La gestion des risques en radiothérapie

La gestion des risques en radiothérapie

Volume 97 • N° 7 • juillet 2010 Synthèse General review ©John Libbey Eurotext La gestion des risques en radiothérapie Risk assessment in radiation ...

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Volume 97 • N° 7 • juillet 2010

Synthèse General review

©John Libbey Eurotext

La gestion des risques en radiothérapie Risk assessment in radiation therapy P. François1, P. Giraud2, V. Mollo3, E. Lartigau4 1Institut Curie, Département d’oncologie-radiothérapie, Paris, France 2Hôpital européen Georges-Pompidou, Département d’oncologie-radiothérapie, Université Paris-Descartes, Paris, France 3Conservatoire national des arts et métiers, Paris, France 4Faculté de médecine, Centre Oscar-Lambret, Département universitaire de radiothérapie, Université Lille-II, France

Article reçu le 8 mars 2010, accepté le 27 mai 2010 Tirés à part : P. François

Résumé. La radiothérapie a été l’une des premières spécialités médicales à implémenter l’assurance qualité (AQ) dans sa pratique quotidienne. Ces programmes d’AQ sont longtemps restés focalisés sur la performance des équipements négligeant l’importance du facteur humain. Le management du risque est une problématique relativement nouvelle dans cette discipline médicale. Des méthodes d’évaluation et de management des risques doivent donc être identifiées et mises en œuvre en les adaptant aux spécificités de ce domaine. En s’appuyant sur l’expérience de l’industrie, la gestion des risques doit nous permettre de faire des progrès substantiels en matière de sécurité et de développer nos propres modèles de gestion. Des expériences récentes utilisent ces approches pour mettre en œuvre des démarches de management des risques dans les services de radiothérapie.

Abstract. Radiation therapy was one of the first medical specialities to implement quality assurance (QA) programs in clinical practice. These QA programs have mainly focused on equipment performance neglecting human factors. Risk management is a relatively new approach in medical disciplines. Methods of evaluation and risk management must be identified, applied and adapted to the specificities of this domain. Based on the experience of industry, risk management will allow us to substantially improve safety and develop our own models of management. Recent experiences use these approaches to implement risk management in radiation therapy departments.





Mots clés : risques, sécurité, radiothérapie

doi: 10.1684/bdc.2010.1147

Introduction Les établissements de santé mettent en œuvre différentes pratiques de soins afin d’apporter un bénéfice aux patients. Ces pratiques peuvent parfois entraîner des conséquences négatives qui sont néanmoins justifiées par le bénéfice attendu pour le patient. La notion de « bénéfice/risque » consiste donc en la prise en compte d’une conséquence potentiellement négative accompagnant la recherche du bénéfice médical. En radiothérapie, les avancées scientifiques et technologiques ont permis des progrès considérables dans l’efficacité clinique de la prise en charge des patients. Toutefois, ce gain d’efficacité s’accompagne de l’apparition de risques nouveaux qu’il faut identifier et maîtriser. Bull Cancer vol. 97

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Key words: risks, safety, radiotherapy

La radiothérapie a été l’une des premières spécialités médicales à implémenter l’assurance qualité (AQ) dans sa pratique quotidienne. Cependant, l’approche par le risque est une problématique relativement nouvelle dans cette discipline. Il convient donc d’identifier et de mettre en œuvre des méthodes d’évaluation et de management des risques en les adaptant aux spécificités de ce domaine permettant de répondre à des questions du type : – quelle est la gravité de l’incident qui vient de se produire sachant qu’il n’y a pas de conséquence pour le patient ? – parmi ces incidents, quels sont ceux qui ont fait courir un réel danger aux patients ? – l’organisation en place est-elle capable de prévenir ou d’atténuer les différents incidents qui peuvent se produire au sein de notre service ?

