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ENCEP-910; No. of Pages 6
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Revue de la littérature
Intérêt d’un traitement par scopolamine dans les troubles dépressifs Interest of scopolamine as a treatment of major depressive disorder A. Rigal a,∗ , S. Mouchabac a,b , C.S. Peretti a,b a b
Hôpital du Kremlin-Bicêtre, 78, rue du Général-Leclerc, 94270 Le Kremlin-Bicêtre, France Service de psychiatrie, université Pierre-et-Marie-Curie, 4, place Jussieu, 75005 Paris, France
i n f o
a r t i c l e
Historique de l’article : Rec¸u le 1er octobre 2014 Accepté le 28 septembre 2015 Disponible sur Internet le xxx Mots clés : Scopolamine Système cholinergique Dépression résistante Unipolaire Bipolaire
r é s u m é Le nombre de sujets atteints de dépression dans le monde est de 350 millions selon les estimations. La recherche de nouveaux traitements, notamment dans les formes de dépressions résistantes, est une nécessité compte tenu du nombre croissant de patients en situation d’échec thérapeutique et de résistance. La scopolamine, molécule anticholinergique anti-muscarinique fait partie de ces traitements en cours d’évaluation. Elle s’inscrit dans les hypothèses de perturbations cholinergiques de la physiopathologie de la dépression, à différents niveaux (génétique, réceptoriel [récepteurs muscariniques et au glutamate], hormonal, synaptique. . .). Plusieurs études récentes évaluent l’intérêt d’un traitement par injections de scopolamine intraveineuse, tous les 3 à 5 jours à la dose de 4 g/kg contre placebo chez des patients uni- et bipolaires atteints d’épisodes dépressifs majeurs. Le critère de mesure principal était la diminution des scores de la Montgomery Asberg Depression Rating Scale (MADRS) avec une réponse totale définie par une diminution de plus de 50 % du score et une rémission correspondant à un score MADRS < 10. Les résultats publiés sont prometteurs en ce qui concerne l’efficacité avec un effet antidépresseur rapide, un taux de réponse totale allant de 59 à 64 % et un taux de rémission oscillant entre 37 et 55 % chez les patients uni- et bipolaires qui persiste au moins quinze jours. Le traitement est également bien toléré par les patients avec des effets indésirables relativement modérés et transitoires et une absence totale de virage maniaque ou hypomaniaque. Nous avons donc effectué une revue de la littérature dans le but d’évaluer l’efficacité d’un traitement par scopolamine chez des patients uni- et bipolaires atteints de symptômes dépressifs. ´ Paris. © 2016 L’Encephale,
a b s t r a c t Keywords: Scopolamine Cholinergic system Resistant depression Major depressive disorder Bipolar disorder
Introduction. – The number of patients with depression in the world is 350 millions according to estimates. The search for new treatments, particularly in forms of resistant depression, is necessary given the growing number of patients experiencing treatment failure and resistance. Scopolamine, an anticholinergic antimuscarinic molecule, is one of the treatments under evaluation. It falls within the assumptions of cholinergic disruption of the pathophysiology of depression, at different levels (genetic, receptorial [muscarinic and glutamate receptors], hormonal, synaptic. . .). In 2006, a pilot study made to evaluate the role of the cholinergic system in cognitive symptoms of depression found unexpected results regarding the antidepressant effect of scopolamine in depressive patients. Since that time other studies have been conducted to evaluate the benefits of treatment with intravenous injections of scopolamine. Objective. – Our main objective was to evaluate the interest of scopolamine as an antidepressant treatment in depressed populations. Methods. – We conducted a literature review with the aim of assessing the effectiveness of treatment with scopolamine in uni- and bipolar patients with depressive symptoms. The protocol consisted of two injection blocks (each block consisting of three injections spaced fifteen minutes apart within three to five days) of active ingredient or placebo crossover. The selected patients were between 18 and 45 years
∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (A. Rigal). http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2016.06.002 ´ 0013-7006/© 2016 L’Encephale, Paris.
