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ScienceDirect www.sciencedirect.com Médecine Nucléaire 40 (2016) 389–392
Professeur Jacques Chambron (1/11/1929-2/9/2016) Officier dans l’ordre des Palmes Académiques
La vie exemplaire d’un professeur hospitalo-universitaire de la première heure.
C’est avec une grande tristesse que je vais retracer les faits marquants de la carrière du professeur Jacques Chambron avec qui je m’entretenais encore au mois de juin dernier de problèmes de physique médicale. Il est né le 1er novembre 1929 à Tournon sur Rhône en Ardèche et après une scolarité sans histoire malgré la guerre, il entreprend à Lyon des études en parallèle de médecine et de sciences. Dès le début de sa formation il a fréquenté le laboratoire de physique médicale de Lyon où, comme il l’appelait, son « Maître » le professeur Berger l’a initié au travail de recherche. Après sa licence ès-sciences il devient assistant à la faculté de médecine de Lyon en 1956 et travaille sur le rôle de l’hérédité pour la pathogénie des maladies thyroïdiennes. Ce fut l’objet de sa thèse de médecine récompensée par un prix de thèse en 1957. C’est l’année suivante, en 1958, qu’il fut, comme il aimait à le dire « appelé », par le professeur Chevallier à venir à Strasbourg. Deux coïncidences sont remarquables dans cette nomination en tant que délégué dans les fonctions de maître de conférences de physique médicale et attaché de biologie aux Hospices de Strasbourg. En effet le professeur Chevallier avait été nommé à Strasbourg après la guerre et il y développa un centre de lutte contre le cancer (le futur Centre Paul Strauss) et un organisme de recherche médicale l’Institut National d’Hygiène qui deviendra l’INSERM. Deuxièmement c’est la date de son arrivée à Strasbourg, en effet, 1958 est l’année de promulgation de la loi Debré sur la création des centres hospitalo-universitaires. Le jeune Chambron, entreprend à ses débuts à Strasbourg, des travaux sur la carcinogénèse expérimentale qu’il poursuit au centre de recherche sur les macromolécules pour soutenir en 1965 une thèse d’état de sciences sur « l’étude de l’interaction de la proflavine avec l’acide désoxyribonucléique ». Entre temps se produit deux événements tragiques, le décès du professeur Raymond Schneider en plein cours dans l’amphithéâtre de l’Institut de Physique Biologique en 1963 et le décès prématuré du professeur André Chevallier en 1964. Sur ce, il est nommé professeur titulaire de la chaire de physique biologique et chef du service de physique des explorations fonctionnelles au CHU de Strasbourg le 1er octobre 1965. A cette époque, l’hôpital ainsi que la faculté de médecine étaient dirigés par ce que l’on appelait parfois «les grands mandarins » quand ils étaient titulaires des chaires de médecine, de chirurgie ou de pédiatrie et les « petits mandarins » quand ils étaient titulaires d’une chaire de médecine spécialisée ou de discipline dites fondamentale. C’est ainsi que le professeur Chambron devînt dès l’âge 36 ans un « petit mandarin ».
Après 1968, la nouvelle loi Faure restructura profondément les universités en faisant entrer les facultés de médecine dans le giron des universités avec des conséquences majeures sur l’enseignement, les soins et la recherche.
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Pour ce qui est de l’enseignement, le professeur Chambron , de par sa formation en physique prit l’option d’assurer l’enseignement de physique fondamentale au premier semestre de la première année de médecine qui auparavant était assuré au cours d’une année probatoire à la faculté des sciences. S’il a su déléguer une partie de l’enseignement à ses collaborateurs, il garda toujours une attention constante à l’enseignement dans les trois cycles de la formation médicale. Il mit en place la maîtrise de biophysique qui permettait aux étudiants en médecine d’acquérir les connaissances de base en physique fondamentale. A mon avis, son fait le plus marquant dans ce domaine concernait les travaux pratiques de biophysique qu’il développa d’une manière unique pour une faculté de médecine. Le point d’orgue fut la mise à la disposition des étudiants en médecine d’un appareil de RMN pour leur faire appréhender pratiquement la physique de la RMN. Au cours de sa carrière il encadra une quarantaine de DEA et de DES et fut membre de jury de 18 thèses de 3ème cycle, de 22 thèses de médecine et de 26 thèses d’état de sciences.
