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Information du patient et annonce du diagnostic de maladie grave Patient’s information and announcement of a serious disease L. Misery a,*, M. Chastaing b b
a Service de dermatologie, CHU de Brest, 29609 Brest cedex, France Unité de psychologie médicale, CHU de Brest, 29609 Brest cedex, France
Reçu le 6 janvier 2005 ; accepté le 11 août 2005 Disponible sur internet le 30 septembre 2005
Résumé Propos. – Annoncer à un patient qu’il est atteint d’une maladie grave et bien l’informer n’est jamais simple. Certains médecins sont beaucoup plus à l’aise que d’autres. Quoi qu’il en soit, il peut être utile d’avoir quelques connaissances sur les réactions habituelles des patients dans de telles circonstances et sur la nouvelle réglementation. Actualités et points forts. – L’information complète du patient est un devoir au regard de la loi, même s’il existe de rares situations où elle devient facultative. Il convient de respecter le secret médical vis-à-vis de l’entourage. Mais une alliance avec celui-ci est souvent facilement obtenue pour aider le malade. Le médecin qui doit annoncer est celui qui est à l’origine du diagnostic. Une réaction anxieuse est normale. Des mécanismes de défense, appropriés ou non, se mettent alors en place. Mais une information claire semble moins anxiogène que celle qui laisse place à des zones d’ombre. Les préventions de certains médecins, qui évitent d’informer, apparaissent souvent plus liées à leurs propres peurs qu’à l’anxiété du malade. Une bonne information doit être toutefois associée à un choix approprié de ce que l’on dit et de la manière de le dire. Il faut évaluer les connaissances initiales du patient. Par ailleurs, l’information évolue au cours du temps. Perspectives. – Donner une information complète et adaptée ne dispense pas d’apporter une aide psychologique et éventuellement sociale précocement. Cela apparaît important non seulement pour le bien-être immédiat du malade mais aussi peut-être pour ses chances de survie globale dans le contexte de maladie grave. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Introduction. – The announcement of a serious disease to a patient and an adequate information are never easy. Some physicians are more comfortable than others. However, some knowledges on usual reactions of patients and on new rules could be useful. Current knowledge and key points. – The complete information of the patient is a duty with regard to the law, although it could be facultative in some rare circumstances. The medical confidence has to be respected with all persons, even among close relations of the patient. It is not contradictory with a therapeutic alliance with these close relations. The announcement must be provided by the doctor who first suggested the diagnosis. An anxious reaction is normal. Mechanisms of defence, appropriate or not, are developed by the patient. Nonetheless, precise information seems to be less anxiogenic than non resolved questions. Fears of some physicians, who avoid information, often appear linked to their own anxiety. Nevertheless, good information is associated with adequate words and adequate choice of news. There is need to evaluate knowledges of the patient on his/her disease. Future prospects. – Complete and adequate information must be associated with an early psychological (and sometimes social) help. It appears necessary for well-being of the patient but also maybe for his/her prognosis. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Cancer ; Patient ; ˙Information ; Grave ; Annonce Keywords: Cancer; Patient; Information; Serious; Announcement
* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (L. Misery). 0248-8663/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.revmed.2005.08.006
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L’information du patient, en particulier l’annonce du diagnostic quand il s’agit d’une maladie grave, est un problème complexe [1]. En dermatologie, cela s’applique en particulier aux mélanomes mais peut aussi concerner d’autres cancers métastasiants ou le sida. Chaque médecin est régulièrement confronté à ce genre de situation et il apparaît utile de faire le point. Cette question est désormais traitée au cours des études de médecine et il s’agit d’un des items de l’examen national classant [2].
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le modèle prédominant était paternaliste : le médecin faisait et disait au patient ce qu’il fallait faire. À partir des ÉtatsUnis, dans les années 1960–1970, est apparu le modèle « libertaire » : c’est le patient qui sait et qui prend la décision seul. Aujourd’hui, on s’oriente plutôt vers un modèle participatif : le médecin apporte des informations et dialogue beaucoup avec le patient dans le but de prendre une codécision. Il apparaît donc tout à fait nécessaire d’éclairer le patient pour qu’il soit en mesure de décider librement de l’orientation de sa vie après l’annonce du diagnostic. Une nouvelle morale médicale doit donner au patient son autonomie [4].
