Intérêt de l’exploration neurophysiologique en psychiatrie clinique

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Neurophysiologie clinique 33 (2003) 67–77 www.elsevier.com/locate/neucli

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Intérêt de l’exploration neurophysiologique en psychiatrie clinique Interest of neurophysiological exploration in clinical psychiatry M. Timsit-Berthier * 19, Bau-Rouge, 83320 Carqueiranne, France Reçu le 2 avril 2002 ; accepté le 30 janvier 2003

Résumé L’exploration fonctionnelle cérébrale par l’intermédiaire des « Potentiels en relation avec les évènements » (ERPs) possède un intérêt certain pour le psychiatre clinicien. Cet intérêt ne réside pas à poser des diagnostics à partir d’indices électrophysiologiques car le diagnostic psychiatrique est un processus complexe qui soulève de nombreux problèmes théoriques, méthodologiques et éthiques. En revanche, il se traduit dans 3 domaines préférentiels : • celui de la prescription médicamenteuse ; • celui de la description et de la compréhension des troubles cognitifs et tout particulièrement des troubles de l’attention ; • celui de la relation thérapeutique. 1) De nombreuses données expérimentales ont montré que l’amplitude de la P300 et de la VCN de même que la courbe de réponse de la composante auditive N1/P2 en fonction de l’intensité de la stimulation (LDAEP) sont modulées par certains des systèmes neurochimiques sur lesquels agissent les psychotropes. Leur analyse apporte ainsi des informations sur la réactivité des récepteurs catécholaminergiques et sérotoninergiques ce qui peut constituer une aide pour prévoir des réactivités préférentielles et des intolérances médicamenteuses. 2) En revanche, l’étude descriptive conjointe des temps de réaction et des amplitudes, latences et durée de la P300 et de la VCN apporte des informations sur les capacités d’auto-organisation et d’autorégulation du système cérébral et aide à la description et à la compréhension des troubles cognitifs du patient. 3) Enfin, la restitution de ces données objectives au patient et leur confrontation avec son vécu subjectif personnel peuvent l’aider à mieux appréhender ses difficultés et à modifier son expérience de la maladie et lui apportent un cadre de rationalité conforme à la culture technologique actuelle. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Cerebral functional exploration using Event related potentials (ERPs) is greatly relevant in clinical psychiatry. Although ERP usefulness as a diagnostic tool is limited due to the complexity of psychiatric diagnosis, which raises theoritical, methodological and ethical problems that cannot be resolved by neurobiologial methods, ERP offers relevant information in 3 different topics: • the choice of psychotropes in pharmacotherapy ; • the description and understanding of cognitive processes ; • the psychotherapeutic relation. 1) Converging arguments from experimental studies support the hypothesis that the amplitude of P300 and CNV as well as the loudness dependence of the auditory N1/P2 response (LDAEP) are regulated by central catecholaminergic and serotoninergic neurotransmission. These systems also are the target of several psychotropes, and therefore the neurophysiological assessment may bring reliable indicators to predict favourable response to psychotropes and drug intolerance. 2) Moreover the assessment of Reaction Times and P300 and VCN parameters, jointly recorded in a single investigation, brings information about the self-organization and self-regulation of cerebral functioning, and might help the clinicicans to understand the functional meaning of attentional disorders in Psychiatry. 3) Finally, the discussion of the neurophysiological results with the patient, in comparing objective and subjective data, might help him to better undestand his/her difficulties and to modify his/her subjective experience of the disease. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (M. Timsit-Berthier). © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. DOI: 10.1016/S0987-7053(03)00011-X

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Mots clés : Potentiels en relation avec les évènements (ERPs) ; Psychiatrie clinique ; Nosologie psychiatrique ; Psychotropes ; Auto-organisation cérébrale Keywords: Event-related potentials (ERPs); Clinical psychiatry; Psychiatric nosology; Psychotrops; Cerebral self-organisation

1. Introduction Dans un ouvrage consacré aux potentiels cognitifs en psychiatrie [1], j’avais invité les psychiatres à s’intéresser davantage à l’exploration neurophysiologique tout en défendant l’idée que cette exploration fonctionnelle était de peu d’utilité pour poser un diagnostic psychiatrique. À l’occasion de la critique de cet ouvrage, le docteur Guérit a exprimé son désaccord vis-à-vis de cette position et il a proposé une thèse alternative qui consisterait à fonder la nosologie psychiatrique sur des bases neurophysiologiques [2]. Le travail que nous présentons a pour but de débattre de ce problème car, à notre avis, il soulève de nombreuses questions théoriques, méthodologiques et pratiques. Ce travail vise donc d’une part à nuancer le point de vue de certains neurologues vis-à-vis de la réalité psychiatrique et d’autre part à susciter l’intérêt des psychiatres cliniciens vis-à-vis de la neurophysiologie. Ainsi, après avoir passé en revue les problèmes soulevés par le diagnostic en psychiatrie, nous exposerons les arguments qui permettent de comprendre pourquoi la neurophysiologie n’est pas à même de les résoudre et nous tenterons de voir dans quelle mesure elle est, néanmoins, susceptible d’apporter une aide substantielle au psychiatre clinicien, dans l’état actuel de nos connaissances. Ce travail a donc une visée essentiellement clinique et ne veut pas traiter de l’approche psychopathologique des troubles mentaux à l’aide des méthodes neurophysiologiques. Bien que cette question soit passionnante et en plein développement, il s’agit là d’un problème différent de celui que nous traitons et qui mérite une autre réflexion [3]. Ce travail se réfère uniquement à l’exploration fonctionnelle de l’adulte à l’aide des potentiels en relations avec les évènements (ERPs). 2. Problèmes soulevés par le diagnostic en psychiatrie En psychiatrie, tout comme dans les autres branches de la médecine, le diagnostic est un acte indispensable dont il n’est guère possible de faire l’économie pour des raisons à la fois pratiques, théoriques et pédagogiques. D’après le dictionnaire Robert, il s’agit « d’identifier la présence d’une maladie d’après l’existence de symptômes particuliers ». Cet acte comprend 3 étapes. La première, de l’ordre du jugement, consiste à affirmer qu’il existe bien une « pathologie » ; la deuxième comporte une description de cette symptomatologie ; et le troisième, de l’ordre d’un choix décisionnel, réside en une démarche de classification en référence à une nosologie. En médecine, il est habituel non seulement de reconnaître une maladie à partir des symptômes du patient mais aussi d’en déterminer les facteurs étiologiques à l’aide d’examens

