La medecine populaire dans le Plateau Central D'Haiti. 1 etude du systeme therapeutique traditionnel dans un cadre socio-culturel rural

La medecine populaire dans le Plateau Central D'Haiti. 1 etude du systeme therapeutique traditionnel dans un cadre socio-culturel rural

Journal of Ethnopharmacology, Elsevier Scientific Publishers 17 (1986) Ireland Ltd. l-11 LA MEDECINE POPULAIRE DANS LE PLATEAU CENTRAL 1 ETUDE DU S...

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Journal of Ethnopharmacology, Elsevier Scientific Publishers

17 (1986) Ireland Ltd.

l-11

LA MEDECINE POPULAIRE DANS LE PLATEAU CENTRAL 1 ETUDE DU SYSTEME THERAPEUTIQUE TRADITIONNEL UN CADRE SOCIO-CULTUREL RURAL

B. WENIGERd, R. ANTONa

M. ROUZIERb,

R. DAGUILHb,

J. FOUCAUDb,

D’HAITI. DANS

L. ROBINEAU’

et

aLaboratoire de Pharmacognoise, Facultk de Pharmacie, B.P. 10, 67048 Strasbourg Cedex (France), bFacultk de mkdecine et de Pharmacie, Port-au-Prince (Ha i’ti) et ‘Enda-caribe. Santo-Domingo (Rdp. Dominicaine) (Accept6

Mars 25,1986)

Summary An ethnomedical and ethnopharmacological research on the traditional use of plants to cure human diseases was carried out in the Thomonde area located in the Central Plateau of Haiti. The use of medicinal plants is widespread among the rural population and is often the first treatment utilized. An ethnomedical approach to the Haitian traditional therapeutic system and popular beliefs is made. The percentage home remedies used as first treatment against 38 diseases was determined by means of an investigation performed on a quantitative scale. Resumk Une recherche ethnomedicale et ethnopharmacologique, concernant l’utilisation des plantes en medecine traditionnelle, a BtQ &alike dans la region de Thomonde, dans le Plateau Central D’Haiti. La premiere partie de cette publication est consacree i l’etude ethnomedicale du systeme therapeutique populaire traditionnel. Dans la seconde partie, nous avons etabli la liste de 161 plantes locales, &parties dans 64 familles botaniques et communement utilisees dans le traitement de 38 maladies courantes. Ces 161 especes ont eti! recoltees et identifiees. Nous indiquons leur nom latin, leur nom et leurs utilisations locaux, la partie de la plante employee ainsi que la forme d’administration du remede.

1. Introduction La Republique d’Haiti est comprise entre 18” et 20” de latitude nord et entre 72” et 74”30 de longitude ouest. Elle occupe un peu plus d’un tiers 0378-8741/86/$04.20 Published and Printed

0 1986 in Ireland

Elsevier Scientific

Publishers

Ireland

Ltd.

de l’ile d’Haiti (ou Hispaniola), qu’elle partage avec la Rdpublique DominiCaine, au centre des Grandes Antilles. La medecine traditionnelle joue un role tres important dans le monde rural hai’tien ou elle constitue souvent le premier recours face i la maladie. L’etude que nous presentons concerne la medecine populaire dans la zone de Thomonde, dans le plateau central d’Haiti, h 100 km environ au nord-est de Port-au-Prince. Elle a et& realisee en 1984 dans le cadre d’un projet de recherche regional sur la medecine populaire d’HaYti et de Republique Dominicaine (projet TRAMIL). 2. Elkments

d’une histoire botanique

de l’l”le

Mises a part les nombreuse descriptions et observations faites par Christophe Colomb lors de ses nombreux voyages, les premieres etudes scientifiques faites sur la flore de l’ile d’HaYti (appelee alors Saint-Domingue) datent de la seconde moite du 17eme siecle et ont et& l’oeuvre du francais Charles Plumier qui publie en 1693 une Description des pluntes de I’Amdrique suivie, en 1705, d’un Trait6 des Foug&es de L’Amhique. Dans la premiere moitie du 188me siecle, Rene Pouppee Desportes, medecin francais etabli au Cap Hai’tien, etudie les maladies de SaintDomingue et l’usage des plantes mddicinales locales. Le botaniste franGais F.R. de Tussac explore la flore de 1’Fle a_ partir de 1786 et publie

