Cancer/Radiother 2002 ; 6 : 107-11 © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S1278321802001555/MIS
Compte rendu de congrès
La curiethérapie en France en 2000 : résultats de l’enquête nationale D. Peiffert* Département de radiothérapie, centre Alexis-Vautrin, 54511 Vandœuvre-lès-Nancy cedex, France
La curiethérapie en France a vu apparaître récemment des techniques modernes de traitement et de dosimétrie et de nouvelles sources de rayonnement. Les pratiques et indications se sont ainsi modifiées, au prix d’investissements importants. Une forte popularité émerge également en France, comme dans le reste de l’Europe et en Amérique du Nord, en raison de son utilisation dans des maladies fréquentes (cancer de la prostate, sténose coronarienne). Cependant, l’inadéquation des indicatifs économiques ralentit les investissements et fait craindre une sousutilisation. Les forts développements techniques de la radiothérapie externe et les investissements qui s’en suivent pour les années prochaines, ne doivent pas faire oublier la curiethérapie, élément indispensable de l’arsenal thérapeutique. A la veille de la mise en place du nouveau catalogue commun des actes médicaux, le point sur les pratiques récentes a été refait, ce qui permet une comparaison avec l’enquête de 1995, dont la plupart des items du questionnaire étaient communs [6] Les résultats partiels de cette enquête ont été présentés oralement aux Journées de curiethérapie de Nancy les 21-22 juin 2001. MATÉRIEL ET MÉTHODES Le formulaire d’enquête a été adressé en janvier 2001 aux 185 sites de radiothérapie français répertoriés dans l’Annuaire de cancérologie /radiothérapie et images médicales de France (ACRIM 1998) édité par A. Laugier. Un rappel postal puis par téléphone et par télécopie a permis de récupérer 166 réponses (90 %) en date du 1er juin 2001.
*Correspondance et tirés à part. Adresse e-mail :
[email protected] (D. Pfeiffert).
RÉSULTATS DE L’ENQUÊTE 2000
Activité de curiethérapie Parmi les 166 centres répondeurs, 91 avaient une activité de curiethérapie, permettant le traitement de 7 525 patients. Le nombre de chambres protégées était de 347 chambres (min = 2 ; max = 18).
Isotopes utilisés et projecteurs de sources Soixante-quinze centres utilisaient des sources de Césium 137 (851 sources) et disposaient de 151 projecteurs de sources. Soixante-cinq centres utilisaient des fils d’iridium-192, correspondant à une longueur totale de 580 mètres (de un à 34 fils d’Ir F1 par centre, moyenne = 8,9 mètres). Un projecteur de source pour curiethérapie de haut débit de dose (HDD) était utilisé dans 32 centres (figure 1). Des projecteurs de sources pour curiethérapie pulsée (PDR) étaient présents dans 12 centres (un à trois projecteurs par centre), réalisant le traitement de 89 patients (figure 1). Les grains d’Iode-125 ont fait leur apparition dans six centres pour le traitement par implants permanents de 346 cancers de la prostate. Les autres radioéléments, phosphore-32, or 198, ruthénium-106 et strontium-90 ont été utilisés sporadiquement.
Patients traités et mode de traitement Les 7 377 patients ont été traités dans 5 167 cas par une technique de curiethérapie de bas débit de dose, dont 89 de curiethérapie pulsée, dans 1 834 cas par une de curiethérapie de haut débit de dose, dans 30 cas par une de curiethérapie endocoronarienne, et dans 346 cas par implants permanents d’Iode-125.
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Curiethérapie prostatique par implants d’iode-125 Huit centres ont réalisé des traitements par implants permanents d’Iode-125, après avoir obtenu l’autorisation spécifique délivrée par la CIREA. Ils ont traité 346 patients [minimum : 4 ; maximum : 100]. Deux centres, en France, ont réalisé des curiethérapies de cancer prostatique par implants temporaires de sources d’Iridium 192 [minimum : 4 ; maximum : 113]. Curiethérapie endocoronarienne Sept centres ont réalisé des curiethérapies endocoronariennes chez 30 patients [minimum : 1 ; maximum : 6] par des radioéléments émetteurs de rayonnements b.
