Kinesither Rev 2013;13(136):35–44
Savoirs / Mise au point
La marche en situation écologique chez l'amputé : un pas vers l'autonomie ? Walking ecological situation in the amputee: A step towards independence? 25, rue d'Estienne-d'Orves, 92400 Courbevoie, France
Laura Nithart
Reçu le 6 juillet 2012 ; reçu sous la forme révisée le 8 janvier 2013 ; accepté le 9 janvier 2013
RÉSUMÉ La rééducation en salle de la personne amputée est largement décrite dans la littérature. Cependant, certains patients nécessitent une prise en charge plus approfondie dans le but d'améliorer le retour à domicile grâce à une augmentation de leurs capacités de marche en toute sécurité. Ainsi, le groupe de marche ici étudié, propose une mise en situation écologique associée à des exercices fonctionnels quotidiens, en groupe, dirigé par un kinésithérapeute. Pour évaluer cette innovation récente en kinésithérapie, quatre cas ont été étudiés à leur entrée puis à leur sortie du groupe. L'évaluation comporte un questionnaire d'entrée ou de sortie, un test de marche de deux minutes et une analyse posturographique. Les résultats, non généralisables, en montrent des bénéfices significatifs dans de nombreux domaines. Les modalités même de cette expérience semblent expliquer en grande partie ces bénéfices. Malgré des points communs aux quatre cas, nous avons pu mettre en évidence la singularité de chacun. Niveau de preuve. – II. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Mots clés Amputation Contexte Groupe Handicap Marche Réadaptation
Keywords Amputation Context Group Handicap Walk Rehabilitation
SUMMARY Amputated person in rehabilitation room is widely described in literature. However, some patients require further treatment in order to improve the return at home by increasing their ability to walk safely. Thus, the walking group studied here, offers an ecological scenario associated with daily functional exercices, in group, managed by a physiotherapist. To evaluate this recent innovation in physiotherapy, four cases were studied when they get in and get out of the group. The evaluation includes an input or output questionnaire, a two-minute walk test, and a posturographic analysis. The results cannot be generalized but are showing significant benefits in many fields. Terms of this experience seem to explain much of these benefits. Despite similarities with four cases we were able to put in evidence the singularity of each of them. Level of evidence. – Level II. © 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
INTRODUCTION La prise en charge kinésithérapique des patients amputés s'inscrit dans une prise en charge interdisciplinaire. Elle prend en compte le patient, son contexte et sa situation de handicap liée à l'amputation ainsi que les © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.kine.2013.01.007
possibilités d'appareillage et de réadaptation à la marche. En pratique, les attentes des patients sont d'acquérir une autonomie de marche la plus complète possible. Les modalités qui permettraient d'atteindre cet objectif ont été décrites dans certains articles [1,2]. De plus, les spécificités de la personne amputée,
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Savoirs / Mise au point en particulier en ce qui concerne la perte d'informations proprioceptives et l'altération du schéma corporel sont traitées par de nombreux auteurs. Les avancées de l'appareillage et la formalisation de la prise en charge en kinésithérapie permettent de plus en plus l'obtention par le patient d'une autonomie de marche en milieu sécurisé. Parfois, certains peuvent parfaire cette autonomie de marche en participant à un groupe de marche. En effet, il est proposé depuis un an et demi, une innovation en kinésithérapie : une mise en situation écologique dans le cadre d'un groupe de marche. L'objectif vise alors à évaluer ce que la marche en situation écologique, dans un groupe de marche interactif encadré par le kinésithérapeute, peut apporter à la réinsertion des patients amputés, l'acceptation de leur handicap et l'amélioration de leur autonomie. Figure 1. Chemin de dalles.