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ulterieurement son ouvrage en quatre tomes sur la flore des Antilles (1808 et 1827). Apres la guerre d’independance et la naissance de la Republique d’Haiti, E. Descourtilz, medecin francais etabli dans l’ile, publie entre 1821 et 1829 un volumineux ouvrage en 8 tomes sur la flore pittoresque et medicale des Antilles. Le debut du 198me siecle est marque par les travaux des botanistes Bertero et Richter et par les explorations botaniques du biologiste allemand Weinland et des americains Brunnel et Parry. En 1892, l’ingenieur allemand L.G. Tippenhauer publie un ouvrage sur l’ile d’Haiti oh il consacre un tome entier 1 la flore du pays. L’americain J. Harberger et le medecin danois C. Ramkraw realisent de nombreuses explorations botaniques au debut du 20eme siecle. Une contribution importante a la connaissance de la flore du pays est celle de l’allemand I. Urban qui, entre les an&es 1914 et 1921 herborise dans de nombreuses regions du territoire avant que ne paraisse un volumineux article sur la flore de l’ile ou sont d&rites 3000 especes vegetales (1920-1921). Durant cette periode, Urban collabore etroitement avec le botaniste suedois E.L. Eckman. Ce dernier est a l’origine de la realisation de 1’Herbier National de Damien. pres de Port-au-Prince. 11 collabore egalement a l’ouvrage La Flore d’Hui2i publie en 1930 par H.D. Barker et W.S. Dardeau. Parmi les ouvrages plus recents, publies en Republique Dominicaine, mentionnons le Catalogus FZorae Domingensis (1943) de R. Moscoso et le Diccionario Botanic0 de nombres vulgares de la Esptiola (1973) du botaniste francais A. Liogier qui reprennent tous deux un certain nombre de denominations creoles. Du cot6 haitien, citons La Flore M$dicinale d’Hai’ti (1943) des Peres Missionnaires du T.S. Redempteurs, Phytothkrupie Hui’tienne, nos Simples (1959) du Dr. R. Leon, Les Plantes et les Lkgumes d’Hal’ti qui gubrissent (1960) de T. Brutus et A. Pierre-Noel et la Nomenclature Polyglotte des Plautes Hui’tiennes et Tropicale (1971) de A. Pierre-Noel. 11 n’existe cependant guere de repertoire rigoureux des esp&ces vegetales haitiennes et, quoique d’un intkret bibliographique indeniable, les ouvrages que nous venons de titer se doivent d’etre man& avec prudence, &ant donne le nombre important de confusions relevees dans les determinations botaniques. Du point de vue ethnopharmacologique, nous avons, dans un travail anterieur (Weniger et al., 1982), realid un inventaire des plantes a reputation antifecondite dans la medecine populaire haitienne. Une etude bibliographique extensive des articles et ouvrages traitant de la flore et de la vegetation de l’ile d’Hai’ti a et6 publiee recemment par Zanoni (1984) en Republique Dominicaine. 3. Le champ d’investigation de l’enqutte Le champ d’investigation de l’enquete est constitue par l’ensemble de la commune de Thomonde situ&e dans le Plateau Central et rattachee au departement du Centre. Cette aire est comprise entre 21” 10’ et 21”04’ de latitude nord, et entre 72” 00’ et 71” 52’ de longitude ouest.

