Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 23 (2004) 3–5 www.elsevier.com/locate/annfar
Éditorial
Infections urinaires nosocomiales en réanimation À propos de la conférence de consensus du 27 novembre 2002 Nosocomial urinary tract infection Mots clés : Infections urinaires nosocomiales ; Réanimation Keywords: Nosocomial urinary tract infection; Intensive care unit
1. Introduction Sans remettre en question la conférence de consensus sur les infections urinaires nosocomiales (IUN) [1], certaines recommandations du jury méritent quelques précisions au vu du contexte spécifique de la réanimation.
2. Clinique Une bactériurie ou candidurie survient chez plus de 50 % des patients de réanimation après cinq à sept jours de cathétérisme urinaire. Ces bactériuries, parfaitement asymptomatiques, engendrent bien souvent une antibiothérapie excessive inappropriée. La symptomatologie des infections urinaires sur sonde est en effet pauvre [2,3]. Dans une population de patients conscients et sondés pendant plus de 24 heures, une symptomatologie urinaire (dysurie, pollakiurie, douleurs sus-pubiennes ou sensations d’impériosité mictionnelle) n’est rapportée que dans 5 à 6 % des cas d’infection urinaire. Paradoxalement, en l’absence d’infection sur sonde, cette même symptomatologie est également retrouvée dans 6 à 8 % des cas. Une température supérieure à 38,5 °C et/ou une hyperleucocytose ne permettent pas de différencier les patients infectés de ceux qui ne le sont pas. Le seul élément significativement différent entre les deux populations est une leucocyturie moyenne plus élevée (309 ± 1065 éléments/ml vs 11 ± 100 éléments/ml) en cas d’IUN [4]. Il existe peu de données sur les patients de réanimation. La plupart des travaux réalisés ne prennent en compte que des patients peu sévères hospitalisés en court séjour ou des sondages de longues durées supérieures à 30 jours (patients de long séjour et traumatisés médullaires) responsables de bactériuries chroniques. En réanimation, de nombreux patients © 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.annfar.2003.11.002
sont sous sédation ou inconscients et les causes potentielles de fièvre et de SIRS (systemic inflammatory response syndrome) sont multiples. La symptomatologie générée par une infection urinaire est alors aspécifique, le plus souvent inexistante voire ininterprétable. Deux éléments viennent compliquer singulièrement le problème. Premièrement, aucun critère ne permet de faire la différence entre colonisation (ou « bactériurie asymptomatique ») et infection asymptomatique de l’arbre urinaire. Deuxièmement, des bactériémies existent chez 1 à 4 % des patients sondés si l’ECBU est positif. Bien que ce risque apparaisse comme relativement faible, les IUN sur sonde représentent la principale porte d’entrée des septicémies nosocomiales en raison du grand nombre de patients sondés bactériuriques et 10 à 15 % des chocs septiques de réanimation sont à point de départ urinaire [5]. C’est dire l’importance en réanimation de la surveillance de l’analyse des urines (dont la fréquence optimale n’est pas connue), du choix des critères diagnostiques et de l’interprétation des résultats.
3. Diagnostic Il est montré que l’isolement dans les urines de 3–4 ufc/ml d’un microorganisme est hautement prédictif d’infection urinaire. En l’absence de tout traitement antimicrobien, cette bactériurie ou candidurie croît rapidement jusqu’à être supérieure ou égale à 105 ufc/ml en 72 heures [2,6]. Sur ces éléments, certains auteurs estiment qu’un seuil supérieur à 102 (qui est le seuil de détection à l’ECBU) ou de 103 ufc/ml définit une infection urinaire ; de nombreuses études épidémiologiques utilisent cette définition. Selon la conférence de consensus, une bactériurie ou une candidurie est à « prendre en considération » si elle est supérieure ou égale à 103 ufc/ml sous respect strict des conditions de prélèvement, de trans-
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port et d’analyse des urines. Cependant, cette recommandation du jury n’est fondée que sur des preuves de niveau III. En réanimation, la majorité des travaux réalisés utilisent un seuil supérieur ou égal à 105 ufc/ml, fondé sur les critères du CDC [7,8], dont sont extrapolés ceux du Comité supérieur d’hygiène publique de France et du groupe Réanis [9]. Ce seuil a été défini sur des arguments statistiques. Dans ces conditions, une numération de germes inférieure à 105 ufc/ml, témoin d’une colonisation, n’est à prendre en compte que dans le cadre d’enquêtes épidémiologiques. Malgré les résultats de Tambyath et Maki [4], la leucocyturie (> 104 éléments/ml) ne doit pas être utilisée comme élément décisionnel de traitement chez un patient sondé. La sensibilité, la spécificité et la valeur prédictive positive d’une leucocyturie sont relativement faibles : 37,90 et 36 % pour un seuil microbiologique supérieur ou égal à 103 ufc/ml et 47,90 et 32 % pour un seuil supérieur ou égal à 105 ufc/ml. Ceci est particulièrement vrai pour les infections à levures et à cocci à Gram positif. Le jury condamne, chez les patients porteurs de sonde, l’utilisation des bandelettes urinaires pour le dépistage des bactériuries (cf. paragraphe 2.3.2) du fait de l’existence habituelle d’une leucocyturie chez le patient sondé (elle est effectivement habituelle en cas de sondage chronique > 30 jours, mais est loin de l’être dans les sondages de durée courte ou moyenne beaucoup plus fréquents en réanimation) et que certains germes ne réduisent pas les nitrates (Acinetobacter sp, Pseudomonas sp, Enterococcus sp, Candida sp). Cependant, les travaux réalisés en réanimation montrent des résultats contradictoires [10–12], s’expliquant par des choix méthodologiques différents (valeurs seuils de l’ECBU, prise en compte ou non de la leucocyturie) et par l’inclusion ou non de patients non sondés.
