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GYOBFE-2543; No. of Pages 3 Gyne´cologie Obste´trique & Fertilite´ xxx (2014) xxx–xxx
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E´ditorial
Inhibition de la lactation : fin de la bromocriptine, longue vie a` la cabergoline ? Inhibition of lactation: End to the bromocriptin, long life to the carbergolin?
Dans la torpeur de l’e´te´, le 25 juillet 2013 exactement, l’Agence nationale de se´curite´ du me´dicament (ANSM) a e´mis un communique´ salutaire et tre`s attendu, conjointement avec le Colle`ge national des gyne´cologues-obste´triciens franc¸ais (CNGOF) et le Colle`ge national des sages-femmes de France (CNSF), concernant outre quelque 350 000 femmes en France par an, tous les gyne´cologues-obste´triciens, les gyne´cologues me´dicaux, les me´decins ge´ne´ralistes et les sages-femmes du territoire franc¸ais. Il aura fallu pre`s de 20 ans et deux enqueˆtes de pharmacovigilance pour qu’enfin soit admis en France que « le rapport be´ne´fice/risque de la bromocriptine n’est plus favorable dans la pre´vention ou l’inhibition de la lactation physiologique » [1]. La bromocriptine est un de´rive´ de l’ergot de seigle, agoniste dopaminergique (agoniste D2 et agoniste partiel D1), qui a e´te´ prescrit a` partir de 1972 dans de nombreux pays (et depuis 1978 en France) pour l’inhibition de la lactation. Son efficacite´, comme celles d’autres de´rive´s de l’ergot de seigle tels que la cabergoline, a e´te´ de´montre´e dans de nombreux essais [2–5] sur les crite`res suivants : absence de douleurs mammaires, d’e´coulement spontane´ de lait ou d’engorgement. Cependant, ce me´dicament, comme tous les de´rive´s de l’ergot de seigle, posse`de une activite´ dopaminergique pouvant entraıˆner une vasoconstriction pe´riphe´rique responsable d’effets secondaires graves [6]. De`s 1989, les premiers cas de convulsions et d’accidents vasculaires ce´re´braux sous bromocriptine ont e´te´ rapporte´s aux E´tats-Unis. En 1994, la Food and Drug Administration (FDA) a de´cide´ de retirer son autorisation pour la bromocriptine comme inhibiteur de la lactation, conside´rant que le rapport be´ne´fice/risque e´tait de´favorable a` ce me´dicament dans cette indication [7] ; alors qu’une anne´e plus toˆt (1993), une autorisation de mise sur le marche´ (AMM) e´tait octroye´e pour la bromocriptine pour l’inhibition de la lactation en post-partum. . . Pourtant, une premie`re enqueˆte de pharmacovigilance, re´alise´e de`s 1994, avait rapporte´ 24 accidents iatroge`nes sur 1 160 360 patientes traite´es entre 1989 et 1993, essentiellement dus a` un non-respect des contre-indications : hypersensibilite´ a` la bromocriptine ou a` d’autres de´rive´s de l’ergot de seigle, pre´e´clampsie, hypertension du post-partum ou puerpe´rale ; et des interactions me´dicamenteuses : neuroleptiques, autres de´rive´s de l’ergot de seigle, macrolides, sympathomime´tiques alpha [8,9]. Malgre´ ces signes d’alarme et l’interdiction promulgue´e dans les pays anglo-saxons, la bromocriptine, une des seules the´rapeutiques ayant une AMM pour l’inhibition de la lactation, e´tait la prescription de premie`re intention, en France, pour toutes les femmes ne souhaitant ou ne pouvant pas allaiter. Ainsi, en 2010, la
bromocriptine restait la the´rapeutique de premie`re intention pour l’inhibition de la lactation pour 89 % des prescripteurs [10]. Ces e´le´ments inquie´tants concernant l’utilisation de la bromocriptine pour l’inhibition de la lactation ont e´te´ confirme´s re´cemment dans des populations a` haut mais aussi a` bas risque. En mars 2012, une seconde enqueˆte de pharmacovigilance e´galement re´alise´e en France a identifie´ 105 cas graves, suite a` la prescription de bromocriptine, incluant infarctus du myocarde, accidents vasculaires ce´re´braux, hypertension arte´rielle maligne, angiopathies ce´re´brales du post-partum, et troubles psychiatriques [11]. Dans la moitie´ des cas, les patientes n’avaient aucun facteur de risque cardiovasculaire. Les conclusions de cette enqueˆte de pharmacovigilance ont e´te´ de recommander « la suppression de l’indication de la bromocriptine dans le sevrage de l’allaitement » et de de´conseiller « le recours a` la cabergoline » (autre de´rive´ de l’ergot