La Justice restaurative : ni soigner, ni réprimer ? Le cas Louis, multirécidiviste ni « dangereux » ni « malade »

La Justice restaurative : ni soigner, ni réprimer ? Le cas Louis, multirécidiviste ni « dangereux » ni « malade »

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G Model

ARTICLE IN PRESS

ENCEP-879; No. of Pages 9

L’Encéphale xxx (2016) xxx–xxx

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

Cas clinique et revue brève

La Justice restaurative : ni soigner, ni réprimer ? Le cas Louis, multirécidiviste ni « dangereux » ni « malade » Restorative Justice: Neither care nor repression? The case study of Louis, a multi-recidivist, neither “dangerous” nor “sick” E. Dieu a,∗ , J. Vandevoorde b,c , A. Hirschelmann a a EA 2241, centre interdisciplinaire d’analyse des processus humains et sociaux, université de Rennes 2, place du Recteur-Henri-Le-Moal, CS 24307, 35043 Rennes cedex, France b Laboratoire IPSé, université Paris Ouest-Nanterre, 200, avenue de la République, 92000 Nanterre, France c Hôpital René-Dubos, 6, avenue de l’Île-de-France, 95300 Cergy-Pontoise, France

i n f o

a r t i c l e

Historique de l’article : ´ Rec¸u le 4 decembre 2014 Accepté le 2 avril 2015 Disponible sur Internet le xxx Mots clés : Justice relationnelle Vol aggravé Diagnostic psycho-criminologique Relation auteur–victime Facteurs de protection

r é s u m é Objectifs. – L’hypothèse agressologique proposée est qu’une approche restaurative permettrait aux auteurs d’infraction d’appréhender les victimes avec empathie, supposant un effet de diminution des besoins et des risques de récidive (Griffiths et Murdoch, 2007). Les auteurs de vol aggravé soulèvent plusieurs problématiques psychiques (ex. non-détermination des causes de leur acte, labellisation euphémistique et désengagement moral, absence de l’empathie), que le programme restauratif propose de travailler via la scénarisation des histoires personnelles, la compréhension du conflit passé et les échanges centrés sur les conséquences individuelles et sociales des actes (chaîne émotionnelle). L’objectif du processus est de favoriser l’élaboration, la planification et la réalisation des buts personnels, à des sujets fragilisés par des situations sociales infractionnelles. Matériel et méthode. – Avec la collaboration du service de l’application des peines du TGI de Tours, du service pénitentiaire d’insertion et de probation 37, et du service d’aide aux victimes d’infractions pénales 37, le projet PARIS1 tente une application et une évaluation d’un processus de Justice (restaurative) relationnelle en milieu ouvert concernant les vols aggravés (art. 311-1 à 311-16 CP), ayant la particularité de toucher aux trois sphères de victimation que sont les préjudices financiers, physique et psychologique. Suite à l’orientation des acteurs, une rencontre préliminaire est engagée pour diagnostic (psycho)criminologique, avant d’autres rencontres concernant les aptitudes à la rencontre auteur–victime. C’est dans ce cadre que nous recevons Louis, récidiviste de vol aggravé, mais d’actes mineurs entraînant une répression minime et inefficace, et non atteint de pathologie mentale, mais de pathos existentiels sévères précédents l’ensemble de ses passages à l’acte présentant des similitudes marquées avec le processus suicidaire en restant par exemple sur les lieux jusqu’à se faire arrêter et plaisantant avec les policiers. Résultats. – Le cas Louis est révélateur de ce que ni le soin ni la répression ne parviennent à atteindre, à savoir le lien qui, en lui-même, peut être un enfermement ou au contraire une possibilité de restauration. La Justice relationnelle, n’étant ni dans le « réprimer » ni dans le « soin », permet aux acteurs de se reconstruire et d’appréhender l’autre avec empathie, en renforc¸ant des facteurs de protection. La médiation comme méthode ou finalité détient une place primordiale dans la reconstruction des sujets. Elle permet de travailler tant la « trame » (scénario de la situation-problème) que le « drame » (opérationnalité des cognitions et vécu des émotions) issus de la situation-problème vulnérante. Ainsi, le programme restauratif est un mode alternatif de prise en charge socio-judiciaire induisant des effets thérapeutiques sur la trajectoire future du sujet.

∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (E. Dieu). 1 Une première présentation du protocole et des liens entre « diagnostic psycho-criminologique » et « Justice restaurative » avait été préalablement réalisée au colloque suivant : E. Dieu, A. Hirschelmann, C. Lemale, « Criminological diagnostic and restorative justice » (comm. orale), International Congress of Criminology, EuroCrim, Budapest, septembre 2013. http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2016.04.005 0013-7006/© L’Encéphale, Paris, 2016.

