Insomnie et attaques de panique : apport de la pleine conscience

Insomnie et attaques de panique : apport de la pleine conscience

Médecine du sommeil (2016) 13, 166—169 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com CAS CLINIQUE Insomnie et attaques de panique : ...

1MB Sizes 3 Downloads 210 Views

Médecine du sommeil (2016) 13, 166—169

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

CAS CLINIQUE

Insomnie et attaques de panique : apport de la pleine conscience Insomnia and panic attacks: Contribution of mindfulness meditation H. Vanhuffel a,∗, F. Bat-Pitault b a

Service de psychiatrie, hôpital Valvert, secteur 13G09, 78, boulevard des Libérateurs, 13011 Marseille, France b Service de pédopsychiatrie, hôpital Salvator, 249, boulevard de Sainte-Marguerite, 13009 Marseille, France Rec ¸u le 16 septembre 2016 ; accepté le 25 septembre 2016 Disponible sur Internet le 18 novembre 2016

MOTS CLÉS Insomnie ; Attaques de panique ; Pleine conscience ; Mindfulness ; Thérapie cognitive et comportementale

KEYWORDS Insomnia; Panic attack; Mindfulness; Cognitive behavioral therapy



Résumé Monsieur B., âgé de 28 ans se plaint d’insomnie depuis 15 ans associée à des attaques de panique nocturnes. Il se plaint de fatigue et de troubles de la concentration retentissant sur sa vie personnelle et professionnelle. Il a consulté plusieurs médecins dont des psychiatres qui lui ont toujours proposé uniquement un traitement médicamenteux. Pourtant, la thérapie cognitive et comportementale de l’insomnie a largement prouvé son efficacité mais elle reste malheureusement peu pratiquée en France. Nous vous présentons ici la prise en charge que nous avons proposée à M. B. consistant en une psychothérapie en groupe associant thérapie cognitivo-comportementale et pleine conscience. © 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es.

Summary Mr. B., 28 years of age, suffers from insomnia associated with nocturnal panic attacks and has done so for the last 15 years. He complains of fatigue and concentration difficulties affecting both his personal and professional life. He consulted several doctors (including psychiatrists) who have consistently only offered him drug treatments. Even though cognitive behavioral therapy for insomnia is widely considered to be effective, this therapy is largely underutilized in France. Here, we present the treatment that we have proposed to Mr. B.

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (H. Vanhuffel).

http://dx.doi.org/10.1016/j.msom.2016.09.001 1769-4493/© 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es.

Insomnie et attaques de panique : apport de la pleine conscience

167

consisting of a group psychotherapy combining cognitive behavioral therapy and mindfulness meditation. © 2016 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Introduction L’insomnie est une plainte très fréquente au sein de la population générale [1] et plus encore en population psychiatrique [2]. En pratique, la prescription de somnifères est souvent la seule réponse apportée aux patients se plaignant d’insomnie. La durée de prescription moyenne est supérieure à trois mois en dépit des effets secondaires potentiels [3,4] (dépendance, troubles de la mémoire, chutes, accidents. . .). La Haute Autorité de santé recommande, depuis 2006 [5] le recours aux thérapies comportementales en première intention dans l’insomnie mais ce traitement reste malgré tout méconnu et sousutilisé [6]. Contrairement aux somnifères, ce traitement est à la fois bien toléré par les patients et efficace à long terme [7] Il existe cependant des patients non répondeurs à ce type de thérapie [8]. La méditation en pleine conscience apparaît alors comme une perspective intéressante d’amélioration des thérapies cognitives et comportementales (TCC) de l’insomnie, en particulier en cas de comorbidité psychiatrique. Nous rapportons le cas d’un patient pris en charge par l’association TCC et pleine conscience.

Cas clinique Description des troubles M. B., 28 ans, décrit un sommeil de mauvaise qualité depuis l’âge de 12 ans avec à la fois des difficultés d’endormissement et de maintien. Il souffre depuis cet âge d’un trouble anxieux qui se manifeste sous la forme d’attaques de panique, principalement nocturnes, associées à une tachycardie (crainte d’une mort imminente au cours de la nuit). Ces crises sont responsables d’éveils nocturnes de longue durée. Le patient se réveille tous les matins avec « la boule au ventre » et la sensation que son sommeil n’a pas été réparateur. Il rumine également beaucoup dès le coucher et lors des éveils nocturnes. M. B. a l’impression d’être particulièrement irritable et émotif à cause de ses problèmes de sommeil. Il a consulté plusieurs psychiatres pour son problème sans réelle amélioration. Le patient ne présente pas de symptômes dépressifs. Il ne consomme pas non plus de toxiques. Au contraire, il essaie de mener une vie saine en se couchant tôt le soir dans la mesure du possible. Les traitements médicamenteux sont peu importants avec une consommation intermittente de bromazépam (un demi comprimé en cas d’angoisses nocturnes) et d’alimémazine (8 à 13 gouttes, 1 à 2 fois par semaine). M. B. a conscience

