La pédiatrie, toujours exclue de l’innovation pharmaceutique ?

La pédiatrie, toujours exclue de l’innovation pharmaceutique ?

Rec¸u le : 4 juin 2012 Accepte´ le : 21 de´cembre 2013 Disponible en ligne 23 janvier 2014 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.c...

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Rec¸u le : 4 juin 2012 Accepte´ le : 21 de´cembre 2013 Disponible en ligne 23 janvier 2014

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com



Me´moire original

La pe´diatrie, toujours exclue de l’innovation pharmaceutique ? Is pediatrics excluded from pharmaceutical innovation? G. He´berta,c, S. Prot-Labarthea,b, M.-E. Tremblayc, J.-F. Bussie`resc, O. Bourdona,*,b,d a

Service de pharmacie, hoˆpital Robert-Debre´, AP–HP, 48, boulevard Se´rurier, 75019 Paris, France b Pharmacie clinique, faculte´ de pharmacie, PRES Sorbonne Paris Cite´, universite´ Paris Descartes, 75006 Paris, France c Pharmacie – unite´ de recherche en pratique pharmaceutique, CHU Sainte-Justine, 3185, chemin de la Coˆte-Sainte-Catherine, Montre´al, Que´bec H3T 1C5, Canada d Laboratoire de pe´dagogie de la sante´ EA 3412, universite´ Paris 13-Bobigny, Sorbonne Paris Cite´, 93000 Bobigny, France

Summary Objective. The development of therapeutic strategies for children depends unequivocally on the commercial launching of drugs with pediatric indications. New therapeutic drugs differ from one country to another, particularly considering children. The objective of this study was to compare access to new drugs by children in France (FR) and Canada (CA). Material and methods. Retrospective study comparing newly marketed drugs in FR and CA from 1 January to 31 December 2009. Data were collected through independent sources: (HAS, The´riaqueW, ANSM for FR and CEPMB, BDPP for CA). Results. Respectively, 37 and 30 new drugs were put on the market in 2009 in FR and CA. Among them, 38% (n = 14) and 27% (n = 8) had a pediatric indication. For 91% (FR) and 95% (CA) of the drugs not indicated for children, no clinical study has been planned to define pediatric indications. All the drugs (100%) with pediatric indications presented dosages based on age or weight, but it should be noted that two drugs had no form adapted to children. Fifty-seven percent of these drugs were first available on the French market and later on the Canadian market, with a median delay of 8.5 months. Conclusion. This study highlights the obvious lack of pediatric drugs contributing to large prescriptions of off-label drugs for children, with no dosage or adapted pharmaceutical form for this population. ß 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Re´sume´ Objectifs. L’e´volution des strate´gies the´rapeutiques chez l’enfant de´pend de la sortie commerciale de me´dicaments avec une indication et une forme pe´diatrique. Les nouveaute´s the´rapeutiques diffe`rent parfois entre les pays, notamment concernant la pe´diatrie. L’objectif de cette e´tude e´tait de comparer l’acce`s aux nouveaux me´dicaments pour les enfants entre la France (FR) et le Canada (CA). Mate´riels et me´thodes. E´tude re´trospective comparant les me´dicaments nouvellement commercialise´s sur les marche´s franc¸ais et canadien du 1er janvier au 31 de´cembre 2009. Les donne´es ont e´te´ collige´es graˆce a` des sources inde´pendantes (la Haute autorite´ de sante´ [HAS], The´riaqueW, l’Agence nationale de se´curite´ du me´dicament et des produits de sante´ [ANSM] pour la FR et le conseil d’examen du prix des me´dicaments brevete´s [CEPMB], la base de donne´es sur les produits pharmaceutiques [BDPP] pour le CA). Re´sultats. Respectivement 37 et 30 nouveaux me´dicaments ont e´te´ commercialise´s en 2009 pour la FR et le CA. Ces me´dicaments avaient une indication pe´diatrique pour 38 % (n = 14) et 27 % (n = 8) d’entre eux respectivement. Pour 91 % (FR) et 95 % (CA) des mole´cules non indique´es en pe´diatrie, aucune e´tude clinique n’avait e´te´ de´veloppe´e dans ce but. La totalite´ des mole´cules a` indication pe´diatrique pre´sentait une posologie en fonction de l’aˆge ou du poids de l’enfant, mais deux me´dicaments n’avaient pas de forme gale´nique adaptable a` l’enfant. Parmi ces nouveaux me´dicaments, 57 % e´taient

