Immunomodulation par les nutriments

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Nutrition clinique et métabolisme 20 (2006) 79–84 http://france.elsevier.com/direct/NUTCLI/ e VI Symposium nutrition « Intervention nutritionnelle : ...

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Nutrition clinique et métabolisme 20 (2006) 79–84 http://france.elsevier.com/direct/NUTCLI/ e

VI Symposium nutrition « Intervention nutritionnelle : de la prévention à la thérapeutique » - Brest, octobre 2005

Immunomodulation par les nutriments Christophe Moinard Laboratoire de biologie de la nutrition, EA 2498, faculté de pharmacie, 4, avenue de l’Observatoire, 75270 Paris cedex 06, France Disponible sur internet le 26 mai 2006

Résumé De nombreux nutriments sont reconnus pour leur capacité à moduler les fonctions immunitaires, en particulier en situation inflammatoire. De nombreux travaux, tant expérimentaux que cliniques, ont pu ainsi démontrer le rôle de certains acides aminés (glutamine, arginine), des lipides (acides gras poly-insaturés des séries n-3 et n-6), des vitamines antioxydantes et des oligoéléments. De ces observations est né le concept des mélanges immunomodulateurs enrichis en arginine, glutamine, acides gras poly-insaturés et/ou micronutriments. Le but de ces mélanges est de corriger les anomalies des réponses immunitaires et inflammatoires observées chez les patients agressés. Si ces mélanges sont efficaces en périopératoire, leur utilisation chez les patients de réanimation ou de soins intensifs est toujours controversée. Ainsi, de nombreux travaux sont encore nécessaires afin d’optimiser l’utilisation de tels mélanges. © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Many studies have well demonstrated that selected nutrients may have pharmacological effects on immunity in catabolic state. Hence, experimental and clinical trials had characterized the properties of selected amino acids (glutamine, arginine), lipids (ω 3 and 6 polyunsaturated fatty acids), vitamins and antioxidants. Following this concept, specific diets have been formulated with some of these nutrients in order to improve immune responsiveness and clinical outcome of patients. These diets already demonstrated their efficiency when they were given to patients in peri-operative situations. However, their use in ICU patients is still controversial. Further studies are required to develop an optimal IED for ICU patients. © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Arginine ; Glutamine ; Acides gras polyinsaturés ; Vitamines ; Antioxydants ; Immunité ; Mélanges immunomodulateurs Keywords: Arginine; Glutamine; Polyinsaturated fatty acids; Vitamins; Antioxidants; Immunity; Immune enhancing diets

1. Introduction La relation existant entre système immunitaire (SI) et nutriments est connue depuis de nombreuses années. En effet, l’ensemble des fonctions essentielles du SI (activation, prolifération cellulaire, synthèses protéiques…) requièrent de l’énergie, des acides aminés, des lipides, des vitamines et des oligoéléments. Ainsi, toutes altérations du statut nutritionnel (telles qu’il peut être observé au cours de la réponse métabolique à l’agres-

Adresse e-mail : [email protected] (C. Moinard). 0985-0562/$ - see front matter © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.nupar.2006.04.002

sion) auront des conséquences importantes sur les fonctions immunitaires. De cette observation, il a été proposé que l’élaboration d’une stratégie nutritionnelle adaptée pourrait contribuer à l’amélioration du pronostic de ces patients. Dans cette optique, ont été élaborés des mélanges nutritionnels (nutrition entérale ou parentérale) contenant des nutriments qui possèdent une action immunomodulatrice lorsqu’ils sont apportés à doses pharmacologiques. Parmi les différents nutriments utilisés, on retrouve les vitamines, les oligoéléments, les nucléotides, les acides gras polyinsaturés etc. Mais ceux qui, incontestablement, sont les plus documentés sont les acides aminés avec notamment la glutamine (GLN) et l’arginine (ARG).