1. Qui doit annoncer ? À notre avis, le médecin qui reçoit le résultat de l’examen anatomopathologique ou biologique ou sinon celui qui l’a demandé et qui a alors dû préparer le patient au résultat est le médecin habilité à annoncer le diagnostic. Mais il est bien évident que, dès le départ, il doit y avoir une concertation étroite avec les autres médecins concernés par le patient (notamment le médecin traitant) et avec le personnel paramédical dans un hôpital. Il est donc très important d’avoir un discours unifié. Pour cela, la meilleure solution est d’écrire et de transmettre ce qui a été dit au patient à tous les acteurs de santé concernés.
2. Considérations éthiques En 2005, la demande d’information des patients est de plus en plus généralisée : 80 % des bien portants affirment vouloir être informés en cas de maladie grave [3]. À la différence des pratiques d’il y a quelques décennies, la nécessité éthique d’informer le patient est désormais claire. Elle relève du principe du respect de l’autonomie de la personne [4] qui repose sur l’importance accordée à la liberté individuelle et au libre choix. Si la maladie implique une certaine dépendance (dépendance par rapport à son corps mais aussi dépendance relationnelle), il apparaît encore plus indispensable de considérer le patient comme un être qui conserve son libre arbitre et qui doit bénéficier d’une information véritable sur son état de santé, information qui lui permettra de prendre en connaissance de cause les décisions qu’il estime les plus appropriées à sa situation. Certaines situations nécessitent une modulation de cette information. Il peut s’agir de patients dont les capacités de compréhension, de jugement sont altérées par un processus confusodémentiel ; alors, le dialogue avec l’entourage ou la personne de confiance qui a été désignée antérieurement à l’installation des troubles cognitifs, paraît indispensable. Il peut s’agir aussi de patients qui présentent une pathologie psychiatrique, par exemple dépressive, mais celle-ci ne dispense pas pour autant de la nécessité éthique d’une information qui justifiera cependant certaines précautions dans sa délivrance et dans l’accompagnement qui en découlera. L’évolution de la relation médecin-malade influence la position médicale par rapport à l’information [5]. Autrefois,
3. Considérations psychologiques Le cancer a mauvaise réputation. On parle classiquement de « maladie longue et douloureuse ». Le terme « cancer » est volontiers associé immédiatement à la souffrance, à la solitude et à la mort. Le pronostic est pourtant souvent voisin des troubles cardiovasculaires. Mais annoncer un cancer est plus difficile qu’annoncer un infarctus du myocarde ou une maladie métabolique grave ou même le sida. L’annonce d’un cancer réveille souvent des traumatismes anciens, en particulier la perte d’êtres chers. La qualité de la relation médecin– malade est importante. Il est nécessaire que cette relation soit une relation de confiance, avec des mouvements transférentiels et contre-transférentiels positifs. Tout au long de cette consultation où l’information sera délivrée pour la première fois, l’attitude empathique du médecin est primordiale et doit se fonder sur une présence chaleureuse et une écoute attentive, mais aussi sur la capacité de recevoir et de contenir les émotions et les affects ressentis par le patient et dont il faut favoriser l’expression. La pitié, la consolation systématique ou la réassurance excessive n’ont pas leur place dans une telle perspective. La qualité de la relation qui va s’instaurer entre le patient et le médecin va dépendre de la capacité que ce dernier aura à garder une distance « suffisamment bonne » vis-à-vis du patient et de la situation : rester professionnel n’exclut pas une implication de soi en tant qu’être humain. Mais pour pouvoir ne pas être envahi par ses propres affects, il faut que le praticien s’exerce à les repérer, à en prendre conscience. Le travail du médecin se trouvera facilité s’il a lui-même la possibilité d’évoquer ses propres réactions à des tiers, par exemple à un autre collègue ou à un autre membre de l’équipe soignante, voire au sein d’un groupe de formation à la relation thérapeutique comme par exemple le groupe Balint. De nombreux paradoxes et quiproquos [6] émaillent cette entrée dans la maladie tant le choc émotionnel est violent pour le malade, mais aussi pour l’entourage et pour le médecin. Il est nécessaire que le médecin connaisse les possibles réactions affectives et les mécanismes de défense que le patient peut développer à l’annonce du diagnostic de mélanome. Cela lui permettra de maintenir une relation de qualité avec le patient et de contenir sa souffrance. Si l’angoisse [7] est le dénominateur commun de toutes les réactions après une telle information, avec un choc émo-