MÉTHODES Groupe de marche
Les patients entrant dans ce groupe répondent à des critères d'inclusion : patients appareillés, stabilisés sur le plan cutané trophique et vasculaire, ayant un périmètre de marche d'au moins 150 mètres et un minimum d'autonomie. Le groupe de marche fait partie intégrante de la rééducation et de la réadaptation des patients amputés de membre inférieur. Il s'agit d'un groupe ouvert, dirigé par un kinésithérapeute, qui réalise tous les jours durant une heure des mises en situation fonctionnelles et écologiques : Après avoir acquis la marche en milieu sécurisé, les patients vont alors être confrontés aux difficultés du terrain en extérieur. Les patients marchent à l'extérieur durant environ 30 minutes. L'objectif de cet atelier est d'améliorer l'endurance du patient, son réajustement postural et l'intégration de sa prothèse en situation écologique. Cette mise en situation s'effectue sur différents types de terrains tels que des chemins de dalles (Fig. 1), du sable (Fig. 2), des rouleaux de bois (Fig. 3), des terrains accidentés (Fig. 4), des galets (Fig. 5). . . De plus, ils réalisent un travail dans les escaliers car « la montée et la descente des escaliers sont des actes importants à apprendre et essentiels pour la vie de tous les jours » [1]. Le ramassage d'objet au sol est proposé lorsque le patient se tient debout et marche seul. Il s'agit de l'aider à trouver la technique la plus adaptée et surtout de diminuer son appréhension par une mise en situation réelle et répétée. Cette mise en situation écologique peut augmenter dans un premier temps le risque de chute. Il paraît donc essentiel d'apprendre au patient le transfert sol/debout pour améliorer son autonomie et diminuer son appréhension de la chute. Le kinésithérapeute utilise le guidage verbal et manuel pour que le patient acquière une stratégie adaptée. Cet apprentissage est réalisé en milieu sécurisé sur tapis de mousse ce qui permet de rassurer le patient et d'éviter toutes complications. Enfin, cette expérience impose de nouvelles contraintes sur le moignon, ce qui nécessite un message éducatif clair, adapté et
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Figure 2. Sable.
Figure 3. Rouleaux de bois.
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Figure 5. Galets.
Figure 4. Terrains accidentés.
répété. En effet, « les soins éducatifs sont primordiaux » [2]. Une surveillance systématique du moignon est proposée par le kinésithérapeute à la fin de chaque atelier. Cette étape permet un rappel des conseils d'éducation, formalisés dans un livret systématiquement remis au patient.
Matériels Quatre situations cliniques ont été étudiées (Tableau I). Les patients ont fait partie du groupe de marche à des périodes différentes.
Outils d'évaluation Il s'agissait, d'une part, d'une analyse objective qui comprenait la posturographie et la distance de marche en deux minutes et, d'autre part, d'une analyse subjective comprenant un questionnaire (d'entrée ou de sortie). Les patients réalisaient ces évaluations à l'entrée puis à la sortie du groupe de marche.
Questionnaire La mise en place de questions orientées et pertinentes nous ont permis de recueillir le ressenti des patients sur des points clés tels que :
la perception de leurs corps ; leurs capacités à réaliser les activités quotidiennes ; leurs projets professionnels et de loisirs ; la perception de leur équilibre debout et à la marche ; la présence ou non d'une aide technique ; les chutes et l'appréhension de tomber et enfin ; leur ressenti sur le groupe de marche. Les questionnaires d'entrée et de sortie étaient quasiment similaires. Seules les questions concernant l'identification du patient ont été retirées du second questionnaire et remplacées par des questions traitant de l'apport d'un travail en groupe et d'une mise en situation écologique.
Évaluation posturographique L'évaluation posturographique était une technique d'évaluation fiable et reproductible. Si l'examen posturographique pouvait s'avérer assez éloigné des préoccupations quotidiennes des amputés, il permettait d'évaluer le retentissement des déficits sensori moteurs présents chez ces derniers, et aussi de suivre l'optimisation des stratégies d'équilibrations avec la prothèse [3]. Les patients réalisaient une stabilométrie statique. Il s'agissait d'une évaluation de la statique des patients en position debout, immobiles sur la plateforme, yeux ouverts
Tableau I. Les quatre cas de l'étude. M. B.
Mme L.