Pour citer cet article : Dieu E, et al. La Justice restaurative : ni soigner, ni réprimer ? Le cas Louis, multirécidiviste ni « dangereux » ni « malade ». Encéphale (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2016.04.005

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Conclusion. – Ouvrant sur des processus de rencontres directes ou indirectes, le diagnostic (psycho)criminologique – auteur et victime – procède à une investigation psychosociale et une investigation sur le passage à l’acte, en plus d’une grille de motivation à entrer dans le processus, d’une enquête de satisfaction à la fin du programme et d’analyse des perspectives futures des acteurs. En se dotant d’outils dynamiques et structurés, le projet PARIS de Justice relationnelle s’offre comme troisième voie, reliant le soin et la peine en tant que lien existentiel. © L’Encéphale, Paris, 2016.

a b s t r a c t Keywords: Relational justice Aggravated theft Psycho-criminological diagnosis Author–victim relationship Protective factors

Objectives. – The proposed criminological hypothesis is that the restorative justice approach would allow offenders to recognize the victims with more empathic feelings, assuming a decreasing effect on the needs and risks of recidivism (Griffiths and Murdoch, 2007). Authors of aggravated robbery raise several psychological issues (i.e. incomprehension of the causes of their act, euphemistic labelling and moral disengagement, lack of empathy) that the restorative program proposes to work through scriptwriting of personal histories, better comprehension of the conflict in the past and exchanges focused on the personal and social consequences of the acts (emotional chain). The aim of the process is to encourage persons weakened by their social and delinquent situations to elaborate, plan and realize new personal goals. Methodology. – With the collaboration of the service de l’application des peines de Tours (service for the execution of sentences), the service pénitentiaire d’insertion et de probation 37 (probation and social reintegration service) and the service d’aide aux victimes d’infractions pénales (association for victims of crime) of the French department 37, centre, the program PARIS attempted an implementation and evaluation of the relational or restorative justice process in the context of non-custodial sentences and in particular in the cases of aggravated theft (art. 311-1 to 311-16 of the French penal code). Its particularity was to touch the three spheres of victimization: (1) financial, (2) physical and (3) psychological prejudices. After the admission of the participants, a preliminary (psycho)criminological diagnosis served to evaluate the suitability for the perpetrator and the victim to be confronted in following settings. In this context we met Louis, a recidivist of aggravated thefts but causing minimal harm and punished with minimal sentences. He presented no mental illness but showed severe existential problems involved in his delinquent behaviour. His delinquent acts presented similarities marked by auto-punitive tendencies. For example, he remained on site until being arrested and joked with the police. Results. – The case Louis revealed what neither the care nor repression succeeded to reach, namely the quality of the relationship which can in itself confine or on the contrary repair. Relational Justice, by seeking neither to “suppress” nor to “care”, allows the participants to reconstruct and understand the other with empathy, and strengthened the protective factors. Mediation as a method or purpose held a prominent place in the reconstruction process of the participants as it allowed us to act on both the “frame” (scenario of the problem-situation) and the “drama” ((non)-effectiveness of cognitive strategies and experienced emotions) of the original problem-situation. So the restorative program was an alternative to the socio-judicial measures inducing potential therapeutic effects on the future path of the participant. Conclusion. – If the question of the relevance of direct, or perhaps better indirect, confrontations between the author and the victim still remains the (psycho-)criminological diagnosis of the penal couple’s – author and victim – relationship investigates the psychosocial and delinquent process in terms of motivation. A satisfaction survey at the end of the program helps to analyse the future prospects of the participants. Based on dynamic and structured methods, the PARIS relational Justice program offers a Third Way between care and punishment: restoration of existential and relational links. © L’Encéphale, Paris, 2016.

1. La Justice restaurative relationnelle 1.1. Contexte et objectif du programme Les vols avec violence (vol aggravé, art. 311-1 à 311-16 du Code pénal franc¸ais), outre leur taux d’occurrence2 , ont la particularité de toucher aux trois sphères de victimation : les préjudices financiers, physiques et psychologiques. Ne pouvant déterminer les causes de l’acte, les victimes ne parviennent pas à sortir d’un schéma pathogène de culpabilisation [1], menant potentiellement à des syndromes de stress post-traumatiques (DSM-IV) [2], des

2 L’exemple de la ville de Joué-lès-Tours met en lumière les actuelles insécurités. Alors que son taux de délinquance est en général élevé, la ville de Joué-lès-Tours a connu une baisse de 6 % de la délinquance durant 11 mois de l’année 2011 ; et pourtant les cambriolages ont progressé de 5 %, dont +50 % pour les cambriolages de dépendance, ainsi qu’une augmentation de 15 % des atteintes aux personnes. . .

victimisations secondaires et multiples [3]. Elles ne peuvent se projeter dans l’avenir et améliorer leurs conditions psychosociales de manière efficiente. Pour les auteurs, une labellisation euphémistique est effectuée, soutenue par un désengagement moral [4]. L’hypothèse agressologique formulée est qu’une approche restaurative permettrait aux auteurs d’appréhender les victimes avec empathie, supposant un effet de diminution des besoins et des risques de récidive [5]. L’élaboration du programme est issue de diverses inspirations [6–11], tandis que l’évaluation du processus est inspirée des méta-analyses et programmes canadiens de solutions réparatrices [12,13]. Les restaurations ont pour objectif de rendre possible un dialogue volontaire suivant une méthode narrative [10], structuré et rigoureux entre les individus par l’intervention d’un professionnel chargé d’organiser la rencontre, pour échanges, médiations et passations des différents tests permettant l’évaluation des effets du programme. Le programme restauratif, hors phases d’évaluation, se met ainsi en place :

Pour citer cet article : Dieu E, et al. La Justice restaurative : ni soigner, ni réprimer ? Le cas Louis, multirécidiviste ni « dangereux » ni « malade ». Encéphale (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2016.04.005

