SYNTHÈSES
La politique européenne de lutte contre le tabac Une adaptation des instruments juridiques au service d’un volontarisme politique Xavier Castille Master professionnel Droit et management des structures sanitaires et sociales, Université Jean Moulin Lyon III.
Résumé Le tabac est aujourd’hui considéré comme un produit nocif, dont la consommation est source de nombreuses pathologies. Cependant, la disparité des politiques de lutte menées contre ce produit par les États membres de l’Union européenne reste forte. L’Union européenne manifeste depuis quelque temps la volonté d’harmoniser la législation des États, mais rencontre, ce faisant, de nombreuses difficultés juridiques, notamment pour valider la compétence des législateurs de Bruxelles et Strasbourg à légiférer sur ce produit. Pourtant, les récentes directives semblent avoir surmonté ces obstacles en affirmant une réelle politique de santé publique à l’encontre du tabac et du tabagisme.
Un demi-million de citoyens de l’Union européenne décède chaque année de maladies liées au tabagisme (comme si chaque année la population totale de Copenhague disparaissait). Approximativement, 30 % des décès de cancer sont dus au tabagisme, sachant qu’un fumeur sur quatre meurt prématurément du cancer du poumon, de maladies coronariennes, ou d’affections pulmonaires chroniques. En général – mais il est difficile d’évaluer avec précision la mortalité due au tabagisme – un fumeur sur deux meurt d’une maladie liée au tabac. On constate dans le périmètre de l’Union européenne que les pays méridionaux ont des niveaux de consommation plus élevés que les pays scandinaves. De nombreux facteurs entrent en ligne de compte pour expliquer cette opposition : différences de politiques de santé publique, différences économiques (l’Espagne, l’Italie et la Grèce sont des gros producteurs de tabac) et culturelles Décembre 2004, vol. 4, n° 4
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SYNTHÈSES (le snus1 est considéré comme un substitut nicotinique par les Suédois alors qu’il est interdit partout ailleurs). Cette disparité transparaît également au niveau de la comparaison des législations des États en matière de lutte contre le tabac. Ainsi, la Finlande s’est dotée très tôt d’une sévère législation contre le tabac (Tobacco Act de 1976) tandis que la Grèce ou l’Italie n’avaient que peu de règles restrictives, hormis l’interdiction de fumer dans les transports publics. Le tabac se trouve donc au cœur d’une multiplicité de champs juridiques, tels la santé publique, les libertés individuelles et collectives, le droit économique, les échanges trans frontaliers, pour ne citer que les principaux. C’est pourquoi l’Union européenne a encadré ce produit de nombreux textes normatifs. L’annulation de la directive 98/47/CE sur l’interdiction de la publicité des produits du tabac, par la Cour de justice des communautés européennes (I), a ouvert la voie à l’élaboration de directives anti-tabac très restrictives (II) et a permis de construire une stratégie correspondant à la volonté politique exprimée, sur des bases juridiques solides (III).
I – L’annulation de la directive 98/47/CE, une opportunité en matière de droit anti-tabac L’annulation de la directive 98/47/CE sur l’interdiction de la publicité des produits du tabac met en jeu l’interprétation d’instruments juridiques complexes, tel le principe de subsidiarité. Il convient donc de s’arrêter sur l’interprétation théorique de ce principe avant d’analyser l’annulation de la directive et de démontrer que cet arrêt de la CJCE crée davantage d’opportunités en matière de droit anti-tabac qu’elle n’en ferme.
A – La juste interprétation du principe de subsidiarité 1 – Les compétences de l’Union européenne en question On peut définir la subsidiarité comme le principe selon lequel un niveau de base cède au niveau qui lui est immédiatement supérieur, des éléments de son fonctionnement, pour des raisons de meilleure efficacité. Le niveau supérieur détient donc son mandat du niveau de base et non l’inverse, comme c’est le cas dans une approche essentiellement hiérarchique. Le principe de subsidiarité a été introduit dans le traité de Maastricht (article 3B) à la demande des pays germaniques, ce qui n’est pas un hasard. Il constitue, en effet, depuis fort longtemps un principe de philosophie politique très vivant dans ces pays. Au cœur de la construction européenne, il ne concerne pas seulement les relations entre l’Union et les États mais aussi, même si ce n’est 1. Forme de tabac humide à priser.