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La commune de Thomonde s’integre dans la province climatique du Centre ou la pluviosite moyenne est de 1600 mm/an. A l’intkieur de cette rbgion on observe cependant des variations pluviom&riques importantes likes A l’altitude, au relief, et ?I l’exposition aux vents dominants. La province climatique du Centre se caracterise par une longue saison pluvieuse (d’avril $ novembre), marquee frequemment par des pluies violentes et par des orages durant les mois d’ete, suivie d’une longue saison &he. Les temperatures varient peu d’une saison $ l’autre, mais sont par contre affectkes par l’altitude. A basse altitude, elles aecusent une moyenne de 25” avec une amplitude diurne superieure h l’amplitude annuelle. L’aire de l’enquete est constituee d’un ensemble topographique diversifie ou des savanes de faible altitude (300 m environ), entourant le bourg de Thomonde, voisinent avec des hauts plateaux et des collines tourmentQes. Au nord et ;i l’est, des structures de types montagneux atteignent 800 m d’altitude. L’hydrographie est tres marquee par les variations saisonnieres liees $ la pluviom~trie. Les sols sont g&&ralement de nature argileuse ou ar~lo-l~oneuse. La zone du Plateau Central, comme du reste l’ensemble du pays, a subi un dhboisement t&s important durant les vingt dernikes an&es. Le couvert forestier a fortement regressk et la vegetation du plateau, ou dominent les graminees, les mimosa&es a kpines et les lataniers, est caracteristique des regions subissant de longues phiodes de secheresse. La zone de l’enquete regroupe une population essentiellement r-wale &al&e a environ 32,000 habitants s’adonnant presque exclusivement i l’a~iculture. La production agricole, qui vise avant tout h assurer l’autoconsommation familiale, est essentiellement constituke par des cultures vivriPres dont les excedents assurent quelques rares revenus. Dans le Plateau Central, comme dans d’autres zones rurales d’Haiti, la malnutrition occupe une place importante dans le domaine des pathologies. Elle fait le lit de nombreuses affections, ou les complique. Les maladies infectieuses et parasitaires sont trb frequentes: diarrhee, affections respiratoires, paludisme, parasitoses intestinales, etc. . . La tuberculose, surtout pulmonaire, reste repandue. Les maladies infect~euses evitables par vaccination comme la diphtirie, la coqueluche, le t&anos, la poliomy&lite, la rougeole sont en diminution mais restent presentes. Les ressources de Sante dans la region de Thomonde sont constituees par la medecine familiale, le dispensaire de Thomonde et Ies therapeutes traditionnels, represent& par les do&e” fey (“Docteurs feuilles”), matrtin (aceoucheuses traditionnelles), et houngun ou mmbo (prgtres ou pretresses vaudou). Le domaine de la m&de&e familiale (ou medecine populaire), qui est l’objet de cette etude, est pour l’essentiel, celui des maladies naturelles. Le domaine du dokte’ fey, quant 2 lui, parait plus difficile ii cerner. I1 constitue souvent le second terme de l’itineraire thkapeutiq_ue, quand le recours aux remedes domestiques a echoue, et que l’intervention d’un “specialiste”, disposant d’un niveau de savoir supkrieur, s’avere necessaire. Certains dok t&

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fey, d’ailleurs, forment leur rhputation par la prbparation de remhdes sp &zifiques pour certaines affections. La logique opkratoire du dokte’ fey demeure nkanmoins essentiellement celle de la thkorie humorale que nous exposerons plus loin. La thkrapeutique vaudouesque, qui constitue souvent un traitement de la dimension psychologique et sociale de la maladie, implique, quant i elle, une rupture des concepts et des logiques opbratoires propres i la thborie humorale, bien qu’il n’y ait pas obligatoirement rupture dans la nature des rem&des, et particulitirement des esptices vkg&ales utilisbes. Nkanmoins, l’utilisation de ces especes, inscrite dans un rituel, suivra des logiques symboliques diff&-entes et ne constituera qu’une partie du traitement de la maladie qui fera intervenir d’autres formes de thkrapie. Nous ne d&elopperons pas le savoir et la pratique des thhrapeutes traditionnels dans cette &ude. 4. Approche

