Impact de la radiothérapie sur la fertilité féminine

Impact de la radiothérapie sur la fertilité féminine

Bull Cancer 2015; 102: 470–476 Synthèse en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/bulcan www.sciencedirect.com Impact de la radiothérapie...

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Bull Cancer 2015; 102: 470–476

Synthèse

en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/bulcan www.sciencedirect.com

Impact de la radiothérapie sur la fertilité féminine Renaud Mazeron, Pierre Maroun, Kim Cao, Rodrigue Mbagui, Andrea Slocker-Escarpa, Cyrus Chargari, Christine Haie-Meder

Reçu le 23 mars 2015 Accepté le 26 mars 2015 Disponible sur internet le : 5 mai 2015

Gustave-Roussy Cancer Campus, département de radiothérapie, service de curiethérapie, Villejuif, France

Correspondance : Renaud Mazeron, Gustave-Roussy Cancer Campus, département de radiothérapie, 114, rue Édouard-Vaillant, 94805 Villejuif cedex, France. [email protected]

Mots clés Radiothérapie Fertilité féminine Cancer Dose Ovaire

Keywords Radiotherapy Female fertility Cancer Dose Ovary

Résumé La radiothérapie peut avoir des effets délétères sur la fertilité féminine. Elle peut provoquer une dysfonction ovarienne, engendrer des dommages utérins, ou encore perturber l'axe hypothalamohypophysaire. Ces effets se produisent à des niveaux de dose variables souvent relativement bas au regard des doses prescrites. D'autres cofacteurs influencent les conséquences de la radiothérapie sur la fertilité, comme l'âge ou l'administration d'agents alkylants. Cette revue a pour objectif de faire une mise au point sur l'état actuel des connaissances sur l'impact de la radiothérapie sur la fertilité féminine.

Summary Impact of radiotherapy on female fertility Radiation therapy may have deleterious effects on female fertility. It can cause ovarian dysfunction, uterine damages or disrupt the hypothalamic-pituitary axis. These effects occur at varying dose levels usually relatively low compared to the prescribed doses. Other co-factors influence the effects of radiation therapy on fertility, such as age or therapy with alkylating agents. This review aims to make an update on the current state of knowledge about the impact of radiotherapy on female fertility.

Introduction

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La radiothérapie est l'une des principales thérapies anticancéreuses avec la chimiothérapie et la chirurgie. On estime que 50 % des patients atteints de cancer ont une irradiation à visée curative ou symptomatique à un moment donné de

leur prise en charge. Les doses délivrées sont variables, en fonction de l'indication, de la sensibilité des tumeurs et des organes de voisinage : de 20–30 Gy pour les tumeurs les plus radiosensibles comme les lymphomes jusqu'à 85 Gy, voire plus pour les cancers du col utérin. En dehors des cas où les organes

tome 102 > n85 > mai 2015 http://dx.doi.org/10.1016/j.bulcan.2015.03.015 © 2015 Société Française du Cancer. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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Les effets de la radiothérapie sur les organes sexuels (vulve, vagin), la dégradation de la libido ou de l'image corporelle, ne sont pas traités dans cette mise au point. Le lecteur pourra se référer à la publication récente de Leroy et al. [3].

Dysfonction ovarienne Les radiations ionisantes peuvent causer des dommages sur l'ADN des follicules ovariens, et ainsi être responsables d'une détérioration de la réserve folliculaire, mais aussi de conséquences hormonales en perturbant la fonction endocrine des ovaires, responsable d'une dysfonction utérine et d'une ménopause précoce.