Pour citer cet article : Rigal A, et al. Intérêt d’un traitement par scopolamine dans les troubles dépressifs. Encéphale (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2016.06.002
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and had the DSM-IV major depressive disorder or bipolar disorder criteria. Regarding the methods of measurement, the primary endpoint was the reduction in scores of the Montgomery Asberg Depression Rating Scale (MADRS) with a total response defined by a decrease of more than 50 % of the score and remission corresponding to a MADRS score < 10. Seven sessions of evaluations were performed. Results. – The published results are promising in terms of efficiency with rapid antidepressant effect, a total response rate ranging from 59–64% and a remission rate of between 37 and 55% in uni- and bipolar patients, which persists at least 15 days. The treatment was well tolerated by patients with relatively mild and transient side effects the most common being the sensation of sleepiness that was also found in the placebo group. There were no serious side effects such as heart failure or confusion. In terms of mood, there was no becoming manic or hypomanic even for bipolar patients. Conclusion. – The results are encouraging, but there is concern for the moment because of the few studies, so to date there is little data on the subject including medium and long term. ´ Paris. © 2016 L’Encephale,
1. Introduction La dépression est une pathologie fréquente. La prévalence annuelle de l’épisode dépressif caractérisé (EDC) atteint 6,9 % en 2012 aux États-Unis (Institut national de santé mentale [NIMH]). La probabilité de développer une dépression au cours de la vie varie de 13 [1] à 16,2 % [2]. Les traitements antidépresseurs classiques (inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine, inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline, tricycliques. . .) sont utiles en première intention mais dans 30 % des cas, on observe une absence de réponse, ce taux de non-répondeurs augmente avec le nombre d’échecs thérapeutiques [3]. La dépression résistante est ainsi un enjeu majeur en matière de santé publique. Plusieurs définitions existent, classiquement elle se définit par l’absence de réponse (diminution de 50 % du score de Montgomery Asberg Depression Rating Scale [MADRS] par exemple) a deux ou plus essais « adéquats » d’antidépresseurs (en moyenne 6 à 8 semaines) [4,5]. La classification de Thase et Rush [3] définit plusieurs stades de résistance : stade 1 : persistance de symptômes dépressifs significatifs après utilisation adéquate d’un antidépresseur ; stade 2 : après utilisation de deux antidépresseurs de 2 classes différentes et stade 3 : après 3 classes différentes dont un tricyclique. Les recommandations internationales proposent des stratégies variées pour traiter la résistance (optimisation, potentialisation et associations synergiques, éléctroconvulsivothérapie, stimulation magnétique transcrânienne répétée. . .) [6] mais en cas d’échec de ces stratégies, d’autres molécules sont à l’étude (pramipéxole, kétamine. . .) et s’avèrent prometteuses. Parmi celles-ci, la scopolamine, utilisée comme traitement préventif du mal des transports et dans la prise en charge des râles agoniques en soins palliatifs (VIDAL), possède des effets exclusivement anticholinergiques anti-muscariniques. Or ces effets ont historiquement été minimisés et interprétés comme des effets indésirables chez les autres antidépresseurs notamment les tricycliques. Pourtant, de récentes études tendent à infirmer ces a priori et laissent supposer un effet antidépresseur de la scopolamine chez des patients uni- et bipolaires. En 2006, lors d’une étude pilote visant à évaluer le rôle du système cholinergique sur les symptômes cognitifs liés à la dépression, des résultats inattendus ont été mis en évidence concernant l’effet antidépresseur de la scopolamine chez des patients déprimés [7]. Depuis d’autres études ont suivi, évaluant l’efficacité, les modalités, la physiopathologie et la tolérance d’un traitement par scopolamine à visée antidépressive. Nous proposons dans ce travail de faire une revue de la littérature avec pour objectif d’évaluer l’intérêt d’un traitement par scopolamine dans les troubles dépressifs uni- et bipolaires. Cadre légal : il convient de rappeler que la scopolamine n’a actuellement aucune autorisation de mise sur le marché (AMM) dans le traitement des troubles dépressifs. Sa prescription reste