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• prise de contact avec les participants pour écouter leurs histoires personnelles et comprendre le conflit passé ; • séances restauratives et échanges centrés sur les conséquences individuelles et sociales des actes3 (chaîne émotionnelle), dont l’empathie est le fil rouge indispensable pour permettre le développement des émotions positives chez les acteurs en facilitant leurs interactions [14]. 1.2. Méthode du diagnostic criminologique Avec la collaboration des juges d’application des peines du tribunal de Grande Instance de Tours et du service d’aide aux victimes d’infractions pénales d’Indre-et-Loire, il est prévu une première orientation des auteurs pour diagnostic et acceptation de la démarche de médiation, puis des victimes pour diagnostic, et médiation si les deux parties l’acceptent. Le diagnostic psychocriminologique auteur–victime procède d’une triple évaluation, dont nous présentons dans l’article les points i et iii : i) investigation psychosociale et sur le passage à l’acte ; ii) grille de motivation à entrer dans le processus ; iii) analyse des perspectives futures des acteurs. L’objectif du processus est de favoriser l’élaboration, la planification et la réalisation des buts personnels, à travers un processus de rencontres directes ou indirectes et selon des outils dynamiques et structurés. Le diagnostic psycho-criminologique a pour but d’interroger les vulnérabilités individuelles des acteurs et leur interrelation dans une situation commune. Les investigations sont dès lors phénoménologiques et existentielles, tant psychosociales (aspects socio-démographiques, judiciaires, historiques et cliniques) que criminologiques (scénarisation de l’agir, situation et contexte, liens auteur/victime) pour des analyses qui croisent les story lines aux risques/résistances face aux situations vulnérantes. L’analyse des perspectives futures propose de travailler les interactions entre l’individu et ses conflits moraux, avec les notions issues du test d’intégration différentielle des conflits4 . Le rapport à l’espace-temps est travaillé suivant les cognitions, les représentations de soi et la mentalisation de l’avenir, l’émotion, les sensations provoquées par cette projection temporelle, et les comportements, la capacité à se contrôler et à contrôler son avenir. Pour cela, nous proposons aux acteurs de remplir un test des perspectives futures [15–18]. 1.3. L’approche relationnelle L’approche relationnelle intégrée dans le cadre de la médiation auteur–victime [19] prend pour principe la « relation », à la fois entre les participants mais aussi en lien avec l’événement, le conflit, et le litige selon des pratiques qui se veulent congruentes aux théories interactionnistes. Le style relationnel se distingue largement des styles humanistes [20], transformateur, légaliste, problem-solving, narratif, constructiviste, entre autres. Dans la démarche restaurative, le style relationnel permet une scénarisation des rencontres selon quatre déterminants, appelés modèle « MAIS » [19], c’est-à-dire le « moi » (ex. : mon vécu de l’événement, mes motivations pour la démarche, etc.), « l’autre » (ex. : son vécu de l’événement, ses motivations pour la démarche, etc.), « l’information » (ex. : le médiateur, le contexte judiciaire, etc.), « la sécurité » (ex. : sécurité physique et psychologique, etc.).

3 En s’inspirant du travail effectué lors des « RDV » : « Travail sur les conséquences sociales du crime », in Rentrée 2011, Synthèse S. Bellucci-Inavem. 4 PFT de Rosenzweig, forme révisée par le Pr Loïck M. Villerbu, laboratoire de cliniques psychologiques, université Rennes 2 (France).

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Le style relationnel a pour principal intérêt la libre association des émotions, cognitions et comportements des acteurs, sans enregistrement ni jugement extérieur. L’analyse de l’agir est échangée directement avec les acteurs, selon une combinaison psycho-criminologique qui les remet en action : « moi » (données psychosociales), « autrui » (représentation de l’autre), « situation » (l’environnement et le style de vie), dans des contextes qui se répètent (infraction, plainte/garde à vue, tribunal, etc.). Nous avons nommé cette combinaison psycho-criminologique « ViSA » : « victime », « situation », « auteur ». Ces contextes sont autant de rencontres manquées, d’interactions sans dialogue, de relations sans échange. Le style relationnel envisage l’analyse par et entre les acteurs des « dynamiques des cercles de rencontre » (circles meeting dynamics [CMD]), soit la rencontre entre les trois cercles (moi, autrui, situation) dans les différents contextes : « moi/autrui », « autrui/situation », « moi/situation ». La possibilité de « scénariser » pour les acteurs repense les notions mêmes de rencontre et de conflit en tant qu’expérience de vie engendrant des conséquences sur les médiés en jeu. 2. Application pratique de la justice relationnelle : le cas de Louis, 23 ans 2.1. Louis : présentation générale Louis est un étudiant de 23 ans d’1 mètre 90, environ 90 kg, désirant devenir enseignant en SVT au lycée. Il habite avec sa compagne et dispose de faibles ressources financières. Il vit en couple depuis l’âge de 14 ans et déclare au moment où nous le rencontrons qu’il cherche dans les relations amoureuses « une forme de maternité ». Il n’a plus de contact avec sa famille paternelle dont les membres résident au Venezuela tandis qu’il reste énigmatique sur la filiation maternelle, sauf à l’entendre dire que sa mère « a coupé les ponts » et qu’elle aurait dit de la naissance de son fils : « il est arrivé comme un cheveu sur la soupe ». Il se décrit dès l’enfance comme « intenable », voit plusieurs psychologues dès sa huitième année et date ses premières difficultés réelles de comportements à 16–17 ans. C’est à cette période que débute une forte consommation d’alcool. La recherche d’antécédents médico-sociaux et judiciaires révèle de surcroît : • qu’à 18–19 ans, lors d’une soirée, il sort chercher des bouteilles dans le coffre de la voiture d’un ami mais part en réalité se promener avec le véhicule dont il avait gardé les clés. En chemin, à 90 km/h sur une petite route de campagne, il a un accident (Vol simple ? Abus de confiance ?). « J’ai voulu me foutre en l’air, dit-il, je me suis rendu compte de cela plus tard [. . .] J’ai eu vraiment peur » ; • qu’à 20 ans, lors de sa crémaillère, en rentrant chez lui, il pénètre dans une maison inconnue et se sert un café. Il est alors surpris par la femme de ménage avec laquelle il entamera une discussion. Il est condamné à 140 heures de TIG et un mois d’enfermement avec sursis ; • qu’il a été hospitalisé à deux reprises en psychiatrie suite, dit-il, à des conflits relationnels avec son père et a fait une tentative de suicide. En octobre 2012, à 22 ans, il organise une fête chez lui avec ses amis. Durant cette soirée, il s’alcoolise généreusement et décide subitement de sortir après qu’une discussion a mal tourné avec une amie. Il se met alors à faire seul la « la tournée des bars » et rencontre deux autres hommes. Ils discutent et boivent ensemble pendant un moment jusqu’à ce que le groupe se dirige vers un restaurant. L’un des hommes rencontrés fortuitement casse la porte et vole avec son comparse la caisse et les boissons. Après le méfait, les deux hommes