socio-culturelle

du milieu rural ha’itien

Dkcouverte en 1492 par Christophe Colomb, Hispaniola &ait peuplbe h l’origine par des indiens Tai’nos de la tribu Arrawak originaires probablement du continent am&-icain. Ces indiens furent rapidement d&imt$ et, aprks la cession en 1697 par 1’Espagne de la partie occidentale de l’ile, appelke SaintDomingue, ?I la France, les colonisateurs franqais instituPrent un systtime de traite d’esclaves africains qui eut pour con&quence la dkportation de centaines de milliers d’individus d’Afrique vers la colonie de Saint-Domingue, qui deviendra apres l’indkpendance la Rbpublique d’Hai’ti. Ces circonstances expliquent la sp&zificitk de la culture haiti’enne qui s’est trouvbe, par son histoire, i la jonction de trois courants culturels: le courant am&-indien, le courant europben et le courant nkgro-africain, ce dernier jouant un rBle prt5pondkrant dans le milieu rural hai’tien. L’expression orale constitue un trait dominant de la culture paysanne. Le crbole, langue nationale, est encore peu &rit et le taux d’analphab&isation demeure klevk. La transmission du savoir populaire, reposant sur l’observation de la pratique des anciens, se fait de man&e orale. La vie courante du paysan hai’tien est ktroitement libe h la religion. Le vaudou continue de servir de base religieuse et culturelle dans la relation de l’homme ti la nature, au surnaturel, i la vie et 5 la mort. Nkanmoins, dans I’esprit des populations s’est r&al&e une forme de synchr&isme, la pratique du vaudou n’excluant nullement celle de la religion catholique qui demeure la religion officielle. Dieu (ou Grun r&t) est crbateur et maitre de toutes chases, mais on ne s’adresse 5 lui que par ses intermkdiaires, les saints ou les Zwa. Ces entit& sont susceptibles d’intervenir 5 tout moment dans la vie ordinaire de l’individu. La croyance 1 l’intervention (bknkfique ou mal& fique) des morts explique, d’autre part, l’importance du culte qui leur est rendu. Les comportements consistant $ se mknager les faveurs de toutes ces entitks sont largement rkpandus dans la population.

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Les contacts entre le monde rural et la medecine moderne restent faibles. La precaritk de sa situation economique et le dheloppement restreint des moyens de communications confiner& d’autre part, ie paysan haitien a un isolement relatif, le privant d’elements de comparaison dans sa perception du reel. Ainsi, dans le domaine nosologique, certains etats ne sont pas perGus d’une maniere identique par les populations et la mkdecine moderne. Les signes de malnutrition proteino-calorique, frequents chez les enfants, sont consider& comme normaux. Les cheveux roux, fins, la maigreur des membres, le ventre prominent n’inqui~tent pas. Ces signes sent, consider-es comme devant appara?tre normalement a un moment du developpement de l’enfant. Dans le monde rural haitien, la representation de la maladie deborde le contexte trop etroit du systeme bio-medical occidental. Elle est plutot ressentie comme un evenement, un malheur, une volonte de Dieu. Elle est souvent &cue d’une man&e collective, le malade &ant entoure de sa famille proche et eloignee, des voisins et parfois du village entier. On est egalement frappe de l’int&& marque par les populations pour determiner la cause et i’origine des maladies dont elles sont affligees. Deux grandes categories de causalites peuvent etre degagees: - une categoric

expliquant la maladie par une rupture de l’dqul“naturaliste”, libre biologique fondamental de l’organisme, tel que nous le definirons plus loin. attribuant les causes de l’affection aux - une categoric “personna~iste”, divinites, entitk surnaturelles, morts ou aux mauvais sorts. 11est courant, dans ce cas, de voir les patients ou leur famille consulter des specialistes (pretre vaudou, diuinci) dans le seul but d’identifier la cause exacte de leur mal. I1 est neanmoins nkessaire de manier ces notions avec prudence, les categories citees n’etant pas toujours clairement distinguees, et parfois plusieurs explications peuvent eoexister ou se superposer. Ainsi, une maladie d’allure “naturelle”, Cvoluant vers la chronicitk, pourra etre finalement consideree comme d’origine surnaturelle. 5. Le systeme therapeutique