M. M.
M. P.
Âge (ans)
Homme 79
Femme 67
Homme 54
Homme 51
Causes
Artérite
Tumorale
Allergique
Traumatique
Niveaux
Tibial
Tibial
Tibial
Fémorale
Profession
Retraité
Retraitée
Gérant
Artisan
34
8
21
26
Temps complet
Temps complet
Temps partiel
Temps complet
Sexe
a
Temps passé (heures) b
Hospitalisation a b
Temps passé : il s'agit du temps passé au groupe de marche. Il a été calculé en fonction des séances d'une heure réellement réalisées. Hospitalisation : l'hospitalisation à temps partiel est bien souvent préconisée par le médecin lorsque le patient a atteint un niveau d'autonomie suffisant.
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Savoirs / Mise au point et yeux fermés. On comparait les résultats entre le début et la fin pour quatre paramètres : X moyen (appuis latéraux) ; Y moyen (équilibre avant-arrière) ; longueur (oscillation du centre de pression) et ; surface (précision de stabilisation).
Test de marche en deux minutes Il s'agissait d'un test facile à mettre en place, reproductible et permettant de donner un résultat objectif de distance et de vitesse de marche des patients. Les patients marchaient pendant deux minutes dans un couloir d'une longueur de 26 mètres. La consigne donnée aux patients étaient de parcourir, pendant cette durée, la plus grande distance, c'est-àdire le maximum d'aller-retour. Les patients utilisaient, s'ils en avaient une, leur aide technique de marche habituelle. Nous évaluions l'évolution de chaque patient et nous comparions les résultats entre eux.
Conditions precises d'évaluation L'évaluation était réalisée par le même opérateur pour limiter les biais. Elle se déroulait dans un ordre précis : les patients commençaient par répondre au questionnaire. Lorsqu'ils remplissaient le questionnaire de sortie, ils n'avaient pas accès à leur questionnaire d'entrée de façon à ce qu'ils mettent le ressenti réel du moment. Ensuite, ils réalisaient une stabilométrie statique yeux ouverts puis yeux fermés sans pause entre les deux sauf à la demande du patient. Enfin, après avoir réalisé une pause de la durée qu'ils souhaitaient, ils terminaient par le test de marche.
RÉSULTATS Résultats des questionnaires Dans la moitié des cas, les progrès réalisés avaient fait évoluer l'appareillage des patients vers un appareillage plus sophistiqué et adapté à la situation écologique. Il s'agissait des deux patients jeunes (50 et 59 ans). Dans tous les cas, le groupe de marche permettait une évolution de l'aide technique : soit un sevrage complet (patients jeunes), soit le passage à une aide technique plus légère. Trois patients sur quatre avaient abandonné l'utilisation du fauteuil roulant pour « de longues distances » (le terme de « longues distances » étant laissé à l'appréciation des patients). Seul M. B., artéritique en conservait un. Cependant, en pratique, il fallait noter que certains conservaient un fauteuil roulant pour la toilette ou autres activités sans la prothèse. Les quatre patients conservaient des douleurs du membre fantôme à la fin du groupe de marche. Deux patients sur quatre les évaluaient de manière moins importante par rapport à leur entrée dans le groupe de marche tandis que pour les deux autres elles étaient d'intensité identique. Cependant, les douleurs du membre fantôme de Mme L. évaluées à l'identique n'étaient tout de même pas vécu de la même manière. Elle lui provoquait « une gêne modérée » au début alors qu'à la fin elle « vivait bien avec ». M. B. avait des douleurs du membre fantôme diminuées à sa sortie et il « vivait alors bien avec ».