complémentaires ce qui permet d’orienter la thérapie sur des bases physiopathologiques. En Psychiatrie, chacune de ces étapes se heurte à des difficultés. Tout d’abord, la simple différentiation entre le « normal » et le « pathologique » constitue déjà un problème difficile à résoudre, et a suscité de nombreuses réflexions épistémologiques [4,5]. Comme le souligne P. Belzeaux [6] « serait bien niais et dangereux celui qui passerait outre ce débat, car il jugerait et soignerait des individus sans comprendre pourquoi il le fait, au nom de quoi il le fait, c’est-àdire par rapport à quelle norme il le fait ». Sur le plan théorique, il s’agit de bien faire la différence entre d’une part la « pathologie » qui renvoie à un jugement de valeur, qualitatif, en relation avec la souffrance donc avec la subjectivité du patient et d’autre part, l’anormalité et la déviance, concepts élaborés par rapport à une norme, fixée de façon statistique dans un contexte socioculturel donné [4]. D’un point de vue pratique, ce jugement est parfois délicat à effectuer dans une société où les repères socioculturels sont en rapides changements, particulièrement lorsqu’on est confronté à des sujets jeunes ou à des personnes issues de l’immigration. En revanche, à la différence de la médecine, il n’existe que rarement des « signes objectifs » de la maladie et l’on ne possède comme données cliniques que les expériences subjectives que le patient veut bien nous confier et les renseignements, subjectifs également, apportés par son entourage. Enfin, le choix d’une catégorie nosologique est rendu difficile par la multiplicité, l’hétérogénéité et la variabilité des discours classificatoires élaborés depuis 2 siècles en psychiatrie. Or, un système nosologique doit posséder 2 qualités essentielles : la fiabilité et la validité [7]. Certes, depuis une quarantaine d’années, à l’initiative de l’Organisation Mondiale de la Santé et de l’Association Américaine de Psychiatrie, plusieurs méthodes de diagnostic standardisées se sont développées. Elles impliquent non seulement des entretiens standardisés mais aussi une définition précise des symptômes et de leurs règles exactes de classification, et elles ont permis d’aboutir à un certain consensus entre les divers chercheurs [8,9,10]. Il est cependant légitime de s’interroger sur la valeur du diagnostic psychiatrique ainsi posé. Pour répondre à cette question, on peut suivre les propositions de L.J. Cronbach et P.E. Meel [11] et soumettre le diagnostic psychiatrique à 4 types de validation différente : la validité de consensus, de concordance, de construction théorique et de prédiction. Certes, la validité de consensus, qui consiste à ce qu’une appellation diagnostique ait le même sens pour tout le monde, a été améliorée par la standardisation de l’examen psychiatrique et l’effort de définition des symptômes [8,9,10]. Mais elle est loin d’atteindre le niveau qu’elle présente dans les autres branches de la médecine. Car le tableau

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clinique est susceptible de se modifier en fonction de l’examinateur et des conditions de l’examen. La validité de concordance qui consiste à vérifier si lorsqu’on utilise plusieurs systèmes de référence le même diagnostic est posé, n’est pas non plus retrouvée en psychiatrie clinique, car l’organisation des informations recueillies se fait, en pratique, de façon différente selon le corpus théorique dans lequel le clinicien s’inscrit (cognitivocomportemental, psychobiologique, systémique, psychodynamique). Ainsi, selon l’échelle de temps et le contexte auxquels on se réfère, un comportement agressif ou suicidaire, peut apparaître soit comme l’élément primordial du diagnostic, soit comme la conséquence d’une conduite addictive, soit comme la traduction d’un malaise dans une dynamique familiale particulière soit enfin comme l’expression d’une personnalité « limite », mal structurée, qui cherche à « manipuler » son entourage. Ces différentes hypothèses diagnostiques ne sont d’ailleurs pas exclusives. La validité de « construction », c’est-à-dire la solidité des bases théoriques sur lesquelles s’appuie la définition des catégories nosologiques est particulièrement pauvre dans les systèmes diagnostiques standardisés utilisés actuellement. En effet, la description des symptômes et des classes diagnostiques se veut « athéorique » et les différents symptômes sont considérés comme équivalents, ce qui est contraire à toute sémiologie médicale. Cette position est paradoxale car, habituellement, toute classification suppose une théorie des évènements classifiés. Elle s’est construite en réaction aux systèmes nosologiques qui l’ont précédée et qui ont tenté de fonder les différenciations cliniques sur des hypothèses pathogéniques, non partagés par l’ensemble des psychiatres. Très schématiquement, 2 ordres de classifications théoriques ont rivalisé depuis près d’un siècle. Dans le premier, où l’organogenèse est privilégiée, on considère que les symptômes n’ont pas de sens particulier car ils traduisent directement les perturbations du fonctionnement cérébral. Dans cette perspective, il est important de définir avec le plus de précision possible les relations entre les troubles du comportement et de la pensée et les anomalies neurobiologiques. En témoignent par exemple les tentatives de démembrement de la schizophrénie en sous-groupes possédant chacun une spécificité anatomique [12,13]. En témoigne également la tentative « transnosographique » de regrouper différents symptômes en fonction de critères neurobiologiques [14,15,16] ou anatomiques [17,18]. Ainsi, le déficit affectif et émotionnel, qu’il soit observé dans la schizophrénie, dans certains cas de dépression et chez des patients souffrant de maladie de Parkinson serait à mettre en relation avec un hypofonctionnement du système dopaminergique. Une impulsivité importante associée à des difficultés de contrôle, qu’elle soit rencontrée chez des déprimés avec propension au suicide, chez des alcooliques, des boulimiques ou des sujets présentant des conduites antisociales serait considérée comme la traduction d’un dysfonctionnement du système sérotoninergique. D’une façon analogue, une « transnosographie » s’est construite sur une base neuro-

