Impact des traitements utilisés en oncologie thoracique sur la fonction rénale

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ARTICLE IN PRESS

RMR-852; No. of Pages 10

Revue des Maladies Respiratoires (2014) xxx, xxx—xxx

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

SÉRIE « SOINS DE SUPPORT EN ONCOLOGIE PULMONAIRE » Coordonnée par C. Chouaid

Impact des traitements utilisés en oncologie thoracique sur la fonction rénale Impact of lung cancer treatments on renal function A.-C. Toffart a,∗,b, S. Belaiche c,d, D. Moro-Sibilot a,b, S. Couraud e,f, L. Sakhri a a

UM oncologie thoracique, pôle cancérologie médecine aiguë et communautaire, CHU A.-Michallon, BP217, 38043 Grenoble cedex 9, France b Université Grenoble 1, U 823, université J.-Fourier, institut A.-Bonniot, 38706 La Tronche cedex, France c Institut de pharmacie, CHU régional de Lille, rue Philippe-Marrache, 59037 Lille cedex, France d Département de biopharmacie, galénique et pharmacie hospitalière, UDSL, EA4481, UFR Pharmacie, université Lille 2, 59000 Lille, France e Service de pneumologie aiguë spécialisée et cancérologie thoracique, centre hospitalier Lyon Sud, hospices civils de Lyon, 165, chemin du Grand-Revoyet, 69495 Pierre-Bénite cedex, France f Faculté de médecine Lyon Sud, Charles-Mérieux, université Claude-Bernard Lyon 1, 165, chemin du Petit-Revoyet, 69921 Oullins cedex, France Rec ¸u le 13 d´ ecembre 2013 ; accepté le 2 mars 2014

MOTS CLÉS Cancer broncho-pulmonaire ; Cisplatine ; Pémétrexed ; Biphosphonates ; Toxicité rénale



Résumé Introduction. — L’insuffisance rénale chez les patients atteints d’un cancer broncho-pulmonaire (CBP) peut être multifactorielle : liée au patient et à ses comorbidités, à une compression tumorale ou à une toxicité des traitements anti-cancéreux et des traitements associés. Cette analyse de la littérature a pour objectif de faire un état des connaissances sur la néphrotoxicité des traitements utilisés en oncologie thoracique. État des connaissances. — La majorité des traitements de chimiothérapie utilisés est potentiellement néphrotoxique. Le cisplatine et le pémétrexed ont une toxicité essentiellement tubulaire, alors qu’une atteinte rénale vasculaire est plutôt retrouvée avec la gemcitabine

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (A.-C. Toffart).

http://dx.doi.org/10.1016/j.rmr.2014.03.008 0761-8425/© 2014 SPLF. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Pour citer cet article : Impact des traitements utilisés en oncologie thoracique sur la fonction rénale. Revue des Maladies Respiratoires (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.rmr.2014.03.008

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2 et le bévacizumab. Le cisplatine entraîne chez 30 % des patients une insuffisance rénale aiguë. Les mesures de néphroprotection (respect des recommandations, limitation des traitements néphrotoxiques, hydratation, supplémentation en magnésium) doivent donc être systématiques. Les thérapies ciblées ne nécessitent pas d’ajustement des posologies en cas d’insuffisance rénale modérée ou sévère. Adapter les doses de biphosphonates à la fonction rénale est nécessaire. Conclusion. — Une surveillance rapprochée de la fonction rénale est indispensable chez les patients atteints de CBP en cours de traitement (chimiothérapie ou biphosphonates). © 2014 SPLF. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDS Lung cancer; Cisplatin; Pemetrexed; Biphosphonates; Renal toxicity