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pas le cas en France, les relations entre les États et les régions. Les fondateurs de l’Union européenne ont adapté juridiquement ce principe dans l’article 5 alinéa 2 TCE, qui le définit comme « le principe selon lequel lorsque la Communauté dispose d’une compétence, elle ne doit l’exercer que lorsque l’objectif peut être mieux réalisé au niveau communautaire qu’au niveau des États membres » Plus précisément, ce principe de subsidiarité comporte deux aspects, l’un positif et l’autre négatif. L’aspect positif pour la CE, c’est-à-dire celui qui stimule ses compétences, veut qu’elle agisse lorsque les objectifs recherchés peuvent « être mieux réalisés au niveau communautaire ». L’aspect négatif du principe de subsidiarité, c’est-à-dire le côté prohibitif, est que la CE ne doit pas agir lorsque l’action des États membres suffit à réaliser les objectifs fixés. En pratique, cela signifie que toutes les institutions communautaires, et notamment la Commission, doivent prouver que l’action ou la réglementation communautaire est effectivement nécessaire. On pourrait dire, en paraphrasant Montesquieu, que, lorsqu’il n’est pas nécessaire d’adopter un acte communautaire, il est nécessaire de ne pas en adopter.
2 – Un principe de régulation subjective des compétences Si la nécessité d’une réglementation au niveau communautaire est attestée, il reste encore à décider de la portée et du type de mesure communautaire à adopter. La réponse est donnée par le principe de proportionnalité, que la jurisprudence de la Cour de justice a introduit dans l’ordre juridique communautaire : un examen approfondi doit permettre de déterminer si un instrument juridique est vraiment indispensable ou si d’autres moyens d’action ne seraient pas suffisamment efficaces. La préférence doit ainsi aller aux lois-cadres, aux réglementations minimales et aux règles visant à la reconnaissance mutuelle des dispositions nationales. Les dispositions législatives excessivement détaillées sont à éviter. Un protocole annexé au traité d’Amsterdam précise les modalités d’application du principe de subsidiarité. Il établit toutes les exigences procédurales et matérielles découlant du principe de subsidiarité qui doivent être satisfaites par les actes communautaires. Des critères très précis ont donc été fixés pour l’application de ce principe par les institutions communautaires, ce qui en facilite également le contrôle juridique. Dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, la Communauté n’intervient que dans la mesure où les objectifs de l’action envisagée ne peuvent être réalisés de manière suffisante par les États membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire. Ce principe vise donc à réguler la compétence et non pas à dire si une compétence existe. Ce n’est pas un principe de répartition des compétences, car c’est le traité lui-même qui les octroie. Ce principe ne permet donc pas de les remettre en question, puisqu’il est nécessaire qu’une compétence existe au préalable pour déterminer ensuite s’il est approprié Décembre 2004, vol. 4, n° 4
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SYNTHÈSES de l’exercer. On peut ainsi l’appliquer dans tous les cas de figure où la Communauté dispose de compétences non exclusives. Le problème apparaît néanmoins dans l’utilisation de l’adverbe « mieux », car a priori ce dernier présuppose un jugement de valeur. On peut ainsi penser que la subsidiarité est un principe politique et subjectif, dont l’application au niveau juridictionnel ne peut déboucher sur une appréciation s’imposant au juge. Celui ci a donc tout pouvoir pour apprécier la notion subjective de subsidiarité. Mais tout au long de la procédure d’examen d’une proposition d’acte législatif, les institutions communautaires doivent exercer un pouvoir d’appréciation politique. Le fait que ce principe soit inscrit dans le traité et que le contrôle de son respect soit confié à la CJCE, n’empêche pas que, sur le fond, c’est au politique plutôt qu’au juge de dire si une action communautaire sera « meilleure » qu’une action de la part des États membres. En effet, depuis dix ans, la Cour n’a jamais annulé un acte pour violation du principe de subsidiarité, même si ce dernier fut invoqué dans certains cas. Ce n’est pas la violation qui est examinée, mais la motivation de l’acte en question. On décide ainsi si le législateur a démontré ou non, dans les considérants qui motivent l’acte législatif, qu’une action communautaire était nécessaire pour assurer le fonctionnement du marché intérieur et éviter les distorsions de concurrence. L’analyse de l’arrêt du 5 octobre 2000 de la CJCE qui a annulé la directive 98/47/CE reprend cette logique.
