Jumeaux conjoints craniopages : difficultés de prise en charge en milieu africain

Jumeaux conjoints craniopages : difficultés de prise en charge en milieu africain

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Gyne´cologie Obste´trique & Fertilite´ 36 (2008) 56–59 http://france.elsevier.com/direct/GYOBFE/ Cas c...

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Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

Gyne´cologie Obste´trique & Fertilite´ 36 (2008) 56–59 http://france.elsevier.com/direct/GYOBFE/

Cas clinique

Jumeaux conjoints craniopages : difficulte´s de prise en charge en milieu africain Craniopagus conjoined twins: Difficulties of management in Africa R. Konan Ble´ a,*, K. Se´ni a, S. Adjoussou a, G. Quenum a, E. Akaffou b, M. Kone´ a a

Service de gyne´cologie–obste´trique, CHU de Yopougon, 21 B.P. 632, Abidjan 21, Coˆte d’Ivoire b Service de ne´onatologie, CHU de Yopougon, 21 B.P. 632, Abidjan 21, Coˆte d’Ivoire Rec¸u le 15 avril 2007 ; accepte´ le 16 aouˆt 2007 Disponible sur Internet le 4 janvier 2008

Re´sume´ Les jumeaux conjoints sont des malformations rares des grossesses ge´mellaires monozygotes avec un pronostic fœtal sombre. Les craniopages ` partir d’une observation de jumeaux sont encore plus rares et de prise en charge difficile particulie`rement dans nos pays a` densite´ me´dicale faible. A craniopages, nous exposons plusieurs difficulte´s rencontre´es au cours de la gestion de ce cas. Le diagnostic a e´te´ tardif, la naissance n’a pas e´te´ pre´pare´e du fait de l’entre´e imme´diate en travail, les conditions de prise en charge ne´onatales et sociales n’e´taient pas adapte´es, la chirurgie de se´paration n’a pu eˆtre envisage´e faute de conditions technologiques et de moyens approprie´s. # 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. Abstract Conjoined twins are the rare malformations of monozygotic-twins pregnancies associated with bad fetal prognosis. Craniopagus are even more rarely encountered and their management is complex particularly in our low-medical-equipment countries. From an observation of craniopagus twins, we present several difficulties in the management of the case. Diagnosis was late; because of the onset of labour, delivery was not prepared; the conditions of neonatal and social management were not adapted. Surgical treatment was not considered owing to the absence of appropriate technological conditions and means. # 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. Mots cle´s : Grossesse ; E´chographie ; Jumeaux conjoints ; Craniopages ; Prise en charge Keywords: Pregnancy; Ultrasonography; Conjoined twins; Craniopagus; Management

1. Introduction Les grossesses ge´mellaires sont caracte´rise´es par le de´veloppement simultane´ de deux embryons dans la cavite´ ute´rine. Leur fre´quence est relativement rare, de l’ordre de 1 % de toutes les grossesses [1,2]. Les grossesses monoamniotiques sont tre`s rares. Elles repre´sentent 1 % des grossesses ge´mellaires et sont greve´es de complications spe´cifiques, dont la division incomple`te re´alisant les jumeaux conjoints ou siamois de prise en charge * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (R. Konan Ble´).

proble´matique y compris pour les e´quipes hautement qualifie´es [2]. ` partir d’une observation clinique de jumeaux craniopages, A nous e´voquons les difficulte´s de la prise en charge dans un hoˆpital africain tant sur le plan ante´natal avec le diagnostic tardif que dans la pe´riode postnatale avec les proble`mes pose´s par la chirurgie de se´paration des jumeaux.

2. Cas clinique Mme M.B.M., grande multipare de 38 ans avec un ante´ce´dent de ge´mellite´, est rec¸ue pour un bilan e´chographique

1297-9589/$ – see front matter # 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. doi:10.1016/j.gyobfe.2007.08.027

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Fig. 1. Aspect e´chographique de la fusion poste´rieure des poˆles ce´phaliques. Fig. 3. Jumelles craniopages aspect a` la naissance.

a` 37 semaines d’ame´norrhe´e (SA). Il s’agit d’une grossesse mal suivie, sans bilan biologique ni e´chographique. L’examen e´chographique identifie aise´ment huit membres, deux abdomens, deux thorax diffe´rents. Au niveau des poˆles ce´phaliques, on observe une fusion au niveau occipital avec une mauvaise visualisation des marqueurs e´cho-anatomiques des fosses ce´re´brales poste´rieures (Fig. 1). La faux du cerveau, le cavum du septum lucidum, les cornes ante´rieures des ventricules late´raux et les thalami de chaque jumeau sont bien identifie´s (Fig. 2). La ce´sarienne a e´te´ pratique´e le meˆme jour du fait de l’entre´e en travail. Par hyste´rotomie segmento-corpore´ale verticale nous avons extrait deux jumelles pesant globalement 3850 g. L’examen clinique a` la naissance a confirme´ le diagnostic e´chographique objectivant deux sœurs siamoises accole´es au niveau de la re´gion occipitotemporale (Figs. 3–5), bien portantes avec un score d’Apgar a` 5 a` la premie`re minute et 7 a` la cinquie`me minute. En outre, il a e´te´ de´couvert un pied bot varus e´quin chez l’une et un pied plat valgus chez l’autre jumelle (Fig. 6).