Summary Introduction. — Renal failure in patients with lung cancer may be multifactorial: related to the patients and their comorbidities, direct tumor compression or the toxicity of cancer treatments and other associated medications. This literature review is intended to describe the state of knowledge regarding the nephrotoxicity of treatments used in thoracic oncology. Findings. — The majority of chemotherapy treatments are potentially nephrotoxic. Cisplatin and pemetrexed exhibit mainly renal tubular toxicity, while vascular renal impairment is found with gemcitabine and bevacizumab. Cisplatin results in acute renal failure in 30% of patients. Renal protective strategies (compliance with recommendations, limitation of nephrotoxic treatments, hydration, magnesium supplementation) must be employed systematically. Targeted therapies do not require any adjustment of the dosage in case of moderate or severe renal insufficiency but adapting the doses of biphosphonates to renal function is necessary. Conclusion. — This review highlights the need for monitoring of renal function in patients with lung cancer during treatment with chemotherapy or biphosphonates. © 2014 SPLF. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Introduction Les essais cliniques pour les médicaments anti-cancéreux n’incluent que des patients présentant une fonction rénale normale. En pratique, les patients porteurs d’une pathologie tumorale ont fréquemment une fonction rénale altérée et/ou s’altérant en cours de traitement. L’altération de la fonction rénale chez les patients ayant une pathologie néoplasique est le plus souvent multifactorielle : déshydratation secondaire à la toxicité digestive des produits de chimiothérapie (nausées, vomissements, diarrhées), anémie (d’origine inflammatoire ou hématotoxique), injection de produits de contraste iodés, hypercalcémie, comorbidités et âge (en particulier supérieur à 70 ans), traitements néphrotoxiques associés (tels que les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), les diurétiques, ou les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IEC)/antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II (ARAII)), et parfois compression tumorale de l’appareil urologique [1]. La toxicité rénale chez les patients atteints d’une pathologie tumorale a été bien décrite pour les patients porteurs d’une hémopathie, d’un cancer urothélial, hépatique, ovarien ou mammaire, mais très peu pour les cancers broncho-pulmonaires (CBP). Le risque d’insuffisance rénale aiguë (IRA) (augmentation de la créatinine d’au moins 50 % [2]) chez un patient atteint d’un cancer est de 17,5 % la 1re année et de 27 % à 5 ans. De plus, la fonction rénale est altérée (clairance de la créatinine (ClCr) < 90 mL/min) dans environ 60 % des cas lors du diagnostic de la maladie [3].

Plus des deux tiers des substances couramment utilisées pour la chimiothérapie des CBP ont un potentiel néphrotoxique. D’ailleurs, près de 54 % des molécules de chimiothérapie nécessitent un ajustement des doses selon la fonction rénale et pour 23 %, aucune donnée n’est disponible dans la littérature concernant une éventuelle adaptation des doses en cas d’insuffisance rénale [3]. La survenue d’une IRA peut être responsable d’un arrêt (temporaire ou définitif) de l’administration des traitements anti-cancéreux, d’une augmentation des durées d’hospitalisation, de la mortalité et des coûts [1]. • Plus de la moitié des molécules de chimiothérapie utilisées en oncologie thoracique nécessitent un ajustement des doses selon la fonction rénale. • L’apparition d’une IRA peut entraîner un arrêt des traitements anti-cancéreux, une augmentation des durées d’hospitalisation, de la mortalité et des coûts.

Méthodes de mesure de la fonction rénale L’état de la fonction rénale s’évalue sur le débit de filtration glomérulaire (DFG), ce dernier étant considéré comme le meilleur moyen de mesure de la fonction rénale [4]. Des méthodes d’estimation du DFG ont été développées à partir

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Traitements anti-cancéreux et fonction rénale de la concentration sérique de créatinine : la formule de Cockroft-Gault [5] et MDRD (Modification of Diet in Renal Disease) [6].

Formule de Cockcroft-Gault ClCr (mL/min) = k × [(140-âge) × poids (kg)]/créatininémie (␮mol/L). k : 1,23 (hommes) ou 1,04 (femmes).

