Actu Kiné
ques facettes. Il était pour moi une énigme, ce français ayant vécu aux États-Unis et au Japon, ayant un doctorat et se présentant avant tout comme kinésithérapeute. Il était un personnage que l’on aimait imiter, sa voix timbrée si reconnaissable, ses mimiques inoubliables, visage moqueur et pétillant, son allure aux enjambées immenses, ses bras si longs et ses mains si précises quand il s’agissait de démarrer une diagonale de Kabat… Il était un homme parfois provocateur, comme lorsqu’il me disait « pourquoi donc investir dans votre formation (que je finançais moi-même) puisque l’an prochain vous allez, comme toutes les autres, faire un enfant (là, il a eu raison) et vous vous désintéresserez à jamais de la profession (là, il a eu tort !) ». Éric Viel, c’était un passeur de relai qui n’osait y croire, cherchant à nous faire rencontrer les personnes avec qui il avait noué des contacts internationaux, je pense à cette soirée où il m’avait emmenée, sans aucune explication, rencontrer les membres de la WCPT en visite à Paris, mais j’étais trop jeune sans doute pour en avoir compris les enjeux. Il était enfin un homme plein d’humour avec qui nous avons partagé des fous rires inoubliables, quand nous osions nous moquer (gentiment !) de l’institution qu’il dirigeait et dans laquelle nous passions 9 mois de notre vie, en formation. C’est en effet essentiellement à BoisLarris que j’ai eu le plaisir de le rencontrer et de l’apprécier. Joëlle André-Vert
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r i c k Vi e l n ’ e s t p l u s d e c e monde, la kinésithérapie a perdu un maître pionnier de la profession. Douloureuse perte, mais je souhaite plutôt garder vivant le souvenir de ce grand personnage, homme passionné transmettant des idées novatrices dans ses enseignements et ses publications, orateur incomparable, élégant provocateur 10
Kinesither Rev 2008;(82):4-17
en nœud papillon usant de son humour parfois sarcastique envers les apprentis chercheurs « qui déterrent le squelette du dinosaure pour l’enterrer plus loin ». Tous ceux qui l’ont côtoyé ont été témoins de son seul souci, partager sa passion du métier. Dans cette mission, il a également excellé. Josette Peyranne
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ous avons tous appris, avec beaucoup de tristesse, la disparition de notre éminent confrère Éric Viel. Lors de ma formation cadre à l’INK de Paris (1976-1977), nous connaissions déjà Éric à travers ses écrits, son dynamisme et ses nombreuses prises de positions relatives à notre profession. Il était pour nous tous, une référence incontestable et incontestée. Par la suite, j’ai appris à connaître Éric lors de nombreux stages de formation professionnelle effectués dans sa « maison » de Bois-Larris, le « temple » de la kinésithérapie. Éric, au-delà du professionnel d’exception, était un précurseur. Il avait cette capacité rare, de prévoir, de savoir se projeter dans l’avenir. Lors de nos rencontres, nous évoquions souvent le futur de la profession. Il regrettait le manque d’ambitions de nos organisations professionnelles, trop axées sur le présent. Il écrivait en 1992 : « Ce monde en mouvement constant ne sera pas ramené aux délices des années 1960. Pour douloureux que soit l’exercice, il convient dès à présent d’illuminer l’avenir. Nous livrons aux syndicats cette profonde pensée de Pierre Dac : le futur, c’est du passé en préparation » [1]. Lui, avant tout le monde, savait qu’une profession forte, responsable et indépendante, doit se construire à partir, d’abord de sa formation initiale, puis d’une formation complémentaire universitaire. Il a été un des premiers kinésithérapeutes diplômé d’université. Il a ouvert la voie à de nombreux confrères, il a su nous montrer le chemin.
Très soucieux du développement de la recherche en kinésithérapie, il luttait avec acharnement contre les dogmes (« Le dogme est l’ennemi de la science » disait-il souvent) qui envahissaient le quotidien de l’exercice professionnel. Mais, déçu par la réalité de notre pratique, il écrivait, en 1993, non sans humour: « Nous craignons que le vocable recherche en kinésithérapie ne soit candidat à une place dans le Département d’Oxymorique aux côtés de la littérature Sumérienne Contemporaine et de la Philatélie Assyro Babylonienne » [2]… Éric militait aussi pour que des évolutions nécessaires soient apportées pour assurer l’avenir de notre profession. Par exemple: abandon du monopole du massage, partage de compétences, pour: « récupérer par le haut en abandonnant par le bas » [3]. C’està-dire faire comme la plupart des pays évolués ont fait pour permettre à la kinésithérapie (physiothérapie) de s’adapter à la réalité de la société, d’évoluer et de se développer. Donc d’être une profession respectée. À l’heure actuelle, peu de professionnels ont compris la portée de ce message. Éric nous a laissé sa vision. Il est parti sans entrevoir les changements qu’il aurait souhaités pour nous tous. Reste son œuvre que nous devons exploiter pour lui rendre l’hommage qu’il mérite. Éric, c’était une grande stature, une attitude faussement nonchalante, un regard plein de bonté et d’une incroyable pertinence, une forte culture, un passionné de la vie et de son métier. Il était immuable, il paraissait indestructible. C’était un grand homme, tout simplement. Il nous a tous « éclairés ». Sa lumière nous manque déjà. [1]
Viel E. Éditorial. Annales de Kinésithérapie, 1992, t.19, n° 1.
[2]
Viel E. Éditorial. Annales de Kinésithérapie, 1993, t.20, n° 1.
[3]
Viel E. Les années de la compétence et du transfert de compétence. Kinésithérapie, les Annales. N° 37. Janvier 2005.
Jean-Michel Lardry