La médecine moderne ne se résume pas à un effet pharmacologique

La médecine moderne ne se résume pas à un effet pharmacologique

en ligne sur/ on line on www.masson.fr/revues/pm Éditorial Presse Med. 2006; 35: 931-2 © 2006, Masson, Paris La médecine moderne ne se résume pas ...

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Éditorial

Presse Med. 2006; 35: 931-2 © 2006, Masson, Paris

La médecine moderne ne se résume pas à un effet pharmacologique Pierre Gallois

Médecin interniste retraité, président fondateur de l’Unaformec.

Correspondance : Pierre Gallois, 435 chemin de Verneuil, 71850 Charnay les Mâcon. Tél. : 03 85 34 17 75 Fax. : 03 85 20 27 92 [email protected]

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a vogue de l’“Evidence Based Medicine” (EBM) a fait croire à beaucoup que toute l’efficacité médicale se définissait à partir des résultats des essais médicamenteux. Ce n’est pourtant qu’une interprétation réductrice des principes de l’EBM tels qu’ils ont été précisés par ses promoteurs [1, 2]. C’est pourquoi il est particulièrement stimulant de lire le texte de Moreau et collaborateurs, texte d’analyse et de réflexion sur l’“effet médecin” à partir des principes de l’EBM [3].

La médecine centrée sur le patient

tome 35 > n° 6 > juin 2006 > cahier 1

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La médecine moderne tend de plus en plus à devenir une médecine d’organes. Le patient souffrant de cette maladie est bien souvent oublié. En examinant cet organe de façon plus ou moins sophistiquée, en multipliant les examens, on pense souvent que l’on va rassurer le patient ; et pourtant pas mal d’études ont montré que cet espoir était souvent contredit par les faits, et conduisait le patient d’examen en examen [4, 5]. En appliquant, en “ordonnant” le dernier traitement ayant prouvé son efficacité, on pense avoir fait son devoir de médecin. C’est sans doute vrai dans les situations d’urgence ou certains domaines particulièrement graves. Mais n’a-t-on pas oublié qu’il y a un avant et un après pour toutes ces décisions, a-t-on pris conscience que les médecins ont de plus en plus largement affaire à des maladies chroniques, à des symptômes de mal-être, à des problèmes de prévention. Avons-nous vraiment pris conscience de ces changements, de l’évolution sociologique de notre société, de la place nouvelle du patient dans la gestion de ses problèmes de santé ? Et pourtant, comme nous le rappelle Moreau, les essais randomisés et le double aveugle nous ont bien fait prendre conscience qu’à côté de l’effet pharmacologique et de l’évolution naturelle de la maladie ou des symptômes, l’amélioration du patient dépend aussi de ce que l’on a regroupé sous le nom d’effet placebo. Celui-ci est très composite, avec deux déterminants principaux, largement interdépendants : les attentes et représentations du patient, le comportement

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du médecin [6]. C’est la prise en compte de tous ces éléments qui est à la base de ce que l’on appelle “médecine centrée sur le patient” [7, 8]. Cet effet médecin est connu de longue date, et tout le monde reconnaît l’importance de l’écoute attentive et bienveillante du médecin, des explications qu’il donne sur l’état de santé du patient. Tout le monde reconnaît son importance pour la réassurance du patient, son observance et son adhésion aux prescriptions, sa satisfaction. Et nombre d’enseignants ont depuis toujours rappelé aux étudiants l’importance de sa prise en compte. Mais cela restait au niveau des bonnes intentions. L’intérêt de l’étude de Moreau est d’aller au-delà, de nous montrer que cet effet médecin est une donnée observable, analysable et dont l’efficacité est évaluable. Toutes les études et essais qu’il a réunis nous permettent de mieux analyser ses composantes, les exigences pour l’optimiser et l’enseigner.