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– la formation de sécurité qui vient d’être donnée aux personnels est-elle adaptée et opérationnelle ? – comment mesurer, au fil des évolutions durant ces trois dernières années, la dégradation des dispositifs de sécurité mis en place ? Historiquement, pour des raisons d’efficience, c’est dans l’industrie que la gestion des risques a permis des progrès substantiels de la sécurité. Dans plusieurs secteurs, elle est parvenue à un stade de maturité même si le risque ne peut jamais être totalement éliminé. Des expériences récentes utilisent ces approches pour mettre en œuvre des démarches de gestion des risques dans les services de radiothérapie. Le nouvel enjeu pour la radiothérapie consisterait à mettre en place des politiques de « défense en profondeur » garantissant que les conséquences de tout incident, si incident il y a, restent dans des limites acceptables. Avant d’arriver à une telle mise en œuvre, particulièrement coûteuse en moyens humains pour nos structures hospitalières, d’autres méthodes de qualité-sécurité devraient nous permettre d’améliorer significativement nos organisations. Le respect des exigences de sécurité ne doit plus être vécu comme une contrainte dans la production des soins. L’implication des patients dans la gestion des risques constitue également une voie d’amélioration possible. Il est donc important de s’intéresser à la place que ceux-ci peuvent avoir pour diminuer ces risques malgré les difficultés et les limites de ce type d’approches.

Radiothérapie et ses spécificités Une unité de radiothérapie est un système complexe [1-2] dont l’ensemble des éléments (intervenants, dispositifs médicaux, logiciels, etc.) interagissent pour un objectif commun : offrir au patient un soin de haute qualité en toute sécurité. L’augmentation du taux de survie, combinée à la baisse du taux d’effets secondaires précoces et tardifs, constitue les indicateurs ultimes de la qualité en radiothérapie oncologique. La réalisation d’un traitement par irradiation externe suppose une prescription médicale par le radiothérapeute (volume à traiter, dose, limites de dose aux organes à risque et la date de début de traitement). La préparation du traitement débute avec l’acquisition des données anatomiques du patient, puis continue par la définition des volumes à traiter. Le choix de la technique d’irradiation est également fondamental (type,

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nombre de faisceaux, géométrie, etc.) et qui se poursuit par un processus d’optimisation élaboré conjointement par différents professionnels (dosimétristes, physiciens, manipulateurs, oncologues radiothérapeutes). C’est donc un processus de construction collective d’une solution optimale pour chaque patient. Cette solution pouvant être différente d’un patient à l’autre et d’un centre à l’autre. Elle est fonction des caractéristiques du patient, des équipements disponibles, de la maîtrise technique et de l’organisation mise en place. C’est donc une activité de coopération où le partage du travail se fait en fonction des connaissances et des compétences des acteurs principaux : oncologue radiothérapeute (prescription), physicien médical (délivrance) et manipulateur (administration). Ce processus comporte de nombreuses étapes où ces acteurs sont interdépendants. Toutefois, ce système de soin doit en parallèle répondre à bien d’autres objectifs. Parmi ces objectifs, on peut distinguer la gestion et la performance des personnels, les contraintes budgétaires, les effets d’image ainsi que répondre aux contraintes externes telles que la réglementation. Lorsque ce système de soin n’a pas été pensé pour tenir compte de tous ces objectifs contradictoires alors, à terme, le niveau de qualité et de sécurité des soins diminue. Chaque institution possède une combinaison unique de fonctionnement de service, logiciels, niveaux de performance qui rendent difficiles la généralisation d’un modèle de gestion de la sécurité. Les procédures cliniques doivent être flexibles et adaptables aux différents patients, ce qui a pour conséquence de rendre très complexes les relations entre médecins, physiciens, manipulateurs et autres personnels. De ce fait, le temps nécessaire et les solutions pour sécuriser une tâche particulière varient considérablement. De plus, durant le temps d’élaboration et de consolidation de ces solutions, il n’est pas rare d’avoir à faire face à des changements tels que les évolutions technologiques et logicielles qui peuvent fortement impacter, voire invalider la démarche et les solutions retenues. L’échelle de temps dans un système qualité obéit à un cycle d’environ dix ans. À technique et technologie constantes, ce délai est nécessaire pour aboutir à un niveau de qualité et de sécurité optimum. Or, en radiothérapie, les rythmes de variation des connaissances, des techniques et de la technologie sont parfois bien plus courts. Il y a donc ici une problématique particuBull Cancer vol. 97

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lière et une spécificité dont il faudra tenir compte dans l’élaboration des solutions. Par exemple, l’élaboration de procédures formelles permettant d’évaluer les risques inhérents à l’introduction de nouvelles technologies et/ou techniques de traitement.