possible seulement en l’absence d’alternative médicamenteuse appropriée et si le prescripteur la juge indispensable au regard des données acquises de la science (Loi de décembre 2011). 2. Revue de la littérature 2.1. Méthode Cette revue de la littérature a été réalisée entre août 2013 et octobre 2014 à partir du moteur de recherche PubMed, dans lequel les mots clés suivants ont été entrés : « scopolamine », « scopolamine and depression », « scopolamine as antidepressant », « resistant depression ». Nous avons sélectionné de manière systématique les articles les plus pertinents pour notre travail : études randomisées contrôlées en double insu, essais ouverts novateurs et études expérimentales chez l’animal. Nous avons retrouvé un total de 4 articles évaluant l’action de la scopolamine (intraveineuse ou orale) chez l’homme. 2.2. Hypothèses physiopathologiques et modèles animaux Plusieurs hypothèses sont avancées pour expliquer le mécanisme d’action de la scopolamine. Ces hypothèses ne sont pas mutuellement exclusives. Premièrement, l’hypothèse principale repose sur une hyperactivation du système cholinergique chez les patients dépressifs [8]. La physiopathologie de la dépression serait associée à une réduction de la balance du système parasympathique/sympathique. Ainsi, la dépression serait le reflet d’une dominance cholinergique alors que la manie refléterait la dominance adrénergique [9]. Des modèles animaux confirment cette hypothèse d’une hyperactivation du système muscarinique cholinergique chez les animaux atteints de dépression et d’une action antidépressive de la scopolamine. L’article de Witkin et al. [10] confirme le rôle des soustypes de récepteurs muscariniques M1 et M2 dans la régulation de l’effet antidépresseur de la scopolamine chez des souris. Dans cette étude, les souris avec les gènes M1 et M2 inactivés avaient une réponse diminuée à la scopolamine alors que la réponse était maintenue avec d’autres antidépresseurs comme les imipraminiques notamment. La scopolamine induit un renforcement du système parasympathique [8,11] ce qui pourrait donc rééquilibrer l’équilibre parasympathique/sympathique. Son action s’exerce sur les récepteurs muscariniques qui seraient hypersensibles chez les patients dépressifs et qui sont donc antagonisés par la scopolamine. À l’inverse, il a été démontré que des anticholinestérasiques comme la physostigmine [8,12,13] pouvait déclencher des symptômes dépressifs chez certains patients et même réduire les symptômes de patients bipolaires en phase maniaque. L’action rapide et
Pour citer cet article : Rigal A, et al. Intérêt d’un traitement par scopolamine dans les troubles dépressifs. Encéphale (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2016.06.002
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Tableau 1 Résultats d’efficacité. Études
Populations
Modalités de traitement
Échelle et score moyen (m)
Résultats principaux
Furey et al. [7] (étude pilote)
5 EDM et 3 TB
4 g/kg IV
MADRS m = 29 ± 6,1
Furey et al. [7]
9 EDM et 9 TB
4 g/kg IV
Drevets et al. [11]
23 EDM
4 g/kg IV
Furey et al. [18]
54 EDM et TB
4 g/kg IV
Khadjavi et al. [15]
40 EDM
1 mg/jour po + citalopram
MADRS m = ND MADRS m = 30 ± 3,7 MADRS m = 29,9 ± 5,4 HDRS m = 24,5 ± 2,2
Réduction des scores MADRS après la 4e session (17,6 ± 12,7 ; p = 0,008) comparé à l’évaluation de base (29 ± 6,1) Au total : 5 réponses totales, soit 62,5 % ; 3 rémissions, soit 37,5 % 61 % de réponses totales et 55,5 % de rémissions 64 % de réponses totales et 50 % de rémissions 59,6 % de réponses totales et 46 % de rémissions Taux de réponse de 65 % à 4 semaines Taux de rémission de 65 % à 6 semaines
EDM : épisode dépressif majeur ; IV : intraveineux ; ND : non disponible ; P : placebo ; po : per os ; S : scopolamine ; TB : trouble bipolaire ; réponse : diminution de plus de 50 % de l’HDRS ; réponse partielle : diminution du score de MADRS entre 24 et 49 % ; réponse complète : diminution du score MADRS de plus de 50 % ; rémission : score MADRS < 10 ou score HDRS < 7.