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anatomique. Ainsi, les troubles de l’attention, les altérations du jugement et les perturbations émotionnelles qui font partie intégrante de toutes les affections psychiatriques sont retrouvés de façon analogue chez des patients cérébrolésés avec atteinte des réseaux mésofrontaux, et des régions limbiques et paralimbiques [17,18]. Dans le second type de classification, où la psychogenèse est privilégiée, on considère que les symptômes ne sont pas neutres mais qu’ils sont porteurs d’une signification qui est liée à l’histoire individuelle et au contexte culturel. Ainsi, ils peuvent traduire directement l’existence de conflits affectifs qui trouvent leur racine dans l’histoire du sujet [19,20] mais ils peuvent aussi exprimer une tentative d’adaptation en relation avec le contexte familial et socioculturel [21]. En témoignent par exemple les cauchemars des états de stress posttraumatiques (PTSD) et des états de deuil pathologique dont peuvent se plaindre, en Occident, des patients, qui y voient une entrave à leur confort, mais dont peuvent se féliciter des personnes évoluant dans une autre culture, qui y voient le maintien d’un lien avec des parents décédés [21]. En témoignent également les nouveaux découpages de la psychiatrie opérée à partir d’observation des « Sans abri », avec l’apparition de nouvelles interprétations de la dépression et de l’apragmatisme se référant au concept psychosocial de « désaffiliation » et de souffrance psychique [22,23]. Le diagnostic psychiatrique ne possède pas, non plus, une bonne validité prédictive c’est-à-dire qu’il ne permet pas de prédire avec précision la succession temporelle des différents épisodes psychopathologiques et le retour éventuel à la normale. Certes, E. Kraepelin [24] qui fut le constructeur le plus éminent de la nosographie psychiatrique a fondé sa catégorisation sur des critères évolutifs et il ne reconnaît la spécificité d’une maladie que par « le sceau uniforme de son état terminal » s’intéressant donc plus au futur cadavre qu’au malade vivant. Mais, nous n’en sommes plus là, et l’évolution des maladies psychiatriques s’est modifiée considérablement depuis 50 ans tant par l’introduction des psychotropes que par les prises en charge psychothérapeutiques. Par exemple, en Occident, la « psychose naissante » évolue d’autant plus favorablement que les prises en charge psychothérapeutiques et le traitement neuroleptique sont précoces [25,26]. Le nombre des rechutes dépend, en partie, de la quantité et de l’intensité de l’expression des émotions dans la famille [27]. Et dans tous les cas, son pronostic est plus mauvais en Occident que dans les pays en voie de développement [28,29]. Et d’une façon générale, beaucoup de psychiatres s’accordent pour convenir avec J. Miermont que, lorsqu’un changement survient, « il existe une indécidabilité fondamentale qui concerne le repérage de l’origine de ce changement » [30]. Au total, il faut bien reconnaître qu’à la différence du diagnostic médical, le diagnostic psychiatrique ne répond à aucun des critères que nous venons d’évoquer [31]. Et il doit être considéré comme une simple hypothèse de travail, toujours susceptible d’être modifiée en fonction de l’évolution sous l’effet de la thérapeutique et du contexte social.

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3. Limites de l’approche neurophysiologique en psychiatrie Devant de telles difficultés, il est tentant de privilégier des méthodes neurobiologiques pour fonder le diagnostic psychiatrique et en particulier d’avoir recours à la neurophysiologie qui étudie en temps réel le fonctionnement cérébral. On pourrait espérer dévoiler ainsi des certitudes derrière le désordre des apparences, se délivrer du flou de l’intersubjectivité et fonder, enfin, une nouvelle nosologie psychiatrique sur des bases scientifiques. Le problème de l’évaluation, si cher au cœur des personnels administratifs, trouverait ainsi un fondement objectif. Un « marqueur » simple et objectif d’une maladie bien spécifique pourrait lever les doutes sur le coût de la prise en charge efficace des patients atteints de cette maladie. Certains malades « marqués » seraient considérés comme des handicapés, relevant du champ médicosocial, d’autres pourraient être pris en charge dans des institutions de soins. Une telle « neurophysiologie diagnostique » apporterait le critère de validité externe qui fait si cruellement défaut au diagnostic psychiatrique avec comme perspective la « déconstruction » de la nosologie psychiatrique actuelle et la reconstruction d’une nosologie neurophysiopsychiatrique, sur un modèle biologique des maladies mentales. Tout d’abord, un tel point de vue n’est pas soutenu par les résultats expérimentaux. Tous ont montré, en effet, que les anomalies des ERPs rencontrées chez les malades psychiatriques ne sont pas spécifiques d’une maladie bien définie [1,32–36], ce qui laisse à penser que les mêmes structures cérébrales sont impliquées dans des pathologies différentes et doit susciter ainsi une réflexion psychopathologique [17,18]. De plus il soulève de nombreux problèmes à la fois théoriques, méthodologiques et éthiques. 3.1. Problèmes théoriques La neurophysiologie et la psychiatrie sont des disciplines qui sont loin d’être homogènes. Chacune d’elles a sa propre histoire et sa propre maturité méthodologique, et leur objet et leur référentiel sont différents. Même si le mot de psychiatrie n’a été qu’inventé qu’au dix-huitième siècle, l’intérêt pour la folie a eu sa place dans le champ médical dès l’Antiquité et n’a cessé de provoquer débats et réflexions [37]. En revanche, la neurophysiologie est une science jeune qui s’est développée depuis un siècle à peine [38], et son essor dans le domaine qui intéresse la psychiatrie remonte à 1964, date de la découverte de la VCN par Grey Walter [39]. Or, il y a un danger de mesurer à la dernière théorie scientifique apparue la validité de celles qui l’ont précédée. Comme le dit très bien Ganguilhem [4] « l’antériorité chronologique ne saurait être une infériorité logique ». L’objet d’étude de la neurophysiologie est constitué de phénomènes obtenus, dans le cadre de protocoles expérimentaux bien définis, grâce à des appareils techniques sophistiqués et son but est une meilleure connaissance du fonctionnement du système nerveux. Lorsqu’elle a pour ob-