* Auteur correspondant. e-mail : [email protected] (O. Bourdon). 0929-693X/$ - see front matter ß 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. http://dx.doi.org/10.1016/j.arcped.2013.12.016 Archives de Pe´diatrie 2014;21:245-250

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d’abord apparus sur le marche´ franc¸ais avec un de´lai me´dian de 8,5 mois pour la sortie sur le marche´ canadien. Conclusions. Cette e´tude souligne le manque de me´dicaments pe´diatriques contribuant aux nombreuses prescriptions chez l’enfant de me´dicaments hors autorisation de mise sur le marche´ (AMM), sans posologie et forme pharmaceutique adapte´es. ß 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.

1. Introduction La prescription en pe´diatrie fait face au manque de donne´es de se´curite´, d’efficacite´ et de posologie. Conroy et al. en 2000 [1] estimaient, qu’en Europe, pre`s de 67 % des prescriptions hospitalie`res pe´diatriques e´taient re´alise´es hors autorisation de mise sur le marche´ (AMM). L’AMM en France est de´cerne´e par l’Agence nationale de se´curite´ du me´dicament et des produits de sante´ (ANSM), sur des crite`res d’efficacite´ et d’innocuite´. Le but de toute innovation the´rapeutique est de diminuer la morbidite´ ou la mortalite´ et les enfants doivent e´galement pouvoir en be´ne´ficier. Cependant, le profil d’innocuite´ d’un nouveau me´dicament n’est e´tabli que lorsqu’il a e´te´ largement et longuement utilise´ (essais cliniques d’importance, recul post-commercialisation) [2]. Les patients traite´s avec des me´dicaments hors-AMM pre´sentent e´galement un risque de de´velopper des effets inde´sirables [3,4]. Pour obtenir des donne´es fonde´es sur les preuves en pe´diatrie, il est ne´cessaire de mener des essais cliniques chez les enfants pour e´valuer l’efficacite´ et l’innocuite´ des me´dicaments mais aussi la qualite´ de vie des enfants recevant ces traitements. Pour ce faire, des re´seaux impliquant diffe´rents pays se sont construits tels que le Pediatric Rheumatology International Trials Organisation (PRINTO) reconnu par l’European Medicines Agency (EMA) [5]. L’EMA a lance´ en 2006, par l’interme´diaire du Re`glement no 1901/2006 du Parlement europe´en et du Conseil relatif aux me´dicaments a` usage pe´diatrique[6], des mesures contraignantes (ANSM, Paris, 2013) avec notamment un syste`me de compensations financie`res pour les firmes pharmaceutiques afin de fournir des donne´es sur leurs me´dicaments en pe´diatrie via un plan d’investigation pe´diatrique (PIP). Il pre´voit aussi la mise en place de mesures incitatives de paediatric-use marketing autorisation (PUMA) qui permet aux laboratoires pharmaceutiques princeps ou non voulant de´velopper une version gale´nique uniquement pe´diatrique d’un me´dicament de´ja` commercialise´, d’obtenir 8 a` 10 ans de protection du marche´ comme re´compense pour le de´veloppement chez les enfants. Cinq anne´es apre`s ces mesures incitatives, l’heure est au bilan [7]. Le Canada, qui pre´sente un syste`me de sante´ proche du syste`me franc¸ais, a apporte´ des modifications a` son re`glement sur les aliments et drogues en 2006 afin d’octroyer une protection de 8 ans et 6 mois aux innovateurs fournissant au ministe`re de la Sante´ (Sante´ Canada) la description et les re´sultats des essais cliniques concernant l’utilisation du me´dicament innovant et utile dans

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les populations pe´diatriques [8,9]. Les syste`mes de soins d’Ame´rique du Nord et d’Europe sont souvent compare´s quant a` la prise en charge des patients. Qu’en est-il de la mise a` disposition de nouveaux me´dicaments chez l’enfant ? L’objectif de notre e´tude e´tait de comparer sur l’anne´e 2009 tous les me´dicaments nouvellement commercialise´s en France et au Canada en s’inte´ressant a` leur indication chez l’enfant, pour e´valuer si les nouveaux me´dicaments commercialise´s e´taient accessibles aux enfants.