Pour citer cet article : Dieu E, et al. La Justice restaurative : ni soigner, ni réprimer ? Le cas Louis, multirécidiviste ni « dangereux » ni « malade ». Encéphale (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2016.04.005

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s’enfuient mais Louis reste étrangement à l’intérieur du restaurant pendant une heure (jusqu’à 6 heures du matin), volant au passage un manteau pour y dissimuler un saucisson et une bière. Quelques minutes plus tard, Matt, le propriétaire de l’établissement, entre avec des amis, découvre Louis et l’arrête aisément. Bien qu’ivre et physiquement intimidant, Louis ne présente en effet aucune résistance. Il tente de calmer Matt et ses amis, puis discute jovialement avec les policiers après que ceux-ci sont arrivés sur les lieux. Au commissariat, il tente finalement et sans succès de joindre sa mère avec laquelle il n’a plus de contact. Il est jugé pour « vol aggravé en réunion ». 2.2. La reconstitution du passage à l’acte Des méthodes récentes développées en suicidologie [21–24] nous permettent aujourd’hui de retracer la dynamique du passage à l’acte et une partie de l’engrenage psychologique qui se met en place avant le déclenchement de gestes auto- ou hétéro-agressifs. Le principe consiste à retracer la phénoménologie du passage à l’acte de manière chronologique et à décrire l’évolution des grandes activités psychologiques telles l’état de la conscience, l’état émotionnel, l’état cognitif, la régulation motrice, etc. Comme le rapporte son anamnèse, Louis présente des antécédents notables de passage à l’acte, notamment la mise en acte de ce scénario singulier consistant à s’introduire chez autrui et à y rester jusqu’à être découvert, ainsi que des gestes auto-destructeurs, y compris suicidaires. Durant les entretiens, Louis évoque un sentiment de solitude, de l’ennui, des difficultés à imaginer son avenir, un sentiment de colère quasi chronique (« j’ai de la rage, de la haine, de la colère à l’intérieur ») et l’impression d’avoir des relations humaines superficielles provoquant le sentiment d’être déconnecté du monde humain et de n’avoir aucune « ancre » relationnelle. D’après ses dires, Louis n’avait pas prémédité son geste mais il souligne comment son geste s’inscrit dans un processus inéluctable, comme s’il pressentait que ce dernier était une « virtualité d’action » ou une potentialité intérieure qui le défiait de temps à autre. On peut imaginer la lutte morale interne qui se serait, il faut l’espérer, mise en place dans un contexte normal, cependant qu’ici, on observe une mise en état pré-passage à l’acte qui va abolir cette lutte. Cette mise en condition (ou mise en état) [25–27] a pour fonction de placer l’individu en état de désinhibition motrice et constitue dans certains cas la rampe de lancement d’une expérience dissociative [27]. Dans le cas de Louis, les entretiens cliniques mettent à jour trois processus pré-passage à l’acte remarquables : • une dysrégulation émotionnelle caractérisée par une hausse de l’excitation thymique ; • une mise en état par la collégialité. La recherche scientifique et les observations cliniques nous montrent que lors des crimes ou délit commis en groupe, la présence d’autrui peut provoquer une modification de l’état psychologique résultant de différents mécanismes [28] ; • une mise en état par l’alcool qui comporte la potentialité d’anesthésier la culpabilité de l’auteur, de provoquer une amnésie auto-induite (l’auteur ne se souvient plus des faits comme Louis qui dit de son acte « je l’ai vécu bourré, déjà, ce qui veut dire que je ne me souviens pas de tout. Dans ma tête, c’était très rapide, mais c¸a a dû être long » [trois quarts d’heure]), d’obtenir un élément de déresponsabilisation (c’est l’alcool qui a provoqué le délit), ou bien d’induire une distance entre soi et ses actes (je ne suis pas le même sous alcool). Psychologiquement, ces processus peuvent faciliter la désinhibition motrice, provoquer des phénomènes d’hémorragies émotionnelles incontrôlables pour le sujet, réduire la dissonance cognitive existant entre les valeurs morales de l’individu et ses actes