B – L’annulation de la directive 98/47/CE, un impact moins restrictif qu’il n’y paraît2 1 – Un élargissement confirmé du champ juridique communautaire à la santé publique Dans cet arrêt, la Cour admet que le législateur communautaire puisse légiférer dans le champ de la santé humaine. En effet, selon la Cour, si l’article 152, paragraphe 4, premier tiret, CE exclut toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres visant à protéger et à améliorer la santé humaine, « cette disposition n’implique cependant pas que des mesures d’harmonisation adoptées sur le fondement d’autres dispositions du traité ne puissent pas avoir une incidence sur la protection de la santé humaine ». L’article 129, paragraphe 1, troisième alinéa, prévoit d’ailleurs que « les exigences en matière de protection de la santé sont une composante des autres politiques de la Communauté ». Toutefois, le recours à d’autres articles du traité comme base juridique ne saurait être utilisé pour contourner l’exclusion expresse de toute harmonisation énoncée à l’article 129, paragraphe 4, premier tiret, du 2. Arrêt du 5 octobre 2000. Allemagne/Parlement et Conseil (C-376/98. Rec. P. 1-8419).
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traité. Cela conduit ainsi dans un premier temps à une interprétation restrictive des possibilités laissées au législateur concernant la base légale d’une directive en matière de protection de la santé. Ainsi, les mesures visées à l’article 95, paragraphe 1, CE sont destinées à améliorer les conditions de l’établissement et du fonctionnement du marché intérieur. Interpréter cet article en ce sens qu’il donnerait au législateur communautaire une compétence générale pour réglementer le marché intérieur serait non seulement contraire au libellé même des articles 3, paragraphe 1, sous c), CE et 14 CE, mais également incompatible avec le principe consacré à l’article 5 CE selon lequel les compétences de la Communauté sont des compétences d’attribution. En outre, un acte adopté sur le fondement de l’article 100 A du traité doit avoir effectivement pour objet l’amélioration des conditions de l’établissement et du fonctionnement du marché intérieur. S’il est vrai que le recours à l’article 100 A comme base juridique est possible en vue de prévenir l’apparition d’obstacles futurs aux échanges résultant de l’évolution hétérogène des législations nationales, l’apparition de tels obstacles doit être vraisemblable et la mesure en cause doit avoir pour objet leur prévention. Ces considérations s’appliquent également à l’interprétation de l’article 47, paragraphe 2, CE, lu en combinaison avec l’article 55 CE, ces dispositions ayant également pour objet de conférer au législateur communautaire une compétence spécifique pour adopter des mesures destinées à améliorer le fonctionnement du marché intérieur. En outre, « dès lors que les conditions du recours aux articles 100 A, 47, paragraphe 2, et 55 comme base juridique se trouvent remplies, le législateur communautaire ne saurait être empêché de se fonder sur cette base juridique du fait que la protection de la santé publique est déterminante dans les choix à faire ». Au contraire, « l’article 152, paragraphe 1, troisième alinéa, CE prévoit que les exigences en matière de protection de la santé sont une composante des autres politiques de la Communauté et l’article 100 A, paragraphe 3, du traité exige de façon expresse que, dans l’harmonisation réalisée, un niveau élevé de protection de la santé des personnes soit garanti »3.
