Annales Franc¸aises d’Anesthe´sie et de Re´animation 32 (2013) 82–83
E´ditorial
La goutte qui fait de´border le vase Eye drops in anesthesia: Real drugs, real adverse events
I N F O A R T I C L E
Mots cle´s : Collyre Phe´nyle´phrine Anesthe´sie Effets inde´sirables Keywords: Eye drops Phenylephrine Anesthesia Adverse event
A` l’heure actuelle, les collyres ne sont pas conside´re´s comme de « vrais » me´dicaments, aussi bien par les praticiens que par les patients. Pourtant, a` la diffe´rence des me´dicaments pris par voie orale qui sont de´grade´s de 40 a` 70 % lors du first-pass he´patique, il existe, lors de l’utilisation de collyre, une absorption via les voies lacrymales et une diffusion syste´mique rapide et importante sans de´gradation [1,2]. Cette diffusion explique les effets secondaires majeurs de´crits et publie´s, aussi bien pour les collyres utilise´s en traitement de fond (type b-bloquant) que pour les collyres destine´s a` faciliter une chirurgie (type phe´nyle´phrine) [3]. Ces effets secondaires e´tant majoritairement he´modynamiques, leurs conse´quences sont d’autant importantes qu’elles touchent des patients aˆge´s et atteints de pathologies cardiaques [4]. Ainsi, si des allergies, des e´pidermolyses toxiques lors de l’utilisation de collyres antibiotiques ont e´te´ de´crites [5], ou encore des acidoses me´taboliques avec l’emploi d’inhibiteurs de l’anhydrase carbonique (Azopt1) [6], seuls les effets de deux classes de collyres me´ritent d’eˆtre particulie`rement connus de l’anesthe´siste : ceux des b-bloquants dans le cadre du traitement du glaucome et ceux des agents mydriatiques utilise´s en pe´riope´ratoire. Les collyres antiglaucomateux sont prescrits a` plus de 500 000 patients en France. Ces produits sont des me´dicaments puissants [7]. A` titre d’exemple, une goutte de Timolol1 0,5 % de´pose´e dans chaque œil produit le meˆme effet he´modynamique que la prise d’un comprime´ de Timacor1 10 mg, cette dose de Timacor1 e´tant la posologie habituelle utilise´e pour initier le
DOI de l’article original: http://dx.doi.org/10.1016/j.annfar.2012.12.009
traitement d’une hypertension arte´rielle. A` l’instauration du traitement, les collyres b-bloquants sont habituellement associe´s a` un ralentissement de la fre´quence cardiaque de trois a` cinq battements par minute [8,9]. Anodine dans la plupart des cas, cette diminution de fre´quence cardiaque peut eˆtre mal tole´re´e par les patients pre´sentant un terrain cardiovasculaire fragilise´ ou un trouble de la conduction auriculoventriculaire. Autre exemple de l’effet cardiaque des collyres b-bloquants, il est de´crit des e´chographies cardiaques de stress non contributives, perturbant l’analyse du cardiologue [10]. Enfin, des cas de bronchospasme ou d’exacerbation de bronchite chronique obstructive ont e´te´ rapporte´s [11,12]. La me´connaissance de ces effets secondaires par les ophtalmologistes explique que plus de 12 % des patients prenant ces traitements pre´sentent des contre-indications formelles a` leur utilisation. D’une fac¸on ge´ne´rale, l’ensemble des effets secondaires des b-bloquants administre´s par voie syste´mique peut exister avec l’utilisation d’un collyre [13]. Ces effets secondaires peuvent apparaıˆtre de`s l’instauration du traitement, mais aussi apre`s plusieurs mois d’utilisation. Enfin, si l’arreˆt pendant plusieurs jours d’un collyre antiglaucomateux n’a pas de conse´quence visuelle, des cas d’infarctus du myocarde ont e´te´ de´crits du fait de la disparition de l’effet b-bloquant syste´mique [14]. C’est donc pour des raisons non oculaires, qu’il est indispensable de questionner les patients sur les collyres utilise´s dans le traitement du glaucome, mais aussi de poursuivre les collyres b-bloquants pendant leur se´jour