26 projecteurs de haut débit de dose déja installés en1995 6 projecteurs de haut débit de dose installés après1995 12 projecteurs de curiethérapie pulsée installés
Figure 1. Répartition des projecteurs de source de curiethérapie de haut débit de dose et de curiethérapie pulsée en France en l’an 2000.
Dosimétrie Les nouvelles techniques de curiethérapie de haut débit de dose, de curiethérapie pulsée et de curiethérapie par implants permanents d’Iode-125 font appel à un système de calcul de dose tridimensionnel avec calcul d’histogrammes dose-volume et des systèmes d’optimisation de la répartition de la dose. Ceci est quelquefois également réalisé dans le cadre de la curiethérapie de bas débit de dose. Ainsi, le taux de patients ayant eu une dosimétrie individualisée était de 90 %, identique à celui de 1995, mais le taux de patients ayant une dosimétrie tridimensionnelle était de 25 % en 2000 (1 896 patients), alors qu’il était quasi inexistant en 1995. COMPARAISON DES ENQUÊTES 1995 ET 2000
Curiethérapie de bas débit de dose et curiethérapie à débit pulsé Les deux techniques ont été regroupées dans le recueil des données, car l’utilisation de l’une ou l’autre conduit aux mêmes effets biologiques et tissulaires dans les conditions d’utilisation en France (débit de dose entre 0,5 et 1 Gy par heure). La répartition des indications apparaît dans la figure 2. Curiethérapie de haut débit de dose L’irradiation postopératoire des cancers du corps utérin, associée ou non à la radiothérapie externe, représente la principale indication avec 1 205 patientes traitées en 2 990 séances (moyenne = 2,5 séances / patiente). Le traitement des cancers bronchiques a concerné 165 patients traités par 648 séances. Le nombre de séances réalisées (moyenne de quatre séances par patient) reflète la forte proportion de patients traités à visée curative (généralement cinq fractions). La curiethérapie de haut débit de dose a fait son apparition dans le cancer du sein avec 278 patientes traitées (sur deux centres), ce qui représente 556 séances. L’utilisation de cette technique dans les cancers du nasopharynx, de la peau et des voies biliaires, reste exceptionnelle.
La baisse de 20 % du nombre de patients traités par une technique de curiethérapie (de 9 160 à 7 377 patients) nécessite d’être analysée. Seuls sept centres (– 7 %) ont déclaré avoir interrompu l’activité de curiethérapie au sein de leur structure, déléguant les patients à un centre référent par contrat de collaboration, le reste de la baisse d’activité étant répartie entre les autres centres.
Équipement Le nombre des projecteurs de sources de Césium a diminué (– 8 projecteurs : – 5 %) et plus fortement le nombre de sources disponibles (– 209 sources : – 20 %). Le nombre de fils d’Iridium commandés a également diminué de 14 % (– 93 mètres). Le nombre de chambres protégées a diminué de 5,2 % (– 19 chambres), proportionnel à l’arrêt d’activité des sept centres. Quant au transfert d’indications de curiethérapie de bas débit de dose vers le haut débit de dose (tableau I), la principale évolution provient de l’utilisation préférentielle du haut débit de dose dans le traitement des cancers de l’endomètre. La curiethérapie postopératoire du fond vaginal est devenue la pratique courante dans les adéno
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Figure 2. Répartition des 7 525 patients ayant reçu une curiethérapie en France selon le type de curiethérapie (BDD : bas débit de dose ; HDD : haut débit de dose) et le site des tumeurs concernées.
