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Analyses de livres De la vieillesse à la mort, point de vue d’un usager Henri Danon-Boileau Paris, Hachette « Pluriel », 2000, 216 p. En 1947, une pièce de Salacrou, L’Archipel Lenoir, connaissait un grand succès : un vieillard, le patriarche d’une famille bourgeoise, engrosse une très jeune femme, on suggère le suicide, il est accablé, replié sur lui-même, rabougri (le rôle est tenu par Charles Dullin), il va céder, quand tout à coup il se redresse et s’écrie : « J’épouse. » La famille est consternée. Traditionnellement, le mariage est la réparation d’une telle faute, mais dans ce cas, ce n’est pas tant la différence de condition sociale ou le risque matériel que représenterait cette union, que la manifestation de la sexualité du vieillard (lubrique) qui fait scandale comme naguère celle de la sexualité de l’enfant. C’est précisément cette sexualité prolongée ou tardive que Danon-Boileau va examiner, disséquer avec les instruments de la psychanalyse. Psychiatre et psychanalyste, il a longtemps travaillé avec des adolescents et des adultes jeunes (à la clinique Dupré) et comme thérapeute il a aussi été consulté par des personnes âgées. Il dispose d’un « magasin » d’observation, dont, dans les règles de la déontologie, il utilise des fragments pour illustrer son propos. Henri Danon-Boileau est un écrivain, nouvelliste, romancier, dramaturge, avec une exigence constante de clarté et de précision, si bien que pour ceux qui n’ont pas la formation technique, qui ne sont pas familiarisés avec les concepts et le vocabulaire de la psychanalyse, il apporte soit dans le texte soit dans les notes podales les éclaircissements nécessaires. Sous le chapiteau « Booz endormie ou la sexualité des vieillards », il rassemble ses réflexions sur les couples d’âge différent, homme plus âgé, femme plus âgée, homosexuels d’âge différent, seniors du même âge. D’un point de vue strict, seule la première catégorie mériterait le patronage de Booz (c’est Ruth qui est venue s’allonger, manipulée par une entremetteuse, sa belle-mère Noémie, en vue d’une fameuse « promotion canapé », jusqu’à devenir l’ancêtre du Messie). Qu’importe, toutes ces pages sont vêtues d’humour tendre et de réflexions subtiles. On y voit notamment comment le partenaire plus jeune peut échapper au risque de l’inceste et comment il peut y retomber. Dans le chapitre intitulé « l’art d’accommoder les restes », on s’attardera sur la distinction entre la résignation (soumission aux forces extérieures, « il n’y a pas d’avance » comme on dit dans le Nord, état pathogène que j’ai observé chez des clochards) et le renoncement (démarche volontaire, don, et même sacrifice qui seul peut avoir une valeur morale). Cette distinction est nécessaire dans un contexte où la culture dominante a longtemps favorisé l’ascèse et la chasteté (castration) comme conditions d’accès au sacré. Mais il y a des fausses sorties, des renoncements inauthentiques, l’attaque contre la jeunesse, le déni-
grement du présent, l’envie, le déni du vieillissement, le déplacement de l’angoisse de mort... auxquels on pourrait ajouter le baroud d’honneur d’être enfin « saisi par la débauche ». On appréciera le développement sur l’oubli, en particulier, des noms propres (avec d’intéressantes allusions à la Bible, où justement les noms propres sont des mots communs, les premiers mots que prononce la mère et qui sont compréhensibles par tous, alors qu’aujourd’hui beaucoup de gens même cultivés ignorent la signification de leur prénom). Des réflexions sur la grand-parentalité terminent ce petit livre, si riche, si dense et tellement agréable à lire. Ceux qui pensent que l’on comprend un peu mieux une œuvre quand on a vu le visage de l’auteur pourront satisfaire leur curiosité sur Internet (http//pages globetrotter.net/desgros/livres/ danon.htlm) ; regardez sa tête, elle en vaut la peine et surtout lisez et relisez (cent fois sur le métier...) son livre. J. Biéder © 2003 Publié par Elsevier SAS. doi:10.1016/j.amp.2003.12.021