Formule de MDRD DFG (mL/min/1,73m2 ) = k × l × 186 × [créatininémie −1,154 (mg/dL)] × (âge)−0,203 . k : 1 (hommes) ou 0,742 (femmes). l : 1,21 (origine africaine) ou 1 (origine autre). Évaluées dans la population générale, les performances des deux formules sont proches. La formule MDRD semble légèrement surestimer le DFG [7,8]. Cependant, dans certaines sous-populations, la formule MDRD apparaît supérieure à celle de Cockcroft-Gault [8] : • patients ayant une masse musculaire anormale : amputés, paraplégiques, dénutris, ou obèses ; • patients âgés de plus de 65 ans. Jusqu’à 50 ans, et en dehors des situations particulières précédemment décrites, les valeurs obtenues pour un même patient avec les formules MDRD et Cockcroft-Gault sont en moyenne relativement comparables. Après 50 ans, il existe une forte dissociation des valeurs obtenues avec les deux formules, en rapport avec une sous-estimation de la valeur de DFG par la formule de Cockcroft-Gault. Audelà de 65 ans, la sous-estimation de la formule de Cockcroft-Gault est importante, conduisant à établir de trop nombreux diagnostics d’insuffisance rénale par excès ; • en cas d’apports diététiques inhabituels (végétariens, dénutrition). C’est dans ce contexte, que la formule CKD-EPI (Chronic Kidney Disease Epidemiology) a été élaborée [9]. En plus de l’âge et de l’origine ethnique, il existe un coefficient d’ajustement supplémentaire selon un seuil de créatinine sérique (> ou ≤ 62 ␮moL/L chez les femmes et > ou ≤ 80 ␮moL/L chez les hommes). Mais son utilisation est soumise à l’utilisation d’une technique standardisée spécifique et reproductible pour la mesure de la créatininémie. Actuellement, les sociétés savantes recommandent plutôt l’utilisation de MDRD ou de CKD-EPI [10]. En France, en 2011, la Haute Autorité de santé a recommandé l’utilisation de l’équation CKD-EPI pour l’estimation du débit de filtration glomérulaire chez l’adulte en remplacement de la formule de Cockroft-Gault. Concernant l’adaptation des doses de chimiothérapie (carboplatine), il semble que les différentes méthodes de calcul de la fonction rénale soient équivalentes [11].

3 • Une approximation de la clairance de la créatinine ou du débit de filtration glomérulaire est effectuer préférentiellement à l’aide de la formule de CKD-EPI ou du MDRD. • La formule de Cockroft-Gault semble moins performante dans certaines situations (masse musculaire anormale ou sujets de plus de 65 ans).

Cisplatine Description Le rein est le principal organe excréteur du cisplatine. Celuici est éliminé à la fois par sécrétion tubulaire et filtration glomérulaire [12]. Au début de son utilisation à haute dose, 70 % des patients traités par du cisplatine présentaient une IRA [13,14]. Grâce aux mesures de néphroprotection mises en place, cette toxicité rénale est actuellement retrouvée chez 30 % des patients [15]. L’IRA au cisplatine est dosedépendante. Elle est en effet essentiellement observée à des doses supérieures à 50 mg/m2 , c’est-à-dire celles utilisées pour la prise en charge du CBP (60—100 mg/m2 ). Son incidence augmente également avec le nombre de cures réalisées [16]. Les facteurs de risque de toxicité rénale au cisplatine sont : la déshydratation, l’association aux produits de contraste iodés ou à d’autres médicaments néphrotoxiques (AINS, diurétiques, IEC, ARAII) [17]. D’autres caractéristiques liées aux patients peuvent majorer le risque de néphrotoxicité : le sexe féminin, l’âge avancé, le statut tabagique et l’hypoalbuminémie [18—20]. L’IRA peut débuter quelques jours après l’administration du cisplatine [21]. La diurèse est habituellement préservée, et on retrouve plutôt une polyurie liée à une hypo-osmolalité des urines. L’hypomagnésémie [22] est fréquente, particulièrement lors de l’administration répétée de cisplatine, même en l’absence d’altération du débit de filtration glomérulaire. Une faible protéinurie peut également être retrouvée, évocatrice d’une atteinte tubulaire, pouvant aller jusqu’à une nécrose tubulaire. La fonction rénale peut être restaurée en 3 à 4 semaines, mais elle peut également devenir irréversible, et ce parfois dès la 1re cure de chimiothérapie [23]. Une étude rétrospective [24] a évalué l’évolution de la fonction rénale chez 289 patients atteints d’un CBP traités par chimiothérapie (86 % de doublets à base de sels de platine). Une altération de la fonction rénale (ClCr inférieure à 60 mL/min) a été retrouvée chez 23 % des patients après un délai médian de 83 jours après le diagnostic (chimiothérapie débutée environ 1 mois après le diagnostic) ; deux tiers d’entre eux récupéraient une fonction rénale normale après un délai médian de 27 jours. Une ClCr inférieure à 45 mL/min était retrouvée chez 11 % des patients, 71 % d’entre eux récupéraient leur fonction rénale antérieure.

Physiopathologie

Toxicité rénale des traitements anti-cancéreux

Les mécanismes de la toxicité rénale du cisplatine sont multiples [21]. Le cisplatine pénètre dans la cellule épithéliale rénale par l’OCT2 (organic cation transporter). Il est alors

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4 Tableau 1

Recommandations 2008 de l’ESCP SIG Cancer Care pour la prévention de la toxicité rénale du cisplatine [29].

