Éditorial Diabète • Lipides • Obésité • Risques cardio-métaboliques • Nutrition
Inhibiteurs du co-transporteur sodium-glucose de type 2 (SGLT2) : une nouvelle classe pour le traitement du diabète de type 2
S. Halimi Université Joseph Fourier, Grenoble.
Sodium glucose cotransporter-2 inhibitors: A new class for type 2 diabetes treatment
D
epuis une dizaine d’années, l’arsenal thérapeutique du diabète de type 2 (DT2) s’est considérablement enrichi si l’on se remémore le nombre limité de classes thérapeutiques dont nous avons disposé durant cinq décennies [1,2]. Les médicaments agissant sur le système incrétine, les inhibiteurs de la dipeptidylpeptidase IV (i-DPP4) et les agonistes du récepteur du glucagonlike peptide-1 (GLP1-RA), sont sur le marché depuis environ huit années ; la classe des GLP1-RA s’enrichit progressivement, et l’on verra bientôt arriver sur le marché les GLP1-RA injectables à action hebdomadaire [3]. Depuis l’apparition de la metformine, les différentes classes thérapeutiques ont ciblé l’un des mécanismes impliqués dans la physiopathologie des DT2 : foie, cellule ß-pancréatique, défaut du GLP1, glucagon, et, pour l’insulinorésistance, les glitazones (aujourd’hui non présentes sur le marché français). Quoique les effets de la phlorizine soient connus de très longue date [4, 5], ce n’est que maintenant que les inhibiteurs du co-transporteur sodium-glucose de type 2 (i-SGLT2) sont sur le point d’être disponibles en France. On en compte trois déjà, approuvés par les Autorités de santé aux États-Unis (Food and Drug Administration [FDA]) et en Europe (European Medicines Agency [EMA]) : la dapaglifozine, l’empaglifozine, la canaglifoCorrespondance : zine ; et, bientôt, l’ipraglifozine, déjà approuvée au Japon [6,7]. Cette nouvelle classe agit sur la réabSerge Halimi sorption du glucose au niveau du rein, entraîne une Pavillon les Ecrins. Service de diabétologie, glycosurie qui vise aussi à corriger un trouble propre endocrinologie et nutrition au diabète, l’élévation du seuil rénal de réabsorption CHU de Grenoble 38043 Grenoble cedex. du glucose, clairement démontré chez les patients
[email protected]
© 2015 - Elsevier Masson SAS - Tous droits réservés. Médecine des maladies Métaboliques - Janvier 2015 – Vol. 9 – Suppl 1
DT2 [6, 7]. Mais, les i-SGLT2 vont aussi sur-corriger ce seuil, en l’abaissant considérablement, entraînant ainsi une importante perte urinaire de glucose (de 50 à 80 g/j). Il s’ensuit une baisse de la glycémie qui, secondairement, peut améliorer la fonction insulino-sécrétrice et l’insulinorésistance en réduisant le phénomène de glucotoxicité. Il s’ensuit aussi une perte calorique qui conduit à une perte de poids, du moins durant les premières semaines de traitement, celle-ci se stabilisant ensuite malgré le maintien de la glycosurie. En l’absence d’association aux sulfonylurées ou à l’insuline, les i-SGLT2 n’entraînent pas d’hypoglycémies. Enfin, les bénéfices tensionnels sont intéressants dans une population souvent hypertendue et à haut risque cardiovasculaire. Ainsi, au plan glycémique, cette nouvelle classe fait jeu égal avec les i-DPP4, voire un peu mieux, mais avec un bénéfice pondéral, avec les sulfonylurées, mais sans prise de poids ni hypoglycémie, reste un peu inférieure aux GLP1-RA, mais sans avoir recours à une injection sous-cutanée. Particularité très notable, comme la metformine, quelle que soit la typologie du DT2, le statut ß-cellulaire, ou l’insulinorésistance, et contrairement à toutes les autres classes, les effets glycémiques et pondéraux sont constants, donc prédictibles [7]. Il n’existe pas de patients DT2 non-répondeurs, contrairement aux autres classes, celles agissant sur les hormones incrétines, en particulier. Seul facteur limitant leur action, l’insuffisance rénale, qui, lorsqu’elle est prononcée (débit de filtration glomérulaire [DFG] < 45 ml/min/1,73 m2) réduit considérablement les effets glycémiques des i-SGLT2. En somme, cette
S1
S2
