La maladie de Dercum (adiposis dolorosa) : une nouvelle observation

La maladie de Dercum (adiposis dolorosa) : une nouvelle observation

Revue du Rhumatisme 71 (2004) 239–242 www.elsevier.com/locate/revrhu Fait clinique La maladie de Dercum (adiposis dolorosa) : une nouvelle observati...

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Revue du Rhumatisme 71 (2004) 239–242 www.elsevier.com/locate/revrhu

Fait clinique

La maladie de Dercum (adiposis dolorosa) : une nouvelle observation Dercum’s disease (adiposis dolorosa): a new case-reporte Bouchra Amine *, Fabienne Leguilchard, Claude Laurent Benhamou Service de rhumatologie, hôpital Porte-Madeleine, CHR Orléans, 10000 Orléans, France Reçu le 22 octobre 2002 ; accepté le 17 décembre 2002

Résumé La maladie de Dercum ou adiposis dolorosa est une entité rare, caractérisée par la présence de multiples masses adipeuses douloureuses sous-cutanées chez une femme ménopausée. La localisation péri-articulaire de la cheville est rare. Nous en rapportons une observation et faisons une revue de la littérature. Observation. – Mme C.B âgée de 46 ans, en préménopause, suivie pour dépression, a présenté en décembre 1997 des douleurs mécaniques avec tuméfaction de la cheville droite. Elle a subit une chirurgie d’exérèse des masses rétro et sous-malléolaires droites dont l’étude histologique n’a pas révélé d’anomalies. En janvier 2000, est apparue une tuméfaction rétro et sous-malléolaire à gauche et une récidive à droite. À l’examen, la patiente avait un IMC de 32,04 kg/m2. Il existait des tuméfactions fermes, mobiles et indolores, rétro et sousmalléolaires de façon bilatérale. Les chevilles étaient douloureuses et non limitées. Par ailleurs, on notait 2 tuméfactions au niveau du dos ayant les mêmes caractéristiques que celles des chevilles. La vitesse de sédimentation (VS) était à 10 mm à la première heure, la CRP à 6 mg/l. Le bilan lipidique était normal. Les radiographies standard des chevilles étaient normales. L’échographie des chevilles a confirmé la nature lipomateuse des 2 tuméfactions. L’imagerie par résonance magnétique (IRM) a mis en évidence une formation lipomateuse arciforme. La DMO corps entier a objectivé une augmentation de la masse grasse des membres inférieurs sans ostéopénie. La patiente a eu une exérèse chirurgicale des lipomes des 2 chevilles. Il n’y a pas eu de récidive locale après 1 recul de 18 mois. Discussion. – La maladie de Dercum est rare. Son étiologie reste inconnue. Les masses adipeuses sont souvent multiples, douloureuses spontanément avec des paresthésies en regard. Les localisations péri-articulaires engendrent des arthralgies mécaniques. Le diagnostic, souvent tardif, est fondé sur l’échographie et surtout l’IRM. Le traitement a 1 double but antalgique et esthétique. Il doit comporter 1 volet médical, chirurgical et psychiatrique. © 2003 Publié par Elsevier SAS. Abstract Dercum’s disease, or adiposa dolorosa, is a rare condition characterized by the development of multiple painful subcutaneous lipomas. Postmenopausal women are selectively affected. The ankle area is an uncommon site of involvement. We report a case with lipomas about the ankle, and we review the relevant literature. Case-report. – This 46-year-old perimenopausal woman receiving follow-up for depression presented in December 1997 for swelling and mechanical pain in the right ankle. Lumps behind and under the malleoli were removed surgically and found to have the typical histological features of lipomas. In January 2000, a lump developed behind and under the malleoli of the left ankle, and the lumps on the right recurred. The physical examination showed obesity, with a body mass index of 32.04 kg/m2. Firm, mobile, painless lumps were felt under and behind the malleoli on both sides. The ankles were painful, although range of motion was normal. Examination of the back found two similar lumps. The erythrocyte sedimentation rate was 10 mm/h and the C–reactive protein level was 6 mg/l. Serum lipid levels were normal. Findings were normal from plain radiographs of the ankles. Ultrasound scanning of the ankles confirmed that the lumps were composed of adipose tissue. Magnetic resonance imaging visualized an arc-shaped lipomatous mass on the left. Whole-body bone density measurement found an increase in fat mass of the lower limbs with normal bone mass. The ankle lipomas were removed surgically. At last follow-up 18 months later, she was free of recurrence.

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Pour citer cet article, utiliser ce titre en anglais et sa référence dans le même volume de Joint Bone Spine. * Auteur correspondant. Service de rhumatologie « B », hôpital El-Ayachi, Salé, Maroc Adresse e-mail : [email protected] (B. Amine).