Avant l’administration Estimer le débit de filtration glomérulaire ou la clairance de créatinine en utilisant le MDRD ou la formule de Cockcroft-Gaulta S’assurer que le patient est euvolémique Doses Ajuster les doses de cisplatine à la fonction rénale du patient Administration Administrer le cisplatine lentement Hydratation Utiliser une perfusion saline pour entraîner une importante diurèse Le débit urinaire devrait être de 2—4 L/24 h la veille et jusqu’à 2—3 jours après Ne pas utiliser de diurétiques ni de mannitol Pas de données pour les patients déjà traités par diurétiques ou pour des comorbidités telles que l’hypertension artérielle Après l’administration Quand possible, contrôler la créatinine sérique après 3 à 5 jours Contrôler la magnésémie régulièrement et supplémenter si besoin Éviter la co-administration d’autres traitements néphrotoxiques : aminosides, AINS, produits de contraste iodé, zolédronate. . . Réévaluer la fonction rénale avant la prochaine perfusion de cisplatine a

En France, la méthode CKD-EPI doit remplacer la formule de Cockcroft-Gault (Haute Autorité de santé 2011).

responsable des dommages au niveau de l’ADN mitochondrial et non mitochondrial et produit des radicaux oxygénés qui conduisent à l’activation de voies à la fois mitochondriales et non mitochondriales de nécrose et d’apoptose. Les fortes doses de cisplatine induisent plutôt une nécrose des cellules tubulaires épithéliales, alors que les faibles doses détruisent les cellules épithéliales par apoptose [25]. L’altération des cellules épithéliales rénales par le cisplatine engendre des phénomènes inflammatoires aggravant la toxicité rénale. Ainsi, le cisplatine peut altérer de multiples compartiments du rein : les vaisseaux sanguins, les glomérules et le plus souvent les tubules [26,27]. L’atteinte tubulo-interstitielle est la plus fréquente [28].

Prévention L’European Society of Clinical Pharmacy Special Interest Group (ESIP SIG) on Cancer Care a publié en 2008 des recommandations concernant la prévention de la néphrotoxicité du cisplatine [29]. Elles sont résumées dans le Tableau 1. L’autorisation de mise sur le marché du cisplatine recommande que celui-ci ne soit délivré que pour une ClCr supérieure à 60 mL/min. Limiter le nombre de médicaments néphrotoxiques concomitant [15] est particulièrement important, de même qu’être prudent lors de l’utilisation des produits de contraste iodés. L’utilisation d’une chimioprophylaxie anti-émétique efficace permet de prévenir la déshydratation. Les patients recevant du cisplatine doivent bénéficier d’une hydratation intraveineuse par sérum salé isotonique (avec une adjonction de magnésium (40 à 80 mmoL par cycle)). Classiquement, on propose un débit de 100 mL/h débutant 12 heures avant le traitement, et se terminant

1 jour après la fin de la perfusion du cisplatine. L’objectif est de maintenir une diurèse d’au moins 125 mL/h [30]. Une hydratation orale abondante (3—4 L/j) devrait être poursuivie pendant 3 jours. Le débat actuel est celui de la possibilité d’administrer le cisplatine en hôpital de jour. Ceci implique donc de fractionner les doses de cisplatine ou bien de raccourcir l’hydratation intraveineuse. La faisabilité d’une hydratation courte permettant l’administration de cisplatine ≥ 75 mg/m2 en hôpital de jour a été rapportée [31,32]. Dans une étude récente, Couraud et al. [33] ont montré que ce type d’hydratation n’était pas plus toxique sur le plan rénal comparé au protocole d’administration classique chez des patients sélectionnés. Dans ce cas, l’éducation du patient et le contrôle des traitements concomitants sont particulièrement importants. Certaines études ont suggéré que le mannitol et les diurétiques pouvaient limiter la toxicité rénale du cisplatine [34—36], alors que d’autres suggéraient qu’ils pouvaient l’aggraver [37]. Santoso et al. montrent que l’hydratation par sérum salé associé ou non aux diurétiques entraîne moins de toxicité rénale que l’association sérum salé et mannitol [38]. Actuellement, le recours au mannitol et aux diurétiques n’est pas recommandé. Malgré l’absence de données publiées, un contrôle de la créatininémie est recommandé [29] entre le 3e et le 5e jour après la chimiothérapie, pour permettre le diagnostic d’une IRA transitoire. À terme, ces épisodes peuvent être responsables d’une dégradation progressive et irréversible de la fonction rénale. En cas d’apparition d’une insuffisance rénale, le carboplatine peut être substitué au cisplatine.