du risque de dépendance et préfère limiter le recours aux somnifères. Il vit en couple et n’a pas d’enfants. Il occupe un emploi dans le domaine de l’audiovisuel avec des horaires de travail très irréguliers. À l’examen, on note quelques erreurs d’hygiène de sommeil et problèmes comportementaux : • il lit et joue sur son ordinateur pendant plus d’une heure tous les soirs, dans son lit ; • ses horaires de coucher et de lever sont irréguliers : M. B. se couche tôt alors qu’il n’est pas somnolent et fait la grasse matinée pour rattraper son sommeil en retard ; • il regarde son réveil à plusieurs reprises au cours de la nuit, ce qui majore ses difficultés à se rendormir. On note également des croyances erronées sur l’échelle CAS 16 (échelle de croyance et attitudes concernant le sommeil) : • « j’ai besoin de huit heures de sommeil pour me sentir reposé et bien fonctionner pendant la journée » ; • « je crains que l’insomnie chronique puisse avoir des conséquences sérieuses sur ma santé physique » ; • « lorsque je me sens irritable, déprimé ou anxieux pendant la journée, c’est surtout parce que j’ai mal dormi la nuit précédente ». Son agenda de sommeil, présenté sur la Fig. 1 montre l’irrégularité de ses heures de coucher et de lever et ses éveils nocturnes prolongés. La sévérité de son insomnie et ses répercussions sont évalués par auto-questionnaires (Tableau 1).

Prise en charge proposée Une thérapie cognitivo-comportementale de groupe a été mise en place avec application des techniques de « Restriction du temps passé au lit » et de « Contrôle du stimulus » [9,10]. Lors de la première séance, une méditation de pleine conscience audio de 15 minutes était réalisée par le groupe. Cet exercice était répété tous les soirs durant les 8 semaines de suivi du programme. Au vu des craintes du patient visà-vis de la « restriction de sommeil », le patient a choisi une plage horaire de restriction de 23 h 30 à 7 h (temps passé au lit de 7 h 30 au lieu de 10 h habituellement). Au cours de la deuxième séance de groupe, M. B. a évoqué de grandes difficultés à se coucher aux alentours d’un horaire fixe (majoration anxiété performance à l’endormissement). Cette ligne de conduite très précise a causé une recrudescence de l’insomnie d’endormissement la première semaine en dépit de la pratique régulière, en soirée de la pleine conscience. Après une quinzaine de jours, il a finalement

168

Figure 1.

H. Vanhuffel, F. Bat-Pitault

Agenda de sommeil avant la thérapie.

pu stabiliser son heure de coucher entre 23 h et 23 h 30. Les cognitions erronées sur le sommeil ont été travaillées par l’intermédiaire de la psychoéducation réalisée durant les séances.

Résultats de la thérapie La pratique de la pleine conscience associée à la TCC lui a permis de nettement diminuer la durée de ses éveils nocturnes et la latence d’endormissement. Les attaques de panique nocturnes ont complément disparu. Seul persiste un certain inconfort sans substrat au lever mais M. B. paraît globalement plus apaisé et souriant. Le patient rapporte également une « meilleure gestion de ses émotions » dans les situations stressantes. Pour exemple, M. B. a appris la maladie grave d’un de ses proches

Figure 2.

Agenda de sommeil à 6 semaines de la thérapie.

juste après les 8 semaines de thérapie. Cette nouvelle, qui l’aurait par le passé bouleversé et occasionné de nombreuses attaques de panique, a été vécue avec plus de distance et de calme. M. B. a bien adhéré à la pratique de la pleine conscience en soirée qui lui permet de faire une vraie rupture entre son activité professionnelle et sa vie personnelle. En fin de thérapie, M. B. a pris l’initiative d’augmenter sa pratique de la pleine conscience en effectuant un second exercice audio d’une dizaine de minute, basé sur la respiration, dès son réveil. La pratique de cette exercice en espace extérieur lui permet de diminuer ses angoisses matinales tout en favorisant son rythme circadien. M. B. a spontanément arrêté le bromazépam après le programme et n’a conservé que quelques rares prises d’alimémazine (une fois 8 gouttes en un mois). L’amélioration de son insomnie se traduit sur son agenda de sommeil, 6 semaines après

Insomnie et attaques de panique : apport de la pleine conscience Tableau 1 Évolution questionnaires.