(entre le « bien » et le « mal ») ou gonfler narcissiquement l’auteur au point où il se sent plus fort, serein, y compris lorsque ce gonflement a pour but une auto-agression. L’examen du discours de Louis montre la présence de ces trois éléments pré-passage à l’acte et la désastreuse conséquence comportementale qui en a résulté : « Ils étaient deux, un grand et un petit nerveux. C’est lui qui commencé à taper partout. Il s’est excité sur une vitrine à coups de pied [. . .], on l’a suivi dans sa connerie », « c’est le hasard, la malchance, c’est parce qu’il y avait cet individu, explique-t-il sur le rôle du groupe, « l’alpha » [l’homme qui a entraîné les deux autres], sinon je n’avais même pas envie de rentrer ». De même sur l’alcool, il dit : « Ce n’est pas systématique, parfois quand je bois je ne passe pas à l’acte. Mais quand je passe à l’acte, j’ai bu » et reconnaît explicitement son effet désinhibiteur. Au moment du délit, l’activité psychologique de Louis présente de même des caractéristiques notables, légèrement contradictoires mais phénoménologiquement plausibles, qui mêlent à la fois de l’excitation, une certaine forme de détente et une sorte de conscience qui laisse l’esprit clair mais le comportement s’effectuer presque indépendamment d’elle. « J’avais tout dans les mains, j’étais rageux, mais j’avais pas d’arme particulière », dit Louis, « pendant l’acte, j’étais étrangement zen. [. . .] Avec les flics, j’avais eu l’impression de jouer et de perdre. Je me sentais un peu hébété. [. . .] Sur le coup, j’ai pas réalisé ce que j’étais en train de faire », « j’ai toujours été conscient mais pas capable de m’arrêter ». Enfin, il est intéressant de noter l’échec ou l’évitement de la mise en place d’un système rationnel ou explicatif du passage à l’acte quand bien même Louis le tente : « Je pense que c¸a a une raison, dit-il sans trouver laquelle, je ne crois pas au destin ». 2.3. Le rapport émotionnel et cognitif au délit après le passage à l’acte À l’aide de l’analyse post-passage à l’acte, nous observons que Louis critique son geste et s’en attribue la responsabilité, « Même si c’est désinhibiteur [l’alcool], c’est moi le responsable ». La reconnaissance d’une véritable agentivité est partielle (« j’étais conscient mais pas capable de m’arrêter ») tandis qu’il déclare éprouver de la honte et de la peur suite à son acte mais, hélas, n’évoque pas de regret. Il a conscience de ce qui est bien ou mal et dispose d’un système moral, quand bien même ce dernier n’a pas toujours le pouvoir inhibiteur que l’on souhaiterait sur les infractions. Il a de même repéré les effets de l’alcool sur ses problèmes de comportements mais évoque parallèlement un sentiment d’inéluctabilité à se retrouver dans des situations problématiques. Il déclare éviter désormais le lieu du délit, avoir baissé sa consommation d’alcool, ses sorties et le contact avec d’autres êtres humains d’une manière général, ce qui peut être perc¸u comme une stratégie ayant pour but de réduire l’excitation du monde humain et les tentations qui lui sont inhérentes. La sanction est vécue avec honte et douleur mais risque d’annuler le geste ; certains auteurs d’infraction avouant parfois explicitement que, puisqu’il y a eu condamnation, il n’est plus nécessaire de revenir ou de parler du délit. Il s’engage néanmoins dans le programme et tente de réfléchir à son geste quand bien même un étayage psychologique s’avère indispensable : « Je pense que c¸a a une raison, mais en même temps, j’y pense plus trop. Et c¸a en finit jamais » (Fig. 1). 2.4. Le rapport à la victime et au processus de rencontre auteur/victime Après avoir consacré l’analyse à la reconstitution du passage à l’acte puis au rapport entre l’auteur et ses actes, la prochaine étape clinique consiste à établir le tableau relationnel auteur–victime et à en tirer les possibilités de médiation. Diverses études criminologiques ont montré des éléments singuliers dans le processus

Pour citer cet article : Dieu E, et al. La Justice restaurative : ni soigner, ni réprimer ? Le cas Louis, multirécidiviste ni « dangereux » ni « malade ». Encéphale (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2016.04.005

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Fig. 1. Reconstitution du passage à l’acte AMPRES-AMPOSS.

délictuel ou criminel [29,30] nous permettant d’estimer une « potentialité relationnelle » entre l’auteur et la victime. Pour le cas de Louis, la victime n’a pas été sélectionnée en tant que telle puisque le propriétaire n’était pas sur les lieux au moment des faits et qu’il n’existait pas de relation préalable entre eux. On notera toutefois que le restaurant était connu de Louis qui inscrit ici son délit dans une zone géographique familière. Louis accepte volontiers les différentes conditions de la médiation (proposition de contacter directement ou indirectement la victime, proposition d’établir des rencontres auteur–victime et invitation de la victime à ces rencontres). Quand Matt a vu Louis pour l’expertise d’assurance, puis au tribunal, il dit avoir été « froid » mais comprend rapidement que Louis est un « suiveur », les autres auteurs s’étant vite enfuis du restaurant. Aujourd’hui, il ne parle pas de cette affaire, parce que « c’est le passé ». . . mais il veut tout de même que Louis comprenne ses besoins. Louis expliquera son passage à l’acte et les éléments que nous avons décrits plus hauts, notamment ceux liés à l’influence qu’a eu l’un des hommes sur lui. Devant l’agacement de Matt, Louis