© 2003 Publié par Elsevier SAS. doi:10.1016/S1169-8330(03)00339-9

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Discussion. – Dercum’s disease is a rare condition of unknown etiology characterized by multiple, often painful lipomas. Paresthesia in the overlying skin is common. Lipomas about the joints cause mechanical arthralgia. The diagnosis, which is often delayed, rests on ultrasonography and, above all, magnetic resonance imaging. A combination of medications, surgery, and psychiatric care is usually needed. The treatment aims at relieving the pain and restoring a normal appearance. © 2003 Publié par Elsevier SAS. Mots clés : Maladie de Dercum ; Adiposis dolorosa Keywords: Durcum’s disease; Adiposis dolorosa; Painful lipomas

1. Introduction La maladie de Dercum ou adiposis dolorosa est une entité rare, caractérisée par la présence de multiples masses adipeuses douloureuses sous cutanées [1–4]. L’adiposis dolorosa juxta-articulaire peut être génératrice d’arthralgies [4,5]. Son étiologie reste inconnue. Plusieurs hypothèses physiopathologiques sont émises. Le traitement chirurgical et la liposuccion sont souvent utilisés, mais ne permettent pas de prévenir les récidives. Nous présentons 1 cas débutant par une localisation rare au niveau de la cheville et faisons une revue de la littérature.

2. Observation Mme C.B âgée de 46 ans, en préménopause, suivie pour dépression depuis 5 ans, a présenté en décembre 1997 des douleurs mécaniques avec tuméfaction de la cheville droite d’apparition progressive. Ces douleurs ne s’amélioraient pas sous-antalgiques et anti-inflammatoires. En août 1999, elle a subit une chirurgie d’exérèse des masses rétro et sousmalléolaires droites. L’étude anatomopathologique a révélé leur nature lipomateuse, sans signes inflammatoires ni anomalies vasculaires. En janvier 2000, est apparue une tuméfaction rétro et sous-malléolaire gauche et une récidive à droite. Ce qui a motivé son hospitalisation dans le service en août 2000. À l’examen, la patiente était obèse pesant 80 kg pour une taille de 1,58 m, son indice de masse corporelle (IMC) était de 32,04 kg/m2. L’échelle visuelle analogique de la douleur (Éva) était de 60/100 au repos et de 90/100 à la marche et à la station debout. Il existait des tuméfactions fermes, mobiles et indolores à la palpation, rétro et sousmalléolaire de façon bilatérale. Les chevilles étaient douloureuses à la mobilisation mais non limitées. Par ailleurs, on notait 2 tuméfactions au niveau du dos ayant les mêmes caractéristiques cliniques que celles des chevilles. Le reste de l’examen clinique notamment neurologique était normal. La vitesse de sédimentation (VS) était à 10 mm à la première heure, la CRP à 6 mg/l. L’hémogramme, l’ionogramme sanguin, le bilan hépatique et l’électrophorèse des protéines étaient normaux. Le bilan lipidique (cholestérol, triglycérides, HDL, LDL) était normal. Les radiographies standards des chevilles n’ont pas objectivé d’anomalies ostéoarticulaires. L’échographie des chevilles était en faveur de la

Fig. 1. IRM des chevilles en coupe horizontale visualisant les lipomes juxta-articulaires.

nature lipomateuse des masses sous cutanées. L’IRM a mis en évidence une formation lipomateuse arciforme en arrière et au-dessous de la malléole externe gauche, localisée, sans extension intra-articulaire ni vers les gaines tendineuses voisines (Fig. 1, 2). Un aspect de cicatrice banale a été visualisé à droite. La densitométrie osseuse (DMO) n’a pas objectivé d’ostéopénie. Le T score au niveau du rachis lombaire était

Fig. 2. IRM des chevilles en coupes frontales visualisant les lipomes juxtaarticulaires.

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de –0,61 et au niveau du col fémoral de –1,13. La DMO corps entier a mis en évidence une augmentation de la masse grasse des membres inférieurs. La patiente a eu une exérèse chirurgicale des lipomes des 2 chevilles. L’évolution a été marquée par la disparition des lipomes. Les articulations tibiotarsiennes sont légèrement limitées. Il n’y a pas eu de récidive locale cliniquement décelable après 1 recul de 18 mois.