Données cliniques Les effets délétères de la radiothérapie sur la fonction ovarienne sont connus de longue date [4]. La radiothérapie a même été utilisée à des fins castratrices dans la prise en charge des cancers du sein [5]. Meakin et al. ont ainsi démontrer l'efficacité d'une irradiation ovarienne à la dose de 20 Gy associée à une corticothérapie dans le prévention des rechutes avec impact sur le taux de survie globale chez les patientes traitées pour cancer du sein et non ménopausées dans un essai randomisé [6]. En dehors de cette situation particulière, les données disponibles dans la littérature reposent sur des irradiations ovariennes généralement non désirées et sur des études rétrospectives pour lesquelles l'évaluation de la dose délivrée aux ovaires est plus ou moins grossière. Larsen et al. ont rapporté les résultats à long terme de patientes traitées dans l'enfance pour cancer et identifiées par le biais du Childhood Cancer Registry [7]. Cent patientes âgées en moyenne de 5,4 ans au diagnostic ont été identifiées. À l'âge moyen de 25,7 ans, 17 avaient un traitement hormonal substitutif, avec des dosages élevés de FSH et LH, et une concentration sérique d'inhibine B effondrée. Parmi les autres patientes, 70 avaient des cycles réguliers, mais avec des ovaires de petites tailles (4,8 cm3 contre 6,8 cm3 dans la cohorte témoin, p < 0,001) et des follicules antraux en nombre limité (7,5 vs 11 par ovaire, p < 0,001). Parmi les facteurs de risque de réserve folliculaire diminuée, les auteurs ont identifié : la réalisation d'une irradiation ovarienne, le recours à des agents alkylants, l'âge au moment de la prise en charge, et la longueur du suivi. Chemaitilly et al. ont étudié l'incidence de la dysfonction ovarienne aiguë définie comme survenant dans les 5 années suivant l'irradiation [8]. Les données de 3390 patientes ont été analysées. Un total de 215 patientes avait une dysfonction ovarienne (6,3 %). L'âge élevé au diagnostic (OR = 1,8), une radiothérapie abdominale ou pelvienne (OR = 25,4) étaient associés à un risque significativement accru de dysfonction ovarienne. Parmi les 215 patientes atteintes de dysfonction ovarienne, 116 avaient eu une irradiation ovarienne, estimée à plus de 10 Gy. Ces deux études montrent l'impact délétère de la radiothérapie sur la fonction ovarienne mais illustrent aussi le rôle de la chimiothérapie souvent

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impliqués dans la fertilité sont eux-mêmes la cible du traitement comme dans les cas des cancers gynécologiques, leur sensibilité aux radiations ionisantes pose parfois le problème de la conservation de la fertilité. Bien que les techniques d'irradiation aient évolué ces dernières années, en particulier dans le domaine de la précision, la radiothérapie peut avoir des conséquences, souvent irréversibles, sur la fertilité féminine, même lorsque ceux-ci ne sont pas ciblés par la radiothérapie. La nécessité d'appliquer des marges autour des tissus cibles pour prendre en compte les incertitudes liées à l'extension microscopique de la maladie, les erreurs de repositionnement de la patiente sous la machine ou encore les mouvements des organes avec la respiration, ou la réplétion d'organes creux comme la vessie ou le rectum, impose parfois la nécessité d'irradier des organes initialement non concernés par la maladie. Par ailleurs, la dose délivrée en radiothérapie dépasse les limites des champs. La dose en bordure de champs est classiquement de 50 % de la dose prescrite. Il est par exemple possible de détecter des doses très faibles dans le pelvis d'une femme enceinte en cours d'irradiation pour une tumeur sus-diaphragmatique [1]. Plusieurs phénomènes physiques expliquent ce constat. Il existe par exemple des fuites au niveau de la tête de l'accélérateur, du collimateur et autres accessoires permettant de conformer le faisceau à la cible du traitement. Au niveau biologique, la radiothérapie agit en ionisant les molécules d'eau, créant des radicaux libres mobiles qui vont créer secondairement des lésions de l'ADN. Ces radicaux libres diffusent également au-delà des limites des champs d'irradiation. Enfin, il peut y avoir production de neutrons en particulier lors de l'utilisation de photons de haute énergie, qui eux aussi interagissent avec la matière. L'importance de ces « fuites » varie avec les caractéristiques techniques du traitement comme la taille des champs, l'énergie des particules utilisées et la profondeur de traitement. Il est d'ailleurs possible de jouer sur ces différents éléments pour diminuer la dose délivrée à un organe sain situé en dehors des champs d'irradiation. Afin d'appréhender l'impact du traitement sur la fertilité féminine, une parfaite connaissance de la sensibilité des organes impliqués dans la fertilité est nécessaire. Cette revue a pour objectif de faire le point sur les données disponibles dans la littérature. Le nombre de publications dédiées à ce sujet est cependant limité, la dose délivrée aux organes impliqués et ses conséquences sur la fertilité ayant été peu étudiées. Les conséquences de la radiothérapie sur la fertilité sont d'ailleurs difficiles à évaluer. Pendant de nombreuses années, les dosimétries ont été réalisées à partir de clichés radiologiques de centrage ne permettant pas le repérage précis de structures, telles que l'utérus ou les ovaires. Les données sur le suivi de la fertilité à long terme des patientes traitées à un âge jeune sont également limitées [2]. Enfin, les traitements anticancéreux sont souvent combinés dans la prise en charge des patientes rendant l'identification de la responsabilité de chacun difficile.