déclare qu’il comprend « très bien qu’ils en aient marre » que des incivilités soient sans cesse commises à l’encontre des établissements et de leurs propriétaires. Il dit de la présence physique de la victime à ses côtés : « C’était la première fois que je voyais la victime, je n’avais pas très peur, plutôt honte. J’ai essayé d’échanger, à l’expertise notamment, j’avais peur d’en mettre beaucoup sur lui, il était très froid au début, puis il s’est détendu », et puis : « On s’est vraiment vu à l’expertise. Mais la victime n’a pas voulu me faire payer la porte, il m’a cru quand je lui ai raconté les faits. C¸a s’est plutôt bien passé, on a plaisanté en sortant [avec l’expert]. Il ne m’a pas posé de question particulière, c’était formel », « À la première CRPC, on n’avait pas eu plus d’échanges que c¸a ». Les propos de Louis sur la victime oscillent entre une volonté d’effacer l’image délinquante, l’évitement de son acte honteux et parfois l’absence d’une simulation mentale adéquate de ce que pense Matt avec des attributions de pensées erronées à autrui, par exemple « Je ne retournerai jamais dans son restaurant. Vis-à-vis de lui et son établissement, ce que j’ai fait est un grand manque de respect. Ce serait trop culotté pour moi, ce serait de la provocation.

Pour citer cet article : Dieu E, et al. La Justice restaurative : ni soigner, ni réprimer ? Le cas Louis, multirécidiviste ni « dangereux » ni « malade ». Encéphale (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2016.04.005

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Fig. 2. Le « ViSA » du crime.

Lui, il s’en fout, je serai un client comme un autre, enfin je pense. Il est passé à autre chose, il s’en est remis » (Fig. 2). 2.5. La relation à l’autre pour travailler la relation à soi et à l’avenir

ressentis et peurs, la lourdeur de la procédure pour une victime, son intérêt pour la Justice et la décision judiciaire, et surtout les émotions éprouvées par la victime durant le passage à l’acte. Ces émotions, non rationnelles, échappent régulièrement aux auteurs et affectent considérablement les victimes :

Louis accepte l’interaction avec Matt, sans croire en une réponse positive de celui-ci. Après contact avec Matt, Louis est ravi qu’on le tienne au courant, persuadé qu’on l’avait oublié – la semaine suivante. . ., et reste sans voix en apprenant la volonté de Matt à participer au programme. Une volonté basée sur des ambivalences de pensée à résoudre : « C’est pas important, c¸a arrive, et c’est passé. [. . .] Mais c’est un traumatisme ». Louis était persuadé « qu’il [Matt] était passé à autre chose, que ce n’était pas important, et qu’il s’en fichait finalement ». Louis propose de suite que ses échanges avec le facilitateur soient transmis à Matt si celuici le désire, et confirme sa volonté d’échanger et d’une médiation directe ou indirecte. Ces inquiétudes de Louis confirment chez lui des difficultés d’attachement et une angoisse de la séparation. La trajectoire patho-biographique de Louis et son fonctionnement dans les échanges font émerger des modalités psychiques proches de l’anéantissement psychotique – et des pensées suicidaires tant dans les actes hétéro- qu’auto-agressifs. Le lendemain, Louis rappelle à 21 heures, en s’excusant de lui-même et immédiatement pour cet appel du soir et se trouve finalement « honteux face à cette intrusion ». Cette anecdote rendue possible par le transfert induit dans le processus restauratif révèle la difficulté de Louis vis-à-vis de « l’intrusion » dans la vie privée – élément du passage à l’acte, mais aussi de la gestion du temps social – fonctionnement psychosocial du sujet. Les échanges auteur–victime ont permis un libre dialogue sur les éléments absents, en inertie, chez les deux acteurs. Louis a notamment pu connaître le parcours de Matt durant et après les faits, ses

• côté auteur : ici par exemple, en rentrant dans son restaurant en pleine nuit car averti du cambriolage, Matt découvre Louis dans sa cuisine habillé de son propre manteau. « L’argent c’est que de l’argent. [. . .] Mais c’est mon restaurant, et lui, il était dans ma cuisine, avec mon manteau » (cf. Matt). Ce lieu – la cuisine du restaurant – et le vêtement personnel – le manteau avec les clés dans les poches – symbolisent le parcours de vie de Matt : suite à une blessure physique l’obligeant à une réorientation professionnelle après des études supérieures de plusieurs années, Matt investit toutes ses économies (matérielles et psychiques) dans ce restaurant, et devient le responsable de la sécurité des commerces dans la rue. . . De son côté, Louis indique dans un premier temps que le manteau n’est là que pour l’aspect pratique des poches (y placer boisson et nourriture), puis pour protéger du froid, et enfin sur les processus inconscients déniés : « Le manteau. . . j’avais occulté inconsciemment cette partie-là. [. . .] J’avais froid, alors je l’ai pris. . . Je comprends tout, dit finalement Louis, ému. J’avais inconsciemment occulté la partie sur le manteau, je voulais pas m’en souvenir » ; • côté victime : inversement, la victime peut écouter le récit de l’auteur, ses difficultés avant l’acte et les répercussions de l’infraction sur sa vie, sa culpabilité, sa non-intention de nuire le plus souvent mais ses faibles alternatives solutionnelles en situation-problème. Matt a pu entendre les vulnérabilités de Louis, qui en font ses dangerosités criminologiques en termes de risque de récidive. Alors que son entourage s’y opposait, le discours d’excuses de Louis a incité Matt à entrer dans le programme.

Pour citer cet article : Dieu E, et al. La Justice restaurative : ni soigner, ni réprimer ? Le cas Louis, multirécidiviste ni « dangereux » ni « malade ». Encéphale (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2016.04.005

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Fig. 3. Reconstitution temporelle comparative des perspectives futures des acteurs.