3. Discussion La maladie de Dercum a été décrite en 1888 par cet auteur qui proposa la nomination d’adiposis dolorosa [1]. Cette maladie est héréditaire de transmission autosomique dominante avec pénétrance variable [4]. Elle est d’apparition souvent sporadique, mais des cas familiaux ont été rapportés. Elle touche essentiellement la femme ménopausée. Quelques cas chez l’homme ont été rapportés [4]. Son étiologie reste inconnue actuellement. Plusieurs hypothèses pathogéniques ont été émises. Concernant les masses adipeuses, on a constaté des altérations du métabolisme lipidique, avec augmentation de la liposynthèse, une diminution de la lipolyse et des altérations enzymatiques de la synthèse et de l’utilisation des chaînes longues des acides gras avec blocage de la synthèse des acides gras spécifiques en C16–C18[6]. Des anomalies du métabolisme glucidique ont été également observées, telles qu’une diminution de la consommation du glucose, une diminution de la sensibilité à l’insuline et une diminution de la conversion du glucose en glycérides neutres dans le tissu adipeux douloureux [2]. D’autres perturbations endocriniennes touchant la thyroïde, les surrénales, les gonades et l’hypophyse ont été constatées chez ces patients [3,4,6]. La douleur pourrait être expliquée par un désordre vasculaire avec microthrombus ou des anomalies des nerfs périphériques [3,4,6]. La symptomatologie clinique est atypique [4]. Les masses adipeuses sont souvent multiples, siégeant au niveau des genoux, du dos, du cou, des cuisses et des bras, épargnent souvent la face et les mains. Elles sont douloureuses spontanément avec des paresthésies en regard. Le seuil douloureux des patients paraît bas. La peau en regard est normale, pouvant être tendue et luisante avec dilatation des veines superficielles [4,6,7]. L’asthénie et la fatigue sont des symptômes fréquemment décrits [4,8]. Des troubles mentaux à type d’instabilité émotionnelle, irritabilité, dépression, épilepsie, confusion mentale ou démence accompagnent souvent la symptomatologie, rendant le diagnostic plus difficile [4,6,9]. D’autres signes cliniques peuvent se voir comme la diminution de la pilosité pubienne et sous axillaire [4], un myxœdème, des épisodes de flush paroxystiques [6], une hypertension artérielle, une insuffisance cardiaque congestive précoce [2,4,6], une cyanose, une dyspnée et une tachypnée [6]. Ce polymorphisme clinique est souvent responsable de retard diagnostique [10,11]. Les localisations périarticulaires engendrent des arthralgies mécaniques. Elles sont observées surtout aux genoux. Une association à une arthrose ou à une polyarthrite rhumatoïde a été rapportée

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[4,11,12]. Les radiographies standard ne montrent pas d’anomalies ostéo-articulaires sauf pathologie associée. L’échographie permet de visualiser la nature lipomateuse des masses souscutanées et étudie leurs rapports. L’IRM constitue l’examen de choix. Elle montre un hypersignal en T1 et T2, sans prise de contraste à l’injection de gadolinium. Elle décrit les rapports avec les structures tendineuses et ostéoarticulaires. L’étude histologique montre que la cellule adipeuse et les fibres nerveuses sont d’aspect microscopique normal. Dercum a décrit des anomalies autour des nerfs pouvant expliquer la douleur, notamment une augmentation de la vascularisation, une prolifération des fibroblastes et une nécrose des cellules adipeuses [3,13]. La biologie n’objective pas de syndrome inflammatoire ni d’anomalie lipidique [2]. Le traitement a un double but antalgique et esthétique. Il doit comporter un volet médical, chirurgical et psychiatrique [14]. Les antalgiques et les anti-inflammatoires non stéroidiens ont 1 effet médiocre ou absent [1,12]. La prednisone à la dose de 20 mg/j a été essayée et a permis une amélioration partielle de la douleur [13]. Maigrir est souvent très difficile, et ne garantie pas la disparition ni des lipomes ni de la douleur en ayant un poids idéal [5,6]. La Lidocaïne en intraveineux, méthode décrite par Peterson et Kastrup [15], a été donnée à la dose de 400 mg/j à passer en 15 min. Ce traitement non invasif est efficace [8,14]. Une association de mexiletine à la dose de 200 mg, 3 fois par jour, est nécessaire pour prévenir ses effets indésirables notamment cardiaques. La lidocaïne en association avec la pilocarpine semble efficace en traitement local [3,6,14]. L’injection locale de corticoïdes a été rapportée chez des patientes ayant une polyarthrite rhumatoïde associée, permettant un soulagement de la douleur variable de 24 h à 5 mois [11]. Le traitement chirurgical consiste en une exérèse chirurgicale ou une liposuccion des masses adipeuses. La chirurgie d’exérèse est souvent efficace sur les lipomes et la douleur. Elle peut être contreindiquée à cause du terrain et responsable de morbidité importante chez ces patientes obèses. La récidive des lipomes est assez rapide, rapportée au bout de quelques mois [1,10,14]. La liposuccion est une technique très utilisée dans la chirurgie esthétique. Elle est considérée comme une procédure analogue à la chirurgie qui peut être efficace sur le lipome, la douleur et les troubles psychiques en corrigeant la dysmorphie. Cette méthode est à recommander sousanesthésie locale ou péridurale selon l’étendue des lésions [1–3,6,9].

4. Conclusion L’adiposis dolorosa juxta-articulaire des chevilles constitue une localisation rare. L’échographie et surtout l’IRM sont d’un apport important pour le diagnostic. Le traitement doit comporter un volet médical, chirurgical et psychiatrique. L’évolution vers une récidive locale ou à distance est souvent inévitable.

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