4. Traitement La lecture isolée du texte court, où il est recommandé de prendre en compte toutes les bactériuries et toutes les candiduries supérieures ou égales à 103 ufc/ml (cf. paragraphe 2.3.1.2), risque d’être à l’origine de traitements abusifs. Il est certain que l’application stricte de cette recommandation serait à l’origine du traitement de nombreuses colonisations, alors même que le jury ne recommande le traitement de ces colonisations que dans quelques circonstances bien précises (cf. paragraphe 3.1). En tenant compte des particularités des patients de réanimation, les propositions et les réflexions suivantes peuvent être faites : • en absence de signes généraux, il n’y a aucune indication à traiter une colonisation tant que la sonde est en place [13] ; • un traitement de cinq à sept jours pour une IUN (« bactériurie symptomatique ») chez un patient sondé paraît long. Un traitement plus court (maximum 5 jours), voire une antibiothérapie « flash » avec une molécule dont la
concentration urinaire est bien supérieure aux CMI des germes isolés ainsi que le changement systématique de la sonde restent à évaluer [14] ; • s’il existe une bactériurie à l’ablation de la sonde, un traitement doit être instauré uniquement si l’ECBU est toujours positif 24–48 heures après le retrait de la sonde [15].
5. Prévention Quatre mesures sont à prendre en compte. 5.1. Relation entre IUN et la durée de sondage La conférence insiste fort justement sur la relation entre IUN et la durée de sondage. Il a été démontré sans équivoque, qu’en réanimation, le problème majeur est la prolongation inutile du sondage. Dans l’étude de Jain et al., le nombre de sondages injustifiés est de 13 %, alors que celui de jours non justifiés de sondage atteint 41 % [16]. Les indications de sondage et du maintien de la sonde restent à définir. 5.2. Principe du sondage clos Il n’est pas à remettre en cause, mais ici encore il faut se remettre dans la perspective de la réanimation. Pour ces patients plus que d’autres, la diurèse est un paramètre étroitement surveillé lorsque le patient est instable, conduisant à l’utilisation de dispositifs de mesure de la diurèse horaire. Deux travaux récents ont montré que, malgré l’utilisation de ces dispositifs de mesure de la diurèse horaire (système à deux chambres de mesure), la comparaison avec un système clos inviolable ne montre pas de différence [17,18]. Dans un service où le niveau de qualité des soins est bon, un système « presque clos », tenant compte des besoins de monitorage de la diurèse est parfaitement acceptable. 5.3. La pose des sondes urinaires Elle a été depuis longtemps prise en charge par les infirmières, les procédures sont habituellement écrites et souvent bien suivies. Seul se pose la question de l’utilisation des précautions maximales lors de l’insertion de la sonde, mais il faut rappeler, que dans un autre contexte que la réanimation, ces précautions n’ont pas montré de supériorité [19]. 5.4. La gestion du sondage La gestion au quotidien du sondage et du système de recueil des urines ne présente pas de particularités. Il faut sans doute résister à la tentation d’en faire trop en raison d’un risque plus important d’infection qu’ailleurs. En particulier, la recommandation de n’utiliser que du savon doux est parfois difficile à faire passer dans un service qui a tendance à inonder les malades d’antiseptiques.
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6. Conclusion Cette conférence de consensus ne semble pas très adaptée à la pratique de la réanimation, vraisemblablement par manque de travaux spécifiques. Malgré l’enthousiasme modéré que suscite cette infection nosocomiale, il y a clairement place pour des travaux complémentaires. Cependant, cette conférence a le mérite d’exister ; le texte long, de meilleure qualité que le texte court, est une base intéressante ; mais, les particularités des patients de réanimation doivent être prises en compte. Une version plus détaillée de ce texte est disponible sur le site de la Sfar (www.sfar.org)
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R. Gauzit *1 Département d’anesthésie–réanimation, hôpital Jean-Verdier, 94170 Bondy, France Adresse e-mail :
[email protected] (R. Gauzit). A. Lepape 1 Service de réanimation Nord, CHU de Lyon-Sud, 69494 Pierre-Bénite, France P. Moine 1 Service d’anesthésie–réanimation, CHU de Bicêtre, 94275 Le Kremlin-Bicêtre, France * Auteur correspondant. 1
Pour le Comité Réanimation de la Sfar