de seigle) [11] dans la mesure ou` il s’agissait, en 2012, « d’une prescription hors AMM », les prescriptions hors AMM e´tant actuellement clairement proscrites par l’ANSM [12]. Suite a` la publication des re´sultats de cette enqueˆte de pharmacovigilance, l’ANSM, 19 ans apre`s la FDA, a « invite´ les prescripteurs a` ne plus initier de traitement contenant de la bromocriptine » pour l’inhibition de la lactation [1]. De plus, e´tant donne´ la disponibilite´ de ce traitement dans d’autres pays de l’Union europe´enne (UE), la France a demande´ aujourd’hui une re´e´valuation europe´enne du rapport be´ne´fice/risque des me´dicaments contenant de la bromocriptine et indique´s dans l’inhibition et la pre´vention de la lactation. Cette interdiction de la bromocriptine dans l’inhibition de la lactation doit eˆtre salue´e a` sa juste valeur. Mais, alors que faire ? Quelles sont les alternatives the´rapeutiques pour les dizaines de milliers de femmes qui ne souhaitent ou ne peuvent pas allaiter ? L’ANSM rappelle a` juste titre que « si la femme n’allaite pas, la lactation s’interrompt d’elle-meˆme en une a` deux semaines » et que « la prise syste´matique d’un me´dicament inhibant la lactation pour pre´venir ou traiter l’inconfort ou l’engorgement pouvant survenir lors de la monte´e laiteuse n’est pas recommande´e » [1]. Ainsi, toute prescription me´dicamenteuse pour la pre´vention ou inhibition de la lactation physiologique dans le post-partum imme´diat (ablactation) et dans le post-partum tardif (sevrage) ne doit pas eˆtre syste´matique, mais discute´e au cas par cas. Rappelons que des moyens simples en cas de monte´e de lait douloureuse peuvent eˆtre pre´conise´s : port continu du soutien-gorge et prescription de parace´tamol [13].
1297-9589/$ – see front matter ß 2014 Publie´ par Elsevier Masson SAS. http://dx.doi.org/10.1016/j.gyobfe.2013.12.007
Pour citer cet article : Sentilhes L, et al. Inhibition de la lactation : fin de la bromocriptine, longue vie a` la cabergoline ?. Gyne´cologie Obste´trique & Fertilite´ (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.gyobfe.2013.12.007
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Mais que faire si les patientes souhaitent une prise me´dicamenteuse pour re´duire les risques de complications et d’inconfort lie´s a` l’engorgement mammaire apre`s l’accouchement d’un enfant vivant ou plus exceptionnellement d’un enfant mort-ne´ (en cas de mort fœtale in utero (MFIU) ou d’interruption me´dicale de grossesse (IMG) par exemples) ? Dans ce cas, l’ANSM mentionne qu’« il existe plusieurs alternatives a` la bromocriptine : le lisuride (Arolac1 0,2 mg, comprime´ se´cable) et la cabergoline (Cabergoline Sandow1 0,5 mg, comprime´ se´cable, non encore commercialise´e) » [1], ces deux the´rapeutiques ayant l’AMM (obtenue tre`s re´cemment pour la cabergoline). Il nous paraıˆt le´gitime de douter de la pertinence de cette dernie`re recommandation. En effet, le lisuride et la cabergoline appartiennent a` la meˆme famille the´rapeutique que la bromocriptine : ce sont des de´rive´s de l’ergot de seigle, agonistes dopaminergiques (le lisuride est un agoniste dopaminergique D2 pre´fe´rentiel a` action centrale pre´dominante, tandis que la cabergoline est un de´rive´ de l’ergot de seigle, agoniste assez se´lectif des re´cepteurs D2). Ainsi, a-t-on suffisamment de donne´es rassurantes de phamarcovigilance concernant l’utilisation de ces deux produits dans le post-partum (pe´riode associe´e a` un risque accru d’accidents arte´riels) pour faire une telle recommandation ? N’y a-t-il pas un risque a` voir survenir avec la meˆme pre´valence les meˆmes e´ve`nements inde´sirables graves que ceux rencontre´s avec l’utilisation de la bromocriptine quand la prescription de ces deux produits sera re´alise´e en premie`re intention et ne sera plus confidentielle ? En effet, il ne suffit pas qu’un produit ait une AMM pour affirmer que le rapport be´ne´fice/risque de ce produit est favorable dans la pre´vention ou l’inhibition de la lactation physiologique (la preuve en a e´te´ apporte´e avec la bromocriptine. . .). En 2010, les prescripteurs franc¸ais de´claraient ne jamais utiliser le lisuride en premie`re intention et dans seulement 5 % des cas en seconde intention, alors