Rassurer, conseiller, expliquer Quelles sont les composantes de l’effet médecin ? Moreau, à partir des travaux de Di Blasi, en précise trois aspects : les interventions cognitives, c’est à dire les explications données au patient, les interventions cognitivo-émotionnelles fondées sur l’empathie et l’écoute, et les démarches éducatives et stratégies de conseils. Le “remède médecin” doit viser à rassurer, conseiller, expliquer. Cette médecine centrée sur le patient doit prendre en compte les représentations et attentes du patient. Quelle est l’efficacité de ce remède médecin ? Les études comparatives dans ce domaine sont peu nombreuses. Moreau et ses collaborateurs n’en ont relevé que 12 concernant l’effet médecin stricto sensu, au cours de la consultation “habituelle”. Cette rareté a sans doute deux explications : d’abord la difficulté des essais randomisés dans un domaine où les facteurs comportementaux individuels du médecin se prêtent mal à la rigueur nécessaire aux études comparatives ; mais aussi une certaine mise au second plan des réponses non médicamenteuses aux demandes quotidiennes de nos patients. Cependant dans un domaine voisin, Moreau fait état d’une méta-analyse de 74 études sur les stratégies de conseils et d’éducation dans divers domaines d’activité quotidienne, où l’effet médecin joue

sans doute un rôle prédominant. Il est intéressant de constater, que malgré les difficultés de mesure, bon nombre de toutes ces études ont montré une efficacité de l’effet médecin, surtout de l’écoute empathique, de la réassurance positive, de la capacité à permettre les questions, à laisser s’exprimer les émotions.

Former les médecins à utiliser l’“effet médecin” Reste à apprendre cette partie fondamentale de notre exercice. Dans ce domaine, les études ont été nombreuses et ont prouvé qu’une formation était possible et efficace dans le domaine des soins primaires. C’est en effet dans le cadre de la médecine générale que cette approche est indispensable, consubstantielle de cet exercice pourrait-on dire. Ce qui ne veut pas dire qu’elle n’est pas plus que souhaitable pour tous les soignants, spécialisés ou non. Il n’est pour s’en convaincre que de se souvenir des effets fortement négatifs souvent observés après des consultations médicales ayant oublié l’existence de cet effet médecin. En médecine générale, l’utilisation d’attitudes et d’outils a prouvé son efficacité dans le cadre d’une consultation habituelle. Avec Moreau, citons les études concernant la dépression, les conduites à risque, les changements de comportement alimentaire ou d’activité physique [9], le suivi des maladies chroniques [10]. Les travaux de J. Ph. Assal à Genève, d’Alain Froment, de J. F. d’Ivernois et R. Gagnayre en France ont été particulièrement innovants dans ces domaines. La mise en œuvre de cet effet médecin n’est en rien inutile à l’ère de l’EBM, bien au contraire. Penser EBM doit au contraire conduire à chercher à optimiser l’effet médecin [11]. Tout cela montre que l’effet médecin n’est pas simplement un plus pour la consultation habituelle, mais en est une des composantes majeures, dont la place ne peut aller qu’en croissant avec l’évolution en cours de l’exercice professionnel et des demandes des patients.

Un certain nombre des références sont issues des analyses du Centre de Documentation de l’Unaformec, publiées chaque semaine dans Bibliomed. On peut obtenir les textes correspondant de Bibliomed, qui contiennent les références des études originales, à l’adresse suivante : [email protected]

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Sackett DL, Rosenberg WM, Gray JAM, Haynes RB, Richardson WS. Evidence-based Medicine : what is it and what it isnt’. Its about integrating individual clinical expertise ans the best external evidence. Br Med J. 1996; 312: 71-2. Gallois P. La Médecine fondée sur des preuves (Evidence-based medicine). In: la Formation Médicale Continue, Flammarion éditeur; 1997: 45-7. Moreau A, Boussageon R, Girier P, Figon S. Efficacité thérapeutique de l’“effet médecin” en

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soins primaires. Presse Med. 2006; 967-73. Mc Donald IG, Daly J, Jelinek VM, Panetta F, Gutman JM. Opening Pandora’s box: the impredicability of reassurance by a normal test result. Br Med J. 1996; 313: 329-32. Collectif. Un examen négatif rassure-t-il le patient. Bibliomed. 1996; 33. Laine C, Davidoff F. Patient-centred medicine. A professionnal evolution. JAMA. 1996; 275: 152-6. Gallois P. La Médecine centrée sur le patient. In: la Formation Médicale Continue, Flammarion

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éditeur; 1997. p. 48-50 Lemoine P. Effet placebo et médicaments placebo. Rev Prat. 2004; 54: 325-30. Collectif. Peut-on, et comment, changer les comportements à risque ? Bibliomed. 2006; 413. Collectif. Médecins et patients face aux maladies chroniques. Bibliomed. 2002; 280: 281. Collectif. “Communiquer EBM” pour mieux partager la décision. Bibliomed. 2004: 354-5.

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