Pour citer cet article : Impact des traitements utilisés en oncologie thoracique sur la fonction rénale. Revue des Maladies Respiratoires (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.rmr.2014.03.008

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Traitements anti-cancéreux et fonction rénale • Le cisplatine ne doit pas être prescrit pour les patients ayant une clairance de la créatinine supérieure à 60 mL/min. • Une IRA survient chez près d’un tiers des patients traités par cisplatine. • L’IRA est due à l’accumulation du cisplatine au niveau des tubules du néphron et est alors responsable d’apoptose et de nécrose des cellules épithéliales. • L’incidence de la néphrotoxicité augmente avec le nombre des cures administrées, et la prescription concomitante de médicaments néphrotoxiques. • L’administration du cisplatine doit être associée à une hydratation de 2 à 3 L par jour débutée la veille de la perfusion de cisplatine jusqu’à 3 jours après. Elle peut se faire par voie orale. • Au minimum 2 L de sérum salé isotonique, avec supplémentation en magnésium doivent être perfusés au patient au décours de la perfusion du cisplatine. • Un traitement anti-émétique optimal doit être associé au cisplatine pour prévenir la déshydratation.

Carboplatine Description Le rein est la principale voie d’excrétion du carboplatine. Il est toutefois moins néphrotoxique que le cisplatine [3]. Les cas de toxicité rénale au carboplatine ont été essentiellement décrits pour de fortes doses (supérieures à 1500—2000 mg/m2 ) [39,40].

Prévention Les doses de carboplatine sont adaptées à la fonction rénale des patients. En effet, les formules de Calvert [41] ou de Chatelut [42] permettent de calculer la dose de carboplatine à administrer à un patient en fonction de la clairance de la créatinine, d’une part, mais aussi de l’aire sous la courbe souhaitée (correspondant au niveau de dose désirée). Les doses de carboplatine sont habituellement plafonnées à 800 mg par injection.

Pémétrexed Description C’est un antifolate multicible. Il inhibe la thymidilate synthase, la glycinamide ribonucléotide formyltransférase et la dihydrofolate réductase [43]. Le pémétrexed est excrété sous forme inchangée par le rein (70—90 % en 24 heures), à la fois par sécrétion tubulaire et par filtration glomérulaire [44,45]. Dans les essais cliniques de 1re ligne, 2e ligne et dans certains essais de maintenance, aucune toxicité rénale du pémétrexed n’a été rapportée. Toutefois, l’étude de maintenance PARAMOUNT [46] a retrouvé une augmentation de la créatinine de grade 1—2 chez 2,8 % des patients, et une altération du DFG de grade 1—2 chez 4,2 % des patients.

5 Suite aux études de double maintenance, une série de 86 patients traités par double maintenance pémétrexedbévacizumab en dehors d’un essai clinique a été rapportée [47]. Pour 13 d’entre eux, le traitement a été interrompu en raison d’une toxicité rénale. Une autre étude rétrospective portant sur 96 patients traités par pémétrexed [48] retrouve une insuffisance rénale chronique chez plus de la moitié d’entre eux. Certains facteurs de risque ont été retrouvés : le sexe féminin, le fait ¸u au moins 4 cycles de pémétrexed et une ClCr d’avoir rec entre 45 et 60 mL/min avant le début de la monothérapie. Seuls quelques cas cliniques d’atteinte rénale sous pémétrexed ont été publiés. Il pouvait s’agir d’une nécrose tubulaire aiguë associée ou non à une fibrose interstitielle [49—51], une néphrite interstitielle aiguë et/ou à un diabète insipide néphrogénique [26,50,52]. Pour certains patients, cette toxicité n’était pas résolutive à l’arrêt du traitement [50].

Prévention Dans une étude de phase I incluant des patients porteurs d’une insuffisance rénale de niveaux de gravité différents, le pémétrexed semble bien toléré à la dose de 500 mg/m2 avec une supplémentation vitaminique si la clairance de la créatinine est supérieure à 40 mL/min [53]. Dans son autorisation de mise sur le marché, le pémétrexed est donc contre-indiqué chez les patients ayant une clairance de créatinine inférieure à 45 mL/min pour son utilisation. Comme lors de l’utilisation du cisplatine, il est recommandé d’éviter la co-administration de traitements néphrotoxiques tels que les AINS.

