Inhibiteurs de la pompe à protons et hémorragies digestives hautes

Inhibiteurs de la pompe à protons et hémorragies digestives hautes

© Masson, Paris, 2005. Gastroenterol Clin Biol 2005;29:137-139 TUBE DIGESTIF ET PANCREAS POINT DE VUE Inhibiteurs de la pompe à protons et hémorra...

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© Masson, Paris, 2005.

Gastroenterol Clin Biol 2005;29:137-139

TUBE DIGESTIF ET PANCREAS

POINT DE VUE

Inhibiteurs de la pompe à protons et hémorragies digestives hautes Gilles LESUR (1), Bruno BOUR (2)

(1) Service d’Hépatogastroentérologie, Hôpital Ambroise Paré, 92104 Boulogne Cedex ; (2) Département d’Hépatogastroentérologie, Centre Hospitalier, Le Mans 72000.

L

e but de cet éditorial est de discuter de la place actuelle des inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) dans la prise en charge des hémorragies digestives hautes en répondant aux questions suivantes : pourquoi des IPP ? à quelles doses et selon quelles modalités d’administration ? dans quelles indications ? pour quel rapport coût/efficacité ? L’agrégation plaquettaire diminue de manière significative lorsque le pH gastrique est inférieur à 6 et un caillot de fibrine n’est stable que lorsque le pH gastrique est supérieur à 4. En présence d’un ulcère hémorragique, l’activité fibrinolytique dans la muqueuse gastro-duodénale est plus élevée, en particulier en présence de signes endoscopiques de saignement récent, et cette activité est diminuée par une réduction de la sécrétion gastrique acide. Augmenter le pH gastrique peut donc favoriser le maintien d’un clou plaquettaire ou d’un caillot et empêcher sa lyse. Les anti-H2, y compris de troisième génération, utilisés par voie intraveineuse, n’ont jamais démontré d’efficacité dans les hémorragies ulcéreuses. Les IPP sont des anti-sécrétoires plus puissants et de nombreux travaux ont étudié différents IPP dans ce contexte. Des études pHmétriques ont montré que l’administration d’oméprazole et de pantoprazole à la dose de 80 mg en bolus suivie d’une perfusion de 8 mg/heure pendant 72 heures permettait d’obtenir très rapidement et durablement un pH gastrique élevé avec un pourcentage de temps passé à pH supérieur à 6 d’environ 90 % [1, 2]. Ces résultats obtenus chez les volontaires sains ont été reproduits en cas d’hémorragie ulcéreuse avec ou sans infection par Helicobacter pylori. Les études cliniques ont montré, qu’en cas d’ulcère hémorragique traité par voie endoscopique, de fortes doses d’oméprazole ou de pantoprazole par voie intraveineuse, réduisent le risque de récidive hémorragique [3, 4]. L’ensemble de ces éléments plaide en faveur de l’intérêt des IPP dans l’hémorragie ulcéreuse. L’enquête réalisée fin 2001 et publiée dans ce numéro montre qu’en France l’utilisation des IPP au cours de l’hémorragie ulcéreuse est déjà très large et ceci malgré l’absence d’autorisation de mise sur le marché dans cette indication [5]. L’oméprazole était alors la molécule la plus utilisée (82 %) et le mode d’administration préférentiel la voie intraveineuse (76 %). Dans les CHU, le schéma bolus-perfusion continue était plus fréquemment utilisé et la dose moyenne d’oméprazole plus élevée. Cette enquête a également montré une grande hétérogénéité dans l’utilisation des IPP d’un centre à l’autre. En dépit de cette large diffusion et des travaux évoqués plus haut, beaucoup d’interrogations persistent. Les rares essais com-

