Séminaire FMC
Imagerie des pathologies bénignes de l’amiante P. A. Gevenois
L’
Hôpital Erasme, Université libre de Bruxelles, Belgique. Correspondance : P. A. Gevenois Hôpital Erasme, Université libre de Bruxelles, Route de Lennik 808, 1070 Bruxelles, Belgique.
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Rev Mal Respir 2006 ; 23 : 4S78-4S80 Doi : 10.1019/200530197
imagerie, en particulier la tomodensitométrie (TDM) occupe une place essentielle dans le diagnostic et la reconnaissance médico-légale des pathologies de l’amiante. Ce document n’aborde que les pathologies pleurales bénignes (plaques pleurales, épaississement pleural viscéral, pleurésie asbestosique bénigne), excluant donc le mésothéliome, l’asbestose et le cancer bronchique. Les plaques pleurales, calcifiées ou non, sont la forme la plus commune des lésions pleuro-pulmonaires liées à l’asbeste [1]. Dans les séries autopsiques, leur incidence varie de 4,2 % à 34,8 % de population générale. Elles sont asymptomatiques et n’entraînent aucune altération de la fonction respiratoire [2]. Elles ne sont pas le point de départ d’un éventuel mésothéliome et représentent simplement un stigmate de l’exposition. Elles se développent lentement, avec une latence de 15 à 30 ans. L’importance de l’exposition (quantité de fibres inhalées) ne peut être appréciée en fonction de la survenue ou de l’étendue des plaques puisque celles-ci sont parfois présentes après de faibles expositions. Unilatérales parfois, bilatérales le plus souvent, elles sont préférentiellement situées dans les régions axillaires antérieures ou postérieures, entre les 6e et 10e côtes ; elles épargnent les apex et les sinus costo-diaphragmatiques. Leur aspect peut être lamellaire, lisse ou mamelonné, et leur épaisseur varie de quelques millimètres à un centimètre. Elles peuvent être complètement ou partiellement calcifiées. En radiographie standard, il est parfois difficile de distinguer des plaques pleurales d’une accumulation de graisse extrapleurale ; en revanche, la TDM permet ce distinguo : dans un groupe de 30 travailleurs exposés à l’amiante, dans près de la moitié des cas les épaississements pleuraux décrits en radiographie correspondaient en réalité en TDM à une simple accumulation de graisse extra-pleurale [3]. En radiographie standard, seules les calcifications peuvent permettre d’exclure la nature graisseuse de ces épaississements. Histologiquement, 85 % des plaques pleurales sont calcifiées, mais la radiographie standard ne détecte ces calcifications que dans seulement 15 % des cas [3]. En TDM, des images
Imagerie des pathologies bénignes de l’amiante
pariétales thoraciques normales en rapport avec les vaisseaux et les muscles intercostaux, les vaisseaux mammaires internes, le muscle sous-costal, et le muscle triangulaire du sternum ne doivent pas être confondues avec des plaques pleurales. En outre, à l’interface poumon-paroi, seule la graisse extrapleurale peut être visible entre le poumon et la corticale interne des côtes, les autres structures, plèvres et fascia endothoracique, n’étant pas visibles en regard des côtes. En conséquence, lorsqu’une densité solide non graisseuse est visible entre la corticale interne d’une côte et la clarté pulmonaire, il s’agit nécessairement d’une anomalie pleurale. L’épaississement pleural viscéral (ou « épaississement pleural diffus ») correspond à une fibrose de la plèvre viscérale et/ou à une synéchie des deux plèvres secondaires à une réaction inflammatoire intra- pleurale [4]. Cette définition n’est pas présente dans la Classification Internationale de 1980 du Bureau International du Travail, en revanche elle est largement rapportée dans la littérature médicale. Contrairement aux plaques pleurales, l’épaississement pleural viscéral n’est pas spécifique de l’inhalation d’amiante, il peut être la séquelle de tout épanchement pleural inflammatoire, d’un hémothorax ou d’un empyème. Dans 30 % des cas, il peut être mis en rapport avec des antécédents de pleurésie asbestosique bénigne [5] mais ce chiffre est probablement sous-estimé puisqu’un grand nombre de pleurésies asbestosiques passent inaperçues. Par opposition aux plaques pleurales qui correspondent à un épaississement circonscrit et lisse de la plèvre pariétale, l’épaississement