Gemcitabine Description C’est un antagoniste des bases pyrimidiques. Il est fréquent de noter une hématurie et une protéinurie, sans retentissement clinique sur la créatinine sérique. Plusieurs cas d’IRA ont été rapportés. Elles sont le plus souvent liées à une microangiopathie thrombotique (MAT). Une hypertension, une anémie hémolytique et des lésions ischémiques cutanées peuvent y être associées [26]. La présentation clinique de la néphrotoxicité du gemcitabine de 29 cas a été rapportée par Glezerman [54]. Tous présentaient une IRA. Une récupération complète ou partielle de la fonction rénale a été notée chez 19 patients, tandis que 7 ont développé une insuffisance rénale terminale nécessitant le recours à l’épuration extra-rénale (EER) et 3 une insuffisance rénale chronique sans nécessité d’EER. Quatre patients ont présenté un syndrome hémolytique et urémique particulièrement sévère. La survenue d’éléments orientant vers une MAT nécessite donc l’arrêt du traitement.

Prévention Aucune adaptation posologique selon la fonction rénale n’est recommandée.

Pour citer cet article : Impact des traitements utilisés en oncologie thoracique sur la fonction rénale. Revue des Maladies Respiratoires (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.rmr.2014.03.008

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6 Tableau 2

Adaptation posologique des biphosphonates selon la fonction rénale.

Clairance de la créatinine (ml/min)

Doses recommandées Zolédronate

Ibandronate

Pamidronate

> 60

4,0 mg en 15 minutes

6 mg/15 minutes dans 100 mL

90 mg sur 2 heures de perfusion

50—60

3,5 mg en 15 minutes

40—49

3,3 mg en 15 minutes

6 mg/1 heure dans 500 mL

90 mg sur 4 heures de perfusion

Pas d’adaptation posologique

30—39

3,0 mg en 15 minutes

< 30

Non recommandé

2 mg/1 heure dans 500 mL

Non recommandé

Réduction de la moitié de la posologie

Bévacizumab

Clodronate oral

Le vascular endothelial growth factor (VEGF) a un rôle dans la régulation de l’endothélium vasculaire rénal. Les traitements anti-VEGF, par une diminution du taux de VEGF libre, peuvent entraîner une dysfonction endothéliale (comme une vasoconstriction) et une dysrégulation des cellules épithéliales glomérulaires, et être ainsi responsables des deux principaux effets secondaires : hypertension artérielle (HTA) et protéinurie [17,55]. Peu de biopsies rénales ont été réalisées. La pathologie la plus fréquemment retrouvée est une MAT [55—57]. Laskin et al. [58] ont rapporté la toxicité du bévacizumab associé à la chimiothérapie chez les patients de plus ou moins de 65 ans dans l’essai MO19390. Une HTA de tout grade a été retrouvée chez 512 (32 %) patients de moins de 65 ans et chez 215 (35 %) patients de plus de 65 ans et une protéinurie tout grade chez 480 (30 %) patients de moins de 65 ans et chez 204 (34 %) patients de plus de 65 ans. L’incidence de ces effets secondaires était proche quelles que soient la ou les molécules de chimiothérapie associées. Un arrêt temporaire ou définitif du bévacizumab a été nécessaire pour 78 (4,9 %) patients de moins de 65 ans et 34 (5,4 %) patients de plus de 65 ans du fait de l’HTA, et pour 44 (2,8 %) patients de moins de 65 ans et 25 (4 %) patients de plus de 65 ans du fait de la protéinurie. L’HTA et la protéinurie se sont améliorées dans près de trois quarts des cas après interruption des traitements. Aucun de ces effets secondaires n’a conduit au décès d’un patient. Il semble que l’apparition d’une hypertension prédise une meilleure réponse tumorale au traitement, bien que cela reste controversé [59].

