Annales de pathologie (2017) 37, 429—432
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CAS ANATOMOCLINIQUE
Hyperinsulinisme congénital révélé par une mort inattendue de l’enfant夽 Congenital hyperinsulinism revealed by sudden infant death
Anne Guyot a, Fanny Moreau b, Maxime Eberhard b, ¸ois Paraf a,∗,b Jean-Michel Gaulier c, Franc a
Service d’anatomie pathologique, centre hospitalier universitaire Dupuytren, 2, avenue Martin-Luther-King, 87042 Limoges cedex, France b Service de médecine légale, centre hospitalier universitaire Dupuytren, 2, avenue Martin-Luther-King, 87042 Limoges cedex, France c Service de pharmacologie et toxicologie, centre hospitalier universitaire Dupuytren, 2, avenue Martin-Luther-King, 87042 Limoges cedex, France Accepté pour publication le 3 juillet 2017 Disponible sur Internet le 29 septembre 2017
MOTS CLÉS Hyperinsulinisme congénital ; Mort inattendue de l’enfant ; Autopsie
KEYWORDS Congenital hyperinsulinism; Sudden infant death; Autopsy
夽 ∗
Résumé Nous rapportons le cas d’une fille de 5 mois et demi, prise en charge selon le protocole de la mort inattendue de l’enfant après malaise avec perte de connaissance à domicile 2 heures après prise du biberon. Le bilan étiologique était négatif. L’autopsie ne montrait que des signes d’asphyxie. L’examen microscopique du pancréas montrait une forme diffuse d’hypertrophie des cellules bêta des îlots de Langerhans expliquant ainsi le décès par hypoglycémie sévère liée à une hypersécrétion inappropriée d’insuline. Cette observation rappelle l’importance de la prise en charge des morts inattendues de l’enfant selon le protocole de la Haute Autorité de santé avec réalisation d’une autopsie et prélèvements complets, qui ont permis dans ce cas de porter un diagnostic de maladie méconnue du vivant de l’enfant. © 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es.
Summary We report the case of a girl of 5 and a half months admitted for discomfort and consciousness loss at home and supported on sudden infant death protocol. Workup was negative. Autopsy showed only signs of asphyxia. Microscopic examination of the pancreas showed hypertrophic beta cells of Langerhans islets, explaining death linked to severe hypoglycemia by inappropriate insulin hypersecretion. This observation highlights the importance of the
Observation présentée le 20 novembre 2014 au Club de pathologie médico-légale, Carrefour Pathologie 2014. Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (F. Paraf).
https://doi.org/10.1016/j.annpat.2017.07.003 0242-6498/© 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es.
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A. Guyot et al. management of sudden infant unexpected death according to the protocol of the National Health Authority, which includes an autopsy with complete sampling, which in this case resulted in a diagnosis of unknown disease the lifetime of the child. © 2017 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Introduction L’hyperinsulinisme congénital correspond à une anomalie du pancréas endocrine caractérisée par une hypertrophie des cellules bêta des îlots de Langerhans. Cette anomalie entraîne des épisodes d’hypoglycémie de symptomatologie variable. Nous rapportons un cas d’hyperinsulinisme congénital révélée par une mort inattendue de l’enfant.
L’absence de mise en évidence d’hypoglycémie lors des épisodes de malaise pouvait être expliquée par le déclenchement de mécanismes régulateurs par l’hypoglycémie, entraînant une hyperglycémie réactionnelle consécutive. Après communication du diagnostic aux parents, ceux-ci n’ont pas donné suite à la proposition d’une enquête génétique.
