Gynécologie Obstétrique & Fertilité 32 (2004) 925–926 http://france.elsevier.com/direct/GYOBFE/
Éditorial
La mortalité maternelle en France : pourquoi la surveiller et comment ? Surveillance of maternal mortality in France: why and how? La mortalité maternelle est très faible dans notre pays puisqu’elle se situe aux alentours de 9 ou de 10 pour 100 000 naissances. Le nombre de femmes enceintes qui décèdent, de causes obstétricales en France, chaque année est de l’ordre de 75. Ce chiffre peut sembler négligeable au regard des autres grands problèmes de santé publique. Il faut toutefois remarquer qu’au-delà des nombres, une mort maternelle représente un drame humain considérable pour l’entourage de la femme et également un drame professionnel pour l’équipe médicale. Sur le plan de la santé publique, la mortalité maternelle est aussi regardée comme un indicateur de la qualité des soins obstétricaux puisqu’elle est jugée évitable dans environ 50 % des cas dans les pays développés et qu’elle apparaît dans plusieurs études comme liée à l’organisation des soins. Ces quelques éléments justifient que plusieurs pays aient établi un système de surveillance de la mortalité maternelle. La France a mis en place un tel système en 1996. Il comporte le suivi des taux et des causes de mortalité maternelle ainsi qu’une enquête confidentielle sur tous les cas de mort maternelle [1]. Ce comité est présidé par le Pr G. Lévy.
Sur la période de vingt années allant de 1980 à 1999, les effectifs des décès maternels ont connu une tendance à la baisse (Tableau 1) [2]. La répartition des décès selon la cause a faiblement évolué (Tableau 2) [2]. Les décès liés aux hémorragies ont quasiment stagné en vingt ans ; celles-ci demeurant la cause principale de la mortalité maternelle (environ 20 % des décès entre 1980 et 1999). En revanche, les autres causes directes ont diminué et les causes indirectes ont augmenté. En ce qui concerne les hémorragies, il y a, proportionnellement, un peu moins de décès dus à une grossesse ectopique (ou extrautérine) en 1995-1999 comparé à 1980-1984, mais un peu plus de décès liés aux hémorragies de la délivrance ou du post-partum immédiat. Les comparaisons européennes montrent que les taux observés en France sont un peu plus élevés que dans certains pays européens (Tableau 3) [3]. Même si les comparaisons intra-européennes des taux doivent être faites avec prudence, un résultat apparaît comme préoccupant, c’est celui de la proportion de décès par hémorragies. En France, environ 20 % des décès sont liés à une
Tableau 1 Effectifs des décès maternels, taux de mortalité (bruts et standardisés) et différence entre les décès théoriques en France de 1980–1984 à 1995–1999 (d’après [2])
1980–1984 1985–1989 1990–1994 1995–1999 a b
Décès maternels
Taux bruts a
Taux standardisés a
559 388 414 367
14,3 10,1 11,2 10,0
14,3 9,1 9,3 7,9
Décès observés–décès théoriques 0 25 42 b 49 b
Taux bruts et standardisés exprimés pour 100000 naissances vivantes. Test du Chi-2 significatif : p = 0,05.
Tableau 2 Répartition des principales causes de mortalité maternelle (en %) en France, en 1980–1984 et 1995–1999 (d’après [2]) Causes Hémorragies Dont :
Au cours des avortements Grossesse ectopique Ante-partum et placenta praevia Post-partum
Autres causes obstétricales directes Causes obstétricales indirectes Total toutes causes 1297-9589/$ - see front matter © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.gyobfe.2004.09.007
1980–1984 n = 559 21,1 0,5 4,1 6,6 9,8 64,0 14,8 100,0
1995–1999 n = 367 19,9 1,1 2,2 5,2 11,4 53,4 26,7 100,0
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Tableau 3 Mortalité maternelle dans différents pays européens (d’après [3]) Mortalité maternelle pour 100000 naissances Hongrie 11,9 France 11,3 Finlande 9,9 Danemark 9,8 Autriche 9,4 Portugal 9,0 Allemagne (Bavière) 7,6 Pays-Bas 7,4 Royaume-Uni 6,9 Belgique (Flandres) 4,7 Norvège 3,3