Ce n’est pas le « pardon » qui fut déclencheur, reconstructeur ou salvateur dans le programme, c’est l’ouverture au dialogue par la reconnaissance des faits, derrière la face intellectuelle du vol aggravé se cache la dimension affective du viol psychique. « C’est juste un vol. [. . .] Mais je me sens violé, comme un viol psychique » (cf. Matt) (Fig. 3). Suite à la médiation restaurative, nous organisons des séances de débriefing : • l’acteur victimé de la situation (Matt) : avant la rencontre, celuici était focalisé sur le présent, et selon la terminologie du TIDC il vivait une intégration des conflits sous un format im-punitif (la faute n’étant attribuée ni à l’auteur ni à la victime), avec une persistance des besoins et des conséquences de l’acte – orientation vers un passé insurmontable. Après le programme toutefois, Matt était davantage concerné par ses projets futurs, avec une diminution de l’attribution à la destinée ; • acteur victimant dans la situation (Louis) : à son entrée dans le programme, Louis était tourné vers le futur mais sans capacité d’organisation à l’égard de celui-ci. Il ne rentrait de fait pas dans le présentisme diagnostiqué par Cusson [31]. Son intégration des conflits se présentait sous un format intra-punitif (tourné vers soi) et de défense du Moi (basé sur les relations dans le présent). À la fin du programme, nous constations une stabilité générale des perspectives futures de Louis mais avec une amélioration nette des capacités à planifier le futur.

Lors de la dernière rencontre, Louis se montre particulièrement souriant, ravi de revenir, et insiste sur le plaisir « de pouvoir en parler à quelqu’un d’extérieur, de neutre, ni judiciaire ni psychologue, ni les amis car avec eux c’est impossible. Ici, on n’est pas jugé ». Louis ne cherchait ni à faciliter son insertion sociale, avoir une diminution de sa peine, ou encore sous la pression d’autres personnes. Il agissait essentiellement pour appréhender le sens de son acte et aider autrui, en quête d’une compréhension des souffrances d’autrui. Il trouva dans le programme une « compréhension pour l’événement passé » et « une empathie pour l’autre, pour les causes et les conséquences des actes », de pleines satisfactions inattendues, comme « se restaurer, se libérer, se débarrasser d’un poids. . . », mais aussi la « reprise du contrôle de sa vie, une meilleure estime de soi, une confiance en soi. . . ». 3. La place de la médiation 3.1. Synthèse de la place de la médiation : rejouer la trame pour dénouer le drame La « trame » synthétise le scénario de la situation-problème, c’est-à-dire les comportements des divers acteurs. Le « drame » quant à lui revient au « comment conséquentiel », l’opérationnalité des cognitions (scénarios catastrophes, distorsions cognitives, etc.) et le vécu des émotions (stress intense, négativité d’autrui, peur, envie de pleurer, etc.). La « trame » et le « drame » dégagés de concert avec les acteurs reconstruisent les différents (et subjectifs) « ViSA »

Pour citer cet article : Dieu E, et al. La Justice restaurative : ni soigner, ni réprimer ? Le cas Louis, multirécidiviste ni « dangereux » ni « malade ». Encéphale (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2016.04.005

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de la situation-problème. Avant d’en venir au croisement des regards, via la médiation-rencontre auteur/victime, une phase de recherche des « causes » demeure indispensable : c’est la trajectoire psychosociale qui va nous intéresser. Par elle, nous pourrons mettre en lien le passé, le présent et le futur des divers acteurs, relier le parcours de chacun avec ses forces et ses fragilités à l’analyse fonctionnelle déduite de la situation-problème. Un modèle empruntant des approches tant à la criminologie situationnelle, la psychanalyse, qu’à la thérapie cognitivo-comportementale, pour mener à bien les projets des acteurs, comme la volonté de Matt que Louis connaisse ses événements de vie et (com)prenne sa perception du passage à l’acte ; jusqu’à l’empathie dégagée lorsque Louis dit « ressentir, et pas seulement comprendre. [. . .] C’est ce qui est important dans le programme ». Pour cela, il faut « partir du volontariat des deux côtés, l’absence de contrainte aide vraiment à s’ouvrir » (cf. Louis). L’objectif de la médiation relationnelle est la confrontation du « Louis-auteur » et du « Louis-non auteur », du « Matt-victime » au « Matt-non victime », puis de ses identités interposées, et ainsi la construction d’un lien entre quatre facettes psychologiques et sociales. « Bien que les buts ne soient pas thérapeutiques, j’ai fini par la conduire moi-même, cette thérapie, en repensant à notre démarche » (cf. Louis). Nous analysons les stratégies régulatrices et les mécanismes de défense en jeu dans les actes transgressifs (les émotions de honte ou de culpabilité neutralisées [32] et explorons dès lors les hypothèses de restauration par le dialogue posées par Cario en 2006 [33]). Tant pour l’auteur que pour la victime, l’acte n’est pas anodin du parcours existentiel, et témoigne de certaines fragilités que les échanges font jaillir. L’aspect « volontariat » permet aux individus de devenir acteurs dans la prise en compte des vulnérabilités soulevées.