efficace des tricycliques pourrait donc être en partie expliquée par ses puissantes propriétés anti-muscariniques. Au niveau des récepteurs muscariniques, dont il existe 5 soustypes [14], une altération des types 2 et 3 a été démontrée en post-mortem dans le cerveau de patients uni- et bipolaires [15]. Or il s’avère que la scopolamine a une forte affinité pour les récepteurs de type 3. Il semble que ces altérations des récepteurs muscariniques s’expliquent en partie par des variations génétiques. Il a été démontré que des variations du gène de type 2 des récepteurs cholinergiques (CRHM2) étaient associées à un risque plus élevé d’incidence et de sévérité de dépression unipolaire [8]. Bien que la demi-vie de la scopolamine soit inférieure à 4 heures, il a été constaté une persistance des effets antidépressifs plusieurs jours après la dernière injection [8]. Il y a donc probablement d’autres mécanismes impliqués dans les effets de la scopolamine. Deuxièmement, l’hypothèse d’une inhibition des récepteurs Nméthyl-D-aspartate (NMDA) au glutamate. Il est admis qu’un taux élevé de transmission glutamatergique est en lien avec la physiopathologie de la dépression [16,17] et on sait que d’autres traitements à délai d’action rapide agissent également sur ces récepteurs : la kétamine [17], les ECT, la privation de sommeil. La scopolamine pourrait agir par modulation de l’expression des gènes des récepteurs au NMDA [7,11,18]. En effet, il a été démontré chez des rats que les concentrations d’acide ribonucléique (ARN) de certains récepteurs au NMDA (types 1 et 2A) étaient réduites après la prise de scopolamine. Ceci protégerait ainsi les neurones de l’hippocampe de la toxicité glutamatergique. L’article de Falsafi et al. [19] confirme l’action de la scopolamine au niveau des récepteurs NMDA chez des rats et suggère que cette action serait l’un des mécanismes des troubles mnésiques induits par la scopolamine dans les modèles animaux. Troisièmement, l’hypothèse d’une perturbation du sommeil paradoxal ou des Rapid Eyes Mouvement (REM) [15,20,21]. Une augmentation des phases de sommeil paradoxal a été mise en évidence chez les patients atteints d’épisode dépressif majeur, ainsi la pression de sommeil paradoxal serait impliquée. La scopolamine via l’antagonisme muscarinique réduirait les stades de sommeil paradoxal et via ce mécanisme, on obtiendrait un effet antidépresseur. Il semble que ces perturbations des phases de sommeil paradoxal soient corrélées à des sécrétions anormales de cortisol lors des épisodes dépressifs [20]. En effet, certains patients atteints d’épisode dépressif majeur présentent une hypersécrétion nocturne de cortisol [20,22]. L’article de Rao et al. évalue l’action de la scopolamine sur la sécrétion hypothalamo-hypophysaire de cortisol et permet de mesurer, le taux de cortisol libre urinaire nocturne chez des patients dépressifs traités par scopolamine. Il
apparaît alors une réduction significative de la sécrétion de cortisol libre urinaire chez ces patients. La dernière hypothèse de l’action antidépressive de la scopolamine repose sur le lien avec une augmentation de la plasticité synaptique [8,23]. De la même fac¸on que la kétamine, la scopolamine stimule la voie de la cible de la rapamycine chez les mammifères (mTOR) qui augmente l’expression des protéines de signalisation synaptique augmentant ainsi la plasticité synaptique dans le cortex préfrontal. D’autres voies ont également été proposées afin d’expliquer l’augmentation de la plasticité synaptique par la scopolamine comme celle de l’AMPc [24]. De cette fac¸on, la scopolamine agirait sur des cibles moléculaires comme la cAMPresponsive element binding protein (CREB) et augmenterait ainsi la plasticité synaptique. 2.3. Les études chez l’homme En 2006, l’article de Furey et al. [7] présente initialement une étude pilote évaluant les effets du système cholinergique sur les symptômes cognitifs liés à la dépression puis une étude clinique évaluant l’action antidépressive de la scopolamine. 2.3.1. L’étude pilote Dans l‘étude pilote [7], les patients recevaient de manière randomisée une injection de scopolamine intraveineuse (IV) (à 2,3 ou 4 g/kg) ou de placebo lors de 4 sessions séparées de 3 à 5 jours. L’évaluation thymique était effectuée par la MADRS avant et après chaque session. Les résultats obtenus étaient inattendus et en faveur d’une action antidépressive significative de la scopolamine intraveineuse pour une dose de 4 g/kg (Tableau 1). 2.3.2. La première étude clinique Les auteurs ont ensuite mis en place une étude clinique [7] avec un protocole évaluant spécifiquement l’efficacité de la scopolamine intraveineuse à la dose de 4 g/kg chez des patients dépressifs uniet bipolaire. Cette étude clinique était prospective, en double insu, randomisée, en cross-over contre placebo. Le protocole était le suivant : il se compose de deux blocs d’injections (un bloc comprend trois injections de 15 minutes espacées de 3 à 5 jours) de produit actif ou de placebo en cross-over et de 7 sessions d’évaluation : une à la baseline et 6 pendant les phases d’injection. Le critère de jugement principal était la réduction du score MADRS. D’autres échelles ont également été utilisées : Hamilton