jet des phénomènes sensorimoteurs simples, la neurophysiologie peut se développer de façon relativement autonome en répondant, au fur et à mesure de ses progrès, aux questions qu’elle est amenée à se poser. Elle décrit des phénomènes objectifs, et son but est de proposer des énoncés à visée universelle, formulés de façon précise sous forme de lois et d’en apporter des preuves grâce à la mesure et à la quantification [40]. Les connaissances ainsi obtenues peuvent se cumuler [41]. La psychiatrie, branche de la médecine, a des difficultés à construire son objet car la maladie psychiatrique, où interfèrent de multiples facteurs biologiques, psychologiques et sociaux, est un objet complexe qui varie non seulement en fonction des points de vue mais également en fonction du temps et de l’espace. Et ses exigences sont bien différentes de celles de la neurophysiologie. En effet, elle s’inscrit avant tout dans un projet thérapeutique et cherche à guérir plutôt qu’à prouver. Ainsi, elle doit prendre des décisions non seulement en fonction de ce qui semble objectif et « vrai » pour chaque sujet individuel mais également en fonction de ce qui est « bon » pour lui et de ce qui est acceptable pour son expérience privée. De plus, les divers savoirs psychiatriques ne se cumulent pas et ne s’ordonnent pas comme dans les sciences exactes, mais ils se chevauchent [41,42]. Enfin, le référentiel de la neurophysiologie diffère profondément de celui de la psychiatrie.Ainsi, l’activité neurophysiologique repose sur une logique anatomophysiologique avec une échelle allant du millimètre au centimètre et de la milliseconde à la minute. Elle apporte ainsi des informations sur la structuration de l’expérience immédiate. Le référentiel des données psychiatriques repose sur les montages normatifs de la société en relation avec son niveau socioéconomique, sa culture et sa morale, avec une temporalité se situant à un tout autre niveau que celui de la neurophysiologie. Il faut souligner cependant que la neurophysiologie cognitive se situe à un niveau intermédiaire par rapport à ces 2 approches. Elle constitue, en effet, une interface entre d’une part, les phénomènes neurophysiologiques, quantifiables, qui décrivent de façon objective des opérations cognitives en relation avec le vécu du sujet, et d’autre part, le discours du patient, subjectif, qui témoigne de son expérience privée Ainsi, comme l’expriment très bien Varèla et Shear [43] qui tentent de concrétiser les réflexions logiques de Wittgenstein sur « les jeux du langage » [44], elle est susceptible de constituer un lieu de conversion réciproque entre une méthodologie « à la troisième personne » qui cherche à naturaliser l’esprit et une méthodologie « à la première personne » qui exprime un monde intérieur inobjectivable. C’est la raison pour laquelle elle est capable de répondre à certaines des questions soulevées par les psychiatres. 3.2. Problèmes méthodologiques Le chercheur a vis-à-vis de son propre travail une « responsabilité interne » et il se doit d’être rigoureux et de

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connaître les limites de son savoir [41]. Ainsi, l’établissement d’un diagnostic psychiatrique à partir des méthodes neurophysiologiques soulèverait un certain nombre de problèmes méthodologiques. Un des principaux serait constitué sans doute par le biais introduit par les contraintes d’enregistrement qui ciblent des populations psychiatriques bien particulières. Le malade, en effet, doit être assez calme pour autoriser l’enregistrement, ce qui exclut l’enregistrement de patients présentant des pathologies aiguës ou des problèmes moteurs (dyskinésies dues aux neuroleptiques, par exemple). En revanche, il doit être enregistré dans une structure médicale possédant un centre d’exploration fonctionnelle, ce qui néglige les populations d’exclus et de chroniques. Or, l’exclusion sociale et la chronicité sont bien une dimension fondamentale de la réalité psychiatrique dans les sociétés développées. Une deuxième difficulté résiderait dans la détermination de normes neurophysiologiques précises qui seraient indispensables si l’on voulait faire de la neurophysiologie un outil diagnostique. Une telle démarche nécessite tout d’abord la définition de protocoles expérimentaux standardisés et la constitution de banque de données avec enregistrement de sujets représentatifs de toute la population. Nous nous sommes attelés déjà à cette tâche difficile [45,46] et nous nous sommes rendus compte que la détermination de normes, en neurophysiologie cognitive, soulève des problèmes plus complexes qu’en biologie et en physiologie du fait de la forte dépendance des paramètres neurophysiologiques vis-à-vis de facteurs motivationnels et affectifs. Ainsi le seul fait de donner une contribution financière aux sujets de contrôle modifie les résultats et lorsqu’une équipe de recherche rétribue systématiquement les patients schizophrènes qui se soumettent à leur examen, elle ne retrouve pas toujours les résultats rapportés dans la littérature [47].

jectif serait de corriger le dysfonctionnement cérébral. Dans un tel contexte, il ne semblerait peut-être pas utile de restituer les résultats de l’examen neurophysiologique au patient qui l’a subi. Une telle psychiatrie aurait pour effet d’imposer au patient, en même temps qu’un statut d’objet, une représentation de lui-même dangereusement objectivante, le privant d’un sentiment de liberté, de responsabilité et d’autonomie. Elle ferait renoncer à toute approche de la subjectivité et de l’intentionnalité, à toute possibilité d’envisager une amélioration par le biais d’un travail psychique ou corporel permettant une auto-organisation et elle figerait ainsi le médecin dans une relation paternaliste dans laquelle il se substituerait au patient déficient. La propagation de telles idées pourrait provoquer un sentiment de passivité et de fatalité vis-à-vis de la maladie mentale contraire à tous les efforts de rationalité que l’humanité a développés jusqu’à maintenant. D’un point de vue social, une description du pathologique sur des critères uniquement biologiques, identiques dans toutes les sociétés, conduirait à penser que la définition des maladies mentales peut se faire sur des critères extérieurs à la culture. Au total, comme l’attestent d’ailleurs les résultats expérimentaux, la neurophysiologie ne nous semble pas le niveau d’approche le plus adéquat pour résoudre les difficiles problèmes soulevés par la démarche diagnostique en psychiatrie. Tout au plus peut-on affirmer que « la découverte de potentiels endogènes en tout point normaux en amplitude, en latence, en durée et en répartition topographique constitue un argument pour mettre en doute l’existence d’un problème pathologique grave » [1].