2. Mate´riel et me´thodes Il s’est agi d’une e´tude re´trospective comparant les nouveaux me´dicaments commercialise´s en France et au Canada en 2009. Tous les nouveaux me´dicaments commercialise´s entre le 1er janvier et le 31 de´cembre 2009 ont e´te´ inclus dans l’e´tude. Ont e´te´ conside´re´s comme nouveaux me´dicaments ceux ayant e´te´ commercialise´s en ville ou a` l’hoˆpital pour la premie`re fois. Ils ont e´te´ collige´s dans la base de donne´es The´riaqueW (Centre national hospitalier d’information sur le me´dicament (CNHIM), Paris, 2013) [10] pour la France et selon l’annexe 2 du rapport annuel 2009 du Conseil d’examen du prix des me´dicaments brevete´s (CEPMB, Ottawa, 2012) [11] pour le Canada. Les cocommercialisations – me´dicaments pre´sentant la meˆme de´nomination commune ou associations de mole´cules jamais commercialise´es individuellement et vendus sous deux noms de laboratoires diffe´rents – n’ont e´te´ compte´es qu’une fois. Les me´dicaments pre´sentant un changement important de forme gale´nique (permettant la diminution du nombre de prises, ou l’administration a` de nouvelles cate´gories de patients, par exemple comprime´ puis solution buvable) ou de voie d’administration (voie parente´rale puis voie orale) ont e´te´ inclus, tout comme les changements fondamentaux d’indication the´rapeutique (changement de classe ATC [classification anatomique, the´rapeutique et chimique]). L’e´tude n’a pas exclu les me´dicaments nouvellement commercialise´s issus du programme d’autorisation temporaire d’utilisation (ATU) pour la France. Ont par contre e´te´ exclus : la sortie commerciale de nouveaux dosages, les ge´ne´riques, les nouvelles associations de mole´cules de´ja` commercialise´es individuellement, les changements mineurs de formes gale´niques (par exemple cre`me puis gel, ge´lule puis comprime´) et les changements de noms de fantaisie. Les donne´es collige´es ont concerne´ pour chaque spe´cialite´ : la de´nomination commune internationale (DCI), la forme gale´nique et la voie d’administration, la classe ATC, le statut

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pe´diatrique. Le statut pe´diatrique a e´te´ de´termine´ selon que la monographie du me´dicament donnait une indication en pe´diatrie sans limite d’aˆge (IP), donnait une indication en pe´diatrie avec une limite d’aˆge ou de poids d’utilisation (LA), de´conseillait son utilisation chez l’enfant en l’absence de donne´es cliniques (AD), ne mentionnait aucune information pe´diatrique (R), re´servait son utilisation aux adultes (RA) ou contre-indiquait son utilisation chez l’enfant (CI) [12]. L’existence d’une posologie spe´cifiquement pe´diatrique (en fonction du poids ou de l’aˆge ou encore en dose unique) et d’une forme gale´nique adapte´e a` la pe´diatrie ont aussi e´te´ recherche´es. Les variables qualitatives sont pre´sente´es sous forme de pourcentage et compare´es a` l’aide du test du Chi2. Pour comparer l’ordre d’arrive´e des nouveaux me´dicaments entre la France et le Canada, l’e´tude a recense´ la date (mois et anne´e) de commercialisation en France des me´dicaments commercialise´s au Canada en 2009 et inversement les dates de commercialisation au Canada des me´dicaments arrive´s sur le marche´ franc¸ais en 2009. Les donne´es franc¸aises e´taient issues de la base de donne´es The´riaqueW [10], tandis que les donne´es canadiennes provenaient de l’annexe 2 du CEPMB et la base de donne´es sur les produits pharmaceutiques (BDPP) (Sante´ Canada, 2013) [13]. Dans les deux pays, les donne´es se sont arreˆte´es au 31 de´cembre 2012. Enfin, les monographies des nouveaux me´dicaments commercialise´s en France ont e´te´ revues par les auteurs pour e´valuer la pertinence d’avoir une AMM chez l’enfant (inte´reˆt selon les indications et l’existence de pathologie chez l’enfant).