2 – Un motif d’annulation reposant sur un défaut de motivation de la base juridique La décision de la Cour de Justice des Communauté Européennes le 5 octobre 2000 énonce que : « La directive 98/43 concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de publicité et de parrainage en faveur des produits du tabac, adoptée sur le fondement des articles 57, paragraphe 2, du traité (devenu, après modification, 3. Arrêt du 5 octobre 2000. Allemagne/Parlement et Conseil (C-376/98. Rec. P. 1-8419). Voir points 8384 et 86-88. Décembre 2004, vol. 4, n° 4
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SYNTHÈSES article 47, paragraphe 2, CE), 66 du traité (devenu article 55 CE) et 100 A du traité (devenu, après modification, article 95 CE), est annulée, lesdits articles ne constituant pas une base juridique appropriée pour la directive ». D’une part, en effet, l’interdiction de la publicité du tabac dans les revues, magazines et journaux, qui résulte de l’article 3, paragraphe 1, de la directive, ne peut pas être justifiée par la nécessité d’éliminer des entraves à la libre circulation des supports publicitaires ou à la libre prestation des services dans le domaine de la publicité. D’autre part, si des distorsions sensibles de concurrence pourraient fonder le recours à l’article 100 A pour interdire certaines formes de parrainage, elles ne permettent pas d’utiliser cette base juridique pour une interdiction générale de la publicité. Dès lors, le législateur communautaire ne saurait se fonder sur la nécessité d’éliminer des entraves à la libre circulation des supports publicitaires et à la libre prestation des services, ni sur la nécessité de supprimer des distorsions de concurrence, soit dans le secteur de la publicité, soit dans le secteur des produits du tabac, pour adopter la directive sur la base des articles susmentionnés. Contrairement aux apparences, cet arrêt à des conséquences bénéfiques sur le droit européen anti-tabac, et même, plus largement, sur les règles européennes relatives à la santé. Ainsi, comme nous venons de la voir la directive 98/47/CE n’a pas été annulée sur la base d’une violation du principe de subsidiarité, mais sur un manque de base légale, en l’espèce sur les règles relatives à la libre circulation des supports publicitaires. Cela restreint l’impact restrictif de l’arrêt. En effet, la CJCE, en refusant contrairement à ce que souhaitait l’industrie du tabac de se fonder sur le principe de subsidiarité, valide simplement la possibilité future pour les législateurs européens de créer de nouvelles restrictions concernant le tabac et le tabagisme à condition que les bases légales utilisées soient fondées. C’est donc davantage un problème de motivation de l’acte qu’un problème de violation d’un principe.
II – Évaluation de l’efficacité des directives : analyse juridique du contenu de la directive 2001/37 CE Cette directive fondamentale concerne les ingrédients et l’étiquetage. Sur ce dernier point, le Parlement européen a apporté plusieurs changements à la directive, en particulier pour la taille et la nature des mises en garde sanitaires à apposer sur les paquets de cigarettes. Lors de l’adoption de la directive de 1989, les parlementaires européens se sont basés sur le fait que la législation relative au marché intérieur offre un moyen pour adopter des mesures antitabac, car les réglementations européennes censées lever les obstacles aux échanges commerciaux doivent aussi tenir compte 506
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des questions de santé. Tant que les règles nationales applicables aux substances entrant dans la fabrication des cigarettes différeront à travers l’Europe, un État membre pourra interdire l’importation de cigarettes provenant d’un autre État membre. Même légale, cette interdiction équivaut à une entrave commerciale. Aussi, pour permettre la vente libre de ces produits dans toute l’Europe, des règles européennes communes sont-elles nécessaires.
A – Un arsenal normatif basé sur l’information sanitaire En 1999, la Commission européenne a présenté un projet de directive visant à harmoniser les législations des États membres concernant les teneurs maximales en goudron, en nicotine et en monoxyde de carbone des cigarettes. Il s’agissait aussi d’harmoniser les avertissements sanitaires devant figurer sur les paquets, l’utilisation d’ingrédients autres que le tabac ainsi que les descriptions des produits du tabac. Les nombreuses différences entre les législations nationales ont été considérées comme des entraves au marché intérieur de l’UE. Le but premier était dès lors tout simplement d’établir des normes européennes communes. Toutefois, puisque la nouvelle législation devait également viser à protéger la santé publique, des teneurs maximales en ingrédients nocifs proposées pour l’ensemble de l’UE étaient précisées. Des étiquettes d’avertissement normalisées et des informations concernant le produit étaient également proposées afin que le consommateur soit correctement informé des dangers présentés par les produits du tabac.