La conscience. Approches croisées des classiques aux sciences cognitives Nathalie Depraz Paris, Armand Colin/VUEF, 2001, nouvelle édition 2002 Nous avions remarqué cet ouvrage en raison de son titre même dès sa parution et nous n’avons guère tardé à prendre contact avec son auteur. Madame N. Depraz est maître de conférences à la Sorbonne, normalienne et agrégée de philosophie. Nous l’avons conviée à des rencontres interdisciplinaires qui s’imposaient pour lui permettre de développer ses positions sur les rapports de la philosophie, de la biologie cérébrale et de la psychiatrie. Il faut le dire aujourd’hui avec force, cet ouvrage de dimensions modestes, 192 pages, bibliographie et index compris, publié dans la collection pédagogique « cursus », est une authentique pépite par sa densité, la puissance de sa réflexion, la qualité de la pensée et l’étendue de son information et de sa culture. Comme il est encourageant pour nous, praticiens de terrain, de voir les philosophes des jeunes générations se pencher sur nos travaux et partager nos interrogations sur l’organisation et les articulations des opérations de la vie mentale et de la connaissance. La « conscience » était devenue un intitulé tabou depuis près d’un demi-siècle. Il était porteur de connotations et harmoniques ambiguës et conflictuelles suscitant des méprises et des confusions sémantiques invalidantes. Henri Ey lui-même regrettait en privé d’avoir utilisé ce terme comme intitulé de l’un de ses ouvrages préférés (La conscience, PUF 1963, 1968). À partir de 1973, il retenait la
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dénomination plus englobante de « paradigme du corps psychique », la notion de corps psychique étant empruntée elle-même aux maîtres du stoïcisme, en particulier à Chrysippe. Cette formulation n’a elle-même pas fait recette, malgré sa pertinence philosophique et épistémologique. L’antihumanisme des années 1960 et 1970, le structuralisme, les révolutions freudiennes et lacaniennes, comme les antipsychiatries, faisaient inlassablement le procès des « monarchies de la conscience », des philosophies du sujet et de la liberté. On se souvient des commentaires de Paul Ricœur lorsqu’il disait du structuralisme qu’il s’agissait d’un kantisme sans sujet transcendantal. La monarchie de l’inconscient porté par la sorcière métapsychologique et ses balais ou/et par l’impérialisme du signifiant avaient pris le relais des philosophies de la conscience, du sujet et de la liberté. Ces psychopathologies antihumanistes, sans sujet, sans conscience et le plus souvent sans cerveau étaient appelées à rencontrer leurs limites et à se heurter aux mutations socioculturelles comme à la progression des connaissances scientifiques et philosophiques. Le fameux « wo es war » freudien était étrangement l’impératif méconnu ou récusé par les modes culturelles du moment qui se voulaient figures de pointe de la pensée moderne de l’être et de l’identité humaine. Les développements des connaissances dans tous les domaines du savoir en philosophie, en psychiatrie comme dans la biologie et les sciences cognitives, exigent aujourd’hui de chacun d’entre nous un travail interdisciplinaire d’intégration, d’assimilation qui implique des remises en question et en débat de références et de repères qui vont entraîner des requalifications, des rectifications de frontières, sortes de redécoupages épistémologiques, véritables « révisions déchirantes ». Il nous faut décloisonner sans cesse, élargir les approches « régionales » de nos spécialités pour ne pas demeurer des miniaturistes, condamnés au pars pro toto, ceci sans pour autant tout déconstruire avec la prétention implicite de promouvoir quelque métasystème. Il faut donc saluer le courage intellectuel de Natalie Depraz, la solidité de ses informations sur l’état des lieux, et son impressionnante érudition. L’ouvrage comporte six sections, toutes extrêmement resserrées et magistralement articulées. Il s’agit d’un survol ou d’un surplomb qui s’étend de l’Antiquité à la philosophie contemporaine, tout en abordant les apports des conceptions classiques (les « grands », Descartes, Locke, puis Cudworth, moins connu, voire oublié) : Suneidesis alias conscientia. L’itinéraire du concept nous est conté depuis Platon, Aristote et les stoïciens grecs puis latins. Chez Descartes, qui assigne à la subjectivité le fondement de toutes les sciences, le mot conscience ne figure jamais. Comme le remarque Balibar, la philosophie de Descartes ne serait-elle pas une philosophie de la certitude vraie, beaucoup plus qu’une philosophie de la conscience ? C’est Ralph Cudworth, le philosophe néoplatonicien de Cambridge, qui a utilisé pour la première fois le néologisme « consciousness » en 1678 qui sera repris 15 ans plus tard par Locke dans son Essai sur l’entendement humain (1694). C’est dans cet ouvrage « que s’inaugurait la problématique proprement dite de la conscience comme identité et expérience de soi dans le temps ». Les apports de la psychanalyse (Freud, « Quelle théorie du sujet ? » p. 45), de la phénoménologie (Husserl, les post-