Observation
Discussion
Une fille de 5 mois et demi a été hospitalisée à trois reprises en un mois, deux fois pour des malaises, une fois pour un épisode de vomissements sanglants. Le bilan étiologique réalisé lors des différentes hospitalisations ne montrait pas d’anomalie particulière. Il comprenait notamment un électroencéphalogramme, une polysomnographie, un holter ECG et une échographie cardiaque. Trois épisodes d’hyperglycémie avaient été observés au décours des malaises. Un nouveau malaise avec perte de connaissance survenait au domicile deux heures après la prise du biberon. Le SAMU intervenait mais la réanimation ne permettait pas de reprise de l’activité cardio-respiratoire et l’enfant était pris en charge selon le protocole de la mort inattendue de l’enfant et transportée vers le centre de référence régional. L’examen clinique, les radiographies du squelette et les examens biologiques usuels étaient normaux. L’autopsie montrait un développement staturo-pondéral normal pour l’âge, une cyanose des ongles et des signes de réanimation, sans autre lésion particulière, et concluait à un syndrome asphyxique d’étiologie indéterminée, sans signe évocateur de maltraitance. L’examen macroscopique et microscopique de l’ensemble des organes prélevés lors de l’autopsie était sans particularité à l’exception du pancréas. On observait de nombreux îlots de Langerhans, de taille augmentée, constitués de cellules au cytoplasme volumineux, aux noyaux irréguliers, parfois nucléolés, sans mitose (Fig. 1). Ces anomalies étaient présentes de manière diffuse au sein du parenchyme pancréatique (Fig. 2). En immunohistochimie, les cellules des îlots de Langerhans exprimaient de manière diffuse la chromogranine A et l’insuline, alors que le glucagon n’était exprimé que par de rares cellules. Il n’y avait aucune expression pour la sérotonine et Ki-67. La recherche de toxiques et de médicaments était négative dans le sang prélevé lors de l’autopsie. Le dosage sanguin du peptide C n’a pas pu être réalisé car le sang conservé était hémolysé. Il n’y avait pas d’urine disponible. Un dosage combiné du glucose et des lactates dans l’humeur vitrée, permettant d’obtenir une estimation de l’état glycémique du sujet au moment du décès, a été effectué mais n’était pas contributif. Le diagnostic proposé était celui d’une forme diffuse d’hypertrophie des cellules bêta des îlots de Langerhans.
L’hyperinsulinisme congénital ou syndrome d’hypoglycémie néonatale persistante avec hyperinsulinisme se traduit par une sécrétion dérégulée d’insuline des cellules bêta du pancréas [1]. Il représente la cause la plus fréquente d’hypoglycémie persistante de l’enfant. Son incidence est estimée entre 1 cas pour 50 000 naissances et 1 cas pour 2500 naissances dans des territoires où le taux de consanguinité est élevé [2]. Les symptômes apparaissent en général entre les premiers jours de vie et le 5e ou 6e mois [1]. L’hypoglycémie peut être asymptomatique ou entraîner un coma voire le décès de l’enfant. Elle se manifeste chez le nouveau-né par des crises d’épilepsie dans un cas sur deux. Chez l’enfant de plus d’un an, les symptômes typiques de l’hypoglycémie sont retrouvés : pâleur, sueurs, tachycardie, malaise [2]. Le diagnostic repose sur la biologie avec la mise en évidence d’hypoglycémies, une insulinémie et un dosage de peptide C inadaptés, un taux bas de corps cétoniques dans le sang et les urines, ou encore la nécessité d’administrer une perfusion de glucosé supérieure à 10 mg/kg/min pour arriver à maintenir une glycémie supérieure à 3 mmol/L. L’imagerie par PET scan avec injection de [18F]-fluoro-L-DOPA