3.3. Problèmes éthiques

Est ce dire pour autant que la neurophysiologie n’est d’aucune utilité en pratique psychiatrique ? Ce n’est pas notre opinion et l’hypothèse que nous défendons est qu’elle peut lui apporter des perspectives nouvelles à condition d’admettre l’existence d’une interdisciplinarité qui respecte l’autonomie et la méthodologie des 2 approches. Un des problèmes consiste précisément à trouver les concepts qui leur permettraient de s’articuler et les domaines où elles peuvent se rencontrer. Et à notre avis, les concepts que la neurophysiologie et la psychiatrie partagent sont de 2 ordres. Les uns, plus quantitatifs, sont ceux de la neurochimie et de la psychopharmacologie, les autres, plus qualitatifs, sont ceux de la psychologie cognitive. Et la neurophysiologie pourrait être d’une grande utilité en psychiatrie clinique à condition que les questions qui lui soient posées entrent dans ce cadre conceptuel. Dans l’état actuel de nos connaissances, nous voyons 3 domaines où les données apportées par une exploration neurophysiologique peuvent être utilisés en pratique psychiatrique, celui de la prescription de psychotropes, celui de l’approche sémiologique des troubles cognitifs et celui de la relation psychothérapeutique.

D’une façon générale, le chercheur, en tant que citoyen, a vis-à-vis de son travail une certaine responsabilité « externe » c’est-à-dire qu’il doit être soucieux des conséquences sociales des théories scientifiques qu’il énonce [41]. Cette responsabilité est plus importante encore lorsqu’il indique luimême la possibilité d’utiliser ses découvertes dans une pratique sociale particulière. Ainsi, l’idée de poser un diagnostic psychiatrique à partir de données neurophysiologiques peut avoir des effets redoutables d’un point de vue psychologique et social. Une telle pratique risquerait en effet d’occulter l’expérience psychique du patient au profit de la seule étude de son fonctionnement cérébral et de faire prévaloir la vision objective de l’image cérébrale sur l’écoute de son expérience privée. La maladie mentale serait ainsi posée dans une hétéronomie radicale par rapport au sujet qui la subit et les symptômes, considérés comme une pure extériorisation d’un dérèglement du cerveau, échapperaient par définition à la sphère du sens. La guérison viendrait ainsi du dehors, par l’intermédiaire d’un médicament ou d’un procédé dont l’ob-

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La prescription médicamenteuse repose sur le fait que les psychotropes modifient les symptômes psychiatriques par l’intermédiaire de leur action sur les systèmes neurochimiques. En pratique quotidienne, la sélection d’une substance psychopharmacologique repose essentiellement sur les données de l’examen clinique car il est difficile d’avoir une connaissance directe de la réactivité de ces systèmes. Or, l’enregistrement des ERPs peut apporter des informations indirectes sur les systèmes cholinergiques, catécholaminergiques et gabaergiques cérébraux, cibles de nombreuses substances psychotropes utilisées en psychiatrie. Deux types de données expérimentales plaident en faveur d’une telle utilisation. Tout d’abord, des travaux pharmacologiques effectués chez l’animal et chez l’homme ont montré que l’amplitude de la P300 et de la VCN était en relation avec les grands systèmes neuromodulateurs cérébraux. Ainsi l’administration de substances cholinergiques et dopaminergiques augmente l’amplitude et la durée d la VCN [48,49]. L’administration de drogues agonistes ou antagonistes du système noradrénergique module en sens inverse l’amplitude de la P300, principalement dans sa composante P3a et dans la modalité auditive [50–52]. Enfin, l’importance de l’augmentation d’amplitude de la composante auditive N1/P2 sous l’effet de l’augmentation de l’intensité la stimulation (LDAEP) est en relation avec le système sérotoninergique [53]. En revanche, l’étude conjointe de la sensibilité des récepteurs catécholaminergiques par des tests neuro-endocriniens et de l’amplitude de la VCN et de la P300 a apporté des résultats allant dans le même sens. Ainsi, on a montré qu’il existait une corrélation positive entre la sensibilité des récepteurs catécholaminergiques et d’une part, l’amplitude de la VCN [54] et d’autre part l’amplitude de la P300 [55]. Des études analogues testant la sensibilité des récepteurs sérotoninergiques ont révélé une corrélation négative entre l’amplitude de la P300 et la sensibilité de ces récepteurs [56,57]. Ainsi, l’enregistrement de ces différentes ondes et l’étude de leurs amplitudes sont susceptibles d’apporter des informations sur la sensibilité des récepteurs sur lesquels agissent les psychotropes les plus utilisés en psychopharmacologie. Certes, ces informations sont extrêmement globales et imprécises et se fondent sur une conceptualisation quantitative simpliste de freinage et de stimulation d’un système neurochimique qui serait responsable d’un effet thérapeutique. Il est bien évident que la réalité est infiniment plus complexe. Mais ce type de données a le mérite de fournir de façon relativement simple des informations habituellement inaccessibles aux cliniciens. En pratique, l’étude de l’amplitude et du mode de terminaison de la VCN a déjà permis de prévoir, dans une certaine mesure, une réactivité spécifique aux antidépresseurs sélectifs adrénergiques et sérotoninergiques, et de prédire d’éventuelles réactions d’intolérance aux médicaments agonistes des systèmes catécholaminergiques. Des résultats encourageants ont été obtenus dans le domaine des états dépressivo-