et soir, trois jours consécutifs, au repos, pendant au moins 30 minutes. Si elle est confirmée, un traitement symptomatique doit être mis en place comportant un inhibiteur de l’enzyme de conversion, un antagoniste des récepteurs de l’angiotensine II ou un inhibiteur calcique. Si cela est insuffisant, une bithérapie voire une trithérapie antihypertensive peut être prescrite. En cas d’HTA non contrôlée, il est recommandé de retarder la perfusion de bévacizumab jusqu’à 15 jours de décalage et jusqu’à normalisation de la pression artérielle. L’apparition d’une protéinurie est surveillée par une bandelette urinaire (BU) avant chaque perfusion de bévacizumab. Des recommandations concernant la prise en charge de cette protéinurie ont été établies [60]. Si la BU montre une protéinurie négative, trace ou 1 + , il n’est pas nécessaire d’effectuer une quantification de la protéinurie et l’administration du traitement anti-angiogénique est maintenue. Si la BU montre une protéinurie à 2 + , une quantification doit être effectuée avant l’administration du traitement anti-angiogénique. Ensuite, la conduite à tenir dépend du résultat du rapport protéine/créatinine urinaire ou de la protéinurie dès 24 h : si inférieur à 1 g protéine/g créatinine urinaire ou inférieur à 1 g/24 h, l’administration du traitement anti-angiogénique est effectuée sans avis néphrologique ; si entre 1 et 3 g, protéine/g, créatinine urinaire ou entre 1 et 3 g/24 h, un avis néphrologique est demandé mais il ne doit pas retarder l’administration du traitement anti-angiogénique ; en cas de protéinurie massive supérieure à 3 g protéine/g créatinine urinaire ou à 3 g/24 h (cas exceptionnel), un avis néphrologique doit être obtenu avant l’administration du traitement antiangiogénique.

Prévention et prise en charge

Inhibiteurs des tyrosines kinases de l’EGFR

Description

Il vaut mieux recourir à un traitement antihypertenseur plutôt que de stopper le bévacizumab en cas de survenue d’une HTA sous traitement [26]. Une HTA prouvée est définie par une PA systolique ≥ 140 mmHg ou une PA diastolique ≥ 90 mmHg, lors de trois mesures consécutives, matin

Description L’activation des récepteurs de l’epidermal growth factor receptor (EGFR) par un de ses ligands, le HB-EGF (heparinbinding epidermal growth factor), entraîne l’apparition de

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Traitements anti-cancéreux et fonction rénale • Le pémétrexed ne peut être prescrit que pour des patients ayant une clairance de la créatinine supérieure à 45 mL/min. • Le pémétrexed peut entraîner une IRA, surtout dans un contexte de maintenance. • Le bévacizumab peut entraîner une HTA et une protéinurie. La mesure de la pression artérielle et une bandelette urinaire doivent donc être réalisées avant chaque perfusion. • Des cas de MAT ont été décrits avec la gemcitabine et le bévacizumab. glomérulonéphrite [61]. De ce fait, les inhibiteurs des EGFR éviteraient la survenue de cette complication. L’erlotinib et ses métabolites ne sont pas excrétés de fac ¸on significative par voie rénale. En effet, moins de 9 % d’une dose unique sont éliminés dans les urines. L’erlotinib et le géfitinib affectent peu la fonction rénale et semblent pouvoir être utilisés chez les patients présentant une insuffisance rénale chronique sévère [62,63], y compris chez ceux bénéficiant d’une hémodialyse [64]. Quelques cas de néphropathie interstitielle avec dépôt d’IgA [65], d’insuffisance rénale [66] et de syndrome néphrotique [67] ont été décrits chez des patients traités par géfitinib.

Prévention Aucun ajustement de dose n’est nécessaire chez les patients ayant une insuffisance rénale avec une ClCr > 20 mL/min. Toutefois, des données limitées sont disponibles chez les patients avec une ClCr ≤ 20 mL/min et une attention est requise chez ces patients.

Crizotinib Description Le crizotinib est un inhibiteur de la tyrosine kinase ALK administré chez les patients porteurs d’un cancer bronchique non à petites cellules présentant un réarrangement EML4-ALK (echinoderm microtubule-associated protein-like 4 et anaplastic lymphoma kinase). Très peu de données de pharmacovigilance sont disponibles concernant sa toxicité rénale. Il semblerait que le crizotinib puisse altérer la filtration glomérulaire [68,69]. Aucune donnée n’est disponible chez les patients présentant une pathologie rénale sévère ou en phase terminale.