traditionnel

Les maladies naturelles, nous l’avons vu plus haut, sont eonsiderees comme une rupture de l’equilibre biologique fondamental de l’organisme. Rappelons toutefois que les representations populaires de l’anatomie et de la physiologie humaine different parfois nettement des donnees et concepts de la medecine moderne. Ces differences se situent au niveau de la localisation de certains organes du corps (coeur, estomac) ou de leur role physiologique. Certains organes ne sont pas retrouves dans la representation populaire, qui, par contre, en a invent6 d’autres pour expliquer certaines maladies. Ainsi

bis)zdt tonbe est une affection caracterisee par le deplacement d’un organe hypothetique sit& au niveau du plexus solaire. On retrouve en Haiti des elements de la theorie humorale antillaise et latino-americaine, connue dans toute l’aire caraibe et en Amerique Latine. Comme l’ont montre, entre autres les travaux de Peeters (1979, 1983, 1984), Bougerol (1983), Goldwater (1983) et Bastien (1983), cette representation populaire est bake sur l’opposition entre le “chaud” et le “froid”. Cette notion peut impliquer des aspects thermiques, mais ceux-ci ne ressortent pas necessairement dans les categories de “chaud” ou “froid”. I1 s’agit plus fondamentalement de notions essentiellement symboliques qui se referent a un systeme de correspondance avec des odeurs, saveurs, couleurs, ou d’autres elements parfois non explicitement exprimes. L’origine de cette classification, et l’idee qu’elle correspond i une forme tronquee de la theorie hippocratique des humeurs, est controversee. Certains travaux, comme ceux d’Austin (1931, 1975), suggerent que ces concepts ont pu etre en usage en Amerique a l’epoque pre-colombienne. Selon la theorie humorale, l’etat de santk est defini comme un &tat eminemment precaire, en equilibre instable et dynamique entre le “chaud” et le “froid”, consider& comme deux poles extremes potentiellement dangereux. Un certain nombre d’affections seront done liees a un desequilibre, dans un sens ou dans l’autre, de cet &tat “ideal”. Ce desequilibre peut etre le resultat de causes externes, tel l’exposition aux elements (soleil, pluie, vent, froid), mais egalement a des causes internes, notamment liees a la consommation de trop grandes quantitt% d’aliments “chauds” ou “froids”. Ce systLlme, on le voit, fonctionne egalement pour les aliments et, partiellement, dans divers aspects du monde nature1 (plantes, ~01s) mais, en Haiti tout au moins, une espece vegetale n’est pas systematiquement categorisee selon cette opposition dans son milieu naturel. C’est le remede, prepare a partir de cette espece et destine a combattre une affection particuliere, qui repondra a cette classification. Alors que le “refroidissement” est un phenomene rapide, l”‘echauffement” est un processus plus lent. En Haiti, le premier conduira a des affections comme le rhume, la toux (grip), la diarrhee du nourisson, tandis que le second favorisera les u&rites (ehoulman), les oedemes (enflamasyon) et parfois la fievre et la diarrhee des adultes. D’autres affections font reference h la qualite et h la circulation des humeurs, et concerne plus particulierement le “sang” (sun gate, moub sun) et la “bile” (bil). Ces notions sont souvent complexes, parfois apparemment contradictoires et difficilement correlables a la medecine moderne. Les gaz sont consider& par la population comme des poches d’air pouvant se situer dans diverses parties du corps. Ces gaz sont a l’origine de douleurs abdominales, mais egalement de douleurs de type articulaire ou rhumatismal. Certains troubles, enfin, affectent des organes connus dans l’anatomie populaire (biskdt tonbe), mais non retrouves dans la medecine moderne. En Haiti, les comportements preventifs ou prescriptifs sont nettement