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Au contraire à leur sortie, les douleurs de M. P. évaluées à l'identique et de M. M. diminuées provoquaient « une gêne modérée » alors qu'ils « vivaient bien avec » à leur entrée. L'ensemble des quatre patients considérait avoir acquis avant de commencer l'autonomie au chaussage-déchaussage de la prothèse et les conseils d'éducation. La moitié des cas appréhendaient la chute au début de l'expérience : M. B. et M. P. Ces derniers n'appréhendaient plus la chute à la fin du groupe de marche. Au début du groupe de marche, aucun patient ne pensait avoir retrouvé sa vitesse de marche. La moitié des patients étudiés avait la sensation de l'avoir retrouvée à la fin de cette expérience : M. B. et M. M. L'expérience a eu un effet significatif sur la perception du corps. Seul M. B. artéritique, avait une vision de son corps positive au début du groupe de marche « mieux après l'amputation parce qu'avant je souffrais, j'ai retrouvé ma jambe ». Mme L., M. M. et M. P., avaient une vision négative de leur corps à leur entrée dans le groupe. À leur sortie cette vision semblait beaucoup plus mesurée, voire nettement améliorée. En effet, Mme L. nous disait par exemple « je me sens mieux et moins regardée par les autres ». Le groupe de marche a permis à tous les patients d'être capables de réaliser la plupart des activités de la vie quotidienne avant leur retour à domicile. Les quatre patients considéraient que le groupe de marche a totalement répondu à leurs attentes. Pour M. B. il s'agissait d'arriver à marcher à l'extérieur, s'adapter à la prothèse, et apprendre à se relever du sol. Mme L. souhaitait apprendre à se relever du sol et améliorer sa vitesse et sa qualité de marche. M. M. attendait du groupe de progresser dans son indépendance. Enfin, M. P. espérait progresser rapidement et s'adapter à la prothèse pour être plus en confiance. L'ensemble des patients considérait que le groupe de marche leur avait permis de passer une étape. Pour chacun cette étape était différente : M. B. : « Avant je marchais uniquement dans les couloirs, et maintenant je marche sans difficultés à l'extérieur », Mme L. : « J'ai plus confiance en moi », M. M. : « J'ai acquis une certaine assurance dans la montéedescente des escaliers » ; M. P. « J'ai une durée de marche plus longue et j'ai pris confiance en moi ». La mise en situation écologique régulière a semblé déterminante pour l'ensemble des patients dans les étapes d'autonomisation franchies. Enfin, les quatre cas semblaient tous en accord sur le caractère motivant d'un travail en groupe. M. B. écrivait que « c'est encourageant ».
Résultats de la posturographie Le seul résultat commun aux quatre patients était une antériorisation du centre de gravité yeux ouverts et yeux fermés à la fin du groupe de marche.
Résultats du test de marche de deux minutes Les quatre cas étudiés avaient une distance de marche nettement améliorée entre le début et la fin d'au moins 20 mètres. Ainsi, la vitesse de marche est améliorée d'au minimum 0,6 km/h. La progression était comprise entre 19 % et 111 %. La moyenne de progression était de 55 %. M. P., amputé fémoral était celui qui avait subi la meilleure progression.
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DISCUSSION Validité des résultats obtenus et les limites de notre demarche professionnelle Bien que cette étude nous permette d'explorer les deux grands niveaux et les trois causes principales d'amputation, le nombre de cas ici observé ne nous permet pas de généraliser les résultats. Une population plus grande ainsi que des comparaisons entre patients du même âge et de cause d'amputation commune nous auraient permis d'avoir un avis plus critique. Cependant, le laps de temps dans lequel l'étude s'est déroulée ne nous a pas permis de le faire. Enfin, nous ne pouvons pas affirmer que les effets évalués sont uniquement en lien avec le groupe de marche car il s'agit d'une prise en charge interdisciplinaire où l'ensemble des ateliers vont se compléter. Cependant, cette démarche clinique permet une première évaluation de l'efficacité de cette pratique professionnelle.