1 – Les teneurs maximales Aux termes de la directive 2001/37, des plafonds fixés à 10 mg pour le goudron, 1 mg pour la nicotine et 10 mg pour le monoxyde de carbone doivent être instaurés à compter du 1er janvier 2004 pour les cigarettes fabriquées et vendues dans l’UE, la Grèce ayant jusqu’au 1er janvier 2007 pour appliquer la teneur en goudron. Les cigarettes fabriquées dans l’UE pour l’exportation vers des pays tiers devront également respecter ces plafonds, mais après une période transitoire (à partir du 1er janvier 2007) laissant aux manufacturiers européens le temps de modifier les spécifications de leurs produits. Les termes tels que « à faible teneur en goudron », « léger » (light), « ultra-léger » (ultra-light) et « mild », ainsi que les nouvelles marques et concepts qui donneraient à penser que tel produit du tabac serait moins nocif que d’autres, sont interdits depuis le 30 septembre 2003.
2 – Des avertissements plus visibles Depuis le 30 septembre 2003, les paquets de cigarettes doivent également être munis d’avertissements de taille considérable concernant la santé. Grâce à la persévérance des députés, ces avertissements couvrent une surface bien plus importante et peuvent être beaucoup plus percutants qu’initialement prévu par Décembre 2004, vol. 4, n° 4
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SYNTHÈSES la Commission. Ainsi, 30 % de la face recto de chaque paquet doit être occupée par un avertissement général obligatoire indiquant soit « Fumer tue, ou Fumer peut tuer » soit « Fumer nuit gravement à votre santé et à celle de votre entourage ». Cette dernière mention a été décidée sur l’insistance du Parlement européen pour attirer l’attention sur les dangers du tabagisme passif. Quant à la face verso, elle doit être recouverte à 40 % par un avertissement complémentaire obligatoire que les États membres peuvent choisir parmi une liste de quatorze messages inscrits dans la directive, comme par exemple : « Fumer pendant la grossesse nuit à la santé de votre bébé », « Fumer crée une forte dépendance, ne commencez pas » ou « Fumer peut entraîner une mort lente et douloureuse ». À la suite des pressions exercées par le Parlement, les États membres seront également autorisés à partir du 1er octobre 2004 à y ajouter des photographies en couleurs ou d’autres illustrations montrant les conséquences du tabagisme sur la santé. Le choc de telles photos s’est révélé très efficace dans des pays comme le Canada ou le Brésil. Ces avertissements peuvent aussi comporter des numéros de téléphone, des adresses électroniques ou internet où les fumeurs peuvent obtenir des informations sur les façons de se libérer du tabagisme. Aucun État membre ne pourra être contraint d’instaurer les avertissements assortis de photos, mais il ne lui sera pas permis de s’opposer à l’importation de cigarettes venant d’États membres où ils sont d’application.
3 – Informations supplémentaires sur le produit Des centaines d’ingrédients autres que le tabac sont ajoutés, au cours du processus de fabrication, à de nombreux produits du tabac et peuvent engendrer une dépendance. Depuis le 31 décembre 2002, les cigarettiers doivent chaque année fournir à leur gouvernement la liste des ingrédients entrant dans la fabrication de leurs produits ainsi que les quantités utilisées et les raisons de leur utilisation. Les députés ont insisté pour que les gouvernements portent ces informations à la connaissance du public. La Commission doit également établir, pour le 31 décembre 2004 au plus tard, une liste standard des produits autorisés dans la fabrication des produits du tabac pour l’ensemble de l’Union européenne.
4 – La polémique relative au tabac à usage oral Nous sommes en présence d’une interdiction qui n’est que partielle, de certaines formes de tabac, dont le tabac à usage oral. En effet, la Suède est ainsi le seul pays de l’Union Européenne à pouvoir fabriquer et commercialiser (mais non à exporter) un produit appelé le « snus » qui est une forme de tabac humide à priser composée de tabac fermenté mélangé à du sel et d’autres ingrédients. Les Suédois l’utilisent en plaçant le morceau de tabac sous le pli de la gencive de la lèvre supérieure et l’y laissant pendant un certain temps. Une polémique existe entre chercheurs pour déterminer si l’on est en présence d’un produit cancérigène, même si a priori ce caractère est beaucoup moins marqué que pour le 508
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tabac à fumer. Cette remarque peut paraître surprenante. En effet, dans un environnement juridique tendant à restreindre de plus en plus la consommation de tabac en Europe, encourager le snus peut paraître hardi. Pourtant une étude scientifique menée par Action on Smoking and Health (ASH)4 essaye de démontrer les avantages qu’il y aurait à considérer le snus comme un substitut nicotinique beaucoup plus efficace5. En effet ils estiment que le snus joue un rôle positif de santé publique, comme substitut du tabac et aide au sevrage tabagique. Cependant, ils demeurent prudents dans la mesure où ils reconnaissent l’impossibilité de mener une étude épidémiologique précise.