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moins bien dkfinis en ce qui concerne les maladies i causaliti naturelle que celles i causalit surnaturelle. On retrouve nknmoins des p&cautions de type alimentaire: certains aliments trop “chauds” ou trop “froids” seront &it& ou consommks avec modkation, d’autres, comme la viande ou le TABLEAU

1

AFFECTIONS SELON LA TERMINOLOGIE TRADITIONNELLE, EN LANGUE CREOLE, CORRELATIONS SCIENTIFIQUES APPROCHEES ET POURCENTAGE RECOURS AUX REMEDES FAMILIAUX AU NIVEAU DES PREMIERS SOINS Affections

traditionnelles

Correlations

approchees

% remedes (premiers

Malfe‘f Kol$, mov$ san Chankltit Maldan Malozie Ma1 .zorey Sdrrsman Lafidv Grip Branch Tibekiloz Opresion Biskb t ton be Dould kP Manke lapeti Vomisman Jonis Bll Gaz nan want Maladi gonfleman V2 Dyare Fe’ san vini Ekoulman A b& didn A bst? Blese, maleng, mode Gra te‘l Boule Foulay, frakti Zo kase Rima tis Enflamasyon Tansyon Pa gin f& San gate Malkadi Maldyok

Cephalde Coke Muguet buccal Ma1 de dent Affection oculaire Otite Choc nerveux Fievre Grippe, toux Bronchite, pneumonie Tuberculose Asthme Douleur thoracique Gastralgie Manque d’appetit Vomissement Hepatite Troubles hepatiques Douleur abdominale Indigestion Parasitose intestinale Diarrhee Amenorrhee Uretrite Inflammation ganglionnaire Abces Plaie, blessure Affection cutanee Brfilure Foulure, traumatisme Fracture Rhumatisme Oedeme Hypertension Asthenie Anemie Epilepsie Malnutrition (etiologie surnaturelle)

80 89.5 90.5 65 83 66 97 99.5 100 46.5 12 35.5 69 92 99.5 96 94 94.5 99 100 92.5 85.5 92 86 69.5 61 53.5 94 92.5 66.5 78 64 63.5 48 78 66.5 10.5 36

DE

familiaux soins)

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sucre sont consider& comme pouvant donner des vers, d’autres, enfin, constituent des tabous pour la femme qui vient d’accoucher. Par contre, pour se proteger des affections surnaturelles, le recours actif a des protections diverses (bains, amulettes) est frequent. 6. Methodologie

de l’enqu&e

L’enquete a ete realisee aupres d’un echantillon representatif de deux cents familles de la zone de Thomonde au moyen de deux cents questionnaires rediges en langue creole. Elle s’est deroulee de decembre 1983 a avril 1984, durant la saison seche. L’enquete a ete effect&e a park des affections et maladies telles qu’elles sont percues et d&rites par les populations. En nous limitant aux maladies les plus courantes, nous avons etabli, a la suite d’une pre-enquete, une liste de 38 affections dont nous avons volontairement ecarte certains domaines (psychiatric) et reserve d’autres pour une etude ulterieure, plus approfondie (accouchement et maternite). La liste de ces affections et leurs correlations approchees avec le system@ bio-medical se trouve dans le tableau 1. Pour chaque affection, notre attention s’est surtout portee sur la description de l’affection par la personne interrogee, l’itineraire therapeutique au niveau des premiers soins et la composition et l’utilisation des remedes cites. 7. Resultats Le tableau 1 presente la liste des affections traditionnelles investiguees et les correlations approchees qu’il a ete possible d’etablir avec le systeme biomedical. Dans le meme tableau, le pourcentage de recours aux remedes familiaux, au niveau des premiers soins, est don& pour chaque affection d&rite. D’autre part, plausieurs processus explicatifs paraissent s’appliquer aux therapeutiques populaires utilisees. En plus du processus experimental, qui a pu permettre aux populations de decouvrir l’efficacite d’une therapeutique, on peut distinguer: - le processus allopathique, consistant a juguler les symptomes par leur contraire: c’est le cas des affections citees relevant des categories de “chaud” et “froid”. - le processus analogique, cherchant a combattre l’etat de ma1 en agissant dans le sens meme de la maladie. La theorie des signatures fonctionne selon cette logique, en amenant, par exemple, a choisir une plante en fonction de sa ressemblance avec un des elements semeiologiques de la maladie. En Hai’ti, ce processus s’appliquera frequemment aux affections likes au “sang” ou a la “bile”, et dirigera les choix therapeutiques vers des remedes de couleur respectivement rouge et jaune.

