Ann Fr Anesth Réanim 2001 ; 20 : 716-9 © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0750765801004695/SCO
Cas clinique
Interférence entre un stimulateur cardiaque double-chambre et un bistouri à argon au cours d’une hépatectomie P. Werner1*, B. Charbit2, E. Samain2, E. Farah2, J. Marty2 1
Service d’accueil et d’urgence, hôpital Beaujon, 100, boulevard du Général Leclerc, 92118 Clichy cedex, France ; 2service d’anesthésie-réanimation chirurgicale, hôpital Beaujon, 100, boulevard du Général Leclerc, 92118 Clichy cedex, France
RE´SUME´ Nous rapportons une interférence électromagnétique inhabituelle entre un bistouri électrique à argon utilisé au cours d’une hépatectomie gauche et un stimulateur cardiaque double-chambre implanté pour une maladie rythmique auriculaire chez un patient de 87 ans. L’utilisation du bistouri à argon a provoqué l’inhibition immédiate de la stimulation auriculaire et l’apparition d’un entraînement ventriculaire à fréquence variable, le stimulateur retrouvant son fonctionnement normal après l’arrêt de l’électrocoagulation. Ce cas souligne l’importance de l’attention à porter au maintien du rythme cardiaque lors de l’utilisation de tout appareil électrique à proximité d’un pacemaker. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS bistouri électrique / stimulateur cardiaque
ABSTRACT Interference between a dual-chamber pacemaker and argon electrocautery device during hepatectomy. We report an unusual electromagnetic interference induced by an argon electrocautery device during a left hepatectomy on a dual chamber pacemaker, implanted for sinus node dysfunction in 87-year-old patient. Argon electrocautery induced inhibition of atrial stimulation and occurrence of irregular ventricular triggered activity. Normal pacemaker function resumed after electrocautery interruption. This case illustrates the need to focus on cardiac rhythm when
Reçu le 15 septembre 2000 ; accepté le 6 juin 2001. *Correspondance et tirés à part. Adresse e-mail :
[email protected] (E. Samain).
a new electrical device is used in a pacemaker patient. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS argon electrocautery / pacemaker
L’altération du fonctionnement d’un stimulateur est une éventualité fréquente dans la période périopératoire [1, 2]. Les interférences électromagnétiques sont la source la plus habituelle de dysfonction peropératoire des stimulateurs cardiaques [3]. Plusieurs types d’interférences ont été décrits, mais il s’agit dans la majorité des cas d’un phénomène d’inhibition, entraînant une simple interruption transitoire de la stimulation. Nous rapportons une interférence inhabituelle, associant une inhibition de la stimulation auriculaire et l’apparition d’une activité ventriculaire déclenchée chez un patient porteur d’un pacemaker double-chambre lors de l’utilisation d’un bistouri électrique à argon au cours d’une chirurgie hépatique. OBSERVATION Un patient âgé de 87 ans a été admis pour le traitement par hépatectomie gauche de localisations secondaires hépatiques d’une néoplasie colique. Ce patient avait un antécédent d’hypertension artérielle mal équilibrée malgré un traitement par rilménidine et nitrendipine. Un enregistrement préopératoire de Holter effectué en raison d’une bradycardie ventriculaire a permis de mettre en évidence une maladie rythmique auriculaire. Un traitement associant de l’amiodarone et la pose d’un stimulateur cardiaque double-chambre fonctionnant sur le mode séquentiel
Interférence entre bistouri à argon et stimulateur cardiaque
Tableau I. Caractéristiques du stimulateur cardiaque double chambre ELA Chorus, fonctionnant sur le mode séquentiel DDD.