hospitalier. En pe´riope´ratoire, les collyres mydriatiques sont utilise´s pour faciliter la dilatation pupillaire et permettre la chirurgie du cristallin et la chirurgie de la re´tine. Le produit le plus commune´ment utilise´ est un produit atropinique (Tropicamide1, Mydriaticum1). Certaines pathologies telles le diabe`te vont rendre cette dilatation plus difficile et ne´cessiter l’utilisation de collyres fortement dose´s. Afin de faciliter la dilatation ou d’acce´le´rer celleci, il est habituel d’associer de la Ne´osyne´phrine1 5 ou 10 % a` l’agent atropinique. Des dispositifs contiennent d’emble´e les deux produits (Mydriasert1). La phe´nyle´phrine que contient la Ne´osyne´phrine1 est un agoniste pur des re´cepteurs a1-adre´nergiques, utilise´ en anesthe´sie par voie intraveineuse pour le traitement des hypotensions perope´ratoire. Les posologies intraveineuses sont de l’ordre de 50 a` 100 mg en bolus. Il faut savoir que le collyre est dose´ a` 5 ou 10 %, une dosette contient 0,4 mL, soit 11 gouttes, chaque goutte contenant donc de 2 a` 4 mg de principe actif, c’est-a`-dire 20 a` 40 fois la dose intraveineuse ! Des e´tudes ont de´montre´ le passage intravasculaire syste´matique avec des modifications tensionnelles [15]. On comprend de`s lors qu’en cas de passage
0750-7658/$ – see front matter ß 2013 Socie´te´ franc¸aise d’anesthe´sie et de re´animation (Sfar). Publie´ par Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. http://dx.doi.org/10.1016/j.annfar.2013.02.002
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intravasculaire important, les conse´quences syste´miques peuvent eˆtre graves. Le cas rapporte´ dans ce nume´ro des Afar par Kauffmann et al. [16] rappelle l’effet he´modynamique majeur de ce type de collyre, mais surtout la difficulte´ de penser a` l’imputabilite´ des collyres dans la de´gradation de l’e´tat du patient. Ce diagnostic est d’autant plus difficile a` e´tablir que ces collyres sont re´gulie`rement utilise´s sans pre´venir ou sans solliciter l’accord de l’anesthe´siste, a` des doses supe´rieures aux doses pre´conise´es, par des personnels souvent inconscients du risque des me´dicaments qu’ils emploient. Enfin, la technique d’instillation est le plus souvent de´faillante (pas de compression au canthus interne), ce qui augmente encore le risque de passage intravasculaire du produit. Il est donc indispensable de sensibiliser les personnels du bloc ope´ratoire sur le mode d’emploi, les risques de l’utilisation de ces collyres et la ne´cessite´ d’une coope´ration anesthe´siste-chirurgien pour le choix du collyre et le moment de l’instillation. Enfin, ces traitements concernant plusieurs centaines de milliers de patients en France, il est essentiel de participer a` la veille sanitaire et de proce´der aux de´clarations de pharmacovigilance en cas d’e´ve`nement ou d’accident impliquant ces « vrais » me´dicaments. Re´fe´rences [1] Flach AJ. Systemic toxicity. Associated with topical ophthalmic medications. J Fla Med Assoc 1994;81:256–60. [2] Salminen L. Review: systemic absorption of topically applied ocular drugs in humans. J Ocul Pharmacol 1990;6:243–9. [3] Lama PJ. Systemic reactions associated with ophthalmic medications. Ophthalmol Clin N Am 2005;18:569–84. [4] Shiuey Y, Eisenberg MJ. Cardiovascular effects of commonly used ophthalmic medications. Clin Cardiol 1996;19:5–8. [5] Fine HF, Kim E, Eichenbaum KD, Antoniades K, Williams CA. Toxic epidermal necrolysis induced by sulfonamide eyedrops. Cornea 2008;27:1068–9.
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J.-M. Devys*, S. Gras Service d’anesthe´sie-re´animation, fondation ophtalmologique Adolphe-de-Rothschild, 25, rue Manin, 75019 Paris, France *Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (J.-M. Devys)