Reflexion sur les resultats L'artérite est une pathologie chronique qui détériore progressivement les capacités de marche et d'autonomie du patient. Ainsi, M. B. a une vision positive de l'amputation dès le début du groupe de marche car il considère la prothèse comme une « solution » à cette aggravation ; il nous dit « j'ai retrouvé ma jambe ». L'état d'esprit n'est pas le même lorsque la cause de l'amputation est brutale. Ainsi, l'expérience violente qu'est l'amputation [4] s'en trouve inévitablement majorée et la perception de leur corps a alors tendance à être négative (Mme L., M. M. et M. P.). La restauration de l'image de soi et la réappropriation d'une image corporelle intégrant l'amputation sont permises par le groupe de marche qui redonne à la personne amputée un sentiment d'unité [5]. En effet, la prise en charge en groupe remet en scène « l'effet miroir » [5,6]. Dans le groupe, « l'effet miroir » opère par la présence du kinésithérapeute qui observe, conseille, oriente et accompagne et s'opère aussi du patient vers un autre patient. Il y retrouve des similitudes mais aussi la singularité de son expérience et de son vécu. Dans le même sens, GuimelchainBonnet [7] affirme que l'image de soi se constitue par identification au corps de l'autre ce que permet le travail en groupe mis en place ici. Enfin, les résultats obtenus guidés par les encouragements du kinésithérapeute et du groupe luimême valorisent le patient et favorisent une réparation narcissique [4]. La particularité de cette expérience est la mise en place d'un travail en groupe qui peut être très motivant avec souvent en pratique l'installation d'une entraide entre les participants. Dans la littérature, il est d'ailleurs écrit « la marche en commun (. . .) va les motiver » [2]. Il s'agit d'une étape de socialisation. De plus, il permet de questionner la performance de chacun. La situation écologique éloigne le patient du milieu sécurisé et médicalisé. M. P. écrit alors « cela permet de marcher ailleurs que dans les couloirs ». Le milieu écologique est un véritable feed-back, améliorant ainsi la proprioception des patients amputés avec une diminution des compensations et une sollicitation des stratégies de réajustements posturales [6,8]. L'observation clinique nous a permis de dire que les patients en phase de rééducation à la marche se trouvent confrontés
Savoirs / Mise au point au risque de chute et à la peur de chuter pour certains. L'existence même ou non d'une appréhension à la chute dépend principalement de l'âge, du niveau d'amputation, du contexte psychosocial et de la confiance en soi. La peur de chuter peut constituer un frein important dans l'évolution et la réinsertion des patients. D'ailleurs, M. P. écrit qu'il s'agit « d'un blocage pour la progression ». En effet, la littérature explique justement que les patients, face à cette situation nouvelle d'amputation, éprouvent un sentiment d'appréhension et ont tendance à se restreindre [6]. La proposition d'acquisition du transfert sol/debout et la mise en confiance que confère cette expérience permet de franchir l'étape de l'appréhension à la chute de façon significative dans l'échantillon étudié. Dans cette situation écologique, le kinésithérapeute guide de façon ludique et sécurisé le groupe qui va alors dédramatiser les situations délicates, voire à risques. Les patients se sentent alors confronter au monde extérieur en toute confiance. La répétition quotidienne de cette expérience favorise des automatismes de réajustements posturaux, limitant les risques de chutes [9]. En effet, les patients amputés doivent acquérir de nouveaux automatismes [10] car la marche est avant tout une « fonction automatique » [11], ce qui passe bien entendu par la répétition. La littérature montre que la vitesse de marche de la personne amputée reste inférieure à celle de la population du même âge [12]. Pour autant, nous pouvons noter que l'intégration de la prothèse dans l'image de soi et l'amélioration du réajustement postural automatisé permettent d'augmenter de façon intéressante la vitesse de marche. De plus, il semble important de recentrer les objectifs de cette prise en charge en lien avec les attentes et le contexte du patient. Bien que peut-être inférieure à leur vitesse antérieure de marche, les