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Dans la deuxieme partie de cette publication, a para%re, now dresserons un inventaire ethnopharmacologique des especes medicinales repertoriees lors de l’enquete realisee dans la zone de Thomonde. 8. Conclusions Les resultats de notre enquete ont permis de mettre en evidence la vivacitk du savoir et des pratiques medicales populaires dans le Plateau Central d’Hai‘ti. A ce savoir populaire, base sur un systeme de representation proche de la theorie humorale latino-am&Caine et des notions de “chaud” et “froid”, correspondent des utilisations variees, repondant a plusieurs systkmes therapeutiques dont celui de la theorie des signatures. Par ailleurs, l’analyse de l’itineraire therapeutique des populations, au niveau des premiers soins, permet de faire apparaitre une cat~gorisation des soins en fonction du type de maladie et des systemes atteints. Ainsi, les affections du systeme digestif, les affections benignes du systeme respiratoire, les traumatismes et les affections h coloration psychosomatique relevent majoritairement de la medecine populaire, alors que les affections graves du systeme respiratoire (tuberculose, asthme) relevent du dispensaire et les maladies d’etiologie “non naturelle” (kpilepsie, malnutrition) du therapeute traditionnel. Remerciements Nous remercions Mme A. Peeters, Mlle H. Savary, le Dr. D. Henrys, le Dr. J.H. Henrys et M.A. Saturn6 pour leur collaboration. L’OPS/OMS, I’UNESCO, l’ORSTOM, I’AUPELF, la Cooperation Fransaise, ENDA-TM, ENDA-caribe, le SOE, I’AEDC et la Faculte de Medecine et de Pharmacie de Port-au-Prince (Haiti) ont fourni un soutien financier au project TRAMIL. References Austin, A.L. (1975) Medicina Na’huatl, Inst. Invest. historia, Uniuersidod Autonoma de Mexico 16-30. Austin, A.L. et Ropys R.L. (1931) Ethnobotany of the Mayas, Middle America Research series no. 2, New Orleans, Tulane University, U.S.A. Barker, H.D. et Dardeau, W.S. (1930) Lu flore d’Haiti, Service Technique du Departement de I’Agriculture et de 1’Enseignement Frofessionnel, Fort-au-Prince, Haiti, p. 456. Bastien, J-W. (1983) Pharmacopeia of Qollahuaya Andeans, Journal of Ethno~~armacoiogy 8,97--111. Bougerol, C. (1983) La medecine populaire en Guadeloupe, Karthala, Paris, France, p. 175. Brutus, T. et Pierre-Noel, A.V. (1960) Les plantes et lkgumes d’Hai’ti qui gubissent, Imprimerie de I’Etat, Port-au-Prince, Haiti, p. 344. Descourtilz, ME. (1821-1822) Flore mkdicale des Antilles, ou traite’desplantes usuelles des colonies frcm~aises, anglaises, espagnoles et portugaises, Pichard, Paris, France, vol. 1, p. 292 (1821);vol. 2, p. 1822 (1822).