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2. La glutamine La GLN est l’acide aminé (AA) quantitativement le plus important au niveau plasmatique (0,6 mM) et représente 61 % des AA libres musculaires (20 mM) [1]. En effet, la GLN est synthétisée et stockée de façon majoritaire au niveau musculaire [2]. Cet AA joue un rôle clef dans le métabolisme protéique : la GLN est le principal précurseur de l’ammoniogenèse rénale [3], un carburant essentiel des entérocytes [4] et des cellules du SI [5]. C’est également un précurseur de neuromédiateurs (glutamate et GABA), un substrat néoglucogénique et un précurseur pour la synthèse des bases puriques et pyrimidiques [6]. Enfin, la GLN constitue le pool précurseur du glutamate utilisé pour la synthèse de glutathion [7]. Au cours de situations cataboliques, les niveaux circulant en GLN chutent [8,9], suggérant une consommation accrue de cet AA. En effet, il est observé une augmentation de l’extraction splanchnique de GLN circulante (à des fins néoglucogéniques et afin d’assurer l’intégrité de la barrière intestinale) [10,11] et une forte augmentation de l’utilisation rénale de GLN pour lutter contre l’acidose (la GLN est utilisée pour tamponner l’ion hydrogène et l’éliminer sous forme d’ammoniac) [3]. L’exacerbation de ces deux voies métaboliques et leur caractère prioritaire peuvent conduire à une déplétion en GLN au niveau d’autres tissus, en particulier au niveau des cellules immunitaires. Toutes les cellules du SI (lymphocytes, macrophages, thymocytes…) ont une activité glutaminasique élevée et utilisent des quantités importantes de GLN. En particulier, cet AA est essentiel pour la division des lymphocytes en cultures [12] : il fournit les azotes nécessaires à la biosynthèse des nucléotides et il représente une source énergétique majeure [12]. Ainsi, la déplétion en GLN au niveau de l’organisme aura des répercussions sur le métabolisme des cellules immunitaires. 2.1. Lymphocytes La prolifération lymphocytaire (estimée par incorporation de thymidine tritiée) dépend de la concentration de GLN présente dans le milieu d’incubation [13]. De même, la production d’interleukine-2 (IL-2) par les lymphocytes dépend de la disponibilité en GLN. Ces résultats ont suggéré que la GLN, à concentration physiologique, puisse stimuler la prolifération lymphocytaire en augmentant la production d’IL-2 [14]. Enfin, récemment, il a été montré que la GLN jouait un rôle important dans le maintien de l’équilibre Th1/Th2 au cours du sepsis [15]. 2.2. Polynucléaires neutrophiles Les polynucléaires neutrophiles consomment la GLN de façon importante. Pithon Curi et al. [16] ont montré que, dans les conditions physiologiques, la concentration intracellulaire de GLN était de 12,9 mM et que sa consommation par les PNN était de 2,9 nmol/min par milligramme de protéines (en comparaison, la consommation de glucose est de 7,7 nmol/min par milligramme de protéines) [17].