hémorragie alors que dans les pays à faible mortalité maternelle, cette proportion est aux alentours de 10 % [3]. Ceci est préoccupant car, dans l’enquête confidentielle française, près de 90 % des décès par hémorragie sont considérés comme évitables [1], proportion proche de celle observée dans les enquêtes confidentielles faites dans d’autres pays. L’autre sujet de préoccupation est l’augmentation de l’âge à la maternité. Le Tableau 1 montre l’évolution qu’aurait subie la mortalité maternelle si la structure des naissances était restée constante de 1980 à 1999. En l’occurrence, le taux, qui était de 14,3 en 1980, aurait baissé quasiment de moitié en 1999. L’écart entre les taux bruts et standardisés reflète les changements intervenus entre 1980 et 1999 dans la distribution des naissances selon l’âge des mères. Ainsi, la différence entre les décès observés et les décès « calculés » montre qu’il y aurait eu 49 décès évités sur la période 1995– 1999 si la distribution par âge des naissances était restée la même qu’en 1980. Les différentes données qui viennent d’être mentionnées montrent que, bien que bas, le taux de mortalité maternelle peut encore être amélioré ; un des objectifs de la Loi d’orientation en Santé Publique qui vient d’être votée au Parlement est de diminuer la mortalité maternelle jusqu’à 5,5 pour 100 000 en 2008. S’il est indispensable de surveiller la mortalité maternelle, encore la méthodologie doit-elle être rigoureuse. Un des problèmes majeurs pour la surveillance est celui de l’exhaustivité du recueil des décès. En France, l’enquête menée en 1988–1989 avait montré une sous-estimation de la mortalité maternelle de plus de 50 % dans la statistique nationale des causes de décès [4]. L’un des exemples les plus récents du réajustement du nombre des morts maternelles a été fourni par le Royaume-Uni dans son rapport sur les années 1994– 1996 [5]. La méthode d’identification des décès y a été modifiée. La confrontation des déclarations obligatoires, faites au niveau sanitaire local, avec l’enregistrement systématique des informations figurant sur le certificat médical de décès, a conduit à augmenter le nombre des décès d’environ 20 % et le taux correspondant de mortalité maternelle est passé de 10 à 12 pour 100 000 naissances vivantes. Un autre
exemple vient du Canada, où le chaînage des événements d’état civil a mis en évidence une sous-estimation de l’ordre de 14 % (taux progressant de 5,4 à 6,3 pour 100 000 naissances vivantes) [6]. Pour faire le point sur l’exhaustivité du recueil des décès maternels et estimer le taux actuel de la mortalité en France, une nouvelle méthodologie, reposant sur le chaînage des événements d’état civil (naissances et décès des femmes en âge de procréer), a été mise en œuvre [7]. Quatorze décès supplémentaires ont été recensés. La sous-estimation est évaluée à 20 %, et le taux de mortalité maternelle s’élève à 9 pour 100 000 naissances vivantes, en 1999. Comparativement à ce qui avait été écrit en 1988–1989, la sous-estimation est moindre, et la fréquence de mortalité a diminué. Ainsi, ces différents travaux montrent qu’une partie de l’amélioration de la mortalité maternelle est sûrement attribuable aux recommandations et discussions générées par le système mis en place en 1996. Des progrès sont encore possibles, notamment dans la surveillance et la prise en charge des hémorragies.
Références [1]
[2] [3] [4]
[5]
[6]
[7]
CNEMM. Rapport du Comité National d’Experts sur la Mortalité Maternelle, 1995–2001. Rapport remis au ministre délégué à la Santé. 2001 53 pages et annexes. Szego E, Bouvier-Colle MH. Évolution de la mortalité maternelle en France depuis 1980. Rev Epidemiol Santé publique 2003;51:361–4. Wildman K, Bouvier-Colle MH, The MOMS group. Maternal mortality as an indicator of obstetric care in Europe. BJOG 2004;111:164–9. Bouvier-Colle MH, Varnoux N, Costes P, Hatton F. Reasons for the underreporting of maternal mortality in France, as indicated by a survey of all deaths among women of childbearing age. Int J Epidemiol 1991;20:717–21. Lewis G. On behalf of the National Institute for clinical excellenceTSEhd, the Department of Health : Northern Ireland. Why mothers die 1997–1999. The Confidential enquiries into maternal deaths in the United Kingdom. 2001. Turner LA, Cyr M, Kinch RA, Liston R, Kramer MA, Fair M, et al. Under-reporting of maternal mortality in Canada : A question of definition. Chronic Dis Can 2002;23:22–30. Bouvier-Colle MH, Deneux C, Szego E, Couet C, Michel E, Varnoux N, et al. Nouvelle estimation de la mortalité maternelle en France. J Gynecol Obstet Biol Reprod (Paris) 2004;33:421–9.
M.-H. Bouvier-Colle * G. Bréart INSERM, Unité 149, Recherches épidémiologiques en santé périnatale et santé des femmes, hôpital Tenon, 4, rue de la Chine, 75020 Paris, France Adresse e-mail :
[email protected] (M.-H. Bouvier-Colle). Disponible sur internet le 12 octobre 2004 * Auteur correspondant.