Pour citer cet article : Rigal A, et al. Intérêt d’un traitement par scopolamine dans les troubles dépressifs. Encéphale (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2016.06.002
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Anxiety Rating Scale, Young Mania Rating Scale (YMRS), Profile Of Mood State (POMS) et Visual Analog Scales (VAS). Cette étude et celles qui ont suivi concernaient différents groupes de patients : des patients âgés de 18 à 45 ans présentant les critères d’épisode dépressif majeur (EDM) ou de bipolarité du Diagnostic and Statistic Manual of Mental Disorders IV (DSMIV) (BP) ont été inclus. Le niveau d’intensité de la dépression est précisé dans le Tableau 1 en revanche le niveau de résistance et le stade de prise en charge des patients ne sont pas précisés. Les critères d’exclusion étaient très contrôlés [7,11,18] : absence de prise de psychotropes affectant le système cholinergique dans les 5 semaines précédentes (8 semaines pour la fluoxetine). Les patients présentant un risque suicidaire élevé, des symptômes hallucinatoires, une hypersensibilité aux anticholinergiques, un glaucome à angle fermé, une dépendance aux toxiques dans l’année précédant l’inclusion, une affection neurologique, des troubles hépatiques ou des désordres hydro-éléctrolytiques, des anomalies à l’électrocardiogramme, une infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) ou par le virus de l’hépatite C, un poids supérieur à 125 kg ainsi que les femmes enceintes étaient exclus. Les fumeurs étaient aussi exclus du fait de la possible interaction entre les récepteurs nicotiniques et muscariniques. Les patients ont signé un formulaire de consentement éclairé, approuvé par le National Institute of Mental Health Review Board.
2.3.5. Tolérance et effets indésirables de la scopolamine Au plan somatique, les auteurs retrouvent principalement la sensation de somnolence. Cet effet concerne 100 % des patients traités par scopolamine [7] et 17 patients sur 22 [11]. Cet effet secondaire a également été constaté en grand nombre dans les groupes placebo (18 patients sur 19 [7] et 13 patients sur 22 [11]). Les autres effets secondaires anticholinergiques retrouvés étaient : sécheresse buccale (18 cas sur 18 [7] et 18 cas sur 22 [11]), flou visuel (17/18 [7] et 16/22 [11]) et étourdissements (17/18 et 15/22 respectivement). La bonne tolérance du traitement par scopolamine est retrouvée dans l’ensemble des études avec des effets secondaires modérés et transitoires (quelques heures) et une absence d’effet secondaire grave (absence d’hypotension ou d’insuffisance cardiaque, absence de confusion). Aucune rétention aiguë d’urine ni constipation [11] n’a été relevée, ce sont des effets classiques liés à la prise quotidienne d’antidépresseurs anticholinergiques tels que les tricycliques. Au plan psychiatrique, aucun virage maniaque ou hypomaniaque n’a été constaté suite à l’utilisation de scopolamine aussi bien chez les patients uni- ou bipolaires évalués par le score la Young Mania Rating Scale. Un patient a rapporté un sentiment d’euphorie après l’utilisation de scopolamine mais un patient du groupe placebo a également décrit cette sensation [7]. Les échelles VAS et POMS n’ont pas identifié d’effet aigu de la scopolamine sur la sensation d’euphorie.
2.3.3. Trois autres études Ce protocole a été répliqué par la même équipe chez des patients dépressifs unipolaires [11] puis dans une autre étude afin d’évaluer les éventuels facteurs prédictifs de réponse à la scopolamine [18]. Nous présentons également l’étude de Khajavi et al. [15] qui évalue l’intérêt d’un traitement par scopolamine 1 mg/jour per os comme adjuvant d’un autre antidépresseur, le citalopram. Cette étude randomisée en double insu comparait des patients traités par citalopram + scopolamine à d’autres traités par citalopram + placebo pendant 6 semaines. Les symptômes dépressifs étaient évalués par la Hamilton Depression Rating Scale (HDRS) à j7, j14, j28 et j42. La réponse thérapeutique était définie par une diminution de plus de 50 % du score à la HDRS et la rémission par un score de HDRS < 7.