husserliens) sont bien sûr l’objet de développements substantiels (p. 45–92). Le chapitre 9 intitulé « Le rôle minoré de Bergson » rend justice au maître de Matière et mémoire et de l’Essai sur les données immédiates de la conscience. Il fallait le dire : « La problématique bergsonienne est en continuité remarquable avec l’approche phénoménologique de la conscience. » La quatrième partie aborde de front la psychiatrie et son impact philosophique avec l’élucidation des pathologies de la conscience. Les développements consacrés à Ludwig Binswanger et à l’altération de la conscience temporelle et intersubjective sont particulièrement réussis. De même les paragraphes consacrés à H. Tellenbach, W. Blankenburg, A. Tatossian et à Kimura. Mais c’est évidemment « à la croisée des chemins » c’est-à-dire au chapitre 12, consacré à « la vision radicale de Henri Ey », que nous attendions avec intérêt et perplexité les commentaires de notre auteur. Notre impression tient en quelques mots. Natalie Depraz a lu le texte in extenso et a tout compris. Elle estime comme beaucoup d’entre nous qu’il faut réhabiliter ce maître phénix, expédié aux enfers par les antipsychiatres des années 1960 et 1970. L’épistémologie de la psychiatrie proposée par le maître de Bonneval, son ancrage dans la biologie du cerveau et dans la phénoménologie de la vie mentale, font de lui un authentique précurseur des théories contemporaines de l’émergence reconsidérées aujourd’hui « en montrant la continuité fine entre la dynamique émergente du système nerveux et l’enchaînement des vécus conscients ». La cinquième partie consacrée aux sciences cognitives est également d’une grande richesse et témoigne de la parfaite maîtrise d’une littérature souvent touffue qui dérive souvent vers un capharnaüm de faits et d’interprétations à propos de la relation esprit–cerveau omniprésente en contrepoint dans toutes ces recherches et réflexions. The embodied mind est le titre superbe de l’ouvrage de Francisco Varela, le maître de l’autopoïèse, de l’enaction et de la « neurophénoménologie » avec lequel Natalie Depraz a entrepris d’importants travaux dont une partie a déjà été publiée. Il faut décloisonner les qualias des expériences vécues en première personne et les processus cérébraux des modules, homoncules et réseaux neuroniques en troisième personne. Bien sûr ces réflexions sur la phénoménologie et la neurométaphysique de l’intersubjectivité débouchent sur les apories de la connaissance, les mythes, les religions et les traditions spirituelles de l’éveil de la conscience. L’auteur ne se dérobe pas et leur consacre la sixième partie dans laquelle sont abordés les monothéismes et les traditions non théistes, les bouddhismes et les hindouismes. Ce chapitre s’imposait, mais il s’agit d’une simple ouverture et il ne comporte que sept pages (172–179). Est-ce vraiment suffisant pour susciter des vocations, mais il faut ici encore saluer le courage de l’auteur, même si, comme c’est mon cas, on peut ne pas partager l’enthousiasme de F. Varela pour les métaphysiques orientales et leur éventuel couplage avec l’œuvre de Merleau-Ponty... Une bibliographie substantielle complète cet ouvrage, avec de surcroît un index qui s’imposait pour aider le lecteur à se repérer dans la complexité labyrinthique du problème de la conscience, énigme suprême, « Nœud du monde » pour les
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métaphysiciens (Schopenhauer) comme pour les pionniers des sciences cognitives (Edelman) et, oserais-je dire, pour tout médecin, praticien de la pâte humaine aux prises avec les souffrances de la chair et de l’esprit. Je vous le disais bien. Il faut le répéter en refermant cet ouvrage. C’est une pépite d’intelligence et d’érudition. Sans nul doute il aura une suite et des développements qu’il nous faudra prendre en compte. C.-J. Blanc © 2003 Publié par Elsevier SAS. doi:10.1016/j.amp.2003.12.020
Parler d’alcool Michel Craplet Paris, La Martinière « Il n’est jamais trop tard pour... », 2003, 300 p. « Il existe une opposition claire entre alcoologues et psychiatres sur l’abord de la question alcool. » En effet, la consommation d’alcool provoque une « augmentation de la dépression, de l’angoisse, de la culpabilité » : elle ne saurait être considérée, de ce fait, « comme un simple symptôme parmi d’autres ». À l’abord du chapitre de son ouvrage consacré au soin, l’auteur souligne cette évidence, prise en compte de nos jours par un nombre sans cesse plus important de psychiatres. En effet, écrit-il, le temps n’est plus à la relégation des alcooliques hors de la cité, dans les hôpitaux psychiatriques. Certaines institutions mettent désormais en place de véritables unités d’alcoologie, suivant l’exemple de promoteurs, créateurs d’intersecteurs psychiatriques d’alcoologie. Enfin amorcée, c’est la réponse attendue aux obligations imposées