11 Descourtilz, M.E. (1827-1829) plantes

usuelles

des colonies

Flore pittoresque et mkdicale des antilles, ou traite des francakes, anglaises, espagnoles et portugaises, Chappron,

Paris, France, vol. 3, p. 370 (1827); vol. 4, p. 338 (1827); ~01s. 5, p. 292 (1828); vol. 6, p. 308 (1828);vol. 7, p. 344 (1829);vol. 8, p, 472 (1829). Goldwater, C. (1983) La medecine traditionnelle en Amerique latine, pp. 37-50. In: Medecines Traditionnelles et Couoertures des Soins de Sante, OMS, Gen&ve, R&L HelvCtique, p. 335. Leon, R. (1959) Phytothdrapie haitienne, Imprimerie de l’Etat, Port-au-Prince, Haiti, p. 79. Liogier, A. (1974) Diccionario botanico de nombres uulgares de la Espariola, Jardin botanico “Dr. Rafael M. MOSCOSO” & Universidad National Pedro Henriquez Urefia, Santo Domingo, RBp. Dominicaine, p. 813. Moscoso, R.M. (1943) Catalogus florae domingensis, L.&S. Printing, New York, U.S.A., p. 732. Peeters, A. (1978) “La pocaution ce manman felicite”. Alimentation et santd aux Antilles et dans la medecine du XVIIe et XVIIIe sidcles. Communications 31, 130-144. Peeters, A. (1983) L’hygiene et les traditions de proprete, l’exemple des Antilles Francaises. Bulletin d%thnome’decine 11, 23-40. Peeters, A. (1984) Representations et pratiquespopulaires relatives a l’enuironnement et a la sank? aux Antilles francaises. La Martinique: approche ethnologique. Laboratoire d’Ethnobotanique et d’Ethnozoologie, Mu&e National d’Histoire Naturelle et Maison des Sciences de l’Homme, Paris, France, p. 126. Peres Missionnaires du T.S. Redempteur (1943) Flore Mddicinale d’Haiti, Monastere St Gerard, Port-au-Prince, Haiti, p. 39. Pierre-Noel, A.V. (1971) Nomenclature polyglotte des plantes haitiennes et tropicales, Presses Nationales d’Hai’ti, Port-au-Prince, Haiti, p. 558. Plumier, C. (1693) Description des plantes de 1’Amdrique auec leurs figures, Imprimerie Royale, Paris, France, p. 94. Plumier, C. (1705) Traite des fougeres de I’Amerique, Imprimerie Royale, Paris, France, p. 170. Tippenhauer, L.G. (1893) Die Insel Haiti, F.A. Brockhaus, Leipzig, R.D.A., p. 693. Tussac, F.R. (1808) Flora antillarum seu historia generalis botanica, ruralis, oeconomica uegetabilium in antillis indigenorum, et exoticorum indigenis cultura adscriptorum, secundum systema sexuale Linnaei, et methodum naturalem Jussiaei in 10~0 natali elaborata, iconibus accuratissime delineatis et coloratis illustrata, F. Schoell, Paris,

France, tome 1, p. 198. Tussac, F.R. (1818) Flore des Antilles

ou histoire generale botanique, rurale et economique des uegetaux indigenes des Antilles, et des exotiques qu’on est parvenu a y naturaliser. descrits d’apres nature, selon le systdme sexuel de LinnQ et al methode naturelle de Jussieu; auec planches dessinees, grauees et coloriees, D’Hautel, Paris,

France, tome 2, p. 221. Tussac, F.R. (1824 et 1827) Flore

des Antilles, ou histoire generale botanique, rurale, economique des uegetaux indigenes de ces iles, et des exotiques qu’on est paruenu a naturaliser; descrits d’aprds nature, selon le systeme sexuel de Linnd et la mkthode methode naturelle de Jussieu; enrichie de planches dessinees, grauees, coloriees auec le plus grand som par les premiers artistes de la capitale, chez l’auteur, Paris, France,

tome 3, p. 121 (1824); tome 4, p. 121 (1827). Urban, I. (1920-1921) Flora Domingensis, Symbol. Antill. 8, l-860. Weniger, B., Haag-Berrurier, M. et Anton, R. (1982) Plants of Haiti used as antifertility agents. Journal of Ethnopharmacology 6, 67-84. Zanoni, T.A., Long, C.R. et McKiernan, G. (1984) Bibliografia de la flora y de la vegetation de la isla espanola. Moscosoa 3, l-61.