Epid6miologie
M~decine et Maladies Infectieuses -
1986-
10-
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Histoire de pigeons* par J.M. G O U R R E A U * * et CI. L O U Z I S * *
Les analyses confirment la suspicion clinique. II s'agit de la paramyxovirose du pigeon, une affection extr~mement contagieuse, tr~s voisine de la Maladie de Newcastle des volailles, et pour laquelle il n'existe encore ~ I'heure actuelle aucun traitement. Une enqu~te r~trospective r~v~le que la maladie avait fait son apparition quelque temps plus tbt chez des pigeons voyageurs dans le Sud-Ouest de la France. Ceux-ci venant d'Afrique, continent o~J elle ~tait connue depuis deux ans, avaient transit~ par I'Espagne avant de venir mourir dans les environs de Bordeaux, non sans avoir contamin~ au passage les populations colombines locales. C'est ainsi que I'on put voir, dans les semaines qui suivirent, I'apparition de I'affectiofi dans le Centre, le Nord et I'Est de notre pays. Dans la r~gion de Colmar, le virus apparaissant au sein d'une population totalement d~nu~e d'anticorps causa une mortalit~ si importante que les journalistes, s'emparant de I'affaire ~ la suite des protectionnistes, accus~rent des esprits malveillants d'avoir empoisonn~ les v o l a t i l e s . . . A I'heure actuelle, la paramyxovirose s'est r~pandue dans la totalit~ de notre pays, ainsi d'ailleurs que dans toute I'Europe occidentale. Pour certains chercheurs, les anglais et les beiges notamment, I'agent causal serait identique au virus de la Maladie de Newcastle. Toutefois, il faut reconnaitre que, si ses caract~ristiques biochimiques sont les m~mes, il n'a pas s~vi jusqu'~ present dans le cheptel aviaire en contact ou ~ proximit~ des pigeons atteints. Dans les populations colombines indemnes, il provoque g~n~ralement une ~pid~mie meurtri~re. Les animaux qui en r~chappent produisent des anticorps protecteurs persisrant six mois ~ un an ; pass~ ce d~lai, ils sont de nouveau sensibles au virus, tant et si bien que la maladie ~volue par vagues successives et reste ~ I'~tat end~mique dans les contr~es atteintes.
La S.P.A. peut parfois jouer un rble capital dans la comprehension des processus ~pid~miologiques qui r~gis~ent les maladies infectieuses tant humaines qu'animales. Son r~seau de surveillance lui permet en effet d'avoir connaissance de certains ph~nom~nes morbides bien souvent ignores du corps m~dical ou des pouvoirs publics. C'est ainsi qu'un jour de mars 1984, un coup de t~l~phone anonyme lui signale I'existence d'une affection myst~rieuse qui s~vit sur les pigeons bisets du quartier de Beaubourg. II parait m~me que certains personnes en recueillent et en soignent & leur domicile. A f i n d'en savoir davantage, nous nous rendons chez I'une d'entre elles, concierge de son ~tat, qui nous expose avec force d~tails et anecdotes la situation dramatique de la population colombine de son quartier : la maladie frappe les pigeons sans distinction d'~ige ni de sexe et ce depuis quatre ou cinq mois au moins. IIs souffrent d'une tr~s abondante diarrh~e vert ~pinard, et pr~sentent, d~s le d~but de I'~volution, un torticolis important d~jetant la t~te en arri~re, ce qui les emp~che d'attraper et d'ingurgiter leur nourriture. Nombre d'entre eux finissent par mourir dans les rues, faute de soins. Elle-m~me en a recueilli une bonne trentaine qu'elle h~berge individuellement dans sa cave dans des boites en carton glan~es chez I'~picier du coin. La nuit, apr~s sa journ~e de travail, elle les nourrit un par un et tente de les soigner & I'aide de rem~des achet~s de-ci de-I~ en fonction de conseils divers - cependant pas toujours autoris~s ! Cette brave femme, qui laisse I~ une bonne partie de ses maigres revenus sans obtenir de r~sultats probants, craint un acte de malveillance, en I'occurrence un empoisonnement collectif. Tant de gens ha'issent ces chefs oiseaux ! Nous la rassurons de notre mieux. Les symptbmes observes nous f o n t aussitbt penser ~ une virose, assez r~cemment apparue dans les colombiers du nord.
C'est ~ I'occasion des enqu~tes ~pid~miologiques r~alis~es pour ~valuer I'~tendue de la paramyxovirose qu'ont ~t~ effectu~es les recherches bact~riologiques et s~rologiques sur la chlamydiose, affection qui, elle, est transmissible ~ I'homme (cf. article de Trap et coll., dans ce num~to).
Une seconde visite nous conforte dans notre opinion. Ici encore, I'amour des animaux conduit une vieille femme malade (elle nous avoue souffrir d'un cancer en pleine ~volution) ~ h~berger des oiseaux malades dans son appartement. Elle les connait pourtant bien ses pigeons, car depuis 15 ans, elle descend tousles soirs distribuer une quinzaine de kg de bl~ aux bisets de son quartier !!
* Rec;u le 15.5.1986. Acceptation d~finitive le 11.7.1986 **Laboratoire central de Recherches v~t~rinaires, 22 rue Pierre Curie, B.P. 67, F-94703 Maisons Alfort C~dex
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