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tionnel, voire une « fièvre émotionnelle » [8] d’une à deux semaines, elle peut se décliner sous d’autres aspects et engendrer des mécanismes de défense très divers. Ainsi, une phase de sidération peut être contemporaine de l’annonce du diagnostic. Ce type de réaction ne doit pas être ignoré car si apparemment le patient « semble bien réagir » à l’information, il peut s’en suivre une véritable décompensation psychopathologique que le médecin risque alors d’ignorer. Cette sidération psychique peut aussi s’accompagner d’une sidération intellectuelle, avec impossibilité pour le patient d’entendre, de comprendre les informations fournies. Ce type de réaction justifie donc déjà certaines précautions dans les modalités de délivrance de l’information. D’autres mécanismes de défense [9] peuvent être retrouvés comme le déni (le plus souvent partiel, mais parfois total) des informations données qui peut d’un certain côté protéger le patient d’une angoisse trop massive et alors destructrice, mais qui risque d’un autre côté d’avoir des répercussions négatives sur la prise en charge médicale ultérieure (absence de surveillance, non-observance des traitements). Des sentiments d’injustice, des attitudes de révolte avec mécanismes projectifs sur l’extérieur (comme par exemple rancœur à l’égard des bien portants) se rencontrent fréquemment. Cette projection agressive est souvent dirigée contre les soignants. Si elle ne cesse pas, toute communication peut devenir impossible. Le patient peut aussi développer des attitudes d’hypermaîtrise (comme la recherche effrénée d’une cause ou les rites obsessionnels) ou encore de négociation, de marchandage, acceptant ainsi tel ou tel aspect de sa maladie ou du traitement et en refusant tel autre. Le déplacement est un autre mécanisme de défense possible. Le patient déplace son anxiété vers un autre élément, parfois très éloigné de la maladie. Le médecin peut y être confronté devant un problème somatique bénin ou inexistant mais source d’une anxiété majeure et inappropriée. Il faudra alors tenter de retrouver la maladie grave qui avait été annoncée et aborder le sujet prudemment. Une véritable régression est possible. Le malade ne se considère plus que comme malade, se déclare « foutu » et désinvestit le monde extérieur tout en ayant des attitudes puériles et passives. La sublimation est un mécanisme de défense au contraire très efficace. En effet, le patient se sert de sa maladie comme d’un tremplin et lutte contre la maladie pour lui-même et pour les autres. Ces mécanismes de défense peuvent alterner chez le même patient, se succéder dans le temps, nécessitant donc une observation et une écoute très attentive de la part du médecin. Certaines circonstances sont des facteurs de vulnérabilité [7,8], prédictifs de réactions « pathologiques » à l’annonce du diagnostic : antécédents psychiatriques, difficultés sociales, difficultés affectives, médecin perçu comme peu aidant, traitement perçu comme peu efficace, perspectives de survie courte, symptômes médicaux inquiétants, cancers évolués. L’information claire des patients a des avantages démontrés [7]. L’anxiété est moins grande. Tout ce qui est connu est moins anxiogène que ce qui est inconnu [10] : « tout plutôt que le vide explicatif qui renvoie aux pires angoisses archaïques » [11]. Il y a moins de symptômes dépressifs. La consom-
mation d’antalgiques est moins grande [10]. Il y a une meilleure observance des traitements. Les patients seront mieux impliqués dans la lutte contre la maladie. La connaissance partagée du diagnostic permet des discussions ouvertes et des rapports francs entre le patient, l’équipe médicale et paramédicale mais aussi son entourage. Poser le diagnostic de cancer permet de donner du sens à sa maladie, ce qui semble être un processus capital pour vivre avec la maladie [6].