permet de diagnostiquer 75 % des lésions focales sous forme d’un signal lumineux unique. Il peut être couplé à un angioscanner pour une meilleure localisation anatomique de la lésion avant chirurgie [2]. La sensibilité du PET scan est moins bonne pour le diagnostic des formes diffuses. Lors de l’examen anatomopathologique, il n’est pas décrit d’aspect macroscopique particulier. Trois formes microscopiques sont décrites. La forme focale est représentée par une lésion limitée de 2,5 à 7,5 mm de grand axe, constituée d’îlots de Langerhans formés de grandes cellules au cytoplasme abondant et aux noyaux irréguliers, anguleux, de taille augmentée atteignant 3 à 5 fois la taille des noyaux des cellules acineuses adjacentes. En dehors de la lésion, les îlots sont de petite taille, formés de cellules tassées les unes contre les autres. Dans la forme diffuse, l’architecture du parenchyme pancréatique est conservée, pouvant sembler normale au faible grossissement, mais les îlots de Langerhans sont plus volumineux et plus nombreux. Ils sont constitués de cellules au cytoplasme abondant et aux noyaux augmentés de taille et de cellules bêta d’aspect normal. Les anomalies observées sont variables d’un îlot à l’autre. Enfin, une forme atypique est décrite, reprenant
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Figure 1. A. Nombreux îlots de Langerhans de taille augmentée (HES × 25). B. Cellules au cytoplasme abondant, aux noyaux irréguliers, volumineux, parfois nucléolés, sans mitose (HES × 400). C et D. Immunomarquage avec l’insuline (× 25 et × 200). A. Numerous larger-sized Langerhans islets (HE × 25). B. Cells with abundant cytoplasm, irregular nuclei, sometimes with nucleoli, without mitosis (HE × 400). C and D. Immunostaining with insulin (× 25 and × 200).
l’aspect de la forme diffuse mais n’intéressant qu’une partie du pancréas, en général la moitié [2,3]. La régulation de la sécrétion d’insuline dépend du métabolisme du glucose. Celui-ci entraîne une augmentation du rapport ATP/ADP dans les cellules, responsable d’une fermeture d’un canal potassique ATP dépendant. Ce canal est constitué de deux sous-unités SUR1 et Kir6.2. La fermeture du canal entraîne une dépolarisation membranaire suivie de l’ouverture de canaux calciques et d’un afflux de calcium intracellulaire responsable de la sécrétion d’insuline [1]. L’étiologie de l’hyperinsulinisme congénital a dans un premier temps été attribuée à des troubles de la morphogenèse embryonnaire et le terme utilisé était celui de nésiodioblastose [4]. Cependant, la présence de ces troubles de la morphogenèse chez des enfants normoglycémiques [1] ainsi que l’existence de cas familiaux d’hyperinsulinisme congénital [4] ont orienté vers une étiologie génétique. En effet, des mutations touchant les gènes ABCC8 et KCNJ11 localisés sur le chromosome 11 et codant respectivement pour les sous-unités SUR1et Kir6.2 du canal potassique ATP dépendant ont été rapportées chez des nouveau-nés et nourrissons hyperinsuliniques. Ces mutations seraient particulièrement responsables des formes focales d’hyperinsulinisme congénital avec la transmission d’une mutation par le père associée à une perte d’expression de la région correspondante du chromosome maternel. Dans les formes diffuses, différents mécanismes de transmissions et plusieurs gènes sont impliqués [1]. Les mutations des gènes ABCC8 et KCNJ11 représentent la cause la plus fréquente et sont responsables de 40 à 45 % des cas. Cinq à 10 % des cas seraient liés à des anomalies d’autres gènes. L’étiologie de cette pathologie reste pour le moment méconnue pour environ la moitié des cas [2].