Fig. 2. Aspect e´chographique normal des parties ante´rieures des poˆles ce´phaliques.

Fig. 4. Vue supe´rieure des deux teˆtes jointes.

Fig. 5. Vue poste´rieure des deux teˆtes jointes.

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Fig. 6. De´formation des pieds.

L’angio-scanner re´alise´ au quinzie`me jour de vie a objective´ la pre´sence d’un cerveau presque complet au niveau de chaque jumelle avec un re´seau vasculaire commun au niveau de la confluence des sinus et du sinus sagittal supe´rieur. L’e´chocardiographie a re´ve´le´ une communication interventriculaire chez l’une des jumelles. La prise en charge ne´onatale a e´te´ e´maille´e de plusieurs difficulte´s structurelles, sociales et the´rapeutiques. L’e´volution en hospitalisation a e´te´ marque´e par une succession de pathologies diverses : infection nosocomiale, escarres, ane´mie qui ont abouti au de´ce`s des jumelles a` quatre mois et demi de vie. 3. Discussion Les jumeaux conjoints sont la conse´quence du clivage tardif d’une grossesse monozygote au-dela` du treizie`me jour apre`s la fe´condation (stade de disque embryonnaire). C’est une complication rare et grave des grossesses monozygotes. L’incidence re´elle est variable, estime´e entre 1/50 000 a` 1/200 000 naissances et 1 % des grossesses monozygotes [1,3]. Le sexe fe´minin est dominant dans 70 a` 75 % des cas [4,5] comme dans notre observation. Deux the´ories embryologiques divergentes ont e´te´ propose´es pour expliquer le polymorphisme malformatif de ces grossesses : l’hypothe`se de la scission incomple`te tardive d’une masse embryonnaire commune est la plus reconnue. Une autre hypothe`se est de plus en plus e´voque´e, c’est l’union secondaire de deux disques embryonnaires mono-ovulaires initialement se´pare´s, cette union pouvant se faire au niveau de la re´gion ce´phalique, caudale, ventrale, late´rale, dorsale, de manie`re syme´trique (jumeaux conjoints syme´triques ou siamois) ou asyme´trique (jumeaux ectoparasites ou endoparasites) [2,6]. On distingue plusieurs types de jumeaux conjoints syme´triques selon la zone de fusion : craniopages, ce´phalopages, thoracopages, omphalopages, rachipages, pygopages, ischiopages et parapages [2,6]. Les jumeaux craniopages repre´sentent environ 2 % des jumeaux conjoints et sont soude´s par le craˆne.

Le diagnostic pre´coce est possible a` l’e´chographie a` partir de 12–14 semaines [7–10] ; a` 22 semaines, on peut localiser de manie`re pre´cise la zone d’accolement, analyser les structures duplique´es et rechercher les malformations associe´es surtout cardiaques (30 %) [2,5]. Les autres examens utiles au diagnostic et a` la prise en charge sont l’e´chocardiographie, l’imagerie par re´sonance magne´tique nucle´aire, le contenu ute´rin et le caryotype [2,5,10]. Dans notre observation, la premie`re difficulte´ est le diagnostic tardif a` 37 semaines, que peut expliquer la difficile accessibilite´ a` l’e´chographie dans nos pays a` faible densite´ me´dicale, ainsi que le couˆt de cet examen, qui n’est pas toujours a` la porte´e de nos populations peu nanties. Le diagnostic pose´, des informations pre´alables orientent la prise en charge : importance de la jonction, viabilite´ des fœtus, autres malformations associe´es, anomalies chromosomiques et possibilite´s de se´paration [2,4,5]. La prise en charge obste´tricale est fonction de la de´cision conservatrice ou non. En cas de de´cision non conservatrice, est pratique´e une interruption de grossesse par voie basse avant 24 semaines et par ce´sarienne au-dela` de 24 semaines pour re´duire le risque de morbidite´ maternelle. Si la de´cision de conserver la grossesse est choisie, la surveillance se fait jusqu’a` terme de fac¸on multidisciplinaire. Les conditions d’accueil, d’e´levage et de prise en charge postnatale sont organise´es avant la naissance qui a lieu par ce´sarienne [10]. La deuxie`me difficulte´ dans notre observation est le caracte`re urgent de la prise en charge le meˆme jour du diagnostic du fait de l’entre´e en travail, ce qui ne nous a pas permis d’organiser la naissance et la prise en charge postnatale pour une pathologie que nous n’avions jamais eu a` ge´rer auparavant. Les mises en place ont donc e´te´ laborieuses et l’organisation surtout structurelle n’a pas e´te´ aise´e : absence d’incubateur ou de berceau adapte´ pour les enfants ; absence d’organisme social pour l’e´levage des jumelles le temps d’une e´ventuelle intervention. Enfin, les parents, pour des conside´rations sociologiques et spirituelles, refusaient de re´cupe´rer les enfants. Le ve´ritable proble`me de cette pathologie est la se´paration des jumeaux qui n’est pas toujours possible (49 a` 62 %) [7,11], pas toujours facile et de pronostic incertain meˆme aupre`s d’e´quipes expe´rimente´es [7,10,11]. La majorite´ de jumeaux conjoints meurent in utero ou imme´diatement apre`s la naissance. Seuls survivent 18 % pour Mackenzie et al. [10] et 34 % pour Al Rabeeah [7] (Tableau 1). Tre`s peu d’e´quipes pratiquent ces interventions dont les meilleurs re´sultats postope´ratoires s’observent chez les thoraco-omphalopages avec cœurs se´pare´s [10,11]. Rares sont celles qui ont l’expertise ope´ratoire des jumeaux craniopages, avec un risque de de´ce`s pe´ri-ope´ratoire a` 50 % [12]. Malgre´ ces proble`mes techniques, c’est une chirurgie lourde, tre`s one´reuse, qui pose des proble`mes e´thiques devant la ne´cessite´ de sacrifier un enfant au de´triment de l’autre [7,10,11]. La troisie`me difficulte´ dans notre observation a e´te´ la se´paration des jumelles. Proble`me qui est reste´ sans solution