anxieux. Ainsi, nous avons montré que les patients déprimés présentant des VCN de grande amplitude étaient souvent intolérants aux antidépresseurs tricycliques et avaient tendance à bien répondre aux antidépresseurs sérotoninergiques [58] Des résultats analogues ont été trouvés à l’aide d’un protocole expérimental plus complexe que le nôtre (VCN Go-NoGo) [59]. Il est intéressant de rappeler à ce propos que, lorsque les patients déprimés s’améliorent l’amplitude de leur VCN se normalise, les VCN de grande amplitude ayant tendance à diminuer alors que celles qui présentent une faible amplitude ont tendance à augmenter [58]. Nous avons également montré que, parmi les sujets migraineux, ce sont ceux qui présentaient des ERPs de grande amplitude qui avaient tendance à bien répondre à un traitement par bêta-bloqueurs [60]. Dans la même perspective, on peut citer les travaux de Hegert et Juckel qui ont montré que les sujets qui répondaient favorablement au traitement préventif par le Lithium révélaient une forte dépendance de la composante N1/P2 de leur potentiel évoqué auditif vis-à-vis de l’intensité des stimulations (LDAEP) [53]. Enfin, d’autres applications sont encore à l’état de projet. On peut espérer, en effet, que l’étude de l’amplitude de la composante P3a auditive permettra d’identifier, parmi les schizophrènes, un sous-groupe qui réagisse de façon spécifique à un traitement agoniste du système noradrénergique [52] et que le suivi longitudinal des ERPs pourra également aider à contrôler l’effet de la prescription médicamenteuse. Peu d’études ont été pratiquées dans cette perspective chez les psychotiques jusqu’à présent [61]. Mais l’utilisation de cette méthode pourrait apporter des informations intéressantes dans la prise en compte des réactivités individuelles aux nouveaux neuroleptiques. Ainsi, il y a quelques années, Guyotat et al. [62] avaient essayé de différencier, à partir de critères cliniques et psychodynamiques, les psychoses qui s’amélioraient avec un traitement antidépresseur de celles qui, à l’inverse, s’aggravaient, sous l’effet d’un tel traitement. Ne pourrait-on pas améliorer cette prédiction, extrêmement utile en pratique quotidienne en ajoutant, à l’analyse sémiologique, des critères neurophysiologiques ? Enfin, dans la recherche de nouveaux psychotropes, les essais cliniques pourraient bénéficier des données fournies par les ERPs. Ainsi, les patients classés dans une même catégorie diagnostique par une méthode de diagnostic standardisée pourraient être classés en sous-groupes en fonction des caractéristiques de leurs différents ERPs. L’interprétation de leur réactivité individuelle aux nouvelles molécules pourrait être enrichie par la confrontation de ces différentes données. Au total, l’enregistrement de certains ERPs (VCN et P300 en particulier) et l’évaluation de leur amplitude pourraient aider le clinicien dans le choix d’un traitement psychopharmacologique. Dans le domaine de la clinique, l’exploration neurophysiologique peut enrichir l’approche sémiologique des troubles cognitifs et particulièrement des troubles de l’attention.

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Elle propose tout d’abord des situations d’observation différentes et complémentaires de celles de l’examen clinique et des tests psychologiques. L’exploration neurophysiologique demande en effet la réalisation de tâches cognitives simples comportant des détections de signaux visuels et auditifs, des temps de réaction simples ou avec signal avertisseur, tâches auxquelles le patient se soumet souvent avec intérêt et curiosité. Elle apporte des données relatives d’une part au comportement (qualité des performances et vitesse des temps de réaction) et d’autre part à l’organisation et la régulation des activités cérébrales liées aux fonctions perceptives, amnésiques et exécutives, données qui ne sont accessibles ni à l’examen clinique, ni à l’introspection. Enfin, elle permet l’appropriation de certains concepts de la psychologie cognitive et particulièrement elle permet d’aborder de façon originale les troubles de l’attention, si fréquents en clinique psychiatrique et si difficiles à évaluer tant ils sont intriqués à des facteurs affectifs et émotionnels. Rappelons à ce propos que les ERPs qui ont été le plus étudiés dans le champ de la psychopathologie sont la VCN et la P300 qui sont obtenues au cours de tâches cognitives simples de temps de réaction avec et sans signal préparatoire. Ces 2 ondes sont en relation avec l’activité d’assemblées de neurones largement distribuées au niveau des systèmes corticolimbiques et activées de façon parallèle [1,63]. La VCN, phénomène de dépolarisation, qui d’un point de vue neurophysiologique traduit un mécanisme d’activation tonique, de liaison, d’ « assemblage » du réseau neuronal, est en rapport avec un processus de mobilisation et de contrôle des ressources attentionnelles et par là avec l’attention soutenue, la préparation motrice et la résistance à la distraction. La P300 et surtout la P3a, phénomène actif d’hyperpolarisation, exprime, d’un point de vue neurophysiologique, un mécanisme de fermeture, de « désassemblage » phasique du réseau neuronal, et elle est en relation avec les processus d’orientation, la sélection de nouvelles stimulations, et par là avec la flexibilité de l’attention et la distractibilité. La Mismatch Negativity (MMN) a été également beaucoup utilisée dans l’approche des maladies psychiatriques (revue in [64]). C’est un phénomène beaucoup plus localisé que la VCN et la P300, enregistré au niveau des régions médiofrontales et temporales et évoqué par un stimulus auditif déviant, imbriqué dans une séquence de stimuli standard. Dans la mesure où, à la différence de la VCN et de la P300, sa survenue ne demande pas qu’une tâche soit effectuée par le sujet, elle est interprétée comme l’expression d’un processus pré-attentionnel de nature automatique Ainsi, l’examen neurophysiologique peut aider à comprendre la façon dont est organisé le contrôle des processus attentionnels perceptifs et moteurs. Mais, pour cela, il ne doit pas se borner à traquer un seul déficit, mais il doit essayer d’analyser les capacités d’autorégulation et de compensation des processus cérébraux et il doit obéir à 2 conditions. La première consiste à enregistrer et à interpréter de façon conjointe tout l’éventail de ces ERPs (MMN, P300, VCN) et