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Impact des biphosphonates sur la fonction rénale Description Les métastases osseuses sont retrouvées chez 30 à 40 % des patients porteurs d’un CBP [70]. Environ 10 à 15 % des patients traités par biphosphonates (4 mg d’acide zolédronique ou 90 mg de pamidronate) présentent une altération de la fonction rénale [71,72]. Après 2 ans d’utilisation des biphosphonates, on retrouve une altération de la fonction rénale chez 12,5 % des patients [73]. Le mécanisme en est pour le moment inconnu. Quelques cas de nécrose tubulaire aiguë et de glomérulose segmentaire et focale ont été décrits [74].

Prévention Afin de prévenir cette toxicité, il est indispensable d’évaluer la fonction rénale avant chaque prescription de biphosphonates et d’adapter les doses si nécessaire (Tableau 2). Cela est pour le moment insuffisamment réalisé, puisque dans l’étude de Houston et al. [75], la ClCr n’était rapportée que pour 30 % des patients avant le début du traitement par acide zolédronique. Dans cette étude, la fonction rénale était altérée chez 40 % des patients au cours du traitement, et 33 % recevaient une dose excessive, non adaptée à l’altération de la fonction rénale. Il est également important que la durée de perfusion recommandée soit respectée. En effet, une administration intraveineuse trop rapide peut provoquer une néphrotoxicité directe sur les cellules tubulaires rénales responsables d’une IRA [76]. En cas d’apparition d’une insuffisance rénale, il est recommandé d’arrêter le traitement, de contrôler la fonction rénale toutes les 3—4 semaines. Il est possible de reprendre le traitement en cas de normalisation du bilan [70]. Le dénosumab (anti-RANK ligand) n’a pas de toxicité rénale et ne nécessite donc pas d’adaptation posologique selon la fonction rénale. • Dix à 15 % des patients traités par biphosphonates (4 mg d’acide zolédronique ou 90 mg de pamidronate) présentent une altération de la fonction rénale. • Il est indispensable de contrôler la clairance de la créatinine avant toute perfusion de biphosphonates et d’adapter les doses si nécessaire.

Prévention Aucune adaptation de dose n’est nécessaire chez les patients présentant une ClCr ≥ 30 mL/min. Mais il est indispensable de rester prudent et de surveiller régulièrement la fonction rénale des patients traités par crizotinib. En effet, cette molécule est d’utilisation récente et le recul des données de pharmacovigilance est faible. • Les thérapies ciblées actuellement validées dans le cancer bronchique non à petites cellules avancées peuvent être utilisées sans nécessité d’adaptation de dose en cas d’insuffisance rénale légère à modérée.

Conclusion Certains traitements anti-cancéreux utilisés dans la prise en charge des patients porteurs d’un CBP, au 1er rang desquels le cisplatine et le pémétrexed, ont une importante toxicité rénale. Il convient de bien la connaître pour mettre toutes les mesures de prévention nécessaires en place. Une insuffisance rénale modérée chez les patients ne semble toutefois pas avoir un impact majeur sur la réalisation d’un traitement anti-cancéreux. En effet, d’autres molécules de

Pour citer cet article : Impact des traitements utilisés en oncologie thoracique sur la fonction rénale. Revue des Maladies Respiratoires (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.rmr.2014.03.008

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8 chimiothérapie utilisées en oncologie thoracique sont pas ou peu toxiques sur le rein : gemcitabine, docétaxel, inhibiteurs de tyrosine kinase de l’EGFR ou bévacizumab.

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. POINTS ESSENTIELS • La majorité des molécules de chimiothérapie utilisées en oncologie thoracique nécessitent une surveillance de la fonction rénale avant chaque administration et une adaptation de doses en cas d’insuffisance rénale. • Le cisplatine ne peut être prescrit que pour des patients ayant une ClCr > 60 mL/min, et le pémétrexed pour ceux ayant une ClCr > 45 mL/min. • La toxicité rénale induite par les chimiothérapies est le plus souvent liée à une atteinte tubulaire, mais une atteinte vasculaire est possible avec la gemcitabine ou le bévacizumab. • Les mesures de prévention de la toxicité rénale directe des molécules de chimiothérapie et de la déshydratation (traitements anti-émétiques) doivent être systématiques. • La toxicité rénale reste exceptionnelle lors de l’utilisation des thérapies ciblées validées dans le CBNPC avancé (géfitinib, erlotinib et crizotinib). • Les biphosphonates peuvent entraîner une insuffisance rénale. La dose prescrite doit être adaptée à la fonction rénale.

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