2.3.6. Facteurs prédictifs de réponse La recherche de facteurs prédictifs de la réponse thérapeutique est une étape essentielle pour obtenir une prescription adaptée en fonction des différents profils de patients. Pour la scopolamine, certains facteurs comme le sexe féminin [18] ont déjà été identifiés. Ces résultats seraient en lien avec une majoration de l’hypersensibilité cholinergique chez les femmes non ménopausées atteintes d’épisode dépressif majeur du fait de la sécrétion d’estrogènes. Il semble aussi que les estrogènes agissent au niveau des récepteurs NMDA dont ils augmenteraient l’activité. Parmi les autres facteurs prédictifs de réponse étudiés, les scores d’auto-évaluation de l’humeur (Profile of Mood State [POMS] et Visual Analog Scale [VAS]) semblent corrélés à la réponse clinique [25]. Dans cette étude, la sous-échelle de dépression POMS était corrélée avec la réponse clinique (r = −47, p < 0,001), les échelles d’agitation (r = −49, p < 0,001), de tristesse (r = −49, p < 0,001) et d’irritabilité (r = −40, p = 0,004) de la VAS étaient également corrélées à la réponse clinique. Ces échelles constituent une possibilité rapide, peu coûteuse, non invasive et sensible (sensibilité de 85 %) de prédire une éventuelle réponse à la scopolamine. D’autres facteurs prédictifs de réponse sont encore en cours d’évaluation notamment en IRM fonctionnelle comme l’activité cérébrale de repos lors d’une stimulation émotionnelle [26]. Dans cette étude, le niveau du signal d’oxygénation sanguine de certaines régions cérébrales, mesuré en IRM fonctionnelle, semble prédire la réponse au traitement par scopolamine avec une sensibilité de 85 % pour le cortex occipital. Ces résultats impliquent que les dysfonctionnements des voies cholinergiques et visuelles ont un rôle dans la physiopathologie de la dépression et suggèrent que la réponse neuronale du cortex visuel à un stimuli émotionnel soit un facteur prédictif de réponse positive à la scopolamine.
2.3.4. Résultats Ces résultats (Tableau 1) sont en faveur d’un effet antidépresseur significatif et important de la scopolamine administrée en intraveineuse avec un taux de réponse complète variant de 59 à 64 % et un taux de rémission oscillant entre 37 et 55 % chez les patients uniet bipolaires. Cette action était rapide et efficace dès la première évaluation après l’injection de scopolamine. En ce qui concerne la durée des effets antidépresseurs, ils ont persisté chez les patients du groupe scopolamine/Placebo après la phase placebo ce qui suggère une persistance de l’effet antidépresseur d’au moins 12 à 16 jours après la dernière injection de scopolamine. Ces études ne fournissent cependant pas d’information sur la persistance des effets antidépresseurs à plus long terme. Les résultats concernant l’action antidépressive de la scopolamine orale [15] étaient les suivants : les patients traités par citalopram/scopolamine ont obtenu un taux de réponse et de rémission significativement plus élevé (65 % après 4 semaines [p = 0,027] et 65 % après 6 semaines [p = 0,004] respectivement) par rapport au groupe citalopram/placebo (30 % et 20 % respectivement). L‘étude montre que la scopolamine orale possède également un effet antidépresseur.