3. Re´sultats Durant l’anne´e 2009, le nombre de me´dicaments nouvellement commercialise´s en France et au Canada, toutes indications confondues (adulte et enfant), a e´te´ respectivement de 37 et 30 (tableau I). Trois spe´cialite´s a` indication sans limite d’aˆge ou de poids (IP) ont e´te´ commercialise´es en France (fludrocortisone - AdixoneW indique´ dans l’insuffisance surre´nalienne, C1 este´rase inhibiteur humain - BerinertW indique´ dans l’œde`me angioneurotique he´re´ditaire et micafungine - MycamineW indique´ dans les candidoses) contre une seule au Canada (moroctocog alfa - XynthaW indique´ dans l’he´mophilie A). En France, un seul me´dicament, le thiamazole (ThyrozolW indique´ dans l’hyperthyroı¨die), posse´dait une indication pe´diatrique avec limite d’aˆge (a` partir de 2 ans) mais ne pre´sentait pas de forme gale´nique utilisable chez l’enfant. Trois me´dicaments e´taient communs aux deux pays : doripenem (DoribaxW, antibiotique de la classe des carbape´ne`mes), ustekinumab (StelaraW indique´ dans le psoriasis) et l’antige`ne viral grippe A/California/7/2009 H1N1 (avec adjuvant) (PandemrixW en France et ArepanrixW au Canada). En France, 29,7 % des me´dicaments commercialise´s en 2009 avaient de´ja` e´te´ commercialise´s au Canada, alors que

Tableau I Tableau comparatif de l’innovation pharmaceutique en France et au Canada concernant les me´dicaments commercialise´s en 2009. France (n = 37)

Canada (n = 30)

n

%

n

%

Type d’innovation pharmaceutique Nouvelle mole´cule Changement de forme gale´nique Changement d’indication

31 5 1

83,8 13,5 2,7

30 0 0

100,0 0,0 0,0

Voies d’administrationa Per os Intraveineuse Intramusculaire Sous-cutane´e Autres (IR, IO, Local, Inh, Oph)

15 11 5 9 1

40,5 29,7 13,5 24,3 2,7

9 6 5 6 4

30,0 20,0 16,7 20,0 13,3

3 11

8,1 29,7

1 7

3,3 23,3

21 0 0 2

91,3 0,0 0,0 8,7

21 0 1 0

95,5 0,0 4,5 0,0

4 6 3 1 1

10,8 16,2 8,1 2,7 2,7

2 1 2 0 0

6,7 3,3 6,7 0,0 0,0

3

8,1

1

3,3

10 5

27,0 13,5

9 10

30,0 33,3

0 3 0 1

0,0 8,1 0,0 2,7

1 2 2 0

3,3 6,7 6,7 0,0

Statut de l’indication pe´diatrique IP - indication pe´diatrique totale LA - indication pe´diatrique avec limite d’aˆge AD - administration de´conseille´e R - sans mention pe´diatrique RA - re´serve´ aux adultes CI - contre-indication Classe ATC A-syste`me digestif et me´tabolisme B-sang et organes he´matopoı¨e´tiques C-syste`me cardiovasculaire D-dermatologie G-syste`me ge´nito-urinaire et hormones sexuelles H-pre´parations syste´miques hormonales J-anti-infectieux L-antine´oplasiques et agents immunomodulants M-syste`me musculo-squelettique N-syste`me nerveux S-organes sensoriels V-divers