patients peuvent retrouver pour certains une vitesse qui leur donne la satisfaction de pouvoir accomplir les tâches qu'ils souhaitent. Ainsi M. B., artéritique nous dit « cela me suffit ». À noter que nous aurions pu aussi utiliser le test de marche de six minutes pour évaluer leur vitesse de marche. Le groupe de marche a amélioré la tolérance à l'effort des patients étudiés ce qui est permis, d'après certains auteurs, par une rééducation fonctionnelle bien menée associée à une prothèse adaptée [13]. Seul M. B., artéritique conserve un fauteuil roulant pour de longues distances à la fin de l'expérience. En effet, le processus pathologique étant à l'œuvre du côté opposé à l'amputation il conserve une limitation de son périmètre de marche. L'ensemble des bénéfices de cette expérience concourant à améliorer le schéma de marche et la sûreté du patient sur le terrain va finalement permettre de faire évoluer les aides techniques des patients, voire même de permettre leur sevrage. Cela se fait principalement en fonction de l'âge, du niveau d'amputation, de la cause de l'amputation, de l'autonomie antérieure et des douleurs. Le cheminement psychique étayé par des progrès fonctionnels significatifs peut influer sur l'intensité des douleurs sequellaires à l'amputation mais surtout sur le vécu de ces douleurs. La diminution de l'évaluation de ces douleurs du membre fantôme est à mettre en lien d'après la littérature avec les stratégies de coping du patient [14]. Cette diminution peut être en partie attribuée au fait que le patient fait mieux face à la souffrance de la perte. Le groupe de marche a contribué à les rendre plus combattifs par la prise de conscience de leurs capacités. Cependant, quand les patients gagnent en autonomie, ce qui est particulièrement le cas pour les deux patients
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Savoirs / Mise au point jeunes, les douleurs du membre fantôme peuvent alors leur apparaître plus gênantes car elles deviennent plus apparentes. Les conseils d'éducation (nettoyage du moignon, de la prothèse et surveillance du moignon) sont délivrés au cours de la rééducation en salle. C'est ce qui expliquerait que les quatre cas les considèrent comme acquis. Cependant, nous pouvons penser que cette expérience est une phase d'intégration de ces conseils par une mise en pratique répétée. De plus, les progrès significatifs des quatre patients favorisant l'investissement du moignon en tant que « bon objet » vont permettre, d'après Decker [4], d'intégrer ce dernier à l'unicité du corps et ainsi de faire l'objet de soins de surveillance plus précautionneux. Il en est de même pour l'autonomie au chaussage et déchaussage de la prothèse où ils peuvent parfaire cette autonomie par une répétition au quotidien. Le kinésithérapeute recherche toujours la solution technique qui permettra au patient d'optimiser l'appareillage sans risque de chutes. Les patients jeunes sont ceux qui sont susceptibles d'évoluer vers un appareillage plus sophistiqué et plus adapté à leur projet de vie. Ainsi, le groupe de marche a permis par les progrès fonctionnels réalisés d'anticiper la prescription d'un appareillage plus sophistiqué avant la fin du premier séjour pour les deux patients jeunes. La démarche professionnelle nous indiquait de choisir des éléments de référence. La posturographie ne montre pas pour autant les résultats attendus. Comme le montre l'étude de Rougier et Genthon [3], nous pourrions nous attendre à un recentrage du centre de gravité avec un appui plus important du côté de la prothèse et à une meilleure stabilisation avec une longueur et une surface diminuées. Les modifications de l'appareillage, les douleurs du patient et les variations de son moignon peuvent en partie expliquer la pauvreté des résultats. Cependant, l'antériorisation du centre de gravité systématique est d'après la littérature le résultat d'une meilleure équilibration [3]. En effet, il s'agit d'une stratégie de conservation de l'équilibre. Finalement, chaque patient est unique : il a son contexte, son histoire et son vécu. Malgré des apports communs de cette
Points à retenir L'amputation est une blessure narcissique. La prise en charge de l'amputé est psychique et
physique.
Un travail quotidien en situation écologique est
très efficace.