Prévention et management du risque Malgré toutes ces spécificités, on peut dire que notre système de santé peut et doit pouvoir bénéficier, dans un premier temps, de l’expérience des industries à risque pour pouvoir dans un deuxième temps être en mesure d’élaborer ses propres solutions. Depuis quelques années, nous assistons donc à un transfert de méthodes de l’industrie à risque vers le milieu médical : – méthodes d’identification des risques : • réels survenus : prospective systémique avec enregistrement des événements précurseurs et retour d’expérience (REX) ; • potentiels attendus : systématique par l’analyse des modes de défaillance et de leur criticité (AMDEC) ; – méthodes de réduction des risques : défense en profondeur ; – méthodes de suivi et d’analyse des processus ; – maîtrise statistique des processus (MSP). Si la gestion des risques vise, par essence, à garantir la sécurité des soins prodigués aux patients, ces derniers ne sont pas, ou très rarement, considérés comme des acteurs pouvant contribuer à l’amélioration de la sécurité [3]. Dans une deuxième partie, nous nous proposons d’analyser si la participation des patients constitue une voie prometteuse d’amélioration de la sécurité ou non.

Méthodes issues de l’industrie Il est donc important d’évaluer des démarches de mitigation (atténuation) des erreurs plus formelles et des méthodes d’analyse des processus afin d’optimiser et de focaliser les ressources en AQ sur les composantes du processus pouvant significativement compromettre la sécurité du patient ou le résultat thérapeutique. Enregistrement des événements précurseurs et leur traitement : le comité de retour d’expérience (CREX) La notion de REX correspond à un processus global organisé autour d’une déclaration prospective et systématique des incidents constatés (événement précurseur) survenus lors de l’activité de soin ou autour Bull Cancer vol. 97

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de celle-ci (secrétariat, rendez-vous, etc.). Ces événements sont enregistrés, hiérarchisés, analysés (méthode ORION) [4] et traités (actions correctives) par le CREX afin d’éviter leur répétition et d’éliminer le passage à l’accident [5-8]. Issu du monde de l’aérien où il a fait ses preuves depuis 30 ans, le REX a l’énorme avantage de sensibiliser l’ensemble des personnels en les rendant acteurs de la sécurité. Il ne s’agit pas de laisser ce champ à uniquement des « spécialistes qualité », mais de faire de tous au quotidien, les acteurs vigilants de la détection des incidents et de leur traitement. Cette mise en œuvre, après sensibilisation, a été déployée en France dans plus de 50 services de radiothérapie et peut être considérée maintenant comme validée en radiothérapie. Impliquant une parfaite gestion documentaire (encore trop embryonnaire dans nos organisations) et une sensibilisation des personnels (radiotherapy resource management), il s’agit très certainement du socle indispensable avant le déploiement d’actions de type « défense en profondeur ». Analyse des modes de défaillance (AMDEC) : où faire porter les efforts ? C’est un procédé systématique pour identifier les modes potentiels de défaillances avant qu’elles ne surviennent, avec l’intention de les éliminer ou de minimiser les risques associés [9]. Cette technique multidisciplinaire d’analyse de risque est utilisée pour déterminer : – les modes de défaillance potentiels d’un procédé ou d’un produit en analysant : • la sévérité de leurs effets ; • la probabilité d’occurrence ; – les causes et mécanismes associés avec chaque mode de défaillance avec ; • l’habileté à les détecter. Par conséquent, une AMDEC (ou méthodes équivalentes) peut, potentiellement, grandement améliorer la compréhension des aspects les plus risqués du processus de radiothérapie conduisant à identifier les tâches d’AQ les plus efficientes et les améliorations à apporter aux processus. Défense en profondeur : réduire les risques et atténuer leurs effets C’est l’ensemble des dispositions et moyens organisés, assurant la maîtrise des effets finaux susceptibles d’être créés par toutes formes d’incidents sur des éléments sensibles (hommes, système, entreprise et/ou environ-