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des données comportementales qui y sont associées (qualité des performances obtenues et vitesse des temps de réaction) afin de prendre en compte l’ensemble de toutes ces données et tenter de découvrir les facteurs qui les solidarisent entre elles. La mesure de chacun de ces potentiels doit se faire également de façon systémique, c’est-à-dire qu’elle ne doit pas se borner à évaluer 1 ou 2 pics (P3a et b par exemple ou VCN tardive) mais elle doit considérer l’aspect global de la courbe et les relations réciproques de ses diverses composantes [45,46]. La seconde consiste à prolonger suffisamment l’enregistrement pour étudier de façon séquentielle la variabilité des différents paramètres comportementaux et neurophysiologiques, ce qui permet d’apprécier le rôle de la vigilance, de la fatigue, de l’anxiété et de la motivation. L’enregistrement conjoint de l’EEG et des ERPs peut aider à remplir cette tâche [65]. L’interprétation des données ainsi obtenues se fonde sur l’hypothèse que le système cérébral est un système autonome possédant des capacités d’autorégulation et d’autoorganisation avec sa propre cohérence interne et sa propre logique qu’il importe précisément de tenter de décrire à l’aide de cette exploration neurophysiologique [66,67]. Nous avons pratiqué un tel examen et nous avons été amenés à constater que les anomalies comportementales et neurophysiologiques le plus souvent décrites en psychopathologie n’avaient pas la même signification fonctionnelle selon le contexte dans lequel elles survenaient. Ainsi, d’une façon générale, nous avons constaté que les performances et les données neurophysiologiques qui s’améliorent durant l’enregistrement évoquent un contexte d’anxiété alors que celles qui s’altèrent suggèrent l’existence de troubles de la vigilance associés parfois à un abus de médicaments [1,65]. Au niveau comportemental, l’étude comparative des temps de réaction (TR) observés au cours des paradigmes P300 (TR simple) et VCN (TR avec préparation) apporte des informations qui permettent de mieux appréhender la phénoménologie du ralentissement moteur. En effet, à côté d’un ralentissement psychomoteur global, intéressant à la fois le TR simple et le TR avec préparation, à mettre en relation avec un déficit intéressant l’ensemble des fonctions exécutives qu’elles soient réactives ou pro-actives, nous avons observé l’existence d’une « dissociation » avec un TR simple qui reste rapide à l’inverse d’un TR avec préparation qui est ralenti alors qu’habituellement il est plus rapide que le précédent [1, 68]. Une telle dissociation est à mettre en relation avec un dysfonctionnement des fonctions d’anticipation, de contrôle moteur et d’ajustement temporel, fonctions qui impliquent l’interférence de régulations cognitives et émotionnelles. Elle évoque ainsi une importante participation affective au développement des difficultés cognitives. De même, les anomalies d’amplitude de la P300, très souvent rencontrées chez les patients psychiatriques (revue in [36]), ne semblent pas avoir la même signification fonctionnelle selon l’amplitude de la VCN à laquelle elles sont

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associées [1]. Ainsi, lorsqu’une P300 de faible amplitude coexiste avec une VCN et une MMN également de faible amplitude, un ralentissement des temps de réaction, et à un allongement de sa latence, elle traduit un fonctionnement déficitaire global, portant sur l’ensemble des capacités perceptives et attentionnelles, et cette configuration peut faire craindre une diminution de la capacité de penser, de symboliser et d’investir la réalité. En revanche, lorsqu’elle est associée à une MMN et à une VCN de bonne amplitude et à des temps de réaction normaux, elle évoque un dysfonctionnement plus subtil, portant sur une restriction de l’intérêt vis-àvis du monde extérieur et une certaine automatisation du comportement sans investissement de la tâche demandée. À l’inverse, une P300 de trop grande amplitude associée à une VCN de faible amplitude fait évoquer l’existence d’une exacerbation des réactions d’orientation avec une soumission excessive du sujet à la tyrannie des stimuli et des difficultés à maintenir un plan d’action. Elle peut exprimer une anxiété de performance qui a pour but l’adaptation à une situation nouvelle [69]. Une telle configuration de données neurophysiologiques n’a pas forcément de signification pathologique car elle se rencontre chez des sujets témoins anxieux, soumis à des situations de stress [68]. C’est dans ce contexte que nous nous sommes servis, à côté des dosages de Cortisol et de DHEAs, des données apportées par l’amplitude de la P300 et de la VCN dans le cadre d’une « clinique de stress », visant à la prévention d’états anxieux et dépressifs [68,70]. Dans une telle perspective, il faut bien réaliser que la découverte d’écart entre les résultats apportés par les données neurophysiologiques et l’observation clinique apporte au médecin plus d’informations que l’existence de concordances. En effet, la présence d’un ralentissement des temps de réaction associé à une VCN de faible amplitude et à une P300 faible et mal structurée avec une latence de durée trop longue chez un sujet qui ne comprend pas les consignes et qui ne parvient pas à exécuter la tâche demandée n’a qu’un faible intérêt heuristique. En revanche, l’observation d’une VCN, d’une MMN et d’une P300 d’aspect normal chez un sujet qui présente une attitude de retrait total constitue un argument contre l’existence d’un déficit cognitif et fait évoquer la présence d’une inhibition majeure d’origine affective. Et l’existence d’anomalies faisant évoquer d’importants troubles cognitifs (P300 mal structurée avec une latence de durée trop longue associée à une VCN de trop faible amplitude) chez un sujet qui se prétend en excellente santé peut faire évoquer la présence d’un trouble du jugement. Dans tous les cas, il ne faut pas se borner à recenser les aspects déficitaires. La découverte des « excès » et des « trop plein d’activation » nous semble également intéressante. Un haut niveau d’activité cérébrale qui se manifeste à la fois par une amplitude plus grande que la normale de la P300 et de la VCN qui peut se prolonger au-delà de la stimulation impérative (Pinv) traduit un effort d’attention inapproprié, à mettre en relation avec un état de stress, d’incertitude, qui risque d’entraîner un fonctionnement défectueux par des mécanis-