Grand intérêt du travail en groupe mais singu-
larité de chacun.
expérience, chacun y trouvera quelque chose qui lui est propre. Ils ont alors chacun franchi une étape d'autonomisation différente. Cette innovation en kinésithérapie permet donc de répondre par l'intermédiaire d'un travail en groupe à une demande personnalisée. Cependant, certains patients qui ont des capacités fonctionnelles moindres notamment les patients artéritiques, ne peuvent pas participer à ce groupe de marche et « les objectifs sont bien souvent limités ». Rappelons que l'artérite est la cause principale de l'amputation. Ainsi, il semble intéressant de réfléchir à la mise en place d'un groupe de marche en milieu sécurisé qui permettrait de conserver la dynamique du groupe. À l'inverse, les patients jeunes dont la cause de l'amputation est traumatique, peuvent être limités dans leur progrès au bout de quelques semaines dans le groupe de marche. Il faut alors penser pour ces derniers à un reconditionnement physique en situation écologique puis éventuellement au sport. Dans tous les cas, nous pouvons mettre en évidence que la réadaptation qui termine la rééducation est tout aussi essentielle « tant physiquement que psychologiquement » [2]. Déclaration d'intérêts L'auteur déclare ne pas avoir de conflits d'intérêts en relation avec cet article.
ANNEXE 1. QUESTIONNAIRE D'ENTRÉE 1- Quelle est la date de votre entrée dans le groupe de marche (date à laquelle vous remplissez ce questionnaire) ? 2- Quel est votre niveau d'amputation ? -Quelle est la date de votre amputation ? -Quel type d'appareillage avez-vous ? Amputés fémoraux : & Genou verrouillé & Genou articulé (physiologique) & À biellettes & Hydraulique/pneumatique Amputés fémoraux et tibiaux : & Pied fixe & Pied articulé & Pied dynamique Si pied dynamique, précisez la classe : 3- Êtes-vous en hospitalisation à temps partiel (HTP) ou en hospitalisation à temps complet (HTC) ?
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Annexe 1 (suite) 4- Quel âge avez-vous ? 5- Quelle est votre profession ? 6- Actuellement, avez-vous une aide technique ? & OUI
& NON
Si oui, & Cannes anglaises & Canne simple & Autre (précisez) : 7- Conservez-vous un fauteuil roulant pour les déplacements sur de plus longues distances ? & NON & OUI 8- Avez-vous des douleurs du membre fantôme ? & OUI
& NON
Si oui, -À combien les évaluez-vous sur une échelle de 0 à 10 (sachant que 0 est une absence de douleur et que 10 correspond à une douleur insupportable) ? -Quel est le vécu de ces douleurs du membre fantôme ? & Je vis bien avec. & Elles provoquent une gêne modérée. & Elles provoquent une gêne importante. 9- Êtes-vous autonome au chaussage et déchaussage de la prothèse ? & OUI
& NON
10- Avez-vous intégré au quotidien les conseils d'éducation thérapeutique proposés pour le moignon et la prothèse (toilette, surveillance. . . ) ? & OUI & NON 11- Depuis votre amputation avez-vous déjà chuté ? & OUI
& NON
Si oui, pour quelles raisons ? -Actuellement, appréhendez-vous de tomber ? & OUI
& NON
Si oui, pour quelles raisons ? 12- Pensez-vous avoir retrouvé votre vitesse de marche ? & OUI
& NON
13- Quelle perception avez-vous de votre équilibre debout et à la marche ? & Je suis instable. & Je suis stable. & Je suis très stable. 14- La prothèse est-elle intégrée dans vos activités au quotidien ? 15- Parmi ces activités, cochez celle(s) que vous faites ou que vous vous sentez capable de faire seul(e) ? & Ramasser un objet au sol & S'accroupir & Se relever du sol & Marcher en extérieur & Marcher sur l'herbe & Marcher sur le sable ou d'autres surfaces irrégulières & Monter une côte ou descendre une pente & Monter et descendre les escaliers 16- Cochez les activités que vous vous sentez capable de reprendre ou que vous avez reprises : & Votre activité professionnelle & Vos activités ménagères ou de bricolage
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Savoirs / Mise au point Annexe 1 (suite) & Vos activités sociales et de loisirs & Vos activités physiques 17- Quels sont à ce jour, vos projets professionnels et de loisirs ? 18- Avez-vous obtenu votre permis de conduire modifié ? & OUI Si non, -Les démarches sont-elles en cours ? & OUI
& NON
& NON
19- Merci de me faire savoir, par un schéma ou un texte la perception que vous avez de votre corps à ce jour : 20- Enfin, quelles sont vos attentes personnelles du groupe de marche ?