IR : intra-rectal, IO : intra-orbitaire, Inh : inhalation, Oph : ophtalmique. La somme des pourcentages pour les voies d’administration est supe´rieure a` 100 % car certains me´dicaments peuvent eˆtre utilise´s par voie intraveineuse et intramusculaire par exemple.

a

15 spe´cialite´s (40,5 %) n’e´taient pas encore arrive´es sur le marche´ canadien en de´cembre 2011. De meˆme, alors que 50,0 % des spe´cialite´s pre´sentes au Canada en 2009 avaient de´ja` e´te´ commercialise´es en France avant 2009, seuls 6 (20,0 %) n’e´taient pas encore disponibles pour les patients franc¸ais au 1er janvier 2012 (fig. 1). On remarquera que deux me´dicaments canadiens, le ceftobiprole (ZelfeteraW, ce´phalosporine de 5e ge´ne´ration) et le vorinostat (ZolintaW, indique´ en he´matologie), e´taient disponibles en France sous ATU. La voie d’administration pre´ponde´rante des nouveaute´s pharmaceutiques reste la voie parente´rale dans les deux pays avec

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Figure 1. Me´dicaments commercialise´s en France ou au Canada en 2009. Proportion de me´dicaments ayant obtenu un statut d’autorisation de mise sur le marche´ avant, pendant et apre`s 2009 (limite janvier 2012) ou un statut d’autorisation temporaire d’utilisation (ATU) en France ou de programme d’acce`s spe´cial (PAS) au Canada.

56,9 % (FR) et 56,7 % (CA). Rapporte´ aux me´dicaments a` indication pe´diatrique (IP et LA), 71,4 % en France concernaient la voie parente´rale et 75,0 % au Canada. Concernant la voie injectable, 100 % (21/21) des spe´cialite´s permettaient, graˆce au mate´riel fourni ou aux dispositifs me´dicaux existants, de pre´lever pre´cise´ment le volume prescrit en fonction de la posologie rapporte´e au poids du patient. L’e´tude a montre´ d’autre part qu’aucun me´dicament, en France comme au Canada, n’avait e´te´ classe´ en R, c’est-a`-dire que tous avaient une note d’information concernant l’utilisation (possible ou impossible) en pe´diatrie. Les me´dicaments nouvellement commercialise´s avec une indication pe´diatrique e´taient plus souvent des anti-infectieux (p < 0,001) ou des nouvelles formes gale´niques, par rapport aux me´dicaments sans indication pe´diatrique. La re´partition des me´dicaments avec AMM pe´diatrique e´tait identique entre la France et le Canada (p = 0,33). Au vu des indications chez l’adulte et de la physiopathologie pe´diatrique, 91,9 % des me´dicaments commercialise´s en France en 2009 auraient pu obtenir une AMM a` indication pe´diatrique.

4. Discussion A` notre connaissance, cette e´tude est la premie`re qui compare l’acce`s aux nouveaute´s pharmaceutiques de la population pe´diatrique entre deux pays. Elle souligne que seulement 32,8 % des me´dicaments commercialise´s en 2009 disposaient d’une AMM pe´diatrique. Dans l’e´tude mene´e par Masseron et al. en 2006 [12], une proportion similaire avait e´te´ observe´e pour les anne´es 2002 a` 2004 (34,4 %). Parmi les me´dicaments qui n’avaient pas d’AMM pe´diatrique a` cette e´poque (n = 61 soit 65,6 %), seuls 10 d’entre eux (16,4 %) l’avaient obtenu en 2009. Le de´lai moyen d’obtention d’une telle AMM avait e´te´ de 6 ans et 2 mois  1 an et 10 mois. Le de´lai me´dian d’arrive´e sur le marche´ franc¸ais quand le me´dicament (n = 7 soit 18,9 %) e´tait