mes tous différents de ceux qui sont liés à un fonctionnement déficitaire [1]. D’un point de vue pratique, une telle exploration s’inscrit dans une approche constructiviste de la clinique psychiatrique selon laquelle on considère que les patients ne supportent pas passivement leurs difficultés cognitives éventuelles mais qu’ils élaborent activement leur réalité en accord avec leurs croyances et leurs expériences personnelles qui, en ellesmêmes, peuvent être hors du commun [71]. Ainsi, elle peut aider à mieux comprendre l’expérience privée, particulière à chaque sujet et le chemin par lequel il construit sa symptomatologie. En revanche, elle permet un suivi longitudinal et la découverte d’une réversibilité d’anomalies observées lors d’un premier enregistrement peut constituer un élément précieux pour évaluer l’efficacité de la prise en charge thérapeutique. C’est dans cette perspective que l’on a pu montrer, avec une technique beaucoup plus lourde et onéreuse que l’exploration neurophysiologique, à savoir l’imagerie fonctionnelle par résonance magnétique (fMRI), qu’un traitement psychologique utilisé seul améliorait le niveau d’activation des régions frontocorticales de patients schizophrènes [72]. Finalement, une telle approche neurophysiologique peut aussi contribuer à l’amélioration de la relation psychothérapeutique. Mais, pour cela, elle doit se placer dans un cadre conceptuel plus large que celui qui a été adopté jusqu’à présent. En effet, la mise en évidence d’un dysfonctionnement cérébral chez un patient psychiatrique a tendance à être considérée, implicitement, comme « le déterminant », la cause de la symptomatologie et la découverte d’anomalies chez un sujet sain est souvent regardée comme l’expression d’un marqueur phénotypique d’une pathologie dont l’origine est en partie génétique [73,74]. Une telle interprétation provient d’une conception trop univoque des relations entre activités cérébrales et activités mentales. Certes, la neuropsychologie et les neurosciences ont apporté des arguments irréfutables en faveur de la dépendance étroite des pensées et des sentiments vis-à-vis de l’activité cérébrale. Et comme le suggère Kandell [75], il faut admettre comme cadre de travail commun pour la psychiatrie et les neurosciences que « tous les processus mentaux, y compris les processus psychologiques les plus complexes, dérivent d’opérations qui ont lieu dans le cerveau ». Mais, avec lui nous pouvons également relever que « les détails de la relation entre cerveau et processus mentaux sont peu compris ». Il est donc grand temps, comme nous y invite depuis longtemps E. Morin, d’assouplir les concepts de causalité et d’explication et d’envisager les activités cérébrales dans leurs relations circulaires avec le comportement en considérant le cerveau à la fois comme « la condition et le produit de l’individualité et de la subjectivité » [76]. Ces relations ont été surtout abordées jusqu’à présent avec une méthodologie descriptive et objective qui traite de l’activité mentale en utilisant un discours naturaliste, « à la troisième personne ». Cependant il existe une autre méthodologie, qui considère l’expérience privée du sujet comme un

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composant actif dans son rapport avec les processus cérébraux [43]. Ainsi, par des techniques de biofeedback, un sujet entraîné est capable de modifier ses différents rythmes et ses potentiels lents cérébraux, [77,78,79]. Et cette capacité est rencontrée également chez des patients [80]. Le fait d’imaginer un objet évoque une activité cérébrale dans les mêmes sites de traitement que la perception visuelle [81]. Le fait de modifier la qualité de son attention module la représentation des sons au niveau du cortex auditif [82]. Dans le cadre de la pathologie, des évènements traumatiques surtout lorsqu’ils sont subis pendant l’enfance, peuvent induire des dysfonctionnements au niveau des régions limbiques [83]. Inversement des activités intellectuelles complexes et un investissement affectif intense peuvent maintenir une activité intellectuelle complexe et originale chez un sujet présentant des lésions cérébrales [84]. Tous ces travaux qui relèvent d’une méthodologie utilisant en même temps le discours objectif, à la troisième personne et le discours de l’intersubjectivité à la première et à la deuxième personne [43] ouvrent des voies nouvelles pour le psychiatre clinicien. En effet, c’est en se plaçant dans cette perspective que l’on peut espérer que quelque chose de « bon » pour le patient puisse être apporté par une exploration neurophysiologique, mais à condition de lui en restituer les résultats. Certes, cette restitution témoigne tout d’abord d’un « souci d’autrui » et d’une certaine humanité [85] et de plus, elle rentre dans le cadre nouveau des droits des malades. Mais surtout elle peut constituer un élément de la relation thérapeutique. En effet, parler des résultats d’un examen neurophysiologique avec un patient et les confronter à l’expérience personnelle qu’il a pu vivre au cours de cet examen permet d’établir un lien d’interconvertibilité entre le discours objectif et descriptif du médecin et le discours subjectif du patient. Et cette « mise en mots » peut apporter au patient une image objectivée de certains aspects dysfonctionnels qu’il avait pu ressentir confusément sans en avoir pour autant de représentation. Cette extériorisation d’une expérience personnelle peut l’aider à mieux appréhender ses difficultés et à modifier son expérience de la maladie. De plus, elle lui permet un échange qui peut l’amener à s’approprier un cadre de rationalité conforme à la réalité culturelle technologique actuelle, ce qui peut jouer un rôle important sur le plan thérapeutique. En effet, plus le fossé culturel est grand entre le thérapeute et le patient, plus risquent de surgir des problèmes de méfiance et de résistance [21,86]. Au psychiatre, cette attitude lui évite de tomber dans les pièges sémantiques tendus par l’approche neurophysiologique qui consiste à considérer les phénomènes électrophysiologies comme des « substituts » de phénomènes cliniques et à « valider des positions théoriques plus ou moins conscientes par des résultats apparemment objectifs » [87]. Un tel échange peut l’amener également à apporter une contribution originale aux avancées des neurosciences cognitives ce qui peut faire évoluer l’image de la maladie mentale dans notre société qui reste souvent si archaïque dans sa façon d’aborder « la folie ».

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5. Conclusion Vouloir faire du diagnostic psychiatrique à partir de l’examen du fonctionnement du cerveau outrepasse les potentialités théoriques et pratiques de la neurophysiologie et risque d’entraîner à la fois le désenchantement des cliniciens et la déception des patients et de leur famille. Une telle ambition relève davantage du mythe de la toute puissance de la science que d’un travail d’élaboration scientifique prenant en compte la complexité de la réalité psychique et de ses relations avec l’activité cérébrale. En revanche, la neurophysiologie peut offrir aux psychiatres cliniciens de nouvelles perspectives en lui apportant des informations sur la sensibilité des systèmes neurochimiques qu’il est souvent appelé à modifier par ses prescriptions médicamenteuses, en enrichissant la description de la symptomatologie psychiatrique et en apportant des éléments nouveaux dans la relation psychothérapeutique. Nous avons pratiqué un tel examen avec des résultats encourageants. Nous souhaitons que les progrès, tant techniques que conceptuels que la psychophysiologie cognitive ne manquera pas de faire dans les années qui viennent, permettent de construire des examens plus adaptés aux demandes des psychiatres cliniciens que ceux que nous avons proposés. Références [1] [2] [3] [4] [5] [6] [7]

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