Tableau I. Comparaison entre 1991, 1995 et 2000 du nombre des patients ayant eu une curiethérapie de haut débit de dose par siège de tumeur. 1991
1995
2000
Bronches Œsophage Fond vaginal Sein ORL (cavum) Divers
342 59 27 0 6 0
371 232 628 0 10 51
165 109 1 205 274 5 79
Total
434
1292
1 834
carcinomes de stade I, les indications de curiethérapie utéro-vaginales restant limitées aux tumeurs avec envahissement cervical. Ainsi, l’utilisation de la curie à haut débit de dose a doublé en cinq ans (de 628 à 1 205) dans cette indication. Dans le traitement des cancers du col utérin, la curiethérapie de haut débit de dose reste confidentielle, utilisée dans quelques cas particuliers pour des patientes fragiles ne supportant ni l’hospitalisation, ni l’anesthésie générale.
Diminution de l’activité (tableau II)
Tableau II. nombre total de centres (N) ayant réalisé X applications de curiethérapie de bas débit de dose selon la localisation et détail (X < 10, X entre 10 et 49, X entre 50 et 100, X > 100, maximum) du nombre d’applications par centre, durant l’année 2000. BDD Gynéco ORL Sein
N 88 58 48
< 10
10–49
50–100
> 100
Max
9 42 31
64 12 13
14 3 3
1 0 1
160 74 101
Cancers utérins L’activité globale de curiethérapie gynécologique ne s’est pas modifiée significativement, avec respectivement 4 300 et 4 130 applications en 1995 et 2000. La curiethérapie de bas débit de dose a été moins utilisée pour des cancers du col utérin (1 567 et 1 270 patientes, soit une diminution de 13 %), ceci en raison probablement de la baisse de l’incidence des cancers du col infiltrants (3 200 cas incidents en 1995, soit une réduction de 45 % par rapport à 1975) [4]. Il n’y a pas eu de modification du nombre de patientes traitées pour un cancer de
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l’endomètre (2 409 et 2 473 patientes), mais uniquement une modification de la technique. Cancers ORL Le nombre de patients traités a fortement diminué (– 46 %) entre 1995 et 2000. Le nombre de centres ayant effectué des curiethérapies ORL est passé de 75 à 58 (– 20 %). Le tableau II confirme cette baisse du nombre de patients traités, y compris dans les centres les plus actifs (maximum passé de 117 à 74). Elle peut s’expliquer par une diminution de l’incidence des cancers ORL (– 10 %) mais surtout une modification des indications de la curiethérapie au profit de la chirurgie pour les petites tumeurs et de la chimioradiothérapie pour les grosses tumeurs. Cancers du sein (bas débit et haut débit de dose) Le nombre de patientes traitées a diminué de 30 % entre 1995 et 2000. Le nombre de centres ayant effectué une curiethérapie du sein est passé de 62 à 48. Cette réduction ne s’explique pas par une réduction de l’incidence, ni pas une restriction des indications, alors que le complément d’irradiation de la cicatrice se généralise. La complexité de la technique et la nécessité de prolonger l’hospitalisation n’incitent pas dans la plupart des cas à utiliser la curiethérapie de bas débit de dose, malgré son efficacité mise en évidence dans les traitements non chirurgicaux [2]. L’utilisation par deux centres du haut débit de dose dans les cancers du sein est destinée à réduire l’hospitalisation en permettant les soins postopératoires alors que l’irradiation débute. Une alternative existe avec la curiethérapie pulsée dans cette indication, mais les résultats carcinologiques et cosmétiques mériteraient d’être évalués (moindre irradiation cutanée). Cancers cutanés Le nombre de patients traités a chuté de 41 % entre 1995 et 2000 (de 610 à 359), ce qui est également lié à une redistribution des indications thérapeutiques. DISCUSSION D’importantes modifications sont survenues dans le domaine de la curiethérapie entre 1995 et 2000, ce qui reflète bien les bouleversements en cours, liés au fort développement technologique. Si peu de centres ont interrompu leur activité de curiethérapie (déléguée à des centres référents par convention), l’activité globale a fortement diminué. Les investissements se sont poursuivis, et la majeure partie des régions est actuellement équipée de projecteur de source de curiethérapie de haut débit de dose malgré des régions encore non- ou sous-équipées. Le développement