B – Des régulations efficaces en matière de lutte contre le tabac Le texte de la directive 2001/37 à le mérite de poser de réelles interdictions (malgré des incohérences), d’exiger de multiples avertissement sanitaires beaucoup plus visibles et « frappants », d’obliger, enfin, les cigarettiers à indiquer tous les ingrédients utilisés dans la fabrication de leurs produits aux organismes compétents des États membres. Cette dernière régulation nous parait extrêmement importante, car elle permettra de pouvoir, en connaissant le contenu exact des cigarettes et autre produits, retracer les processus chimiques exacts de ces produits et, donc, d’évaluer avec beaucoup plus de précision leur toxicité. On connaît déjà certains produits présents dans les cigarettes (des analyses ont pu « identifier » certains produits, sans déterminer exactement lesquels et dans quelles proportions ils sont présents). Cette mesure permettra ainsi, à la suite des recherches effectuées, de pouvoir évaluer plus précisément les régulations futures les plus aptes à limiter la toxicité. Par exemple, une meilleure connaissance des composants utilisés permettra de déterminer de nouveau seuils de goudron, de nicotine ou de monoxyde de carbone, ou même de faire figurer d’autres seuils limites pour d’autres produits, tels l’ammoniaque ou les nitrosamines. Autre régulation essentielle à nos yeux, celle d’interdire que certaines mentions telles que « légère » ou « mild » soit apposées sur les produits du tabac. En effet, cela répondait à une vieille revendication tendant à ce que le terme de « légère » ne puisse être considéré comme un synonyme de « moins dangereux ». Plusieurs études avaient ainsi mis en évidence deux faits marquants : 4. ASH est une organisation internationale d’action juridique qui a défendu les droits des non-fumeurs pendant plus de trente-trois ans, composée de chercheurs indépendants de l’industrie du tabac ou d’organismes gouvernementaux. Certains, comme Clive Bates, ou Karl Fagerstrom ont une réputation d’excellence au niveau international. 5. European Union policy on smokeless tobacco: a statement in favour of evidence-based regulation for public health. Clive BATES, Dr Karl FAGERSTROM, Pr. Martin JARVIS, Pr. Michael KUNZE, Dr. Ann McNEILL, Dr. Lars RAMSTROM, ASH (Action on Smoking and Health,) février 2003. Décembre 2004, vol. 4, n° 4
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SYNTHÈSES • Les fumeurs basculant vers les cigarettes légères ont tendance à aspirer plus fréquemment et plus profondément les différentes bouffées. D’où le constat de nombreuses études scientifiques selon lequel les quantités absorbées de goudron et de monoxyde de carbone sont sensiblement les mêmes, quelles que soient les cigarettes6. • L’ammoniaque utilisé dans les cigarettes légères, constitue un produit pouvant augmenter très fortement la délivrance de nicotine et donc l’addiction qui en découle7, sans oublier tous les produits toxiques (comme le glycérol, le benzène, le fréon, et l’acétaldéhyde) utilisés. En outre, les enquêtes qui ont été menées par les chercheurs sur les documents de l’industrie du tabac ont permis de prouver que la technologie de l’ajout d’ammoniaque n’était pas, contrairement à ce que prétendait l’industrie du tabac, conçue pour abaisser la dangerosité des cigarettes, mais représentait un élément clé dans la compétition mondiale pour améliorer la « qualité » et l’addiction d’une marque. Tels sont les principaux arguments qui ont conduit les législateurs européens à interdire l’utilisation des mentions « légères » ou light ou « mild » ou même de toute mention de nature à induire en erreur le consommateur sur le fait que tel produit est moins nocif qu’un autre. Cependant, même s’il est vrai que cette mesure peut être efficace, elle n’empêche pas les industries du tabac de fabriquer des cigarettes en distinguant les « légères » des « fortes » par des codes couleurs. Le rouge étant souvent la couleur utilisée par les fabricants pour les cigarettes « fortes » et le bleu pour les « légères », les fumeurs continueront à associer cette codification à leur souhait d’obtenir des cigarettes légères ou fortes.