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Impact de la radiothérapie sur la fertilité féminine

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R. Mazeron, P. Maroun, K. Cao, R. Mbagui, A. Slocker-Escarpa, C. Chargari, et al.

associée dans la prise en charge des cancers de l'enfant. Dans une autre publication, Byrne et al. avaient évalué l'incidence de la ménopause précoce chez 1067 patientes survivantes de cancer et traitées avant l'âge de 20 ans [9]. Les patientes qui avaient eu une irradiation seule avaient un risque 3,7 fois supérieur à celui des femmes de la population témoin. Celles qui avaient reçu de la chimiothérapie exclusive, contenant des agents alkylants, avaient un risque multiplié par 9,2. Enfin les patientes ayant reçu les deux modalités thérapeutiques avaient un risque multiplié par 27, démontrant un effet synergique de la radiothérapie et des agents alkylants.

Modélisation Wallace et al. ont développé un modèle mathématique pour évaluer les contraintes de dose des ovaires en fonction de l'âge [10]. Ils se sont appuyés sur l'équation de Faddy-Gosden évaluant la réserve folliculaire des femmes en fonction de leur âge, ainsi que sur les données cliniques de patientes traitées par irradiation corporelle totale [11]. L'équation de Faddy-Gosden prend en considération le déclin naturel de la réserve folliculaire, et l'âge théorique de la ménopause établi à 50,4 ans à partir d'études épidémiologiques. Considérant qu'une dose de 2 Gy aboutit à la destruction de 50 % du stock d'ovocytes, la méthode de Wallace consiste à calculer la réserve d'ovocytes avant irradiation en appliquant l'équation de Faddy-Gosden puis à évaluer la fraction survivante après radiothérapie. Ils évaluent l'âge théorique d'une femme ayant une réserve similaire et le délai la séparant de sa ménopause théorique. Ce délai permet ensuite l'évaluation de l'âge de la ménopause précoce radio-induite. En jouant sur les intervalles de confiance, il est ensuite possible de proposer une fourchette prenant compte la variabilité individuelle du nombre de follicules. Par exemple, pour une fille de 12 ans, le nombre d'ovocytes calculés à partir de l'équation de Faddy-Gosden est de 312 000. Après une irradiation estimée à la dose de 10 Gy, la fraction survivante est estimée à 3,01 % (log10 2), correspondant à une population de 9600. Les femmes ayant cette quantité d'ovocytes étant âgées en moyenne de 42,9 ans sont séparées de la ménopause de 7,5 ans. Wallace et al. considèrent que la patiente de 12 ans aura une dysfonction ovarienne 7,5 ans plus tard (50,4 – 42,9 = 7,5), soit à l'âge de 19,5 ans. La dose considérée comme stérilisante pour 97,5 % des femmes est estimée par ce modèle à 20,2 Gy à la naissance, 18,4 Gy à l'âge de 10 ans, 16,5 Gy à 20 ans, et 14,3 Gy à 30 ans (figure 1) [10].