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de´ja` commercialise´ au Canada avait e´te´ de 8,5 mois. Dans notre e´tude, en 3 ans, un seul me´dicament commercialise´ en 2009 avait obtenu une AMM pe´diatrique (tocilizumab RoactemraW : indique´ dans la polyarthrite juve´nile chronique) 20 mois apre`s sa mise sur le marche´. En l’absence d’e´tudes cliniques, les prescriptions pe´diatriques se font bien souvent hors-AMM. Pandolfini et Bonati en 2005 [14] ont e´value´ dans une me´ta-analyse qu’entre 16 % et 62 % des prescriptions dans les services hospitaliers pe´diatriques (pe´diatrie ge´ne´rale, re´animation pe´diatrique et unite´s chirurgicales de soins intensifs) se faisaient hors-AMM (en fonction de l’aˆge des enfants et des me´thodes d’analyse). Ce taux serait compris entre 11 et 37 % en ville. En 2008 a` l’hoˆpital RobertDebre´ (Assistance publique des Hoˆpitaux de Paris, Paris), 65 % des me´dicaments du livret the´rapeutique de l’hoˆpital posse´daient une AMM pe´diatrique (donne´es non publie´es). Les freins a` la re´alisation d’essais cliniques en pe´diatrie sont nombreux : le cou ˆ t des essais pour le recrutement de patients de chaque tranche d’aˆge (pre´mature´, nouveau-ne´, jeunes enfants, enfants, adolescents), l’aspect e´thique (dimension culturelle et cultuelle) et la re´ticence des familles [15,16]. Des mesures ont e´te´ mises en place depuis le Re`glement no 1901/ 2006 du Parlement et du Conseil europe´ens concernant les me´dicaments a` usage pe´diatrique. Le re`glement pre´voit l’obligation d’un PIP pour tout nouveau me´dicament (extension du brevet, exclusivite´ de marche´ pour les me´dicaments orphelins ou tombe´ dans le domaine public) et un soutien au de´veloppement via un re´seau europe´en (European Paediatric Network) d’investigation clinique. Le nombre d’essais cliniques pe´diatriques en Europe a modestement augmente´ apre`s cette le´gislation europe´enne mais aurait permis de diminuer le temps entre les essais adultes et les essais pe´diatriques [17]. En de´cembre 2011, l’ANSM a cre´e´ une « cellule des me´dicaments pe´diatriques » et un groupe de travail pe´diatrique pluridisciplinaire pour l’e´valuation des PIP [18]. Pour

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re´pondre a` la proble´matique de se´curite´ d’utilisation des me´dicaments en pe´diatrie, l’ANSM a constitue´ depuis janvier 2006 un comite´ d’orientation pe´diatrique (COP) [19]. Au Canada, un comite´ consultatif d’experts sur les initiatives pe´diatriques a e´te´ mis en place en 2009 afin d’obtenir l’avis d’experts et l’apport du public en ce qui a trait a` la mise au point et a` l’homologation des produits de sante´ commercialise´s destine´s aux enfants et aux femmes enceintes ou qui allaitent [20]. Nous avons pris le parti dans notre e´tude de conside´rer que les formes injectables e´taient administrables aux sujets pe´diatriques. Elles ne constituent pas pour autant des formes gale´niques pe´diatriques a` part entie`re. Ainsi en France en 2009, 71,4 % des me´dicaments a` AMM pe´diatrique e´taient pre´sente´s sous forme injectable (intraveineuse, intramusculaire ou sous-cutane´e). Seul un me´dicament sur cinq e´tait une suspension ou une solution buvable. Les professionnels de sante´ canadiens ont e´te´ place´s devant des difficulte´s de prescription lie´es a` la mise en place de formes pe´diatriques. Par exemple, l’oseltamivir (TamifluW de Hoffmann - La RocheW) arrivant sur le marche´ canadien sous statut PAS (Proce´dure d’acce`s spe´cial) en 2009, sans pre´juge´ du service me´dical rendu, se pre´sentait sous forme de poudre pour suspension buvable a` 12 mg/mL tandis que la seringue d’administration e´tait gradue´e en mg avec le risque classique d’erreur d’un facteur 10. Le service de veille de Sante´ Canada [21] a de´tecte´ de nombreuses erreurs de dosage par confusion entre des prescriptions en mL et la seringue en mg. De meˆme en France, le thiamazol (ThyrozolW de Merck Sante´W) posse`de une AMM pe´diatrique sans pour autant disposer d’une forme administrable. Ce comprime´ qui ne doit pas eˆtre croque´, ni e´crase´, est pourtant indique´ chez l’enfant a` partir de deux ans. Bien que des formes gale´niques administrables aux enfants existent pour les me´dicaments a` AMM pe´diatrique, un instrument de mesure corre´le´ aux volumes a` mesurer n’est pas toujours disponible. Les comprime´s disponibles sont destine´s a` des reconstitutions pour solutions ou suspensions buvables, source d’erreurs d’administration [22]. La gale´nique est un enjeu important dans l’acce`s aux the´rapeutiques pour les enfants. Le re`glement europe´en y preˆte une attention particulie`re en organisant le programme paediatric use marketing authorisation (PUMA), qui permet d’encourager financie`rement la volonte´ de promouvoir des formes gale´niques pe´diatriques de me´dicaments tombe´s dans le domaine public. Nous avons conside´re´ que la sortie du statut d’ATU e´tait une avance´e the´rapeutique. Ce changement de statut juridique signifie notamment pour les autorite´s compe´tentes, que les me´dicaments ont rempli des exigences d’efficacite´ mais aussi d’e´valuation suffisante des risques. Rappelons, que ce soit en France ou au Canada, que la prescription d’un me´dicament sous ATU ou PAS engage directement la responsabilite´ du me´decin prescripteur. Le fait que la France ait vu entrer un plus grand nombre de me´dicaments sur son marche´ est lie´ a` son appartenance a`

