier, puis Woringer, s’intéressèrent à l’histologie de la chéloïde. On retrouve dans leurs descriptions l’hétérogénéité histologique aujourd’hui bien reconnue du tissu chéloïdien.

Hypothèses étiopathogéniques et position nosographique

FF Au fil du temps, divers cadres étiologiques ont été proposés pour la chéloïde. Malgré un caractère extensif et récidivant, sa nature bénigne fut rapidement admise. Une prédisposition individuelle aux chéloïdes était suggérée par la multiplicité des lésions chez un même patient, l’existence de formes familiales et, enfin, la reconnaissance d’une prédominance “raciale” chez les Noirs. Bazin vit dans ce terrain prédisposé l’expression d’une “diathèse fibroplastique” tandis que Darier, qui n’était pas favorable à la notion de “diathèse”, lui préférait une autre hypothèse, très populaire à l’ère pastorienne ; il affirmait ainsi, en 1918, que la chéloïde était une infection, « […] le plus souvent au moins, de nature tuberculeuse… ». D’autres auteurs ont proposé une sorte de synthèse de ces deux opinions sous la forme d’une “diathèse scrofuleuse” (ou tuberculeuse). FF La ressemblance clinique de la chéloïde avec une cicatrice avait été signalée par les premiers auteurs [2,3]. Alibert admit par la suite l’existence

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de deux sortes de chéloïde : la chéloïde vraie, ou spontanée, et la chéloïde fausse, ou cicatricielle [4]. Quittant le statut de diagnostic différentiel, la cicatrice devint peu à peu circonstance déclenchante de la chéloïde, d’abord facultative, puis obligatoire aux yeux de certains, enclins au scepticisme vis-à-vis de la notion de “chéloïde spontanée”. L’apparition d’une troisième entité, appelée “cicatrice hypertrophique”, compliqua encore le débat, qui perdure aujourd’hui.

Développements annexes L’image de “kéloïde du sein gauche” qui figure dans un ouvrage de Cazenave, Leçons sur les maladies de la peau, publié en 1856 (annexe A) rappelle plus une morphée qu’une chéloïde [5]. Il est possible que Cazenave ait déjà eu connaissance du travail de Thomas Addison, qui avait donné deux ans plus tôt une description précise de la morphée, y compris dans ses variétés profondes, en choisissant curieusement de l’appeler “vraie kéloïde”, par opposition à la “kéloïde d’Alibert” [6]. FF D’autres auteurs se sont disputé la paternité de la description première de la morphée dans les années 1860-1870, toujours en utilisant le terme “chéloïde” ou kelis [7-9]. Bien qu’elles soient principalement connues pour affecter des hommes d’ascendance africaine à cheveux crépus, les folliculites chéloïdiennes de la nuque ont été décrites initialement en 1869 par Kaposi chez des sujets européens, sous le nom de Dermatitis papillomatosa capilliti [10]. FF L’entité connut ensuite plusieurs appellations, comme celles de Sycosis framboesiformis, Folliculitis sclerotisans, acné chéloïdique ou acné chéloïdienne de la nuque. Cette dernière reste la dénomination favorite des auteurs anglophones dans sa version latine d’Acne Keloidalis Nuchae, bien que l’évolution chéloïdienne y soit facultative et qu’on n’y trouve pas de comédons. Elle est d’autant plus mal choisie qu’elle induit une confusion avec les authentiques chéloïdes qui peuvent se développer à partir de lésions d’acné.

Difficultés thérapeutiques

FF Pour la majorité des auteurs du xixe siècle, la chéloïde est un noli me tangere (ne me touche pas), qui récidive en empirant dès qu’on tente de l’extirper ou de la détruire. Les traitements topiques s’avèrent également la plupart du temps et, du côté des traitements internes, c’est la même déception unanime : arsenic, argent, huile de foie de morue, huile créosotée, iodure de potassium, ciguë, beurre d’antimoine, etc., n’ont pas plus de succès. Rayer, qui préconise volontiers l’abstention thérapeutique, est le premier à signaler dès 1835 l’intérêt, aujourd’hui reconnu, d’une compression