Mesure de la dose aux ovaires

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L'évaluation de la dose délivrée aux ovaires est complexe. Leur repérage sur un scanner, examen de référence pour le centrage en radiothérapie, n'est pas aisé. Par ailleurs, les ovaires apparaissent comme des organes extrêmement mobiles, avec des mouvements d'amplitude moyenne estimée par Peters et al. de 13 à 59 mm en fonction de l'axe étudié [12]. D'après ces mêmes auteurs, il faudrait définir des volumes d'évitement

Figure 1 Dose théorique aux ovaires entraînant une stérilité dans 50 et 97,5 % des cas, en fonction de l'âge de la patiente D'après Wallace et al.

autour des ovaires (équivalent d'un planning organ at risk volume, PRV) de 11 et 24 cm3 pour préserver les ovaires gauche et droit respectivement dans 95 % des cas, voire 25 à 54 cm3 pour un taux de 99 %. Ces mouvements d'amplitude significative sont à prendre en compte dans l'évaluation de la dose délivrée aux ovaires et dans la stratégie de préservation. Ils illustrent également les limites des évaluations de la dose rapportée aux ovaires dans la littérature, ainsi que les difficultés à les protéger efficacement lors d'une radiothérapie. Les techniques modernes de radiothérapie externe (radiothérapie en condition stéréotaxique ou conformationnelle avec modulation d'intensité) permettent une meilleure épargne des organes à risque en améliorant le gradient de dose à leur contact. Leur place reste à définir dans la prise en charge des tumeurs gynécologiques ou pédiatriques [13–15].

Transposition d'ovaires La technique classique pour limiter l'irradiation des ovaires est la transposition chirurgicale [16]. Cette intervention proposée dès les années 1950 consiste à disséquer l'ovaire et la trompe de Fallope puis les mobiliser en dehors du pelvis et les ligaturer au péritoine. Son objectif est d'éloigner les ovaires de la région irradiée (figure 2). Covens et al. ont rapporté les résultats dosimétriques de transpositions ovariennes. Après déplacement des ovaires de 14,4 et 14,3 cm latéralement, les auteurs ont estimé la dose délivrée à leur niveau à 1,35–1,90 Gy en cas de radiothérapie pelvienne et 2,3–3,1 Gy en cas de radiothérapie pelvienne étendue aux aires ganglionnaires lombo-aortiques [17]. La position des ovaires transposés dépend des volumes à irradier et doit être soigneusement évaluée avant l'intervention. Il peut être judicieux d'éloigner au maximum les ovaires du

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Figure 2 Cliché radiologique de bassin de face en prévision d'une curiethérapie vaginale pour un rhabdomysarcome vaginal. Les ovaires transposés sont repérés à l'aide des clips laissés en place par le chirurgien (flèches blanches). Pour une prescription de 60 Gy, la dose évaluée aux ovaires était de 0,41 et 0,48 Gy pour les ovaires droit et gauche, respectivement

pelvis, vers le haut, ou de les latéraliser. Des clips sont idéalement mis en place permettant de repérer les ovaires transposés sur les radiographies ou tomodensitométries de centrages afin d'évaluer la dose délivrée à leur niveau. Lorsque les ovaires peuvent être placés près de la paroi abdominale, ils peuvent être maintenus par un fil de suture transpariétal qui une fois coupé permettra le retour des ovaires dans le pelvis dans leur position naturelle. Cette dernière technique est utilisée lorsque le besoin est transitoire, comme dans les cas de curiethérapie vaginale chez l'enfant, pour laquelle le traitement est terminé sous 8–10 jours [18]. Pour les irradiations plus longues, le risque d'adhérence au péritoine risquant de gêner le retour des ovaires dans le pelvis est plus important. Il est à noter que l'objectif premier de la transposition ovarienne est la préservation de la fonction ovarienne endocrinienne, et que le maintien de la fertilité implique également l'épargne de l'utérus lors de la radiothérapie. Le tableau I résume les expériences cliniques rapportées dans la littérature [19–29].