pleural viscéral peut être étendu et provoquer une insuffisance ventilatoire restrictive, des douleurs et une dyspnée [2, 5]. En radiographie, il est défini arbitrairement comme une opacité périphérique continue, s’étendant sur au moins 1/ 4 de la hauteur du thorax, habituellement associée à une oblitération du cul-de-sac costo-diaphragmatique [5]. Comme pour les autres pathologies de l’amiante, la TDM est plus sensible que la radiographie standard. Lynch et coll. ont défini l’épaississement pleural diffus sur des mensurations tomodensitométriques arbitraires et non validées par des comparaisons anatomo-pathologiques : plus large que 5 cm, plus épais que 3 mm et plus haut que 8 cm [6]. Cette description est trop restrictive car des anomalies pleurales en deçà de ces critères quantitatifs peuvent être accompagnées d’un retentissement pulmonaire qui révèle leur siège pleural viscéral [7]. En TDM, l’épaississement pleural se caractérise par une opacité à l’interface poumon-paroi ou scissurale (plèvre viscérale) associée à des signes pulmonaires qui reflètent le retentissement parenchymateux à proximité de la lésion [6]. Ces signes d’accompagnement sont les bandes parenchymateuses et les atélectasies rondes. Les bandes parenchymateuses sont des hyperdensités linéaires longues de 2 à 5 cm, larges de quelques millimètres à 1 cm environ, généralement au contact de plèvre, grossièrement perpendiculaire à la paroi thoracique, et barrant le parenchyme pulmonaire sans en respecter l’anatomie ; elles sont plus fréquentes aux bases et sont indépendantes de la position du patient [8]. Du fait de leur forme évoquant l’empreinte d’une patte d’oiseau, elles ont été baptisées « pied de corneille » (crow’s feet).
L’atélectasie ronde (rounded atelectasis) ou « par enroulement » [9] est une opacité arrondie en contact avec un épaississement pleural, associée à une perte de volume du parenchyme pulmonaire adjacent. Elle contient parfois un bronchogramme aérique et des calcifications. En TDM, lorsque les critères suivants sont tous réunis : opacité ronde au contact d’un épaississement pleural, dans un territoire diminué de volume, existence de poumon ventilé partiellement interposé entre la plèvre épaissie et l’opacité, disposition en queue de comète des vaisseaux et bronches qui pénètrent dans l’opacité, le diagnostic d’atélectasie ronde peut être retenu avec certitude, ce qui permet d’éviter une investigation à visée anatomo-pathologique. La pleurésie asbestosique bénigne est un épanchement pleural, volontiers récidivant, parfois hémorragique. Elle atteint 3 à 5 % des sujets exposés, sa fréquence diminue parallèlement à la diminution de l’intensité des expositions. C’est l’anomalie la plus fréquemment observée pendant les vingt premières années qui suivent l’exposition initiale [1]. C’est la seule pathologie asbestosique pouvant survenir dans les 10 premières années d’exposition ; son délai d’apparition peut varier de 1 à 50 ans. L’incidence supérieure de pleurésies idiopathiques parmi les travailleurs exposés à l’amiante, et inversement l’incidence supérieure d’expositions à l’amiante parmi les sujets atteints de pleurésie idiopathique ont été confirmées par de nombreuses études épidémiologiques. La pleurésie asbestosique bénigne est un diagnostic d’exclusion. Chez tout sujet dont l’exposition à l’amiante remonte au moins à 10 ans, un épanchement doit être considéré comme néoplasique jusqu’à preuve du contraire [10] ; un suivi de deux à trois ans ou une exploration thoracoscopique étant nécessaires pour exclure un mésothéliome. Les aspects radiographique et tomodensitométrique n’ont pas de caractéristiques particulières. L’observation de l’évolution de cette pleurésie suggère qu’elle est à l’origine de l’épaississement pleural viscéral, celuici en étant la séquelle. En conclusion, la TDM, occupe une place centrale dans le diagnostic des pathologies bénignes de l’amiante, ceci du fait d’une sensibilité et d’une spécificité bien supérieures à la radiographie thoracique conventionnelle. Elle permet en outre de distinguer les pathologies de la plèvre viscérale et de la plèvre pariétale et donc d’expliquer un éventuel syndrome restrictif d’origine pleurale.
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