paratifs entre les IPP étudiés dans cette indication (oméprazole, pantoprazole), et pour un IPP donné, de doses et de voies d’administration, ne permettent pas de conclusion définitive. Malgré cela, un certain nombre d’éléments sont acquis. Chez des malades non traités par voie endoscopique, 80 mg d’oméprazole per os pendant 5 jours réduit de manière significative le risque de persistance ou de récidive du saignement et d’intervention chirurgicale en cas d’ulcères avec vaisseau visible non hémorragique ou de caillot adhérent [6]. Cet essai, qui a été beaucoup critiqué, a été le premier à démontrer l’intérêt des doses élevées d’IPP. Dans ce travail, aucun des malades avec caillot adhérent recevant l’oméprazole ne présentait de récidive hémorragique. Ceci suggère qu’un tel traitement pourrait être proposé en cas de caillot adhérent, situation au cours de laquelle l’intérêt du traitement endoscopique est toujours discuté. L’essai de Lau et al. [3] ayant utilisé l’oméprazole (80 mg en bolus puis 8 mg/h en perfusion pendant 72 heures) chez des malades traités par injections et thermocoagulation a été largement commenté. Ce travail a montré dans le groupe traité une réduction significative du risque de récidive hémorragique à la fois en cas d’hémorragie active et de vaisseau visible non hémorragique [3]. L’oméprazole à fortes doses par voie intraveineuse est donc susceptible de potentialiser le traitement endoscopique et permet d’obtenir des taux de récidive hémorragique inférieurs à 10 %, y compris dans une population à haut risque de récidive (la moitié des malades présentait une hémorragie initialement active). Ces données ont été confirmées dans un travail qui a inclus exclusivement les malades avec vaisseau visible non hémorragique ou caillot adhérent [7]. En cas d’ulcère avec vaisseau visible non hémorragique, l’association traitement endoscopique et oméprazole intraveineux selon le même protocole réduit significativement le risque de récidive hémorragique par rapport au seul traitement médical. En cas de caillot adhérent, une récidive hémorragique survenait dans le groupe traité par voie endoscopique et aucune en cas de traitement exclusivement médical (ns). L’oméprazole per os à la dose de 80 mg/j pendant 5 jours réduit de manière significative le risque de récidive hémorragique chez des malades traités par injections hémostatiques [8] et pourrait être aussi efficace qu’un traitement par injections en cas de vaisseau visible non hémorragique ou de caillot adhérent [9]. Le seul travail qui a comparé l’administration par voie intra-veineuse d’oméprazole à fortes et à faibles doses n’a pas mis en évidence de différence significative d’efficacité [10]. Cette étude est difficile à interpréter car la réalisation du traitement endoscopique était fonction de l’opérateur. Les données concernant le pantoprazole sont plus récentes et proviennent d’Amérique du Nord, la forme intraveineuse de l’oméprazole n’y étant pas commercialisée, mais démontrent également son intérêt. Un essai récent uniquement disponible

Tirés à part : G. LESUR, à l’adresse ci-dessus. gilles.lesur@ apr.ap-hp.fr

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G. Lesur, B. Bour

sous forme de résumé montre que l’utilisation de 80 mg en bolus puis d’une perfusion de 8 mg/h pendant 72 heures est significativement plus efficace que la ranitidine 50 mg en bolus suivie d’une perfusion de 13,3 mg/h/pendant 72 heures en cas d’ulcère avec hémorragie en jet traitée par hémostase endoscopique [11]. Un travail du registre canadien des hémorragies digestives hautes ayant inclus 1 869 malades, dont 55 % d’hémorragies ulcéreuses, traités par voie endoscopique dans 37 % des cas, montre que l’utilisation du pantoprazole chez 85 % des malades, une fois sur 2 par voie veineuse, est associée à une réduction de moitié du risque de récidive hémorragique [4]. De plus, une réduction significative de la mortalité était observée dans le groupe des malades présentant des stigmates endoscopiques de récidive hémorragique. Cet effet sur la mortalité, non observé dans les essais évoqués plus haut, est probablement lié à la plus grande puissance du travail canadien. Un essai ayant comparé un bolus intra-veineux de 80 mg suivi de 3 injections de 40 mg pendant 24 heures d’oméprazole ou de pantoprazole ne montre aucune différence d’efficacité chez des malades traités par voie endoscopique [12]. Il n’y a donc pas d’argument laissant penser à une supériorité de l’un ou l’autre des IPP dans cette indication mais cette étude unique et de faible puissance n’a été présentée que sous forme de résumé.