Les travaux de Furukawa et al. [18] et ceux de Ogle et al. [19] ont montré, in vitro, que la GLN avait la capacité d’augmenter la bactéricidie des neutrophiles chez des patients brûlés [19] ou en période postopératoire [18]. Cependant, la phagocytose, la production d’élastase et la synthèse de cytokines (TNFα, IL-1β et IL-8) étaient inchangées en présence de GLN. Ces auteurs [18,19] suggéraient que la GLN pouvait moduler la bactéricidie des PNN via une activation de la production de formes radicalaires de l’oxygène. Cette hypothèse, a pu être confirmée, expérimentalement. En effet, une supplémentation orale en GLN permettait d’augmenter la production intracellulaire de peroxyde d’hydrogène par les neutrophiles [20, 21]. 2.3. Macrophages La consommation basale de GLN est de l’ordre de 100 nmol/h par milligramme de protéines. La capacité phagocytaire des macrophages dépend de la concentration de GLN présente dans le milieu d’incubation [13]. De même, la synthèse d’ADN (estimée par l’incorporation de thymidine tritiée) est modulée par la GLN de façon dose dépendante. La GLN régule la production de cytokines des macrophages. En effet, la présence de GLN est nécessaire à la production d’IL-1 [22]. Cependant, la capacité de la GLN à moduler la production d’IL-1 par les macrophages n’est pas liée à la propriété de la GLN de moduler le volume cellulaire, un mécanisme impliqué dans plusieurs autres actions de la GLN [23]. Costa Rosa et al. [24] ont montré qu’à l’état basal le NADPH,H+ (cofacteur essentiel pour le métabolisme oxydatif du macrophage) provient à 92 % de la voie des pentoses phosphate et à 8 % du catabolisme de la GLN. En revanche, après stimulation des cellules, la dégradation de la GLN permet de générer 50 % du NADPH,H+ produit et cela s’accompagne d’une forte augmentation de l’activité glutaminasique. Ces travaux témoignent de l’importance de la GLN en tant que substrat énergétique pour le macrophage stimulé. Ces données expérimentales ont largement démontré la capacité de la GLN à moduler in vitro les fonctions des cellules immunitaires. S’appuyant sur ces résultats, un certain nombre de travaux expérimentaux et cliniques a évalué la capacité d’une supplémentation en GLN (orale, entérale ou parentérale) à restaurer l’état immunitaire après une agression. Les premiers travaux montrant le bénéfice d’une supplémentation en GLN sont ceux de Ziegler et al. [25]. En effet, ces auteurs ont réalisé une étude clinique randomisée en double insu évaluant l’influence d’une nutrition parentérale totale (NPT) enrichie en GLN (0,57 g/kg par jour) chez des patients bénéficiant d’une greffe de moelle. La supplémentation en GLN permet de diminuer significativement les infections (43 % dans le groupe témoin vs 13 % dans le groupe GLN ; p < 0,05) et de réduire la durée d’hospitalisation (29 ± 1 jours vs 36 ± 2, p < 0,05). De même, O’Riordain et al. [26] ont envisagé l’influence d’un apport en GLN sur la fonctionnalité des lymphocytes. Les patients, opérés pour une résection rectocolique, étaient

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placés sous NPT du premier au sixième jour qui suivent l’opération. Les deux groupes de patients recevaient soit une NPT standard (0,2 g d’N/kg par jour) soit un régime isoazoté enrichi en GLN (0,18 g/kg par jour). Les résultats montrent que la GLN permet d’augmenter la prolifération lymphocytaire (estimée in vitro par incorporation de thymidine tritiée). En revanche, la supplémentation en GLN ne modifie pas l’activité sécrétoire des lymphocytes : aucune variation de la sécrétion de TNFα, d’IL-2 ou d’IL-6 n’est observée. Puis les travaux de Griffiths [27] ont permis de montrer qu’une nutrition parentérale enrichie en GLN permettait de réduire la mortalité sur six mois. Par la suite, de nombreux essais cliniques ont pu mettre en évidence l’intérêt thérapeutique d’apporter de la GLN [12]. 3. L’arginine L’arginine (ARG) est un AA dibasique. C’est un AA non essentiel car il peut être synthétisé de novo en quantité suffisante par l’organisme [28,29]. Cependant, lors de certains états physiopathologiques (trauma…), la synthèse ne permet pas de couvrir les besoins et l’ARG devient alors un AA conditionnellement essentiel [28,29].