Éditorial classe thérapeutique semble pouvoir être largement utilisée chez les patients DT2, depuis la bithérapie (voire la monothérapie, indication pour laquelle elle ne sera vraisemblablement pas remboursée en France) jusqu’au stade de l’association à l’insuline. Son association aux médicaments agissant sur les incrétines a été testée avec succès, mais sans synergie additive, puisque l’effet thérapeutique obtenu est inférieur à la somme des effets de chacun pris isolément. Toutefois, la classe des i-SGLT2 expose à des effets indésirables assez fréquents, principalement les infections génitales mycosiques, surtout chez la femme. Les infections urinaires basses sont également un peu plus fréquentes, mais qu’en sera-t-il en « vraie vie » lorsque, contrairement aux études cliniques de phase III, les sujets avec antécédents d’infection urinaire ne seront plus exclus ? À quoi s’ajoute que toutes les études utilisant un i-SGLT2 constatent une élévation du LDL-cholestérol – mais également du HDL-cholestérol – dont les conséquences à long terme font l’objet de très larges études cardiovasculaires prospectives déjà débutées. Les autres effets indésirables suspectés ne sont pas confirmés aujourd’hui, que ce soit sur l’os ou au plan carcinologique, mais, dans ces domaines, le recul est trop faible pour tirer des conclusions [8]. L’usage des i-SGLT2 chez le sujet âgé « vigoureux » à fonction rénale conservée, semble possible, il en ira sûrement autrement pour les sujets âgés fragiles. Enfin, comment est tolérée, dans la « vraie vie », cette augmentation de diurèse, surtout chez un sujet un peu âgé, déjà tracassé par des soucis mictionnels ? En somme, une classe très prometteuse, aux effets indésirables en principe peu sévères, qui ouvre la question de sa place dans la prise en charge médicamenteuse des patients DT2, d’autant que les recommandations françaises « Haute Autorité de Santé (HAS) /Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (Ansm) » [9], comme internationales [10], ne se sont pas encore prononcées à ce propos. La simplicité d’usage des i-DPP4 (gliptines), et leur meilleure tolérance, feront-elles les préférer aux i-SGLT2, surtout en seconde ligne, après la metformine [11] ? Ou bien les gliptines seront-elles la classe principalement concurrencée, du fait de la
meilleure prédictibilité des effets glycémiques et de la perte de poids sous i-SGLT2 ? En revanche, chez les patients DT2 insuffisants rénaux, la place prépondérante devrait rester aux i-DPP4 (sous réserve de l’adaptation de la dose). La combinaison metformine + sulfamide hypoglycémiant + i-SGLT2 sera-t-elle largement utilisée, et la meilleure indication de cette nouvelle classe, pour son efficacité et son faible coût, en fera-t-elle, ainsi, la principale alternative aux traitements injectables, insuline et, surtout, GLP1-RA ? L’association d’un i-SGLT2 à l’insuline chez le patient DT2 sera aussi en concurrence avec l’association insuline + GLP1-RA. Devant cette complexité nouvelle, et sûrement la crainte d’un dérapage des prescriptions, il est prévu, en France, de réserver l’initiation des i-SGLT2 aux diabétologues/endocrinologues et aux spécialistes en médecine interne, avec réévaluation par ce spécialiste à un an. Mais si ces spécialistes commencent à bien connaître le mécanisme d’action de cette classe, ils n’en ont pas la pratique, et ils devront se faire une opinion « de terrain » quant aux indications. Ce qui sera certainement plus délicat que lors de la venue sur le marché des gliptines (i-DPP4), de préférence aux sulfonylurées dans un certain nombre d’indications. Ainsi, l’offre va être, sous peu, considérable, plus de 30 à 40 spécialités différentes, sans compter les associations possibles ! Comment feront le spécialiste, et demain le médecin généraliste, pour s’y retrouver dans un tel labyrinthe thérapeutique ? Il faudra savoir choisir les i-SGLT2 dans leurs meilleures indications, de bon sens. Là, par exemple, où les autres classes auront été en échec. Les patients non-répondeurs aux médicaments agissant sur les incrétines ne manquent pas. Comme ne manquent pas les prises de poids et les hypoglycémies sous sulfonylurées ou sous insuline, chez des patients en net surpoids, et avant de recourir aux GLP1-RA. Et, enfin, savoir recourir aux i-SGLT2 pour des sujets à moindre risque d’effets indésirables. Chaque praticien devra donc être attentif à évaluer les résultats, après quelques mois d’usage, sur des critères cliniques et paracliniques simples. Une bonne opportunité d’interagir avec le médecin généraliste.