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Impact de la radiothérapie sur la fertilité féminine

Dysfonction utérine La radiothérapie a également des effets directs sur la fonction utérine, indépendants de ses effets ovariens. Les effets aigus de la radiothérapie sont mal connus. Il semble qu'il y ait dans un

TABLEAU I Taux de conservation de la fonction endocrine ovarienne après transposition ovarienne et radiothérapie Auteur

n

Âge (années)

Suivi (mois)

Type de cancer

Technique d'irradiation

Taux de conservation de la fonction ovarienne

Anderson et al. [19]

24

31

58

24 cancers du col

RTE

33 %

Classe et al. [20]

4

21

L Hodgkin

RTE

100 %

Clough et aL. [21]

20

32,8

23,5

17 cancers du col utérin 1 Épendymome 2 LM Hodgkin

Curie : 14 RTE : 3 RTE + curie : 3

85,7 %

Feeney et al. [22]

132

38

24

Col de l'utérus

RTE

50 %

Gareer et al. [23]

12

23,2



L Hodgkin : 9 Cancer du rectum : 3

RTE

91,7 %

Huang et al. [24]

14

37,8

72

12 cancers du col utérin 2 cancers du vagin

RTE

50 %

Kuohung et al. [25]

15

71

Medulloblastome

RTE Cranio-spinale

87 %

Morice et al. [26]

24

31

Varié, pelviens

RTE + curie : 4 RTE : 5 Curie : 10 Chir seule : 5

79 %

Morice et al. [27]

95

33

31

Col de l'utérus

RTE + curie : 25 Curie : 59 Chir seule : 11

83 % (Curie : 90 % ; RT + curie : 60 %)

Pahisa et al. [28]

28

35,7

44,3

Cancer du col utérin

RTE

83,3

Wiliams et al. [29]

10

27,9



L Hodgkin

RTE

50 %

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n : nombre de patientes ; L : lymphome ; Y : iliaque ; RTE : radiothérapie externe ; – : non renseigné ; chir : chirugie.

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R. Mazeron, P. Maroun, K. Cao, R. Mbagui, A. Slocker-Escarpa, C. Chargari, et al.

premier temps une inflammation de l'endomètre, avec nécrose et œdème, suivis d'une régénération. La myomètre est réputé plus résistant. Il a été rapporté une sclérose des artérioles avec rétrécissement de leur diamètre, associé à une atrophie utérine [30]. Ces effets pourraient cependant être liés à une carence estrogénique liée à une dysfonction ovarienne secondaire à l'irradiation. Arrive et al. ont suivi les changements radiologiques de l'utérus de femmes traitées par radiothérapie pelvienne à la dose de 40–65 Gy [31]. À l'IRM, ils ont observé l'apparition d'un hyposignal en séquences T2 dans le myomètre, suivi d'une diminution de taille de l'utérus à 3 mois, puis de l'épaisseur du myomètre 5 mois après la radiothérapie. Pour 4 patientes, une corrélation a pu être faite avec des données histologiques montrant atrophie de l'endomètre, fibrose de sa moitié interne, œdème et sclérose en surface, ainsi qu'une atrophie myométriale avec vaisseaux de diamètre rétréci. Ces constats ont été attribués à la radiothérapie utérine, les auteurs considérant qu'ils précédaient ceux de la suppression de la fonction ovarienne. Lesack et al. ont procédé à des examens histologiques de cols utérins irradiés à la dose de 36 Gy chez 10 femmes [32]. Ils disposaient soit de biopsies ou de pièce d'hystérectomie, réalisées 6 mois à 17 ans après l'irradiation. Macroscopiquement, ils ont observé fibrose, induration, sténoses, ou dans certains cas des cols d'apparence saine. Microscopiquement, les glandes endocervicales étaient clairsemées, tubulaires ou dilatées, avec un épithélium aminci et une perte de polarité des noyaux cellulaires. Les conséquences cliniques de la radiothérapie sont variables, dépendantes de la dose délivrée et peuvent aller jusqu'à rendre l'utérus non fonctionnel. Il semble, à l'inverse des ovaires, que l'utérus des filles prépubaires soit plus sensible que l'utérus des femmes adultes, avec des doses menaçant sa fonction de l'ordre de 14 à 30 Gy. Larsen et al. ont réalisé des échographies pelviennes par voie transvaginale chez 100 patientes traitées dans l'enfance pour cancer [33]. En analysant les patientes par sousgroupes, ils ont constaté des variations importantes du volume de l'utérus : 47 mL pour les patientes n'ayant pas eu de radiothérapie dans leur prise en charge (n = 44), 40 mL pour celles ayant eu une irradiation sus-diaphragmatique, (n = 21), 34 mL en cas de radiothérapie sous-diaphragmatique (n = 19), et 13 mL en cas d'irradiation utérine (n = 16). Parmi les patientes nullipares, celles qui avaient eu une radiothérapie pendant leur prise en charge avaient un volume utérin significativement réduit par rapport aux autres (p < 0,002). Au sein d'un groupe de 13 patientes nullipares ayant eu une irradiation utérine, un faible volume utérin était associé à un âge jeune au diagnostic du cancer. Enfin plus de fausses couches au deuxième trimestre ont été rapportées chez les patientes irradiées. Au-delà de son effet sur le volume utérin, la radiothérapie altère la vascularisation de l'utérus. Holm et al. ont suivi un groupe de 12 patientes traitées pour leucémie à un âge médian de 12,7 ans [34]. Toutes ont reçu une irradiation corporelle totale. Après un suivi médian