3. Discussion Plusieurs études [7,11,18] retrouvent un effet antidépresseur rapide et efficace de la scopolamine chez des patients dépressifs
Pour citer cet article : Rigal A, et al. Intérêt d’un traitement par scopolamine dans les troubles dépressifs. Encéphale (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2016.06.002
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uni- et bipolaires. Les pourcentages de réponse complète et de rémission parmi les patients résistants aux antidépresseurs sont élevés, respectivement entre 59 et 64 % et 37 et 55 %. Les résultats de ces études sont encourageants mais ils doivent être comparés aux autres méthodes de traitement de la dépression résistante afin de déterminer si la scopolamine peut être envisagée comme une possibilité de prise en charge et la place que ce traitement pourrait occuper dans les stratégies de prise en charge. Parmi les possibilités thérapeutiques, l’éléctroconvulsivothérapie apparaît dans la littérature comme la plus efficace avec entre 70 et 90 % de réponses de patients résistants [27]. Parmi les autres stratégies, la kétamine [28] fait partie des plus prometteuses avec jusqu’à 64 % de réponse, 24 heures après une unique injection de 0,5 mg/kg intraveineuse [29]. Elle s’inscrit, comme la scopolamine, dans la catégorie des molécules à action rapide et de nombreuses études évaluent actuellement son action sur le système glutamatergique et recherchent d’éventuels biomarqueurs (brain derived neurotrophic factor, taux de vitamine B12. . .). D’autres stratégies de prise en charge présente également des résultats intéressants comme le pramipéxole en adjuvant d’un autre antidépresseur et les méthodes de stimulations (rTMS, TDCS. . .). La tolérance semble bonne avec une absence d’effet secondaire grave au plan somatique et une absence de virage maniaque ou hypomaniaque y compris chez des patients bipolaires. Il s’agit d’études randomisées, en double insu, et en cross-over qui permettent de limiter certains biais. Néanmoins, il convient de discuter certaines limites, principalement le fait qu’il n’y ait encore que peu d’études sur le sujet et qu’elles soient issues de la même équipe de recherche, ce qui nécessiterait de répliquer ce protocole dans d’autres équipes pour limiter un possible risque d’effet centre. Un protocole concernant les modalités de traitement qui reste encore à être précisé et qui suscite de nombreuses interrogations. Ainsi, à partir de ces données, on ne peut conclure quant au nombre d’injections et à la durée totale de traitement nécessaires pour un effet optimal ou savoir si la dose de 4 g/kg est la plus efficace en termes de bénéfice/risque. La place et la nécessité d’un relais per os seraient également à préciser. Ces modalités de traitement par voie intraveineuse posent également la question du lieu de traitement, uniquement intra-hospitalier a priori rendant la prescription ambulatoire difficile. Parmi les autres limites, on retrouve l’absence de données concernant les résultats à moyen et long terme à la fois au plan de l’efficacité antidépressive (durée totale de la réponse, taux de rechutes et de récidives) et au plan de la tolérance et des effets indésirables [7,11,18]. Enfin, pour les patients, les effectifs étudiés sont faibles et inhomogènes au plan des caractéristiques démographiques, uniquement des patients jeunes (de moins de 45 ans) sont étudiés et au plan psychiatrique car des patients uni- et bipolaires sont étudiés ensemble. Ces études n’offrent pas d’élément de comparaison directe aux autres traitements antidépresseurs, elles ne renseignent pas sur la place de la scopolamine dans les stratégies de potentialisation. Si les résultats sont encourageants, la place exacte de la scopolamine dans la prise en charge de la dépression résistante reste à préciser en détail.
4. Conclusion Cette revue de la littérature nous a permis de constater qu’un traitement par scopolamine pouvait avoir une action bénéfique significative chez les patients uni- et bipolaires atteints de