que cette the´rapeutique a l’AMM dans l’inhibition de la lactation [10]. La cabergoline n’avait pas l’AMM en 2010, mais sa prescription semble moins confidentielle que le lisuride en France puisque dans la meˆme enqueˆte nationale, elle e´tait prescrite en premie`re intention dans 3 % des cas mais en seconde intention dans 24 % des cas [10]. Ceci peut s’expliquer par le fait qu’en 2007, le CNGOF avait mentionne´ le recours possible a` la cabergoline en cas de MFIU ou d’IMG [14]. Le nombre de publications concernant la cabergoline et surtout le lisuride pour l’inhibition de la lactation est limite´ [3]. Il faut souligner que ces publications n’ont inclus qu’un faible nombre de patientes (toujours infe´rieur a` 150), nombre parfois suffisant pour e´valuer l’efficacite´ du produit mais toujours tre`s insuffisant pour de´terminer la pre´valence des effets secondaires graves potentiellement attribuables a` ces deux me´dicaments [3]. Les arguments de l’ANSM de pre´coniser une alternative de la bromocriptine par la cabergoline sont que : « la cabergoline a une AMM re´cente en France mais est autorise´e depuis plus de 10 ans dans cette indication en Europe et au Canada » ; et qu’il existe un suivi des Periodic Safety Update Reports (PSURs), rapports pe´riodiques actualise´s de pharmacovigilance europe´ens sans qu’aucun cas d’effet inde´sirable cardiovasculaire grave n’ait e´te´ rapporte´ concernant la cabergoline depuis le de´but de la commercialisation de cette spe´cialite´ en Europe et au Canada [1]. Cependant, la prudence s’impose. Ces interrogations ont e´te´ ainsi souleve´es et discute´es par les membres de la commission de suivi du rapport be´ne´fice/risque des produits de sante´ de l’ANSM le 30 avril 2013. Un des membres s’est en effet inquie´te´ que « si la
commission se prononce pour un rapport be´ne´fice/risque de´favorable (de la bromocriptine), les prescripteurs risquent de se reporter sur la cabergoline dont l’utilisation est confidentielle en France et l’inquie´tude par conse´quent d’une hausse possible des notifications sous cabergoline » [1]. Un autre membre a souligne´ que « l’Agence ne recommande pas un glissement de la bromocriptine vers la cabergoline » [1]. En conclusion, il faut fe´liciter l’ANSM conjointement avec le CNGOF et le CNSF d’avoir alerte´ les professionnels sur la dangerosite´ potentielle de la bromocriptine dans l’inhibition de lactation en de´clarant que « le rapport be´ne´fice/risque de la bromocriptine n’est plus favorable dans la pre´vention ou l’inhibition de la lactation physiologique » [1]. De meˆme, il semble sage et est important de souligner que « la prise syste´matique d’un me´dicament inhibant la lactation (. . .) n’est pas recommande´e » [1]. L’inhibition de la lactation a` l’aide d’un me´dicament doit donc eˆtre une prescription au cas par cas, le but n’e´tant pas d’inciter a` un glissement de la bromocriptine vers d’autres the´rapeutiques (cabergoline ou lisuride) et le prescripteur devant avoir une attention toute particulie`re concernant les contre-indications et interactions me´dicamenteuses de´conseille´es (cf. supra) de ces deux me´dicaments. Puisque des pre´conisations d’alternatives possibles a` la bromocriptine vers d’autres de´rive´s de l’ergot de seigle ont e´te´ promulgue´es, il est indispensable qu’elles soient suivies par la mise en place d’une enqueˆte de pharmacovigilance afin de ne pas me´connaıˆtre une hausse possible des notifications d’e´ve`nements inde´sirables graves sous cabergoline ou lisuride. En effet, l’un des proble`mes majeurs rencontre´s dans le dispositif de se´curite´ sanitaire en France est celui de la remonte´e de l’information sur les e´ve`nements inde´sirables, comme l’ont souligne´ re´cemment le rapport sur la « re´organisation des vigilances sanitaires » et celui sur la « surveillance et la promotion du bon usage du me´dicament » [15]. Une sous-notification des effets inde´sirables associe´s a` la bromocriptine e´tant fortement suspecte´e en France [1], il est aussi important de rappeler le devoir des professionnels de sante´ de participer a` cette veille en de´clarant les possibles effets inde´sirables graves associe´s a` la prise d’un de ces me´dicaments pour l’inhibition de la lactation [16].