prouvé leur efficacité dans cette indication. Faute d’essais comparatifs, le schéma optimal d’utilisation n’est pas connu. L’utilisation de fortes doses par voie intraveineuse est particulièrement indiquée chez des malades présentant des facteurs de risque de récidive hémorragique, en particulier un stade de Forrest I a ou II a. Dans les stades II b, l’utilisation de fortes doses d’IPP est probablement une alternative raisonnable au traitement endoscopique. L’utilisation des IPP à fortes doses dans l’hémorragie ulcéreuse est probablement d’un bon rapport coût-efficacité. Il n’y a pas de justification actuelle à l’utilisation systématique des IPP en présence de toute hémorragie digestive haute. Les modalités optimales d’utilisation des IPP à la phase aiguë et les modalités de relais après arrêt de l’hémorragie restent à définir.

Un des problèmes non résolus est celui du relais oral des IPP au-delà des trois premiers jours, au cours desquels surviennent 90 % des récidives. Certains travaux montrent qu’il existe un risque non négligeable de récidive hémorragique à l’arrêt du traitement intraveineux [7]. Lorsque ce type de traitement a été utilisé, il est raisonnable de prendre le relais du traitement intraveineux par un traitement à double dose par voie orale pendant quelques jours. Cette période peut être mise à profit pour débuter un traitement d’éradication de Helicobacter pylori. Ce dernier n’est pas indiqué en urgence car il ne réduit pas le risque de récidive hémorragique précoce [13]. Le traitement par IPP par voie veineuse est-il coût-efficace au cours de la phase aiguë de l’hémorragie ulcéreuse ? Plusieurs études le suggèrent [14-17]. L’interprétation de ces travaux doit être prudente car aucun n’a été réalisé en France. Celui qui a comparé le coût de quatre attitudes visant à réduire le risque de récidive hémorragique ulcéreuse suggère, que l’association hémostase endoscopique et IPP par voie intraveineuse à fortes doses est la moins coûteuse, si le risque de récidive hémorragique est inférieur à 10 % et le prix des IPP acceptable [18]. L’équipe de Hong-Kong a montré que l’utilisation de fortes doses d’oméprazole réduisait de 30 % le coût de la prise en charge [16]. Dans un travail canadien, la réduction de coût générée par l’utilisation de la voie veineuse par rapport à la voie orale était de 136 dollars par malade [17]. Il a été suggéré que l’administration d’IPP à fortes doses par voie veineuse à l’aveugle avant l’endoscopie en présence de toute hémorragie haute était associée à une réduction de coût [19]. Une telle attitude n’a pas été évaluée d’un point de vue médical. Une enquête rétrospective faite par des pharmaciens montre que l’utilisation des IPP par voie veineuse est injustifiée dans plus de 50 % des cas [20]. De plus, ces prescriptions abusives sont souvent prolongées au décours de la phase aiguë [21]. L’utilisation de protocoles est susceptible d’améliorer la conformité des prescriptions et donc de réduire le coût de la prise en charge [22]. Il est de notre rôle de résister à ce type de dérive que l’on voit parfois déjà apparaître dans notre pratique. La mise sur le marché récente ou annoncée de nouveaux IPP, plus puissants en terme de réduction de la sécrétion gastrique acide, sera certainement l’occasion de réévaluer leur place dans l’hémorragie ulcéreuse et de mieux définir une utilisation la plus efficace possible. En conclusion, les IPP à la phase aiguë d’une hémorragie ulcéreuse non traitée ou traitée par voie endoscopique réduisent le risque de récidive hémorragique et très probablement la mortalité. L’oméprazole et à un moindre degré le pantoprazole ont

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