de 21,5 ans, le volume utérin médian était inférieur au témoin (–2,6 déviation standard, p = 0,002). L'analyse doppler de la vascularisation utérine n'identifiait un flux systolique que dans 6 cas sur 9, et diastolique dans 1 cas sur 9 contre 100 % chez les sujets adultes témoins. Cette détérioration de la vascularisation utérine pourrait être responsable d'une diminution du flux placentaire en cas de grossesse et compromettre la croissance fœtale. Des observations de placenta percreta et de rupture utérine ont également été rapportées dans les suites d'irradiations corporelles totales et de radiothérapies pelviennes [35].

Conséquences fonctionnelles en cas de grossesse Plusieurs séries ont rapporté des grossesses compliquées sur utérus post-radique. Wallace et al. ont par exemple rapporté 6 grossesses chez 4 femmes parmi une cohorte de 38 femmes traitées par radiothérapie pan-abdominale à la dose de 20– 30 Gy. Toutes ont abouti à des avortements pendant le deuxième trimestre [36]. Chiarelli et al. ont comparé une cohorte de patientes traitées pour cancer par irradiation abdominopelvienne à une cohorte contrôle de patientes traitées par chirurgie seule [37]. Ils ont rapporté un risque de petits poids de naissance ( 3,64), de prématurité ( 3,29) et de surmortalité périnatale ( 2,41). De plus, le risque de mortalité périnatale et de faible poids de naissance semblait proportionnel à la dose délivrée. Green et al. ont évalué les risque d'avortement spontané chez 1915 patientes survivantes de cancer traitées dans l'enfance [38]. Ils ont pu réunir des informations sur 2349 grossesses survenues chez des patientes ayant eu une radiothérapie. Le risque d'avortement spontané a été évalué à 1,4 en cas de radiothérapie cérébrale par rapport aux patientes non irradiées. Parmi celles ayant eu une radiothérapie cranio-spinale, ce risque était évalué à 2,22. Le risque de faible poids de naissance était également plus marqué chez les patientes ayant eu une radiothérapie ( 1,85). Signorello et al. se sont concentrés sur le risque d'accouchement prématuré [39]. Les patientes ayant reçu un minimum de 5 Gy dans l'utérus avaient un risque élevé d'accouchement prématuré (3,5) et de faible poids de naissance (6,8) en comparaison des patientes n'ayant pas eu d'irradiation. Ces risques augmentaient avec la dose délivrée, avec des seuils de 5 Gy pour la prématurité et 25 Gy pour le petit poids de naissance. Green et al. ont également rapporté des risque de malposition fœtale et d'accouchement difficile dans le suivi de patientes traitées par radiothérapie pour tumeur de Wilms [40]. Quelques cas de grossesses menées ou non à terme chez des patientes ayant eu une irradiation partielle de l'utérus (hémi-pelvis) ont été rapportés [30].