L’ARG est synthétisée à partir de la citrulline (CIT), en particulier au niveau rénal [28,29]. Elle est également synthétisée au niveau hépatique mais uniquement en tant qu’intermédiaire du cycle de l’urée [28]. Elle est dégradée soit par l’arginase qui libère une molécule d’ornithine et une molécule d’urée [29], soit par la NO● synthase qui entraîne la formation de CIT et de monoxyde d’azote radicalaire (NO–) [28,29]. Le NO● est une molécule instable (rapidement oxydée en nitrite et nitrate) qui est douée de nombreuses propriétés biologiques [28,29]. Le NO– peut agir comme un médiateur cellulaire : il stimule la guanylate cyclase ce qui a pour conséquence d’augmenter la production de guanosine monophosphate cyclique (GMPc) [30]. Le NO– est également un agent cytotoxique. En effet, il peut inhiber la chaîne respiratoire (inhibition du complexe I et du complexe II) [31] et le cycle de Krebs (inhibition de l’aconitase) [32]. Le NO– a également la capacité d’inhiber la ribonucléotide réductase, enzyme impliquée dans la synthèse et la réparation de l’ADN [32,33]. Le NO– est synthétisé par des enzymes contenant un groupement héminique que l’on regroupe sous le terme de NO- synthase (NOS). Il existe plusieurs groupes de NOS : deux sont constitutives et une est inductible [33]. Les enzymes constitutives sont présentes dans l’endothélium vasculaire (NOS endothéliale), aux niveaux cérébral, spinal et du système nerveux central (NOS neuronale). Quant à la NOS induite par des stimuli inflammatoires ou immunologiques, elle est connue sous le nom d’iNOS (inducible NOS). L’ARG possède de multiples actions biologiques. Sa fonction principale est la détoxication de l’ammoniac via le cycle de l’urée [29]. Elle possède également une action sécrétagogue :

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l’augmentation de sa concentration plasmatique induit la sécrétion d’insuline, de glucagon, d’hormone de croissance, de prolactine et de catécholamines [29]. Il semblerait que ces actions soient médiées par la voie cholinergique [29]. L’ARG est aussi un élément important dans l’énergétique musculaire : après réaction avec la glycine et la méthionine, elle permet la formation de la créatine [29,34]. C’est aussi — après conversion en ornithine — un précurseur des polyamines (putrescine => spermidine => spermine) qui sont essentielles à la croissance des cellules à renouvellement rapide (entérocytes, cellules immunitaires, etc.) [28,34]. Enfin, l’ARG, via la synthèse de proline et d’hydroxyproline, favorise le dépôt de collagène assurant ainsi une meilleure cicatrisation des plaies [35]. L’ensemble de ces propriétés font de l’ARG un élément clef dans la réponse à l’agression, en particulier dans la réponse du SI [28,29,34]. 3.1. Lymphocytes L’apport d’une nutrition enrichie en ARG permet d’augmenter le poids du thymus [35]. Cet AA est également essentiel à la fonctionnalité des lymphocytes. En effet, in vitro, elle est indispensable à la cytotoxicité des lymphocytes : si ces cellules sont cultivées dans un milieu dépourvu d’ARG, la réponse mitogénique (après stimulation à la PHA ou à la Con A est diminuée de 60 à 80 % [29]. Parallèlement, la synthèse protéique et la synthèse d’ARN sont diminuées de 25 % [29]. 3.2. Polynucléaires neutrophiles L’incubation in vitro de PNN humains en présence d’ARG permet d’augmenter leur phagocytose [36]. Cette action est dose dépendante et atteint son maximum pour une concentration en ARG de 380 μM. Ces auteurs [36] ont également montré que cette action de l’ARG sur la phagocytose était liée à la production de NO–. 3.3. Macrophages L’ARG est un substrat essentiel pour la cytotoxicité du macrophage. En effet, l’activation du macrophage par le LPS ou l’IFNγ se traduit par une augmentation de l’influx d’ARG dans la cellule et un accroissement de la production de NO– [37]. De plus, une augmentation de la concentration d’ARG (entre 80 et 1000 μM) dans le milieu d’incubation entraîne une augmentation de la production de NO– et de la cytotoxicité de ces cellules, de façon dose dépendante [38]. Enfin, une nutrition enrichie en ARG permet de réduire la sécrétion de cytokines proinflammatoires chez le rat septique [39]. La démonstration des capacités de l’ARG à stimuler in vitro la fonctionnalité des cellules a suscité de nombreux travaux expérimentaux et cliniques visant à déterminer si une supplémentation orale, entérale ou parentérale d’ARG pouvait conduire aux mêmes effets. Chez le cobaye brûlé, une supplémentation entérale en ARG (1,1 g/kg par jour) a pour effet de diminuer la mortalité [40].