des

Auto-questionnaires

ISI PSQI Epworth HAD (total) Anxiété Dépression Total CAS 16 SF 36 Fonctionnement physique Limitation physique Douleur physique Santé générale Score physique Vitalité Fonctionnement social Limitation émotionnelle Santé mentale Score mental

scores

aux

auto•

Avant le traitement

À 6 semaines de la thérapie

15 9 3

10 7 4

12 2 14 85

10 2 12 52

100 100 80 54 86 45 75 100 52 68

90 100 58 54 78 45 75 100 76 74

ISI : index de sévérité insomnie ; PSQI : index de qualité de sommeil de Pittsburgh ; Epworth questionnaire : questionnaire d’évaluation somnolence diurne ; HAD : Hospital Anxiety and Depression Scale ; CAS 16 : échelle de croyances et attitudes concernant le sommeil ; SF 36 : questionnaire d’évaluation de la qualité de vie de l’adulte.

la thérapie (Fig. 2) et les scores des auto-questionnaires (Tableau 1).

Conclusion Les effets positifs de cette psychothérapie n’ont pas été limités au sommeil du patient. On note en effet une amélioration des symptômes anxieux avec la disparition des attaques de panique et une diminution de la consommation de somnifères. La présentation clinique du patient s’est nettement améliorée entre le début et la fin de la thérapie et la pleine conscience semble y avoir participé, ce qui illustre l’intérêt de cette approche dans la prise en charge des patients insomniaques, bien souvent en proie au stress et aux ruminations anxieuses [11]. La pratique quotidienne d’un exercice de méditation en pleine conscience adapté à l’insomnie représente donc un outil thérapeutique prometteur dans la prise en charge de l’insomnie.

Annexe 1. Rappel pour interprétation des résultats • Le calcul de l’index de sévérité de l’insomnie permet de déterminer 4 catégories : de 0 à 7 : absence d’insomnie ;

• •

• •

169 de 8 à 14 : insomnie légère ; de 15 à 21 : insomnie modérée ; à partir de 22 : insomnie sévère. Le score global de la PSQI : sommeil de mauvaise qualité si score > 5. Epworth : somnolence considérée comme pathologique à partir de 9. Pour le score HAD : Pour l’échelle d’anxiété ou de dépression, on peut déterminer deux notes sur 21. Un score entre 8 et 10 est en faveur d’une symptomatologie anxieuse ou dépressive douteuse mais probable. À partir de 11, le score est clairement pathologique. Pour la CAS 16 : on a un score entre 0 et 160 (160 correspondant au maximum d’idées rec ¸ues). Le questionnaire SF 36 donne un score de fonctionnement entre 0 et 100 dans différents domaines (0 = vie pauvre ; 100 = bien-être).

Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

Références [1] Léger D, Ohayon M, Beck F, Vecchierini M-F. Prévalence de l’insomnie : actualité épidémiologique. Med Sommeil 2010;7:139—45, http://dx.doi.org/10.1016/j.msom. 2010.09.004. [2] Ohayon MM. Epidemiology of insomnia: what we know and what we still need to learn. Sleep Med Rev 2002;6:97—111, http://dx.doi.org/10.1053/smrv.2002.0186. [3] Hajak G, Hajak G, Müller WE, Wittchen HU, Pittrow D, Kirch W. Abuse and dependence potential for the non-benzodiazepine hypnotics zolpidem and zopiclone: a review of case reports and epidemiological data. Addiction 2003;98:1371—8, http://dx.doi.org/10.1046/j.1360-0443.2003.00491.x. [4] Hohagen F, Rink K, Käppler C, Schramm E, Riemann D, Weyerer S, et al. Prevalence and treatment of insomnia in general practice. Eur Arch Psychiatry Clin Neurosci 1993;242:329—36, http://dx.doi.org/10.1007/BF02190245. [5] Haute Autorité de santé. Prise en charge du patient adulte se plaignant d’insomnie en médecine générale; 2006, http://dx.doi.org/10.1016/j.annder.2013.10.055. [6] Edinger JD, Sampson WS. A primary care ‘‘friendly’’ cognitive behavioral insomnia therapy. Sleep 2003;26:177—82. [7] Vitiello MV. Cognitive—behavioural therapy for insomnia: effective, long-lasting and safe. Evid Based Ment Health 2016;19, http://dx.doi.org/10.1136/eb-2015-102181 [e2—e2]. [8] Morin CMCJ. Nonpharmacological interventions for insomnia: a meta-analysis of treatment efficacy. Am J Psychiatry 1994;151:1172—80. [9] Morin CM, Espie CA. Insomnia: a clinical guide to assessment and treatment. Kluwer Academic/Plenum Publishers; 2003. [10] Vallières A, Guay B, Morin C. L’ABC du traitement cognitivocomportemental de l’insomnie primaire. Le Médecin Du Québec; 2004. [11] Ong JC, Sholtes D. A mindfulness-based approach to the treatment of insomnia. J Clin Psychol 2010;66:1175—84, http://dx.doi.org/10.1002/jclp.20736.