Axe hypothalamo-hypophysaire Les irradiations de l'abdomen et du pelvis ne sont pas les seules à pouvoir engendrer des troubles de la fertilité. La radiothérapie cérébrale peut également engendrer des troubles hormonaux déstabilisant les sécrétions de GnRH, FSH, et LH, et ainsi causer

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aménorrhée et stérilité. Dans une série de 16 patientes ayant reçu 39,6 à 70,2 Gy dans la région de l'hypothalamus-hypophyse, Constine et al. ont observé 70 % d'oligoménorrhées chez des patientes pubères et non ménopausées au moment du traitement [41]. Cinquante pour cent avaient également une hyperprolactinémie, et 50 % des concentrations d'estradiol diminuées. Pai et al. ont étudié les conséquences endocriniennes de la radiothérapie cérébrale, chez des patients âgés en moyenne de 41,2 ans, et ayant reçu 68,4 Gy [42]. Les taux d'hypogonadisme étaient de 29 et 36 % à 5 et 10 ans respectivement, et ceux d'hyperprolactinémie de 72 et 87 %. L'intervalle médian entre le traitement et la survenue de ces troubles était respectivement de 4 et 2,5 ans. Les auteurs n'ont pas observé d'impact de l'âge ou du sexe sur la survenue de ces deux complications. Cette étude montre que la radiothérapie encéphalique peut impacter la fertilité de femmes adultes, et ce même après un délai de plusieurs années. Les conséquences des irradiations prophylactiques chez les jeunes filles prépubaires sont moins connues. Bath et al. ont suivi 12 filles traitées entre 4,7 et 20,8 ans pour leucémie lymphoblastique et traitées par radiothérapie encéphalique prophylactique à la dose de 18 à 24 Gy [43]. Toutes ont eu un développement génital normal avec ménarche. En revanche, par rapport aux témoins, elles avaient des concentrations de LH plus basses, des pics atténués, avec des phases lutéales plus courtes, ce phénomène est connu pour être associé à un risque d'avortement spontané en cas de grossesse et pour précéder la ménopause. Les patientes qui avaient les phases lutéales les plus courtes avaient également un suivi plus long que les autres, suggérant que ce raccourcissement apparaissait progressivement. L'étude suggère donc un risque d'hypofertilité après radiothérapie encéphalique dans l'enfance. Ce constat est conforté par une étude scandinave

publiée en 1991 [44]. Parmi les 149 femmes âgées de plus de 18 ans, en rémission d'une leucémie lymphoblastique, 23 ont eu 41 enfants. La réalisation d'une irradiation cérébrale prophylactique à la dose de 18–24 Gy était un facteur de risque de réduction du taux de natalité (ratio de risque 0,39). Par ailleurs, plusieurs séries ont rapporté des cas de pubertés précoces secondaires à une désinhibition de l'axe corticotrope. Ogilvy-Stuart et al. ont suivi 46 enfants traités par radiothérapie cérébrale à la dose médiane de 30 Gy (30 garçons et 16 filles) [45]. L'âge de la puberté était réduit par rapport aux données de la population générale, et ce pour les deux sexes : 8,5 ans pour les filles et 9,2 pour les garçons contre classiquement 11,2 et 11,6 ans respectivement.

Synthèse

Impact de la radiothérapie sur la fertilité féminine

Conclusion La radiothérapie a des effets délétères sur la fertilité féminine. Les ovaires sont sensibles avec un risque de ménopause précoce dès des niveaux de doses bas. L'utérus semble plus résistant, mais la radiothérapie peut également entraîner des troubles vasculaires, morphologiques et in fine des dysfonctions avec l'impossibilité de mener une grossesse. L'âge influence diversement les effets de la radiothérapie au niveau de ces deux organes. Alors que les ovaires des petites filles résistent mieux à la radiothérapie que ceux des femmes adultes, il semble que ce soit l'inverse pour l'utérus. Lorsque la fertilité est un enjeu, les doses et techniques d'irradiation doivent être adaptées. Le recours à une transposition d'ovaires préalable à la radiothérapie est efficace pour préserver la fonction ovarienne. Déclaration d'intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d'intérêts en relation avec cet article.

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tome 102 > n85 > mai 2015