Sa nomination en tant que professeur est en phase avec le moment où la biologie prend un essor considérable. La création des laboratoires universitaires conventionnés avec l’hôpital n’était pas l’apanage de Strasbourg mais ils se sont particulièrement développés sous l’impulsion du biochimiste Paul Mandel. Le professeur Chambron nouvellement nommé, a tout de suite saisi l’intérêt de participer à ce regroupement de laboratoires. C’est à mon avis sa première grande vision prospective qui lui a permis d’avoir les moyens financiers de développer une recherche de pointe avec tout d’abord l’informatique médicale dès 1967, puis un laboratoire de dosages radio-immunologiques seule méthode assez sensible pour doser les hormones et enfin la scintigraphie qui était l’application médicale de la recherche nucléaire. Les laboratoires universitaires avaient une gestion par institut, supervisée par l’université. Ils effectuaient des prestations de biologie dans le cadre d’une convention financière pour le CHU, ainsi que des prestations pour les hôpitaux périphériques et des laboratoires biologiques privés. En 1968, la révolte étudiante, qu’il a vécue, me semble-t-il, sans difficulté majeure a induit un effort sans précédent pour la formation supérieure. L’ouverture de nombreux postes d’enseignantschercheurs lui a permis de recruter en quelques années plus de 10 jeunes ingénieurs majoritairement de l’INSA de Lyon où il avait gardé des contacts avec le directeur de l’école et 8 médecins dont 6 sont devenus professeurs de biophysique. Les ressources financières et humaines lui ont permis de créer trois activités hospitalières. Un service d’informatique qui est devenu par la suite le laboratoire de Biostatistiques. Le laboratoire d’explorations fonctionnelles par les isotopes avec une partie médecine nucléaire in vivo où l’acquisition d’un scintigraphe point par point pour l’exploration de la thyroïde a été la première utilisation au CHU d’éléments radioactifs chez l’homme à des fins de diagnostic. Avec l’acquisition d’une gamma-caméra puis bientôt d’une deuxième, le laboratoire universitaire deviendra contre vents et marées le seul service de médecine nucléaire du CHU jusqu’à son départ en 1996. Il initia aussi le développement d’un laboratoire d’analyse in vitro utilisant les produits radioactifs en sources non scellées dont la qualité des dosages était reconnue au point que des laboratoires de biologie privés faisaient appel à l’expertise de son équipe. La loi Faure modifia aussi profondément la recherche universitaire en médecine. Pour le professeur Chambron, elle débuta par la transformation d’une aide individuelle du CNRS dont il bénéficia de 1964 à 72 en la création d’un laboratoire de recherche associé au CNRS : l’ERA 419 sur la biophysique moléculaire de la chromatine de 1972 à 85 puis enfin l’URA 1173 sur les applications
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biologiques et médicales de la RMN de 1985 à 96. La première partie concernait les recherches sur les interactions entre les bio-polymères et les protéines nucléaires avec les agents cancérigènes ou mutagènes dérivés des acridine poursuivant ainsi ses travaux de thèse. Le deuxième axe concernait l’étude des gels de chromatine par spectrométrie UV ou visible, par polarographie et par spectrométrie photo-acoustique qui était une méthode originale développée dans son laboratoire pour analyser les propriétés optiques des milieux diffusants. C’est en 1981 qu’il lut, un article de vulgarisation faisant état des possibilités de faire de l’imagerie par résonance magnétique nucléaire. De par son expertise en imagerie scintigraphique il comprit immédiatement l’intérêt médical que représentait une technique d’imagerie n’utilisant pas de rayonnements ionisants. L’année suivante, profitant de la venue à Paris des 2 découvreurs de l’IRM les professeurs Lauterbur et Mansfield, il organisa un colloque avec les deux futurs prix Nobel. Je garde un souvenir très précis de cet évènement qui fut mon premier contact avec la RMN et le professeur Chambron en tant que chercheur. Il réorienta pratiquement tout son laboratoire dans cette aventure. Tout d’abord en développant un appareil d’IRM expérimental avec un champ magnétique de 0,5 T à partir d’éléments fournis par la société Bruker de Karlsruhe. Il présenta des images d’un champignon et d’un avant-bras au premier congrès de la Society of Magnetic Resonance in Medicine à Boston en 1982. Dès l’année suivante, l’acquisition d’une IRM corps entier avec un champ magnétique de 0,15T permit la réalisation des premières IRM médicales en France. En 1985, un nouvel équipement avec un champ magnétique de 