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« assez forte et constante » contre une surface dure telle qu’un relief osseux [11]. FF La fin du xixe et le début du xxe siècle connaissent un regain d’agressivité thérapeutique contre la chéloïde. Brocq préconise des applications d’emplâtres comprenant ou non des proportions variées d’ichtyol, d’acide chrysophanique ou de résorcine, qui peuvent être combinés avec des scarifications linéaires ou une électrolyse à l’aiguille [12]. L’électricité est en vogue, sous forme d’“effluves de haute fréquence” ou d’“étincelles d’électricité statique”… Un mélange de thiosinamine et de salicylate de soude, distribué sous le nom de Fibrolysine® par la firme Merck, peut aussi être injecté par voie sous-cutanée ou intraveineuse. En 1921, la radiothérapie a déjà été essayée pour traiter presque toutes les maladies de peau, et les chéloïdes occupent une place de choix dans ses indications [12], seule ou en complément de l’exérèse chirurgicale [13]. FF À partir de la seconde moitié du xxe siècle, la très grande majorité des travaux sur la chéloïde est publiée dans des revues de chirurgie plastique ; une part conséquente de cette littérature est consacrée à des techniques d’excision ou de destruction qui prétendent limiter, voire supprimer, le risque de récidive. FF Enfin, les années 1960 voient le développement de la corticothérapie ; les injections intralésionnelles de corticoïdes à effet retard deviennent rapidement le pivot de tout traitement de la chéloïde, soit en monothérapie soit en adjuvant de la chirurgie pour limiter le risque de récidive.

Conclusion À la charnière entre le xviiie et le xixe siècle, des médecins renouvelaient la pensée médicale en construisant, par la minutie de leurs observations cliniques, les bases d’une nosographie descriptive inspirée de la science naturelle. L’étude des maladies de peau, directement accessibles à la vue, était un champ d’application privilégié de cette démarche nouvelle. Alibert en fut le précurseur à l’hôpital Saint-Louis, et la chéloïde, sa première découverte. Un siècle plus tard, il existait déjà un impressionnant corpus de connaissances cliniques sur la chéloïde. Cependant, le rapprochement entre le processus chéloïdien et celui de la cicatrisation cutanée devenait de plus en plus évident, jusqu’à assimiler la chéloïde à une cicatrice pathologique. Deux siècles après la découverte d’Alibert, il nous semble que la théorie physiopathologique a de nouveau pris le pas sur l’observation clinique, au risque d’entretenir une méconnaissance de la maladie chéloïdienne [1]. w

Références [6] Addison T. On the Keloid of Alibert, and on True Keloid. Med Chir Trans. 1854;37:27–47. [7] Wilson E. Lectures on dermatology, delivered in the royal college of surgeons of England, in 1874-1875. Londres (Angleterre): John Churchill and sons; 1875. p. 139. [8] Bazin E. Morphée. In: Dechambre A, editor. Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales. t. 9. Paris: P. Asselin et G. Masson; 1875. p. 486–7. [9] Fox T. Skin diseases: their description, pahology, diagnosis and treatment. 2th ed Londres (Angleterre): Henri Renshaw; 1869. p. 274–7. [10] Kaposi M. Über die sogenannte Framboesia und mehrere andere Arten von papillären Neubildungen der Haut. Mit 1 Tafel. Arch Derm Syph. 1869;3:382–423. [11] Rayer P. Traité théorique et pratique des maladies de la peau, avec un atlas in-4. Seconde édition, entièrement refondue t. 3. Paris: J.-B. Baillière; 1835. p. 667–74. [12] Brocq L. Précis-Atlas de pratique dermatologique. Paris: Gaston Doin; 1921. [13] Wickham L, Degrais P. Radiumthérapie. Instrumentation, techniques, traitement des cancers, chéloïdes, naevi, lupus, prurit, névrodermites, eczémas. Applications gynécologiques. Paris: J.-B. Baillière et fils; 1909.

Annexe A Matériel complémentaire Le matériel complémentaire (Annexe A) accompagnant la version en ligne de cet article est disponible sur http://www.sciencedirect.com et doi:10.1016/j. refrac.2018.07.003.

Déclaration de liens d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

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