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symptômes dépressifs résistants. En outre, il semble que cette action antidépressive soit rapide et relativement bien tolérée. Néanmoins, d’autres études sont à envisager dans le but de déterminer avec précision les modalités de prescription ainsi que la place exacte d’un traitement par scopolamine dans la prise en charge des patients qui souffrent d’épisodes dépressifs majeurs. Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. Références [1] Hasin DS, Goodwin RD, Stinson FS, et al. Epidemiology of major depressive disorder results from the national epidemiologic survey on alcoholism and related conditions. Arch Gen Psychiatry 2005;62(10):1097–106. [2] Kessler RC, Berglund P, Demier O, et al. The epidemiology of major depressive disorder. Results from the national comorbidity survey replication. JAMA 2003;289(23):3095–105. [3] Rush AJ, Fava M, Wisniewski FR, et al. Sequenced treatment alternatives to relieve depression (STAR*D): rationale and design. Control Clin Trials 2004;25(1):119–42. [4] Souery D, Amsterdam J, de Montigny C, et al. Treatment resistant depression: methodological overview and operational criteria. Eur Neuropsychopharmacol 1999;9:83–91. [5] Thase ME, Rush AJ. When at first you don’t succeed: sequential strategies for antidepressant non responders. J Clin Psychiatry 1997;58:23–9. [6] Crismon ML, trivedi M, Pigott TA, et al. The texas medication algorithm project: report of the texas consensus conference panel on medication treatment of major depressive disorder. J Clin Psychiatry 1999;60:142–56. [7] Furey ML, Drevets WC. Antidepressant efficacy of the antimuscarinic drug scopolamine. Arch Gen Psychiatry 2006;63:1121–9. [8] Drevets WC, Zarate CA, Furey ML. Antidepressant effects of the muscarinic cholinergic receptor antagonist scopolamine: a review. Biol Psychiatry 2013;73:1156–63. [9] Howland RH. The antidepressant effects of anticholinergic drugs. J Psychosoc Nurs 2009;47(6):17–20. [10] Witkin JM, Overshiner C, Li JT, et al. M1 and M2 muscarinic receptor subtypes regulate antidepressant-like effects of the rapidly acting antidepressant scopolamine. J Pharmacol Exp Ther 2014;351(2):448–56. [11] Drevets WC, Furey ML. Replication of scopolamine’s antidepressant efficacy in major depressive disorder: a randomized, placebo-controlled clinical trial. Biol Psychiatry 2010;67:432–8. [12] Khouzam HR, Kissmeyer PMS. Physostigmine temporarily and dramatically reversing acute mania. General Hospital Psychiatry 1996;18(3): 203–4. [13] Mineur YS, Obayemi A, Wigestrand M, et al. Cholinergic signaling in the hippocampus regulates social stress resilience and anxiety and depression like behavior. PNAS 2013;9:3573–8. [14] Graef S, Schônfnecht P, Sabri O, et al. Cholinergic receptor subtypes and their role in cognition, emotion, and vigilance control: an overview of preclinical and clinical findings. Psychopharmacology 2011;215:205–29. [15] Khajavi D, Farokhnia M, Modabbernia A, et al. Oral scopolamine augmentation in moderate to severe major depressive disorder: a randomized, double blind, placebo-controlled study. J Clin Psychiatry 2012;73:1428–33. [16] Krystal JH, Sanacora G, Blumberg H, et al. Glutamate and GABA systems as target for novel antidepressant and mood-stabilizing treatments. Mol Psychiatry 2002;7:71–80. [17] Lapidus KA, Soleimani L, Murrough JW. Novel glutamatergic drugs for the treatment of mood disorders. Neuropsychiatr Dis Treat 2013;9:1101–12. [18] Furey ML, Khanna A, Hoffman EM, et al. scopolamine produces larger antidepressant and anti anxiety effects in women than in men. Neuropsychopharmacology 2010;35:2479–88. [19] Falsafi SK, Deli A, Höger H, et al. scopolamine administration modulates muscarinic, nicotinic and NMDA receptor system. PloS One 2012;7(2):e32082. [20] Rao U, Lin KM, Schramm P. REM sleep and cortisol responses to scopolamine during depression and remission in women. Int J Neuropsychopharmacol 2004;7(3):265–74. [21] Rao U, Lutchmansing P, Poland RE. Age-related effects of scopolamine on REM sleep regulation in normal control subjects: relationship to sleep abnormalities in depression. Neuropsychopharmacology 1999;21:723–30. [22] Shytle RD, Silver AA, Lukas RJ, et al. Nicotinic acetylcholine receptors as targets for antidepressants. Mol Psychiatry 2002;7(6):525–35. [23] Voleti B, Navarria A, Liu RJ, et al. scopolamine rapidly increases mammalian target of rapamycin complex 1 signaling, synaptognesis, and antidepressant behavioral responses. Biol Psychiatry 2013;74(10):742–9. [24] Hasselman H. Scopolamine and depression: a role for muscarinic antagonism? CNS Neurol Drug Targets 2014;13(4):673–83. [25] Furey ML, Nugent AC, Speer AM. Baseline mood-state measures as predictors of antidepressant response to scopolamine. Psychiatry Res 2012;196(1): 62–7.
Pour citer cet article : Rigal A, et al. Intérêt d’un traitement par scopolamine dans les troubles dépressifs. Encéphale (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2016.06.002
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Pour citer cet article : Rigal A, et al. Intérêt d’un traitement par scopolamine dans les troubles dépressifs. Encéphale (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2016.06.002