0,28T a promu la méthode comme activité clinique pour les patients du CHU dans le cadre d’une nouvelle convention entre le laboratoire universitaire et le CHU. Enfin en 1994, une IRM avec un aimant cryogénique de 2T corps entier a doté le site strasbourgeois d’un équipement à la pointe de la recherche et du développement pour les investigations cliniques. Le professeur Chambron a toujours ressenti la nécessité de comprendre les fondements de l’IRM, c’est pourquoi en parallèle des recherches cliniques, il a initié des recherches sur l’utilisation des mesures des temps de relaxation et des informations obtenues par spectroscopie RMN pour caractériser la nature des tumeurs. Il a été membre des actions concertées européennes sur l’identification et la caractérisation des tissus biologiques par RMN de 1983 à 87 puis sur la caractérisation tissulaire par spectroscopie et imagerie RMN de 1987 à 91. Comme il la qualifiait lui-même, une 4ème période dans sa vie scientifique débute après sa retraite le 31 août 1996 jusqu’en 2016. Il s’investit avec le directeur du laboratoire PHASE du CNRS, le responsable du Centre de Recherches en Neurobiologie de Rouffach et le dirigeant du laboratoire d’isotopes de l’hôpital cardiologique d’état de Hongrie à Balaton-Füred, dans le développement d’un stéthoscope nucléaire pour l’exploration gamma ventriculo-graphique ambulatoire des états précoces de la maladie coronaire. Bien qu’à la retraite il sut mobiliser un financement par les ministères français et hongrois des affaires étrangères. Il a encore participé à un consortium européen pour la fabrication d’une gamma caméra mobile dédiée à la cardiologie. Enfin il a continué de travailler dans le cadre d’une coopération scientifique et technique de la Commission Européenne sur le développement du traitement des images cliniques par analyse de texture. L’ensemble de ses travaux de recherche a donné lieu à 432 communications dans des congrès nationaux et internationaux dont 23 conférences invitées, à 236 publications dans des périodiques à referee anonymes et à 3 ouvrages. Pour caractériser l’homme Jacques Chambron , j’évoquerai quelques souvenirs personnels. Ainsi, le jour où il m’a proposé de rejoindre la physique biologique, alors que j’effectuais, depuis 2 ans déjà, ma recherche dans son laboratoire, il m’a demandé de quelle religion j’étais. Issu de mai 68, je fus interloqué par cette demande et ce n’est que par la suite que je compris l’importance que revêtait pour
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lui, la religion. La deuxième anecdote concerne sa lutte contre le tabagisme, où bien avant la loi Evin, il s’obstinait à cacher soit ma pipe soit mon tabac. Alors qu’en revenant d’un congrès dans un compartiment fumeur c’est moi qui dus lui proposer de changer de compartiment pour nous soustraire à la fumée étouffante. De même, sa lutte contre les pauses café reflétait la collusion entre sa vie et son travail. C’est ainsi qu’il venait à l’Institut de Physique Biologique tous les samedis matins et pratiquement tous les dimanches matins, et ceci jusqu’à la fin de l’année dernière soit 20 ans après avoir pris sa retraite ! Je me souviens aussi que dans les années 2000 il me demandait l’autorisation de partir en vacances et je ne suis pas sûr que ce ne fût qu’un trait d’humour. Le professeur Jacques Chambron était un homme infatigable au travail, à l’affût de toutes les innovations médicales et chacun qui l’a rencontré gardera un souvenir marquant du personnage exceptionnel qu’il était.
Principales responsabilités exercées par le professeur Chambron.
. Directeur de l’Institut de Physique Biologique 1966-1996 . Directeur du Service Informatique de la faculté de Médecine 1967-1990 . Directeur d’Unité de Recherche au CNRS 1972-1996 . Coordonnateur de l’utilisation des radioéléments en biologie et médecine pour le CHU 1966-1996 . Président fondateur du Groupe de Recherches sur les Applications de la RMN en Médecine 1984 . Membre du Conseil National des Universités 1984-1986 . Président de la Société Française de Biophysique et Médecine Nucléaire 1985-1986 . Membre du conseil d’administration de la Société Française de Biophysique et Médecine Nucléaire 1985-1989 . Membre de la Commission Scientifique de l’Association pour la Recherche sur le Cancer 1985-1990 . Président du second congrès du Groupe de Recherches sur les Applications de la RMN en Médecine 1987 . Président du congrès de l’Association Européenne de Médecine Nucléaire 1989 . Président du congrès de la Société Européenne de Résonance Magnétique en Médecine et en Biologie 1990
Hommage présenté à la CME des HUS le 18/10/2016 par Daniel Grucker.