par la sectorisation. Néanmoins, l’alcoolisation et ses avatars restent pour le plus grand nombre de nos confrères un sujet d’intérêt secondaire. Tantôt, le peu de considération dont pâtirent longtemps les alcooliques fait encore, insidieusement, long feu (il est tant de sujets plus nobles !) ; tantôt, la méconnaissance des acquis scientifiques fait oublier le rôle spécifique de l’alcool sur l’organisme et la vanité de la seule écoute bienveillante et de l’interprétation, lorsqu’un sujet est sous l’influence de l’alcool, intellectuellement affaibli ou alexithymique. L’importance de ce problème de santé publique n’est pourtant plus à souligner : il concerne cinq millions de nos concitoyens. C’est dire l’intérêt d’une information susceptible de sensibiliser les indifférents et sceptiques. Pour ce faire, Michel Craplet innove en la matière. Il ne propose pas un nouvel « abrégé » d’alcoologie, écrit à l’intention ciblée de telle ou telle catégorie professionnelle, psychiatre, alcoologue, généraliste, paramédical. Son ouvrage s’adresse à tous, malades, membres des groupes d’entraide, de l’entourage familial et social y compris. Il laisse une place privilégiée au discours des alcooliques, Marcel, Raoul, Maud, et les autres..., placés sur le pavois dès leur entrée sur la scène médicale. Ce sont les propos de salle d’attente de la star, du clochard, de la femme au foyer (personne n’est à l’abri des effets de ce breuvage, source d’apaisement parfois, de plaisir souvent, mais qui a le potentiel
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d’une drogue dure). Ce sont des tranches de dialogues recueillies à chaque instant d’un douloureux parcours. Le passage de l’abus à la dépendance, favorisé par les vulnérabilités individuelles et sociales, est abordé dans la même perspective, qui met en exergue le sentiment de culpabilité et la pudeur des alcooliques, plus conscients de « toucher le fond » que dans le « déni » que ressassent nos références classiques. Le retour à la liberté de s’abstenir d’alcool sous-tend une condition : accepter d’être aidé, selon les cas, en ambulatoire ou en institution. Les acteurs du soin accompagneront dans cette longue marche le patient et son entourage jusqu’à ce que changent habitudes et rituels, jusqu’à ce que change la vie. Si les alcooliques ont la primauté et la parole (le patient ne devrait-il pas être toujours au centre du système de soins, comme devrait être l’élève à l’école...), l’ouvrage de Michel Craplet se démarque évidemment du contenu des autobiographies de « malades rétablis », même s’il leur est fait référence. De la même façon, il cite les textes de certains « soignants » (il ne dit pas « auteurs »), lorsqu’ils font témoignage « des souffrances et des plaisirs retrouvés » des alcooliques. Les données scientifiques actuelles sur l’alcoolisme ne sont pas pour autant négligées, mais s’inscrivent en écho des propos des malades. Elles sont exposées de façon claire, accessible au plus grand nombre, avec la maîtrise d’un spécialiste de la communication. La logique de sa démarche épargne au lecteur les interminables débats terminologiques actuels, consacrés aux conduites d’alcoolisation, et « justifiés » par les besoins de la recherche. Buveur, alcoolique, des termes qui, pour être désormais écartés par les classifications internationales, expriment bien, entre soignants, soignés, entourage social, ce qu’ils veulent dire. En pratique alcoologique, il n’y a pas de recettes, mais des exemples, des modèles, ou des anti-modèles... (à chacun d’en tirer profit en fonction de sa personnalité, de sa formation, de ses projets et de ses conditions d’exercice). On les rencontre dans l’exercice professionnel, très exceptionnellement dans les témoignages écrits. Ici, l’auteur ose « se mettre en scène », citer son discours, ses prises de position lorsqu’il s’adresse à son interlocuteur : ainsi, le long dialogue avec Maud présente les diverses formes de psychothérapies et les étapes, accompagnées, d’une démarche personnelle vers la psychanalyse. L’auteur de Parler d’alcool a plusieurs passions, l’alcoologie clinique, l’information préventive, la littérature et l’écriture. Contenues dans cet ouvrage – compte tenu du dessein poursuivi – les citations sont certes, moins nombreuses, mais toujours choisies avec soins, pour souligner un propos, accentuer un éclairage. Mais il laisse la bride sur le cou à sa verve culturelle dans ses conclusions. « À la recherche du plaisir, de la sobriété et de la sagesse », il convoque philosophes, artistes et poètes... Michel Craplet aime écrire. Vous aimerez le lire. M. Bazot © 2003 Publié par Elsevier SAS. doi:10.1016/j.amp.2003.12.019