R. Konan Ble´ et al. / Gyne´cologie Obste´trique & Fertilite´ 36 (2008) 56–59 Tableau 1 E´volution des jumeaux conjoints vivants a` la naissance selon Al Rabeeah [7] Types de jumeaux conjoints

Nombre total de paires

Thoraco-omphalopages Thoracopages Omphalopages Craniopages Ischiopages Pygopages Parasites

14 7 6 2 2 1 2

Total

34

Nombre de paires ope´re´s 3 0 5 0 2 1 2 13 (38 %)

Nombre d’enfants survivants 6 0 10 0 3 2 2 23 (34 %)

malgre´ les re´unions multidisciplinaires. Si l’intervention neurochirurgicale de se´paration e´tait techniquement possible en sacrifiant l’une des jumelles, les conditions de sa re´alisation sur place n’e´taient pas re´unies : service de re´animation postope´ratoire peu adapte´, prise en charge financie`re incertaine, et le fait qu’aucune intervention de ce type n’avait jamais e´te´ pratique´e dans notre institution. Les de´marches pour un e´ventuel transfert dans un service spe´cialise´ n’ont pu aboutir. 4. Conclusion Les jumeaux conjoints sont une complication spe´cifique des grossesses monoamniotiques. Pathologie rare mais accessible a` l’e´chographie pre´cocement, elle pose le proble`me de la prise en charge postnatale dans des services spe´cialise´s pour appre´cier les possibilite´s et les modalite´s de la se´paration des jumeaux.

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Le diagnostic pre´coce permettrait de discuter de l’interruption de grossesse surtout dans nos conditions de travail. Re´fe´rences [1] Pons JC, Charlemaine C, Papiernik E. Les grossesses multiples. Paris: Flammarion; 2000, 311. [2] Quarello E, Ville Y. Imagerie des grossesses ge´mellaires. Paris: Sauramps Medical; 2005. p. 74–83. [3] Raynal P, Petit T, Ravasse P, Herlicoviez M. Un cas rare de jumeau he´te´ropages e´pigastriques. J Gynecol Obstet Biol Reprod 2001;30(1):65– 9. [4] Body G, Perrotin F, Guichet A, Paillet C, Descamps P. La pratique du diagnostic pre´natal. Paris: Masson; 2001. p. 227–35. [5] Barth RA, Crowe HC. Ultrasound evaluation of multifetal gestations. In: Callen PW, editor. Ultrasonography in obstetrics and gynecology. 4th ed., Philadelphie: Saunders; 2000. p. 171–205. [6] Spencer R. Theoretical and analytical embryology of conjoined twins: part I: embryogenesis. Clin Anat 2000;13:36–53. [7] Al Rabeeah A. Conjoined twins – past, present and future. J Pediatr Surg 2006;41(5):1000–4. [8] Cuiller F, Lemaire P, Sommer JC, Abossolo T. De´couverte ante´natale de jumeaux conjoints omphalopages a` 13 semaines d’ame´norrhe´e. Gynecol Obstet Fertil 2001;29(5):377–80. [9] Lam YH, Lee CP, Tang MH, Lau E. Thermocoagulation for selective reduction of conjoined twin at 12 weeks of gestation. Ultrasound Obstet Gynecol 2000;16:267–70. [10] Mackenzie TC, Crombleholme TM, Johnson MP, Schnaufer L, Flake AW, Hedrick HL, et al. The natural history of prenatally diagnosed conjoined twins. J Pediatr Surg 2002;37(3):303–9. [11] Rode H, Fieggen AG, Brown RA, Cywes S, Davies MR, Hewitson JP, et al. Four decades of conjoined twin at Red Cross Children’s Hospital: lessons learned. S Afr Med J 2006;96(9 pt 2):931–40. [12] Campbell S. Separation of craniopagus twins: the Brisbane experience. Childs Nerv Syst 2004;20(8–9):601–6.