l’Europe ainsi qu’a` son syste`me de sante´ qui facilite de`s l’obtention de l’AMM europe´enne, un acce`s au marche´ franc¸ais. La quasi-totalite´ des demandes d’AMM europe´enne sont accessibles en France tre`s rapidement apre`s ne´gociation des prix et du taux de remboursement. La de´marche n’est pas la meˆme au Canada. On observe ainsi des me´dicaments arrive´s plus pre´cocement sur le marche´ franc¸ais que sur le marche´ canadien : le dasatinib (SprycelW de Bristol-Myers SquibbW indique´ dans certaines leuce´mies) e´tait sorti en octobre 2006 en France et seulement en 2009 au Canada. Parmi les limites de notre e´tude, on peut noter son caracte`re re´trospectif et les de´lais entre l’anne´e d’e´tude des dossiers de commercialisation et la publication : pour obtenir toutes les informations concernant les commercialisations dans l’autre pays dans l’anne´e qui suit, nous avons e´te´ captifs des de´lais de publication du CEPMB de Sante´ Canada. Nous n’avons pas choisi de juger de l’inte´reˆt de chaque nouveau me´dicament disponible mais de son accessibilite´ de manie`re se´curise´e pour l’enfant. Nous avons voulu mettre en relief l’opportunite´ de faire des choix parmi plusieurs alternatives au meˆme titre qu’en me´decine d’adultes. Des e´tudes comple´mentaires seront ne´cessaires pour confirmer les re´sultats pre´sente´s ici et la comparaison avec des donne´es issues d’autres pays serait souhaitable.

5. Conclusion En 2006, les autorite´s politiques europe´ennes ont pris conscience de l’urgence d’avoir des the´rapeutiques accessibles a` la pe´diatrie dans les nouveaute´s pharmaceutiques. Six ans apre`s, un me´dicament sur deux reste de´conseille´ aux enfants par manque d’e´tudes cliniques lors de sa premie`re AMM. Si l’Europe, et a fortiori la France, restent un espace privile´gie´ pour l’acce`s aux nouveaux me´dicaments en pe´diatrie, notre e´tude montre que les mesures ne sont pas suffisantes pour dynamiser le secteur de la spe´cialite´ pharmaceutique pe´diatrique ou n’ont pas encore porte´ leur fruit sur le de´lai d’acce`s a` cette nouveaute´.

De´claration d’inte´reˆts Les auteurs de´clarent ne pas avoir de conflits d’inte´reˆts en relation avec cet article.

Re´fe´rences [1]

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