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Des résultats similaires sont obtenus chez le rat septique recevant une supplémentation d’ARG par NPT [41]. Il semblerait que ces actions soient liées à l’action immunomodulatrice de l’ARG. En effet, chez l’animal, une supplémentation en ARG permet de limiter l’involution thymique observée au cours de l’agression [29]. Il est à noter que l’ARG possède également des propriétés extrathymiques : chez des souris nudes l’addition d’ARG à l’eau de boisson (1,2 %) augmente le nombre de lymphocytes T et stimule leur activité [42]. L’endotoxémie entraîne une augmentation de la production de cytokines comme le TNFα ou l’IL-1. Chez le rat endotoxémique, une supplémentation en ARG (300 mg/kg administrés par voie intrapéritonéale) permet de diminuer la production de cytokines des macrophages [43]. Les auteurs suggèrent que cette action serait médiée par le NO–. En effet, l’ARG augmenterait la production de NO– par les macrophages, lequel, par un rétrocontrôle négatif, diminuerait la production de cytokines. Il semblerait que le NO– agisse à un niveau prétranscriptionnel par une modulation du niveau d’expression de NF-κB. Chez le volontaire sain, une supplémentation orale en ARG (30 g/j) permet d’augmenter la réponse mitogénique des lymphocytes après stimulation par la Con A ou la PHA [44]. L’ARG préserve également les fonctions lymphocytaires au cours du stress. Daly et al. [45] ont évalué l’influence d’une nutrition entérale enrichie en ARG (25 g/j) durant sept jours chez des patients en période postopératoire. La supplémentation permet d’augmenter la réponse mitogénique des lymphocytes ainsi que l’expression des CD4+ au niveau des lymphocytes T helper. Mendez et al. [46] ont administré, à des patients traumatisés, une nutrition entérale enrichie en ARG et oligoéléments. Ils ont évalué les fonctions immunitaires après un, six et dix jours de supplémentation. Il apparaît que l’ARG permet d’augmenter la production de TNFα et de prostaglandine E2 par les monocytes stimulés et ce, dès le sixième jour. En revanche, cette manipulation nutritionnelle n’a aucune action sur la capacité fonctionnelle des lymphocytes et des PNN.

selon la nature des apports lipidiques. Ainsi, cette dernière affecte directement les fonctions cellulaires telles que le transport membranaire, la régulation des activités enzymatiques ainsi que la disponibilité en précurseurs de médiateurs tels que les prostaglandines ou les leucotriènes [47]. L’effet immunomodulateur des AGPIs est essentiellement lié aux propriétés de leurs métabolites. D’une part le métabolisme de l’acide arachidonique conduit aux eicosanoïdes pairs (thromboxane A2, prostaglandine E2, leucotriène B4). D’autre part, l’EPA va pouvoir générer des métabolites comme les thromboxane A3, prostaglandine E3 et leucotriène B5 [48]. De façon schématique, on peut retenir que les AGPIs ω3 sont globalement anti-inflammatoires notamment en diminuant la sécrétion des cytokines pro-inflammatoires (TNFα, IL-1 et IL-6). Cependant, la synthèse de ces cytokines semble être avant tout sous la dépendance du rapport ω6/ω3 [47].