4. Considérations juridiques Rappelons tout d’abord que le secret médical n’est pas opposable au patient lui-même. Si l’information est due aux patients, elle ne doit pas être donnée à l’entourage en l’absence de consentement du patient. Il y a désormais obligation d’informer les patients. Déjà, le décret du 6 septembre 1995 portant sur le Code de déontologie médicale disait « le médecin doit au patient une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les choix qu’il propose ». Mais, il disait aussi « toutefois, dans l’intérêt du malade et pour des raisons que le praticien apprécie en conscience, un malade peut être tenu dans l’ignorance du diagnostic ou d’un pronostic grave » (sauf s’il existe un risque de contamination d’autres personnes). Il était recommandé de prévenir les proches sauf si une volonté contraire était exprimée par le malade. La loi du 4 mars 2002, loi sur les droits des patients dite « loi Kouchner », va beaucoup plus loin. « Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur éventuelle urgence, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Lorsque postérieurement à l’exécution des investigations, traitements, ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit être informée sauf en cas d’impossibilité de la retrouver ». « Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l’urgence ou l’impossibilité d’informer le patient peuvent l’en dispenser ». « Cette information est délivrée au cours d’un entretien individuel ». « La volonté d’une personne d’être tenue dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic doit être respectée sauf lorsque des tiers sont exposés à un risque de transmission ». Des précisions sont apportées pour les mineurs et les majeurs sous tutelle. « Les droits des mineurs ou des majeurs sous tutelle mentionnée au présent article sont exercés selon les cas par les titulaires de l’autorité parentale ou par le tuteur. Ceux-ci reçoivent l’information prévue par le présent article sous réserve des dispositions de l’article L1111-5. Les intéressés ont le droit de recevoir eux-mêmes une information et
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de participer à la prise de décision les concernant d’une manière adaptée, soit à leur degré de maturité s’agissant des mineurs, soit à leur faculté de discernement s’agissant des majeurs sous tutelle ». L’information du patient doit être complète : « toute personne a accès à l’ensemble des informations concernant sa santé ». « La présence d’une tierce personne lors de la consultation de certaines informations peut être recommandée par le médecin les ayant établies ou en étant dépositaire pour des motifs tenant aux risques que leur connaissance sans accompagnement ferait courir à la personne concernée. Le refus de cette dernière ne fait pas obstacle à la communication de ces informations ». La loi a le mérite de clarifier les choses quant à la nécessité d’une information totale du patient, quant à la codécision et quant au statut des mineurs et des majeurs sous tutelle. Elle précise les modalités de communication du dossier médical. Une bonne communication et une bonne information sont tout à fait suffisantes à l’harmonie du duo médecin–malade.
5. Pourquoi informer ? Nous avons vu qu’il y avait clairement une nécessité juridique et éthique. En 2005, le contexte général de notre société y est tout à fait favorable. Le bénéfice psychologique d’une information de diagnostic de maladie grave est clair. Il faut avouer que le médecin peut aussi être soulagé de partager un « fardeau ». Mais ce n’est pas le but !
6. Pourquoi certains médecins ne veulent-ils pas informer ? Certains médecins préfèrent encore ne pas communiquer un diagnostic grave. Il s’agit souvent de médecins étant encore dans le modèle paternaliste. Mais, d’autres facteurs peuvent intervenir, liés au médecin lui-même [12,13]. Il y bien sûr la peur de la mort et, en particulier, de sa propre mort. Certains médecins ont peur d’être désapprouvés, comme s’ils étaient responsables de cette mauvaise nouvelle. D’autres ont peur de ne pas être à la hauteur et de ne pas savoir réagir aux réactions émotionnelles du patient mais aussi aux leurs. D’autres ne peuvent pas faire face à une sorte de sur-responsabilité. Pourtant, « la parole qui tue » reste un fantasme. Les médecins doivent comprendre que l’annonce aura un impact important mais tenter de surmonter la crainte d’être « blamé » ou de ne pas être capable de faire face à la situation [14]. Tout s’apprend...