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nement). Elle repose sur les notions fondamentales suivantes : – des lignes de défense, successives et autonomes ; – la globalité de la défense ; – un traitement unitaire des « menaces ». Le système se structurant par ligne de défense, chaque ligne de défense se déclinant par élément de défense, chaque élément de défense se réalisant par un ou des moyens d’action (figure 1). Il permet donc d’assurer la défense en profondeur d’éléments sensibles vis-à-vis d’incidents par : – la non-apparition de l’événement pouvant conduire à un effet final (ligne de prévention avec ses éléments de prévention) ; – le maintien de l’effet final dans les limites acceptables par les éléments sensibles (ligne de protection avec ses éléments de protection) ; – une limitation des conséquences en cas de risque de dépassement des limites acceptables (ligne de sauvegarde avec ses éléments de sauvegarde). Il est à noter que l’efficacité du système mis en place devra être évaluée régulièrement par la mise en place d’indicateurs de suivi dans le temps. On perçoit aisément que la robustesse du processus ne peut qu’être renforcée par les patients eux-mêmes, signalant les éléments discordants avant, pendant et surtout après la proie en charge thérapeutique (bénéfice thérapeutique : contrôle de la maladie versus morbidité des traitements). MSP : surveiller efficacement même quand tout semble aller bien La MSP est issue des travaux de Shewhart [10] à la fin des années 1920. Il proposa d’utiliser des représenta-

tions graphiques d’outils statistiques afin de détecter les causes de dérive de la qualité d’un produit [11]. Cette approche définit la qualité comme une caractéristique ou un ensemble de caractéristiques qui font qu’un produit ou un service est satisfaisant pour le client, c’est-à-dire conforme à ses tolérances et à ses spécifications [12, 13]. L’objectif de la MSP est donc de mettre le processus sous contrôle en maîtrisant sa variabilité par deux actions principales : – la mise en place d’indicateurs permettant de suivre la qualité du processus dans le temps ; – la détection, puis la suppression des effets des causes de variabilité perturbant le processus. Nous voyons donc que le point central de la méthode MSP repose sur une démarche processus. C’est donc en maîtrisant le processus de délivrance de la dose dans sa globalité (sur l’ensemble des patients) que l’on parvient à maîtriser les valeurs individuelles (ici la dose délivrée à un patient) et à garantir une meilleure sécurité. Il s’agit d’une méthode préventive de gestion de la qualité qui vise à amener le processus au niveau de qualité et de sécurité requis et à l’y maintenir grâce à un système de surveillance basé sur une analyse statistique. L’analyse étant réalisée au cours de l’élaboration du processus, elle va ainsi permettre d’anticiper les dérives (à l’aide des cartes de contrôle) et d’appliquer des actions correctives avant de produire des valeurs hors tolérances (figure 2). La MSP fait donc évoluer le contrôle d’une méthode a posteriori (contrôle du produit fini) à une méthode d’anticipation (contrôle en cours d’élaboration) et s’inscrit dans le cadre d’une démarche d’amélioration

Figure 1. Illustration de la défense en profondeur (Courtoisie de J.-Y. Giraud, CHU de Grenoble).