Comme il est écrit, verset 1-18 de l’Ecclésiaste, « Qui accroît sa science accroît sa douleur ». En ce domaine, on pourrait dire « Qui accroît l’arsenal thérapeutique accroît la complexité des traitements ». Certes, mais apporte également des solutions, là où, jusque-là, il n’en existait pas, ou que de plus imparfaites. Ne nous plaignons donc pas, et gardons à l’esprit l’intérêt global du patient, la démarche de bon sens, et les conséquences médico-économiques de nos prescriptions. Liens d’intérêt Serge Halimi déclare recevoir des honoraires pour des conférences et en tant que consultant, de la plupart des firmes pharmaceutiques en relation avec les traitements du diabète évoqués dans cet article.
Références [1] Loubatières A. The discovery of hypoglycemic sulfonamides and particularly of their action mechanism. Acta Diabetol Lat 1969;6 (Suppl.1):19-56. [2] Halimi S. Metformin: 50 years old, fit as a fiddle, and indispensable for its pivotal role in type 2 diabetes management. Diabetes Metab 2006;32:555-6. [3] Nauck MA. Incretin-based therapies for type 2 diabetes mellitus: properties, functions, and clinical implications. Am J Med 2011;124(Suppl.):S3-18. [4] Von Mering J. Über experimentellen Diabetes. Verhandl d Kong f inn Med 1886;5:185-9. [5] White JR Jr. Apple trees to sodium glucose cotransporter inhibitors: a review of SGLT2 inhibition. Clin Diabetes 2010;28:5-10. [6] Ferrannini E, Solini A. SGLT2 inhibition in diabetes mellitus: rationale and clinical prospects. Nat Rev Endocrinol 2012;8:495-502. [7] Chen LH, Leung PS. Inhibition of the sodium glucose co-transporter-2: its beneficial action and potential combination therapy for type 2 diabetes mellitus. Diabetes Obes Metab 2013;15:392-402. [8] Lin HW, Tseng CH. A review on the relationship between SGLT2 inhibitors and cancer. Int J Endocrinol 2014;2014:719578. [9] Haute Autorité de Santé (HAS) ; Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (Ansm). Stratégie médicamenteuse du contrôle glycémique du diabète de type 2. Recommandation de bonne pratique. Janvier 2013. www.has-sante.fr. [10] Inzucchi SE, Bergenstal RM, Buse JB, et al. Management of hyperglycaemia in type 2 diabetes: a patient-centered approach. Position statement of the American Diabetes Association (ADA) and the European Association for the Study of Diabetes (EASD). Diabetologia 2012;55:1577-96 [Erratum in: Diabetologia 2013;56:680]. [11] Scheen AJ. SGLT2 versus DPP4 inhibitors for type 2 diabetes. Lancet Diabetes Endocrinol 2013;1:168-70.
Médecine des maladies Métaboliques - Janvier 2015 – Vol. 9 – Suppl 1