C – Des dispositions juridiques contraignantes envers les cigarettiers La plus forte avancée issue de cette directive est probablement une combinaison de l’article 4 sur les méthodes de mesure des teneurs en goudron, en nicotine, et en monoxyde de carbone (normes ISO 4387, ISO 10315, ISO 8454 et ISO 8243), et de l’article 6 relatif à l’obligation qu’ont les fabricants de produits de tabac commercialisés dans l’Union européennes de fournir aux États membres une liste de tous les ingrédients par marque et par type. Il faut comprendre que cette volonté de contrôler la fabrication du produit par une vigilance desdits produits n’est pas une nouveauté. Depuis un certain temps, les autorités étatiques souhaitaient réguler ou, tout du moins, effectuer des contrôles 6. The tar reduction study: randomized trial of the effects of cigarette tar yield reduction on compensatory smoking. C. FROST, F. M. FULLERTON, A. M. STEPHEN, et al., Thorax, 1995;50:1038-43. 7. Tobacco industry response to ingredient disclosure law” H. CHITANONDH. Intervention lors de la Conférence Internationale sur les connaissances avancées en matière de régulation des produits du tabac, Oslo, Norvège, 9-11 février 2000.
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du processus de fabrication. Cependant, elles se heurtaient au refus sans aucune ambiguïté de la part des manufacturiers. Avant l’entrée en vigueur de la directive, seuls deux pays, la Thaïlande et le Canada, disposaient d’une législation obligeant les manufacturiers à divulguer les ingrédients dans chaque marque. Les États Unis ont tenté de mettre en place ce type de régulation, mais sans atteindre la force de contrainte de la directive européenne. Le Massachusetts essaya d’instaurer une divulgation des ingrédients par le biais d’une loi qui fut suspendue par la Cour fédérale d’appel en 1997, à la suite d’un lobbying intense de groupes de cigarettiers. H Chitanondh décrit, en outre, comment l’industrie du tabac, en prétendant fabriquer des cigarettes avec des taux très bas de goudron, idéalise chacune de ses marques qu’elle crée comme autant de cigarettes moins dangereuses, dont la formule se doit d’être conservée « Top secret »8. R. Ruckeyser, directeur des relations publiques de American Brands Inc., précise que « nous considérons que l’amélioration du goût [des cigarettes] est un secret commercial et que ne souhaitons pas discuter sur ce thème », et E. Pepples le vice président senior de Brown et Williamson Tobacco de renchérir : « Ce serait une extraordinaire atteinte à notre politique de discuter de ce que nous utilisons ou non. Les recettes, sont tenues secrètes »9. On comprend, dès lors, la démarche du législateur de vouloir vérifier l’exacte composition du produit, étape nécessaire pour une législation restrictive ultérieure sur les produits composant celui ci. Sur un autre plan, même si cela n’est pas mentionné expressément dans la directive ni dans les travaux préparatoires, le fait de connaître la composition exacte des cigarettes, peut également, être un moyen de lutte contre la contrebande, par la constitution d’un référentiel comparatif. En effet, le fait de disposer des mesures théoriques des composants, peut permettre de comparer les produits et détecter ceux qui ne sont pas conformes aux données des fabricants et, par la même, suspects de contrebande. Si cette directive permet de contrôler juridiquement le tabac comme produit, il était toutefois nécessaire de compléter cet instrument.