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3 causes assignables potentielles 3,0 %

-3σ-2σ -1σ 1σ 2σ 3σ mean 99,73 %

Résultats contrôles

2,5 % 2,0 % Lim sup 1,5 % 1,0 %

Lim centrale

0,5 % 0,0 %

- 0,5 % Lim inf - 1,0 % - 1,5 %

0

10

20 Nº patient

30

40

Figure 2. Exemple de carte de contrôle (Courtoisie de K. Gérard, CLCC de Nancy) [13].

continue de la qualité. Cette méthode est indispensable au niveau de la gestion des équipements, mais reste plus difficilement applicable aux processus d’organisation médicale.

Patients : partenaires actifs pour la gestion des risques ? Enjeux de la participation des patients à la sécurité en radiothérapie La sécurité des soins est devenue une priorité centrale pour les politiques publiques, et ce, partout en Europe. Les incidents ou accidents de radiothérapie relatés dans les médias ont accru la prise de conscience des autorités publiques et des citoyens quant aux risques associés aux soins médicaux. Dans ce contexte, l’implication des patients dans la gestion des risques constitue une voie d’amélioration possible, et ce, à plusieurs titres. Premièrement, le nombre de patients atteints de cancer augmente chaque année, avec 280 000 nouveaux cas diagnostiqués. En France, en 2004, 24 % des hospitalisations comptabilisées concernaient la prise en charge du cancer, et on estime qu’environ 180 000 patients atteints de cancer bénéficient d’une radiothérapie chaque année [14]. Ces chiffres, qui malheureusement vont s’accroître dans les prochaines années, accentuent les risques associés aux soins, et témoignent de l’importance de s’intéresser à la place que peuvent avoir les patients et leurs familles pour diminuer ces risques. Bull Cancer vol. 97

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Deuxièmement, promouvoir une participation active des patients dans la gestion des risques répond aux objectifs de la loi du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, qui vise à instaurer une démocratie sanitaire. La participation est vue comme un moyen d’améliorer le fonctionnement des systèmes de santé, de développer le pouvoir d’agir des citoyens et de mieux équilibrer les intérêts de toutes les parties [15]. Cela répond également aux demandes des patients eux-mêmes, qui souhaitent être plus autonomes et mieux impliqués dans les décisions concernant leur santé [16]. Mais en dépit des évolutions majeures de notre pays en matière de participation des patients, les initiatives en place (conseils régionaux de santé ; le Ciss ; le Haut Conseil de la Santé publique, les Cruq, etc.) se heurtent à deux limites essentielles. La première renvoie à la conception même de la participation, qui est souvent assimilée à la représentativité des usagerscitoyens dans les débats et décisions publiques [17]. Or, la participation ne peut se limiter à la seule présence physique : les usagers-citoyens doivent être impliqués de manière active et assurer des actions spécifiques. Cela suppose que le cadre même de réalisation de la participation soit défini. La seconde limite concerne les liens aujourd’hui quasi inexistants, en France, entre participation des usagers-citoyens et sécurité des soins. Les approches poursuivies sont essentiellement prescriptives (accroissement des procédures et des réglementations) et prennent insuffisamment en compte par ailleurs les modèles développés par l’économie des services, qui insistent sur la coopé-