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Les relations du patient avec son entourage et avec l’équipe médicale sont faussées. Le patient va perdre confiance. Il n’y a pas de communication possible. Son isolement ira en s’accroissant tout comme son anxiété. Il ne pourra pas être rassuré sur ses peurs. Il ne pourra pas prendre les dispositions nécessaires quant à sa vie après l’annonce du diagnostic mais aussi quant à sa succession. Parfois, les patients refusent d’être informés. Cela est rarement clairement exprimé. Cette situation est difficile à gérer. La position du patient doit être réévaluée plus tard. 8. Que dire, ne pas dire ? L’équilibre n’est pas facile à trouver. L’anxiété ou la dépression sont souvent associées au sentiment d’en savoir trop ou trop peu [15]. Il est donc fondamental de s’enquérir de ce que comprend et ressent le malade. Donner une information systématiquement ou quasi systématiquement ne signifie pas que le médecin doit s’engager dans un monologue. Bien au contraire, il est plus important d’écouter que de parler [7]. Il ne faut pas forcément tout dire mais il ne faut jamais mentir. L’information doit se dérouler dans une ambiance de vérité. Elle ne se limite pas au dévoilement d’un diagnostic, c’est-à-dire qu’informer le patient, c’est être disponible et capable de répondre véritablement à sa demande. Les questions et les demandes du patient peuvent être multiples et porter sur la maladie, les traitements, leurs répercussions, les conditions de vie ultérieures, ses propres réactions, la possibilité de trouver un sens à la vie qui lui reste, etc. Il ne faut jamais laisser de question sans réponse. Il est bien évident que les connaissances médicales sont limitées, qu’on ne peut pas répondre à tout, mais dire que l’on ne sait pas est déjà une réponse. Les renseignements donnés doivent être utiles au malade. Le patient est surtout préoccupé de savoir comment il peut organiser sa vie et participer à la gestion de sa maladie. Il est clairement préférable d’éviter toute considération pronostique personnelle ou générale. Lorsque c’est possible, on peut (et on doit) dire que la maladie n’est en général pas mortelle. Il n’est pas nécessaire de donner le détail de toutes les évolutions possibles. L’information doit évoluer au cours du temps. Il n’est pas utile et judicieux de tout dire tout de suite. En particulier, les messages de prévention ne seront efficaces que dans un deuxième temps. À l’occasion de ces messages, il est important de ne pas culpabiliser. Il est indispensable de maintenir un espoir, mais sans prescrire d’examen ou de traitement inutile [16] et donc de faux espoirs. L’espoir n’est pas forcément celui de guérir. Il peut s’agir de l’espoir de ne pas souffrir, ou de l’espoir d’avoir une survie de quelques mois ou quelques années, ou de ne pas se retrouver seul face à la maladie.
7. Conséquences de la non-information 9. Comment le dire ? Si une information est refusée au patient, qu’il la demande ou non, la responsabilité juridique du médecin est engagée mais d’autres conséquences sont beaucoup plus graves [7].
Si l’annonce est trop brutale, le patient vit tout contact futur avec le médecin comme une atteinte à son intégrité [6]. Une
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consultation de 30 à 45 minutes est prévue dans le plan cancer avec un tarif spécial prévu dans la future classification commune des actes médicaux. L’information doit avoir lieu de visu dans un environnement adapté, calme et confidentiel. Il est important de prendre le temps nécessaire pour que le patient puisse apprivoiser cette réalité difficile. Il est alors utile de penser à une stratégie de communication [17], c’està-dire de prévoir les objectifs de la consultation ainsi que son déroulement : dans quel ordre va-t-on effectuer l’annonce ? Comment y préparer le patient ? Pour cela, l’attention portée au malade et aux différentes dimensions de son être paraît capitale et l’annonce sera facilitée, si déjà lors de la première consultation, quand le praticien envisage la biopsie, il a pris le temps d’avoir une approche globale du patient c’est-à-dire qu’il a tenté de repérer ses liens familiaux, son milieu socioculturel, les éléments significatifs de son histoire, quelques traits de personnalité. On pourrait finalement dire que l’annonce du diagnostic de mélanome commence dès que le praticien y pense et qu’il met en œuvre la démarche pour son éventuelle confirmation. Il doit déjà avertir le patient de ce qu’il recherche et lui demander par exemple s’il veut être accompagné lorsqu’il viendra rechercher le résultat de l’examen anatomopathologique. Même si elle engendre une certaine angoisse, cette attitude aura permis au patient, en cas de résultat positif de mélanome, d’aménager déjà des adaptations défensives. L’information