4. Les acides gras poly-insaturés

Au cours des dernières décennies, est apparu le concept des mélanges« immunomodulateurs » (ou immune enhancing diets, IED) qui possèdent des propriétés pharmacologiques. En effet, ces mélanges ont été élaborés dans le but de corriger les anomalies des réponses immunitaires et inflammatoires observées chez les patients de réanimation et de soins intensifs. Dans cette optique, ces mélanges ont été spécifiquement enrichis en arginine, glutamine, AGPIs ω3 et/ou en micronutriments (vitamines antioxydantes et oligoéléments) [53]. Ces mélanges immunomodulateurs ont montré leur efficacité chez les patients en situation périopératoire [53], pour les patients de réanimation ou les patients sévèrement agressés, l’utilisation de tels mélanges fait toujours l’objet de controverse [54,55]. En effet, certains auteurs suggèrent que l’utilisation des IEDs est associée à une surmortalité [56], en particulier au cours des complications septiques [57,58]. L’explication avancée est l’apport excessif d’ARG qui serait responsable d’une surproduction de NO conduisant à une défaillance multiorgane.

Les acides gras poly-insaturés (ou AGPI) se répartissent en deux séries : les ω3 et les ω6 dont les principaux représentants sont, respectivement, l’acide linolénique et l’acide linoléique. Ces acides gras sont essentiels chez l’Homme, et ils vont conduire, par élongation, respectivement, à la synthèse de l’acide arachidonique (acide linolénique) et des acides eicosapentanoïques (EPA) et docosahexanoïque (DHA) [47]. Ces acides gras vont être des précurseurs de métabolites qui sont connus sous le nom commun d’eicosanoïdes (prostaglandines, thromboxanes et leucotriènes). Physiologiquement, il existe une compétition entre les AGPI ω3 et les AGPI ω6. En effet, ces deux familles ont en commun une enzyme, la δ-6 desaturase. Les AGPIs ω3 ont une action inhibitrice sur la synthèse de l’acide arachidonique au profit de la synthèse de DHA et d’EPA. Ces produits s’insèrent dans les membranes des cellules immunitaires. Dans ces conditions, la composition des phospholipides membranaires varie

5. Les vitamines antioxydantes et oligoéléments La réponse à l’agression est caractérisée par une augmentation de la consommation d’oxygène et par une production accrue d’espèces réactives de l’oxygène [49]. Ces radicaux libres participent au développement d’un stress oxydant délétère pour l’organisme. En effet, ce phénomène participe à l’activation de facteurs de transcription tels que NF-κB qui majore la production de cytokines pro-inflammatoires [50,51]. Par ailleurs, la réponse du SI est intimement liée au potentiel antioxydant : en effet, les membranes leucocytaires sont constituées d’acides gras saturés et poly-insaturés qui peuvent être oxydés. Il en résulte une perte de fluidité membranaire pouvant conduire à une altération des fonctions immunitaires [52]. Ainsi, les vitamines antioxydantes et les oligoéléments jouent un rôle essentiel dans la lutte contre le stress oxydatif et dans le maintien de la réponse immunitaire. 6. Les mélanges immunomodulateurs

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Cependant, de telles affirmations ne reposent que sur peu de données, et de nombreux travaux ont bien démontré l’intérêt de l’ARG [59]. Or, ces mélanges sont qualifiés de « soupe de pharmaconutriments » par certains auteurs [60] car l’action de chaque composant n’est pas clairement identifié. Or une telle connaissance est nécessaire afin de pouvoir déterminer une nutrition optimale adaptée à chaque type d’agression (polytraumatisme, réanimation, brûlure…) car les résultats obtenus dans un modèle donné ne semblent pas extrapolables à l’ensemble des situations pathologiques [57,61]. Ainsi, de nombreux travaux, tant expérimentaux que cliniques, sont encore nécessaires afin de mieux comprendre les mécanismes d’action de ces mélanges et d’individualiser les propriétés de chaque composant afin de savoir précisément qui fait quoi. Références [1]

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