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ration avec les usagers, c’est-à-dire sur la participation de ces derniers à la réalisation du service. D’un modèle paternaliste vers un modèle coopératif : la participation des patients à la sécurité des soins Le soin est une relation de service [18]. Ainsi, les modèles des relations de service qui ont été développés dans d’autres situations de travail (banques, assurance, etc.) peuvent s’appliquer au domaine de la santé [19]. Ces modèles reposent sur une vision participative où la production du service est vue comme une activité coopérative. Ils s’apparentent au modèle de la décision partagée décrit dans la littérature médicale [20, 21] qui cite quatre caractéristiques des situations de service : – un objet de travail commun (la santé des patients) ; – l’inégalité des moyens (physiques ou cognitifs) ; – l’existence de moyens complémentaires de part et d’autre, qui font que l’objectif ne peut être atteint par l’un ou l’autre acteur pris isolément. En effet, si le professionnel de santé dispose de l’expertise clinique nécessaire à la décision, le patient va juger de l’impact des traitements sur sa qualité de vie [22] ; – une relation d’aide instituée socialement, exigeant d’une part, la disponibilité du spécialiste, d’autre part la sincérité de la demande de l’usager, et enfin, de part et d’autre, le devoir de mise en œuvre des moyens disponibles pour satisfaire la demande. La participation des patients à la sécurité des soins peut être définie comme les actions mises en œuvre par les patients pour réduire la probabilité d’erreurs médicales et/ou pour atténuer les effets des erreurs lorsqu’elles surviennent effectivement [23]. Les raisons qui justifient une plus grande participation des patients à la sécurité des soins sont nombreuses. Premièrement, les patients sont au cœur du processus de soin, non seulement parce qu’ils sont les uniques bénéficiaires du soin, mais aussi parce qu’ils peuvent observer l’ensemble du processus de soins [24], qui s’étend jusqu’aux soins à domicile. Cela leur permet de détecter et de signaler des erreurs éventuelles, et donc de contribuer à l’amélioration de la sécurité. Deuxièmement, tout comme les professionnels de santé, les patients eux aussi peuvent commettre des erreurs [25]. Cela constitue une raison supplémentaire de permettre aux patients de jouer un rôle actif dans la gestion de la sécurité. C’est un moyen d’améliorer la prise de conscience des patients et des professionnels de santé, et

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plus généralement des citoyens, à propos de la sécurité des soins, et de réduire la probabilité d’erreurs par une gestion coopérative de celles-ci. Troisièmement, l’accès à l’information médicale est facilité par les médias et Internet, et cela impacte la relation entre les professionnels de santé et les patients, ces derniers étant plus exigeants sur certains aspects de leurs soins. En dépit de la nécessité de contrôler la diversité des connaissances accessibles sur Internet, le niveau grandissant de connaissance des patients amène à penser que ces derniers sont de plus en plus capables de jouer un rôle actif dans la gestion de la sécurité des soins : en étant mieux informés sur le processus de soin, ils sont plus à même de détecter des événements indésirables ou inhabituels. Conditions et obstacles à la participation Considérer l’individu comme étant au centre du processus de soin implique de lui donner suffisamment de pouvoir pour agir, c’est-à-dire de renforcer sa capacité à agir sur les facteurs déterminants de sa santé [26]. Mais cela nécessite également de définir le cadre de la participation, celle-ci ne devant être préjudiciable, ni pour les patients ni pour les professionnels de santé. Développer le pouvoir d’agir des patients Selon Doumont et Aujoulat [26], le pouvoir d’agir désigne « la capacité d’un individu à prendre des décisions et à exercer un contrôle sur sa vie personnelle ». Développer le pouvoir d’agir des patients consiste à renforcer les capacités des patients de façon à leur permettre de participer activement à la gestion de leurs soins et de contribuer plus largement à la gestion du système de santé [27]. Cela repose sur au moins trois conditions [28]. D’une part, les patients doivent être informés et formés. Comme le souligne Amalberti [29], l’éducation thérapeutique est un outil essentiel pour renforcer les compétences de compréhension des patients et leur rôle actif dans l’autosurveillance des risques associés aux maladies graves et chroniques. Cela requiert non seulement l’interaction entre professionnels de santé et patients, mais aussi la formation des professionnels de santé, et un effort délibéré dans les politiques de santé afin qu’une telle participation informée soit possible. D’autre part, les patients doivent être activement impliqués dans les décisions de traitement. Si le médecin possède l’expertise clinique relative aux différents traitements (à leurs bénéfices et à leurs risques), le patient Bull Cancer vol. 97