3.2. Bénéfices pour les participants Notre volonté de travailler l’objet du « vol aggravé » est fonction tant du contexte, de l’acte et sa déclinaison, du vécu de l’auteur que des conséquences victimologiques. Notre action restaurative a permis d’endiguer au plus vite l’aggravation de l’inertie psychique de la victime, qui en rationalisant le vol au regard de son expérience en matière de prévention des cambriolages, avait grande peine à déterminer les causes de l’acte, pourquoi lui, comment gérer l’avenir, et derrière cela comment gérer le retour du refoulé (antécédents de vie). Le risque d’être à nouveau cambriolé est fort, comment se protéger sans exagération ? Comment poursuivre son travail au quotidien ? Comment réagir si de nouveaux faits se produisent ? Autant de cognitions et d’anticipations situationnelles conduisant à des schémas pathogènes et des dysfonctionnements cognitivoémotionnels. . . ainsi que des comportements qui faciliteraient des victimisations secondaires (manque de compréhension dans les réactions d’autrui) et multiples (actes manifestant une vulnérabilité apparente). L’approche restaurative a eu pour effet de prévenir au plus vite le désengagement moral [4] chez Louis, auteur des faits, qui l’aurait économiquement mais temporairement protégé d’une culpabilité issue d’une trajectoire patho-existentielle. D’un point de vue psycho-criminologique, nous observons une dissociation entre l’« intellect » et les « affects ». Effectivement, les faits peuvent être à la fois considérés comme non graves et loin de l’image des vols aggravés (face intellect) et être vécu comme un traumatisme, un viol de l’intimité (face affect). Une dissociation démonstratrice que l’acte n’est pas qu’un simple vol ; la victime y perc¸oit l’intrusion lorsque l’auteur y exprime ses failles de vie. Tant pour l’auteur que pour la victime, l’acte n’est pas anodin du parcours existentiel et témoigne de certaines fragilités que les échanges font jaillir.

3.3. La (psycho-)criminologie au service de la Justice restaurative ? En amont de notre protocole de recherche-action, une interrogation fondamentale restait sous-tendue à notre méthodologie expérimentale : la Justice restaurative se met-elle ainsi au service de la (psycho-)criminologie ou est-ce à la (psycho-)criminologie d’être au service de la Justice restaurative ? Il semble que, même si l’apport est réciproque, c’est à la Justice restaurative de bénéficier des outils et connaissances (psycho-)criminologiques. Dans notre protocole, les impératifs restauratifs sont respectés, tels que le volontariat, l’absence d’impact sur la procédure pénale, la nonrecherche directe d’une psychothérapie. Le programme restauratif conduit le facilitateur à des interrogations au-delà des orientations réparatrices initiales. Ainsi, le cas « Louis » illustre en quoi l’hétéro-agression est peu dissociable de l’auto-agression et participe d’une trajectoire existentielle chaotique [34]. De plus, bien que n’étant pas une psychothérapie, le programme restauratif en tant que mode alternatif de prise en charge socio-judiciaire induit des effets positifs (thérapeutiques inclus) sur la trajectoire future du sujet. L’objectif du processus est de favoriser l’élaboration, la planification et la réalisation des buts personnels, le modèle de la « médiation restaurative » se montre un soutien inestimable pour le facilitateur. Le cas Louis révèle cet espace que ni le soin ni la répression ne parviennent à atteindre, à savoir le lien qui en lui-même peut être un enfermement ou au contraire une possibilité de restauration. La Justice relationnelle, n’étant ni dans le « réprimer » ni dans le « soigner », permet aux acteurs de se reconstruire et d’appréhender l’autre avec empathie, en renforc¸ant des facteurs de protection. Ouvrant sur des processus de rencontres directes ou indirectes, le diagnostic (psycho-)criminologique – auteur et victime – proposé au sein de l’article procède à une investigation psychosociale des acteurs et une investigation sur le passage à l’acte qui les a réunis, en plus d’une grille de motivation à entrer dans le processus, de satisfaction à la fin du programme, et d’analyse des perspectives futures des acteurs. En se dotant d’outils dynamiques et structurés, le projet PARIS de Justice relationnelle s’offre comme troisième voie, un outil existentiel pour le facilitateur/médiateur, pour les actuels « incasables » à la fois du système judiciaire et du système social. Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. Références [1] Cario R. Justice restaurative. Principes et promesses. 2nd ed L’Harmattan; 2010. [2] American Psychiatric Association. DSM-IV-TR, Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. Paris: Elsevier Masson; 2003. [3] Wemmers J. Introduction à la victimologie. Presses Universitaires de Montréal; 2003. [4] Bandura A. Moral disengagement in the perpetration of inhumanities. Pers Soc Psychol Rev 1999;3:193–209. [5] Griffiths CT, Dandurand Y, Murdoch D. La réintégration sociale des délinquants et la prévention du crime. Rapport de recherche. Centre international pour la réforme du droit criminel et la politique en matière de justice pénale; 2007. [6] Manuel sur les programmes de justice réparatrice : série de manuels sur la réforme de la Justice pénale. New York, Nations Unies: Office des Nations Unies; 2008. [7] Cario R, Mbanzoulou P. Les rencontres détenus-victimes à la maison centrale de Poissy : un retour d’expérience. Les chroniques du CIRAP-ENAP; 2011. [8] Coco G, Corneille S. Quand la justice restaurative rencontre le Good Lives Model de réhabilitation des délinquants sexuels : fondements, articulations et applications. Psychiatr Violence 2009;9(1). [9] Ward T, Langlands R. Repairing the rupture: restorative justice and the rehabilitation of offenders. Aggression Violent Behav 2009;14(4):205–14. [10] Marshall T. Restorative justice: an overview home office. London, UK: Research Development & Statistics Directorate; 1999.

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Pour citer cet article : Dieu E, et al. La Justice restaurative : ni soigner, ni réprimer ? Le cas Louis, multirécidiviste ni « dangereux » ni « malade ». Encéphale (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2016.04.005