de la curiethérapie pulsée est amorcé, mais reste faible, non seulement par le nombre de projecteurs installés, mais également par le peu de patients traités par cette technique. Les bénéfices de la curiethérapie pulsée sont donc sous-exploités, autant pour la radioprotection du personnel, que pour le traitement des patients (optimisation de la répartition de la dose et prescription du débit de dose optimal). La technique, il est vrai, nécessite une disponibilité importante des médecins et radiophysiciens, et une information du personnel soignant. De plus, si les résultats apparaissent comparables à ceux de la curiethérapie de bas débit continu, avec une utilisation facile pour les applications interstitielles avec des aiguilles droites [3], la difficulté d’utilisation pour des implantations par tubes plastiques en réduit l’utilisation [5]. L’adaptation des moules vaginaux est également délicate. Cependant, l’accès à l’imagerie tridimensionnelle et à la possibilité d’optimisation de la répartition de la dose doit faire poursuivre l’investissement matériel et humain dans cette technique. L’activité de curiethérapie de haut débit de dose augmente nettement, avec une généralisation de la curiethérapie postopératoire prophylactique vaginale après hystérectomie dans les cancers de l’endomètre [1]. Le haut débit est par ailleurs utilisé pour le traitement à visée curative des cancers bronchiques inopérables, pour lesquels l’analyse des résultats de plusieurs séries montre une efficacité de la technique [7, 8]. Par contre, la curiethérapie de haut débit de dose est délaissée pour des tumeurs pour lesquelles elle paraissait devoir initialement se développer, telles les cancers de l’œsophage, des voies biliaires et du nasopharynx. Les résultats encourageants de la chimioradiothérapie et les possibilités de la radiothérapie conformationnelle expliquent ce déclin. Enfin, nous assistons en cette année 2000 à l’apparition des nouvelles techniques qui sont promises à un développement rapide et massif. La curiethérapie par implants permanents d’Iode-125 a été réalisée chez 346 patients alors que la moitié des services utilisateurs avaient débuté cette activité en cours d’année. Ainsi, en 2001, le nombre d’implants réalisés sera compris entre 800 et 1 000, ceci malgré l’absence de valorisation économique actuelle. La prévention des resténoses coronariennes par curiethérapie endocoronarienne se développe plus lentement en raison de difficultés de mise en place des équipes au sein des services de cardiologie et des résultats encourageants de méthodes n’utilisant pas les radioéléments. Au total, nous assistons à un tournant dans les activités et investissements de curiethérapie. Les techniques classiques de bas débit de dose sont loin d’être abandonnées mais le développement des nouvelles méthodes se poursuit, bien qu’à un rythme plus faible que celui prévu. Ceci peut être en partie lié à l’effort important d’investissement
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La curiethérapie en France en 2000
financier mais également humain (radiothérapeutes, radiophysiciens, manipulateurs) nécessaire à la réalisation de radiothérapie externe conformationnelle, bientôt avec modulation d’intensité. Ceci ne doit pas se faire au détriment de la curiethérapie, dont l’efficacité est réelle et parfois inégalée par la radiothérapie externe, en raison d’une meilleure balistique et d’un repérage clinique ou radiographique (ou échographique) plus précis du volume cible, particulièrement pour des organes de petite taille, mobiles et proches des structures sensibles. La curiethérapie reste le meilleur modèle d’irradiation conformationnelle accélérée, hyperfractionnée. Les programmes de modernisation des services de radiothérapie et de développement des moyens techniques et humains, doivent également inclure la mise à niveau des équipements de curiethérapie. L’investissement important peut nécessiter des regroupements sur des plateaux techniques possédant tous les moyens actuellement disponibles. Ceci permettra aux patients d’accéder à ces traitements, quel que soit leur éloignement d’un centre de curiethérapie. CONCLUSION L’enquête 2000 confirme le tournant que prend la curiethérapie, avec une modification des techniques et l’apparition de nouvelles indications très prometteuses. Ceci rend nécessaire une restructuration des services et la mise à disposition des moyens nécessaires, la reconnaissance et la valorisation économique de cette activité, ceci
en harmonie avec le développement de la radiothérapie externe.
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