doit être claire, exprimée avec des termes compréhensifs, non agressive, neutre et progressive. Encore une fois, ce ne doit pas être un cours mais une discussion où l’écoute doit être maximale. Il faut faire attention aux termes utilisés (le mot « mélanome » a un impact beaucoup plus modéré que le mot cancer par exemple), mais pourtant il faut rester clair sur la nature de la maladie, et ainsi dépassionner le mot « cancer ». Par ailleurs, un mot comme « chimiothérapie » est très anxiogène et peut être facilement remplacé par d’autres mots plus précis, plus adaptés. Une étape essentielle consistera à apprécier la connaissance du malade sur le mélanome mais aussi ses représentations de cette affection, représentations qui sont liées à son histoire. Penser l’éducation du patient se réduit trop souvent à une réflexion sur la pédagogie et la communication. Le patient doit être reconnu comme sujet singulier mais aussi comme sujet désirant [18]. Il faut respecter la personnalité du patient et favoriser l’expression des émotions. Si celles-ci sont agressives, le médecin peut tenter de les calmer, tout en les laissant émerger. Le patient a non seulement un corps mais aussi une personnalité, des liens affectifs, un passé, un milieu socioculturel, un rôle social, des croyances, etc. Toutes ces composantes doivent être prises en compte car elles sont importantes dans la prise en charge du malade [19]. Il est nécessaire de faire participer le malade et de lui laisser ainsi le contrôle de la quantité et de la vitesse des informations, toujours dans le but de lui permettre d’aménager des stratégies défensives face à l’angoisse d’une telle annonce. C’est dans une ambiance de vérité que doit se dérouler l’information [2,7]. Encore une fois, il ne faut jamais mentir.
Il est illusoire d’être trop catégorique car nos connaissances, en particulier sur le pronostic, sont limitées. Il faut laisser de la place à l’espoir quel qu’il soit. En donnant de mauvaises nouvelles, il faut tenter de les accompagner d’autres meilleures et de mots d’espoir. Il ne faut pas hésiter à reparler avec le patient quelques jours plus tard, à reprendre la discussion plusieurs fois. L’information n’est pas donnée une fois pour toutes. Enfin, il est très important de laisser dans le dossier des traces de cette information : celle-ci ne se situe pas uniquement dans le colloque singulier médecin–malade car la prise en charge globale du malade pour ce mélanome nécessitera un travail d’équipe, et cette dernière a besoin pour une meilleure communication avec le patient de savoir quelle information lui a été transmise et quelles ont été ses réactions initiales.
10. Conduite à tenir après l’annonce Un antidépresseur ne doit pas être prescrit dans l’immédiat. La prescription de médicaments psychotropes systématiquement prescrits après l’annonce n’est pas justifiée, sauf en cas d’anxiété majeure. Cela peut paraître évident mais il est important de le rappeler, tant la pratique est parfois différente. Une intervention psychosociale précoce est nécessaire. Elle permet d’apaiser la souffrance psychique. Mais elle permet aussi d’augmenter considérablement la survie [20], peut-être par une immunité meilleure. Cette intervention psychosociale peut être représentée par des groupes de paroles, une psychothérapie de soutien (écoute et réassurance), une relaxation, une thérapie cognitive (éducation, management du stress, entraînement à la résolution de problèmes, soutien social). Une étude montre un taux de mortalité dans le mélanome à six ans de 9 % après intervention psychosociale au lieu de 29 % sans celle-ci [20]. Bien qu’atténué, cet intérêt persiste après dix ans de suivi [21]. L’équipe de Fawzy utilisait une thérapie cognitive–comportementale de groupe associant éducation thérapeutique, entraînement à la résolution de problèmes, gestion du stress et soutien social pendant six semaines. Cette étude est la plus démonstrative mais d’autres études, avec d’autres techniques, sont en faveur de l’utilité d’une intervention psychosociale précoce [22]. De nombreuses pratiques, par exemple dans le mélanome [23], n’ont pas été évaluées. Il est toujours difficile de corréler des paramètres biométriques à des données psychologiques, qui sont souvent non quantifiables.
11. Conclusions Il n’y a pas de technique miracle lorsqu’il faut annoncer une maladie grave. Bien entendu, chaque cas est particulier et chaque médecin a sa propre démarche. Néanmoins, pour comprendre ce qui se passe pendant et après l’annonce et adapter son attitude, il apparaît très utile d’avoir certaines
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connaissances, que nous avons tenté d’apporter en partie ici. Signalons enfin que l’Anaes a émis des recommandations en 2000.
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