ANNEXE 2. QUESTIONNAIRE DE SORTIE 1- Quelle est la date de votre sortie du groupe de marche (date à laquelle vous remplissez ce questionnaire) ? 2- Êtes-vous en hospitalisation à temps partiel (HTP) ou en hospitalisation à temps complet (HTC) ? 3- Quel type d'appareillage avez-vous ? Amputés fémoraux : & Genou verrouillé & Genou articulé (physiologique) & À biellettes & Hydraulique/pneumatique Amputés fémoraux et tibiaux : & Pied fixe & Pied articulé & Pied dynamique 4- Conservez-vous une aide technique ? & OUI
& NON
Si oui, & Cannes anglaises & Canne simple & Autre (précisez) : 5- Conservez-vous un fauteuil roulant pour certains déplacements sur de plus longues distances ? & OUI
& NON
6- Avez-vous des douleurs du membre fantôme ? & OUI
& NON
Si oui, -À combien les évaluez-vous sur une échelle de 0 à 10 (sachant que 0 est une absence de douleur et que 10 correspond à une douleur insupportable) ? -Quel est le vécu de ces douleurs du membre fantôme ? & Je vis bien avec. & Elles provoquent une gêne modérée. & Elles provoquent une gêne importante. 7- Êtes-vous autonome au chaussage et déchaussage de la prothèse ? & OUI
& NON
8- Avez-vous intégré au quotidien les conseils d'éducation thérapeutique proposés pour le moignon et la prothèse (toilette, surveillance. . . ) ? & NON & OUI 9- Avez-vous chuté depuis votre intégration dans le groupe de marche ? & OUI Si oui, pour quelles raisons ?
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& NON
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Annexe 2 (suite) -Actuellement, appréhendez-vous de tomber ? & OUI
& NON
Si oui, pour quelles raisons ? 10- Pensez-vous avoir retrouvé votre vitesse de marche ? & OUI
& NON
11- Quelle perception avez-vous de votre équilibre debout et à la marche ? & Je suis instable. & Je suis stable. & Je suis très stable. 12- La prothèse est-elle intégrée dans vos activités au quotidien ? & OUI
& NON
13- Parmi ces activités, cochez celle(s) que vous faites ou que vous vous sentez capable de faire seul(e) ? & Ramasser un objet au sol & S'accroupir & Se relever du sol & Marcher en extérieur & Marcher sur l'herbe & Marcher sur le sable ou d'autres surfaces irrégulières & Monter une côte ou descendre une pente & Monter et descendre les escaliers 14- Cochez les activités que vous vous sentez capable de reprendre ou que vous avez reprises : & Votre activité professionnelle & Vos activités ménagères ou de bricolage & Vos activités sociales et de loisirs & Vos activités physiques 15- Quels sont à ce jour, vos projets professionnels et de loisirs ? 16- Avez-vous obtenu votre permis de conduire modifié ? & OUI
& NON
Si non, -les démarches sont-elles en cours ? & OUI
& NON
17- Merci de me faire savoir, par un schéma ou un texte la perception que vous avez de votre corps à ce jour : 18- Le travail en groupe a-t-il été un élément motivant pour vous ? & OUI
& NON
Remarque(s) : 19- La mise en situation écologique de ce projet (marche en extérieur) a-t-il été un élément déterminant des progrès réalisés ? & OUI Remarque(s) : 20- Le groupe de marche vous a-t-il permis de passer une étape ? & OUI Si oui, laquelle ?
& NON
21- Le groupe de marche a-t-il répondu à vos attentes personnelles ? & TOTALEMENT & PARTIELLEMENT
& NON
Si partiellement ou non, qu'auriez vous aimer y trouver ?
RÉFÉRENCES [1] Lamandé F, Dupré JC, Cécile F, Sénégas-Rouvière J, Petit I, Salze O. Réadaptation de la personne amputée de membre inférieur. Encyclopédie médicochirurgicale 2011 [26-270-A-10].
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