ˆ ts De´claration d’inte´re Les auteurs de´clarent ne pas avoir de conflits d’inte´reˆts en relation avec cet article. Re´fe´rences [1] http://ansm.sante.fr/S-informer/Points-d-information-Points-d-information/ Bromocriptine-Parlodel-R-et-Bromocriptine-Zentiva-R-le-rapport-beneficerisque-n-est-plus-favorable-dans-l-inhibition-de-la-lactation-Point-d-information/(language)/fre-FR. [2] Dewhurst CJ, Harrison RF, Biswas S. Inhibition of puerperal lactation: a double blind study of a bromocriptine and placebo. Acta Obstet Gynecol Scand 1977;56:327–31. [3] Oladapo OT, Fawole B. Treatments for suppression of lactation. Cochrane Database Syst Rev 2012;9:CD005937. [4] Kochenour NK. Lactation suppression. Clin Obstet Gynecol 1980;23:1045–59. [5] European Multicentre Study Group for cabergoline in lactation inhibition. Single dose cabergoline versus bromocriptine in inhibition of puerperal lactation: randomised, double blind, multicentre study. BMJ 1991;302:1367–77. [6] Y-Hassan S, Jernberg T. Bromocriptine-induced coronary spasm caused acute coronary syndrome, which triggered its own clinical twin–Takotsubo syndrome. Cardiology 2011;119:1–6. [7] FDA drug bulletin: post-partum hypertension seizures, strokes reported with bromocriptine. FDA Drug Bull 1994;14:3–4. [8] Fournie´ A, Graille V, Montastruc JL. Bromocriptine, inhibition de la lactation et pharmacovigilance. J Gynecol Obstet Biol Reprod 1994;23:129–30. [9] Graille V, Lapeyre-Mestre M, Lamarque V. A` propos d’une enqueˆte de pharmacovigilance sur la bromocriptine utilise´e dans l’inhibition de la lactation. Lett Pharmacol 1995;9:16–7.
Pour citer cet article : Sentilhes L, et al. Inhibition de la lactation : fin de la bromocriptine, longue vie a` la cabergoline ?. Gyne´cologie Obste´trique & Fertilite´ (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.gyobfe.2013.12.007
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GYOBFE-2543; No. of Pages 3 E´ditorial / Gyne´cologie Obste´trique & Fertilite´ xxx (2014) xxx–xxx [10] Mirkou A, Suchovsky D, Gouraud A, Gillet A, Bernard N, Descotes J, et al. Pratiques de prescription des de´rive´s de l’ergot de seigle dans l’inhibition de la lactation en France. J Gynecol Obstet Biol Reprod 2012;41:167–73. [11] Commission nationale de pharmacovigilance. Compte rendu de la re´union du mardi 27 mars 2012, AFFSAPS. [12] LOI no 2011-2012 du 29 de´cembre 2011 relative au renforcement de la se´curite´ sanitaire du me´dicament et des produits de sante´. JORF no 0302 du 30 de´cembre 2011 page 22 667. [13] Mignot G. Freiner la monte´e laiteuse sans me´dicament : apaiser l’inconfort et patienter sans inhibiteur de la lactation. Rev Prescrire 2012;32:918–20. [14] Colle`ge national des gyne´cologues et obste´triciens franc¸ais. Protocoles en gyne´cologie obste´trique. Issy-les-Moulineaux: Masson; 2007. [15] http://www.lemonde.fr/sciences/article/2013/09/23/la-mauvaise-surveillance-du-medicament-un-mal-francais_3483086_1650684.html. [16] http://ansm.sante.fr/Activites/Pharmacovigilance/Declarer-un-effet-indesirable-lie-a-l-utilisation-d-un-medicament/(offset)/4.
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L. Sentilhesa*, P. Jeanneteaua, E. Parot-Schinkelb, M.-B. Merciera, P. Descampsa a Service de gyne´cologie-obste´trique, centre hospitalier universitaire d’Angers, 4, rue Larrey, 49033 Angers cedex 01, France b Cellule de me´thodologie et biostatistiques, de´le´gation a` la recherche clinique et a` l’innovation, centre hospitalier universitaire d’Angers, 4, rue Larrey, 49033 Angers cedex 01, France *Auteur correspondant Adresse e-mail :
[email protected] (L. Sentilhes)
Rec¸u le 30 octobre 2013 Disponible sur Internet le xxx
Pour citer cet article : Sentilhes L, et al. Inhibition de la lactation : fin de la bromocriptine, longue vie a` la cabergoline ?. Gyne´cologie Obste´trique & Fertilite´ (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.gyobfe.2013.12.007