Sonde (marque, modèle) Mode Seuil (V) Sensibilité du recueil (mV) Impédance (Οhm)
Chambre auriculaire
Chambre ventriculaire
CPI, 4269 bipolaire 1,2 1,6 700
ELA, UT46 bipolaire 0,3 10 800
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de ce bistouri fut interrompue. Aucune autre interférence n’a été observée jusqu’à la fin de l’intervention avec la reprise de l’électrocoagulation conventionnelle. Le contrôle du stimulateur avant la sortie du patient n’a pas montré de dysfonction du boîtier ou d’anomalie de la programmation. Les suites opératoires ont été simples et le patient quitta l’hôpital huit jours après l’intervention. COMMENTAIRES
DDD (tableau I) a permis de faire disparaître les symptômes. L’examen clinique préopératoire était sans particularité. L’ECG de repos inscrivait une double stimulation auriculaire et ventriculaire régulière à 60 b·min–1. Une vérification quelques jours avant l’intervention avait montré que le stimulateur fonctionnait normalement. La radiographie pulmonaire était normale. Le patient a été admis au bloc opératoire une heure après une prémédication par lorazépam 1 mg et un monitorage par électrocardioscope, oxymétrie de pouls, et mesure invasive de la pression artérielle (PA) a été mis en place. L’anesthésie générale a été induite par 28 mg d’étomidate et 200 µg de fentanyl, l’intubation trachéale facilitée par du bromure de pancuronium et le patient placé sous ventilation mécanique. Pendant les phases de dissection et de préparation à l’hépatectomie, un bistouri monopolaire a été utilisé sans interférence visible avec le fonctionnement du pacemaker. Après clampage pédiculaire, la dissection hépatique débuta par l’utilisation alternative d’un dissecteur à ultrasons et d’un bistouri bipolaire, puis pour la coagulation de la tranche de section, le choix s’est porté sur l’utilisation d’un bistouri monopolaire à argon (Argen 92, EMC Industries, Montrouge). La mise en route de ce bistouri a entraîné la disparition immédiate de l’entraînement séquentiel auriculo-ventriculaire, remplacé par un entraînement ventriculaire isolé à une fréquence variable, comprise entre 60 et 105 b·min–1 (figure 1). Aucune activité auriculaire spontanée ou entraînée n’était alors décelable sur le tracé. La perte du synchronisme auriculo-ventriculaire et l’accélération modérée de la fréquence ventriculaire a été responsable d’une baisse de PA de 15 à 35 % (figure 1). L’interruption de l’électrocoagulation a permis le retour à un fonctionnement normal du stimulateur. Le réglage du bistouri à une puissance inférieure ne modifia pas le niveau d’interférence et l’utilisation
La stimulation ventriculaire déclenchée à fréquence irrégulière que nous avons observée est la conséquence d’une interférence électromagnétique entre un dispositif d’électrocoagulation et un pacemaker double-chambre, différente de celles rapportées jusqu’à présent dans la littérature [1]. En effet, ces interférences comprennent : 1) la modification d’un ou plusieurs paramètres de programmation du pacemaker [4] ; 2) l’interférence avec la batterie du stimulateur responsable dans certaines circonstances d’une interruption complète de la fonction de stimulation [5] ; 3) la survenue de chocs électriques internes ou d’élévation du seuil de stimulation lorsque l’électrode du pacemaker devient une électrode active dans le circuit de coagulation [6] ; 4) le passage sur un mode asynchrone ou sur un mode de secours en cas d’interférence prolongée [7] ; 5) l’inhibition simple de la stimulation. Bien que le circuit de détection du pacemaker soit muni de filtres permettant de sélectionner les courants d’origine cardiaque, le courant à haute fréquence du bistouri peut être capté par la sonde, et conduire à l’inhibition de la stimulation sur un cycle cardiaque [8]. Récemment, des anomalies de détection du rythme cardiaque par différents types de pacemakers simple – ou double-chambre implantés chez des patients exposés à des dispositifs de détection antivol émettant des signaux magnétiques continus ou discontinus à basse fréquence ont été rapportées [9]. Un phénomène de détection inappropriée de l’interférence électromagnétique par la sonde auriculaire était observé avec certains pacemakers double-chambre, aboutissant à un entraînement ventriculaire à une fréquence élevée. Un phénomène voisin de ce type d’inhibition est probablement à l’origine de l’interférence observée. Il est en effet possible que le courant à haute fréquence du bistouri à argon ait été capté par la sonde auriculaire. Il aura alors été interprété par le stimulateur comme une activité auriculaire spontanée, ce qui aura eu pour conséquence
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P. Werner et al.
Figure 1. Enregistrement de l’ECG (dérivation V5) et de la pression artérielle sanglante lors de l’utilisation du bistouri à argon. Le début de l’enregistrement montre un rythme auriculo-ventriculaire électro-entraîné à 60 b·min–1, correspondant au rythme habituel du patient. La mise en route du bistouri (partie supérieure) entraîne la disparition de l’entraînement auriculaire et l’apparition d’un rythme ventriculaire entraîné à une fréquence irrégulière. L’arrêt de l’électrocoagulation permet le retour au rythme de base (partie inférieure). A : entraînement auriculaire ; V : entraînement ventriculaire.