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dispose de plus amples connaissances sur la manière dont ces traitements vont influencer sa qualité de vie. Or, une décision thérapeutique ne peut être considérée comme acceptable que si elle intègre ces deux types de connaissances [28]. Enfin, patients et professionnels de santé doivent devenir des partenaires. Ce partenariat n’a rien d’évident dans un contexte professionnel marqué par une culture d’expertise médicale [30] qui infantilise et exclut de fait le patient en tant qu’acteur de la décision. Cette révolution culturelle apparaît aujourd’hui comme une condition nécessaire pour promouvoir une démocratie sanitaire. Cependant, si la participation des patients est une voie d’amélioration prometteuse, ce ne peut être une condition que l’institution exige du patient : cela doit être perçu comme une possibilité, un plus grand degré de liberté laissé à ce dernier. Définir le bon niveau de participation Dans le cadre d’une étude réalisée dans le domaine de la cancérologie, Falzon et Mollo [30] soulignent deux conditions essentielles au développement de la participation des patients. D’une part, la participation ne peut être considérée comme un prérequis stable, mais comme une construction dynamique qui évolue tout au long de la prise en charge thérapeutique. En effet : – les formes de participation varient selon les patients et doivent être adaptées en fonction de la volonté de ces derniers de participer, mais aussi de leur aptitude à participer. En effet, des caractéristiques telles que l’âge, le niveau socioculturel, le niveau d’éducation, etc., peuvent compromettre la capacité des patients à comprendre les informations relatives aux traitements, à apprécier comment ces informations s’appliquent à leur situation, à raisonner avec ces informations et à effectuer un choix ou à l’exprimer [31] ; – la participation dépend également de l’attitude des professionnels de santé, qui sont plus ou moins enclins à impliquer les patients, et plus ou moins formés pour cela ; – les besoins des patients, tout comme l’aptitude des professionnels de santé à faire participer les patients, peuvent évoluer tout au long de la prise en charge ; – responsabiliser les patients peut avoir des conséquences néfastes sur leur bien-être (stress, anxiété) [32]. Cependant, la notion de responsabilité doit être modulée. En effet, faire participer plus activement les Bull Cancer vol. 97

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patients à la gestion de la sécurité signifie les responsabiliser afin qu’ils deviennent acteurs de leurs propres soins. Cette définition de la responsabilité écarte la responsabilité vis-à-vis de la décision clinique : celle-ci incombe, indiscutablement, aux professionnels de santé. De même, il ne s’agit pas de diminuer le pouvoir d’agir des professionnels de santé, mais d’aller vers une gestion coopérative de la sécurité qui tire avantage de toutes les parties. D’autre part, améliorer la participation des patients ne se limite pas à transformer les pratiques des professionnels de santé, mais suppose d’agir aussi sur la relation de service. Ainsi, pour être effectif, un modèle participatif doit tenter de modifier le comportement des professionnels, mais aussi l’aptitude des patients à participer. Cela nécessite une réflexion sur les ressources organisationnelles, techniques et sociales à mettre en place afin de permettre une meilleure participation.

Conclusion Bien que la radiothérapie ait établi des programmes d’AQ bien avant la plupart des autres disciplines médicales, ces programmes sont longtemps restés focalisés sur la performance des équipements. L’analyse de la plupart des incidents met très souvent en évidence l’importance du facteur humain et montre que la technologie et les solutions d’assistance à l’opérateur ne suppriment pas les erreurs, elles ne font que les déplacer. C’est en prenant exemple sur l’industrie que la gestion des risques doit nous permettre de faire des progrès substantiels en matière de sécurité et de développer nos propres modèles de gestion. Il convient donc d’identifier et de mettre en œuvre des méthodes d’évaluation et de management des risques en les adaptant aux spécificités de ce domaine. Des expériences récentes utilisent ces approches pour mettre en œuvre des démarches de gestion des risques dans les services de radiothérapie. Les patients ont également un rôle à jouer pour assurer leur propre sécurité dans leur parcours de soin. Les professionnels devront donc modifier leur comportement et réfléchir sur les ressources organisationnelles, techniques et sociales à mettre en place afin de permettre une meilleure participation des patients. Le lecteur lira avec profit dans ce même numéro l’article de Lisbona et al. sur l’AQ en radiothérapie [33].



Conflits d’intérêts : aucuns.

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• N° 7 • juillet 2010