Plusieurs diagnostics différentiels sont à évoquer : le stress périnatal, mécanisme acquis survenant par exemple en cas d’asphyxie au moment de la naissance ou de diabète déséquilibré chez la mère ; les médicaments tels que les antidiabétiques oraux ou les bêtabloquants ; le syndrome de Münchhausen par procuration ; l’insulinome qui est exceptionnel chez l’enfant [2]. Le traitement de l’urgence repose sur l’administration de glucose ou de glucagon. Au long cours, le diazoxide peut être utilisé, il agit sur le canal potassique ATP dépendant en inhibant la sécrétion d’insuline. De ce fait, il n’est pas efficace en cas de mutation des gènes codant pour les sous-unités de ce canal. Les analogues de la somatostatine sont aussi indiqués. La chirurgie peut être réalisée en cas d’échec des autres traitements. Son indication première est l’existence d’une lésion focale. Un examen extemporané des marges est réalisé au cours de l’intervention afin de s’assurer de l’exérèse complète de la lésion et d’éviter les récidives. En cas de forme diffuse, la chirurgie consiste le plus souvent en une pancréatectomie sub-totale [2]. Le traitement des formes diffuses par un inhibiteur de mTOR a semblé prometteur dans une première étude publiée en 2014 mais n’a pas été ensuite confirmé [5]. L’hyperinsulinime congénital expose à des séquelles neurologiques en cas d’hypoglycémies sévères ou prolongées [1]. La guérison peut être obtenue après chirurgie mais celle-ci peut être responsable de l’apparition d’un diabète ou d’une insuffisance pancréatique exocrine, notamment après pancréatectomie subtotale [2]. Quelques cas d’apoptose spontanée des cellules bêta anormales plusieurs années après le début des symptômes ont été décrits [3].
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A. Guyot et al.
Figure 2. Anomalie diffuse avec nombreux îlots hyperplasiques au niveau de la tête (A), du corps (B) et de la queue (C) du pancréas (HES × 25). Diffuse anomaly with numerous hyperplastic islets located in the head (A), body (B) and tail (C) of the pancreas (HE × 25).
Conclusion
Références
Devant un cas de mort inattendue de l’enfant, il est important de réaliser la prise en charge de l’enfant selon le protocole de la Haute Autorité de santé [6]. Cela peut permettre de porter un diagnostic comme celui d’hyperinsulinisme congénital dans le cas décrit ici. L’hyperinsulinisme congénital se manifeste par des symptomatologies variées. Il peut dans de rares cas se présenter comme une mort subite néonatale [7]. En cas de diagnostic d’un hyperinsulinisme congénital, il convient de mettre en place un traitement précoce afin de prévenir les séquelles neurologiques. Il reste encore une part étiologique de cette maladie à mettre en évidence. Le diagnostic de cette pathologie doit faire envisager l’orientation de la famille vers un conseil génétique en raison du risque de transmission héréditaire.
[1] Sempoux C, Guiot Y, Noël H, Jaubert F, Rahier J. Expérience du pathologiste dans l’hypoglycémie hyperinsulinique néonatale persistante. Ann Pathol 2002;22:375—86. [2] Arnoux JB, Saint-Martin C, Montravers F, Verkarre V, Galmiche L, Télion C, et al. An update on congenital hyperinsulinism: advances in diagnosis and management. Exp Op Orphan Drugs 2014;2:779—95. [3] De Lonlay P, Simon A, Galmiche-Rolland L, Giurgea I, Verkarre V, Aigrain Y, et al. Neonatal hyperinsulinism: clinicopathologic correlation. Hum Pathol 2007;38:387—99. [4] Palladino AA, Stanley CA. Nesidioblastosis no longer ! It’s all about genetics. J Clin Endocrinol Metab 2011;96:617—9. [5] Szymanowski M, Estebanez MS, Padidela R, Han B, Mosinska K, Stevens A, et al. mTOR inhibitors for the treatment of severe congenital hyperinsulinism: perspectives on limited therapeutic success. J Clin Endocrinol Metab 2016;101:4719—29. [6] Prise en charge en cas de mort inattendue du nourrisson (moins de 2 ans). URL : https://www.has-sante.fr/portail/upload/ docs/application/pdf/recommandations mort inattendue nourrisson.pdf. [7] Aynsley-Green A, Polak JM, Keeling J, Gough MH, Baum JD. Averted sudden neonatal death due to pancreatic nesidioblastosis. Lancet 1978;8063:550—1.
Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.