d’interrompre la stimulation auriculaire. Le stimulateur est ensuite passé en écoute sur la sonde ventriculaire puis a stimulé le ventricule une fois passé le délai auriculo-ventriculaire programmé. Le recueil anormal de l’interférence électromagnétique au niveau auriculaire permet d’expliquer l’absence d’onde P spontanée ou stimulée avant chaque QRS entraîné et le caractère aléatoire de la capture du signal par la sonde auriculaire pourrait expliquer la fréquence de stimulation irrégulière du ventricule. L’interférence entre les stimulateurs cardiaques et les appareils de dissection ou de coagulation, développés récemment est encore mal connue. Le bistouri à argon fonctionne en délivrant un jet d’argon qui s’épanouit au contact du tissu. L’argon est ionisé par une électrode contenu dans le manche du bistouri, et véhicule l’énergie électrique vers la zone de tissu à coaguler. L’avantage de ce type de bistouri est de permettre l’électrocoagulation d’une plus large
surface de tissus à une profondeur faible et surtout relativement constante contrairement à l’électrocoagulation standard. Il a été montré que cette technique de coagulation entraînait moins de nécrose de tissu hépatique et réduisait la probabilité de saignement secondaire [10]. Le risque d’interférence avec ce type de bistouri est encore mal connu. Celui-ci produit notamment un champ électromagnétique de fréquence relativement faible (10 kHz) comparé à celui produit par un bistouri conventionnel (300 kHz à 2 MHz). Un filtrage insuffisant à ce niveau de fréquence a été incriminé dans l’interruption transitoire de la mesure de la saturation du sang veineux mêlé par un appareil d’oxymétrie [11]. Un mécanisme voisin pourrait être à l’origine de l’interférence que nous avons observée. En revanche, l’utilisation du dissecteur à ultrasons n’a pas entraîné de dysfonctionnement du pacemaker. Ceci va dans le sens du travail d’Epstein et al., qui ont montré que ce type de bis
Interférence entre bistouri à argon et stimulateur cardiaque
touri pouvait être une alternative sûre à l’électrocoagulation conventionnelle dans certains types de chirurgie [12]. CONCLUSION Nous rapportons une interférence électromagnétique inhabituelle chez un patient porteur d’un stimulateur cardiaque double-chambre associant l’inhibition de la stimulation auriculaire et l’apparition d’une activité ventriculaire déclenchée à fréquence irrégulière lors de l’utilisation d’un bistouri monopolaire à argon. Ceci souligne qu’une attention particulière doit être portée au rythme cardiaque monitoré par l’électrocardioscope lors de l’utilisation d’un nouvel appareil électrique à proximité d’un stimulateur cardiaque et que l’interprétation fiable de l’interférence ne peut se faire que si un enregistrement papier est rapidement disponible. RE´ FE´ RENCES 1 Eckenbrecht PD. Pacemaker and implantable cardioverterdefibrillators. In : ASA, Ed. Refresher Course Lectures. 49th Annual Meeting of the American Society of Anesthesiologists. Orlando, USA, 1998. p. 235.1-7.
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2 Samain E, Marty J, Souron V, Rosencher N, Eyrolle L, Ozier Y, et al. Intraoperative pacemaker malfunction during shoulder arthroscopy. Anesthesiology 2000 ; 93 : 306-7. 3 Zaidan. Pacemakers. Anesthesiology 1984 ; 60 : 319-34. 4 Domino KB, Smith TC. Electrocautery-induced reprogramming of a pacemaker using a precordial magnet. Anesth Analg 1983 ; 62 : 609-12. 5 Mangar D, Atlas GM, Kane PB. Electrocautery-induced pacemaker malfunction during surgery. Can J Anaesth 1991 ; 38 : 616-8. 6 Shapiro WA, Roizen MF, Singleton MA, Morady F, Bainton CR, Gaynor RL. Intraoperative pacemaker complications. Anesthesiology 1985 ; 63 : 319-22. 7 Bailey AG, Lacey SR. Intraoperative pacemaker failure in an infant. Can J Anaesth 1991 ; 38 : 912-3. 8 Batra YK, Bali IM. Effect of coagulating and cutting current on a demand pacemaker during transurethral resection of the prostate. A case report. Can J Anaesth 1978 ; 25 : 65-6. 9 Mugica J, Henry L, Podeur H. Study of interactions between permanent pacemakers and electronic antitheft surveillance systems. Pace 2000 ; 23 : 333-7. 10 Postema RR, ten Kate FJ, Tepstra OT. Less hepatic tissue necrosis after argon beam coagulation than after conventional electrocoagulation. Surg Gynecol Obstet 1993 ; 176 : 177-80. 11 O’Leary AM, Sheikh F, Setlur R. Temporary failure of mixed venous oximetry monitoring caused by interference from an argon beam coagulator electrosurgical unit [letter]. J Cardiothorac Vasc Anesth 1994 ; 8 : 135. 12 Epstein MR, Mayer JE, Duncan BW. Use of an ultrasonic scalpel as an alternative to electrocautery in patients with pacemakers. Ann Thorac Surg 1998 ; 65 : 1802-4.