III – La directive 2003/33/CE, consécration d’un volontarisme juridique et politique à l’échelon international Comme nous l’avons vu précédemment, la directive 98/43/CE avait été annulée en raison d’un défaut de motivation. Les députés du Parlement européen ont cherché alors à créer une nouvelle norme juridique applicable dans tous les pays membres permettant l’interdiction de la publicité des produits du tabac. Un simple règlement n’aurait pas été suffisant pour harmoniser les législations 8. Op. cit. 9. Op. cit. Décembre 2004, vol. 4, n° 4
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SYNTHÈSES internes. La transposition d’un règlement dans les pays membres ne se serait pas fait au même rythme et trop de disparités auraient subsisté dans le champ de l’interdiction. C’est pourquoi, le choix d’utiliser la directive comme vecteur normatif a été fait très tôt. En même temps, l’apparition de la Convention cadre de l’OMS sur la lutte contre le tabac (résolution de base du 24 mai 1999) a joué un rôle important dans cette décision. Nous nous attarderons, donc, dans un premier temps, sur les conséquences de l’adoption de la convention cadre de l’OMS au niveau de l’Union européenne avant d’analyser, dans un second temps, la directive 2003/33/CE.
A – La convention cadre de l’OMS pour la lutte anti-tabac, élément initiateur d’un volontarisme juridique européen L’objectif de la Convention cadre de l’Organisation mondiale de la santé pour la lutte antitabac est de protéger les générations présentes et futures contre les effets de la consommation de tabac et de l’exposition à la fumée du tabac. Elle veut fournit aux parties un cadre juridique pour la mise en œuvre de mesures de lutte antitabac aux niveaux national, régional et international, en vue de réduire durablement les niveaux de tabagisme et d’exposition à la fumée du tabac. La convention a été adoptée par l’Assemblée mondiale de la santé le 21 mai 2003. La Communauté européenne a été une des premières parties à signer la convention, le 16 juin 2003. L’élaboration d’une convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac et de ses protocoles a été considérée comme un moyen efficace d’accroître la coopération internationale dans le domaine de la protection de la santé publique, conformément à l’article 152, paragraphe 3, du traité instituant la Communauté européenne, tout en assurant le respect et l’intégration au niveau international des initiatives communautaires existantes. Sur cette base et compte tenu de la résolution du 24 mai 1999 de l’Assemblée mondiale de la santé autorisant la Communauté européenne à participer à la rédaction et aux négociations pour les matières relevant de sa compétence, le Conseil, statuant sur recommandation de la Commission, a arrêté, le 22 octobre 1999, une décision autorisant la Commission à négocier au nom de la Communauté européenne, dans le cadre de l’Organisation mondiale de la santé, une convention cadre internationale pour la lutte antitabac et ses protocoles. Les négociations ont été conduites par la Commission conformément aux directives de négociation données par le Conseil et en concertation avec un comité spécial désigné par le Conseil conformément à l’article 300, paragraphe 1 du traité. Conformément à une déclaration commune du Conseil et de la Commission insérée dans le procès-verbal du Conseil, les directives de négociation se 512
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limitaient aux matières relevant des compétences communautaires définies aux articles 95 et 152 du traité. Selon les termes de sa résolution du 13 novembre 2001, le Parlement européen soutenait l’objectif d’une convention cadre pour la lutte anti-tabac, tel que défini par l’Assemblée mondiale de la santé dans sa résolution du 24 mai 1999, et il faisait part de sa conviction qu’un instrument juridique d’envergure adopté au niveau international, comme l’était la convention cadre, constituerait un outil important de lutte anti-tabac et, partant, de promotion de la santé publique. La convention règle un grand nombre de sujets concernant la lutte antitabac. On citera, à titre d’exemple, les recommandations faites au niveau de la publicité des produits du tabac. L’article 13 (Publicité) affirme : « Alors qu’une immense majorité de pays reconnaît que l’interdiction globale de la publicité réduirait la consommation des produits du tabac, les dispositions constitutionnelles de certains pays – garantissant par exemple la liberté d’expression dans un contexte commercial – empêchent ceux-ci d’imposer une interdiction globale de la publicité dans tous les médias. » Le texte final impose aux parties d’instaurer une interdiction globale dans les cinq ans qui suivent l’entrée en vigueur de la convention. Il dispose également que les pays qui ne peuvent instaurer une interdiction globale sont tenus d’imposer des restrictions à toute publicité en faveur du tabac et à toute promotion et tout parrainage du tabac, dans le respect de leurs constitutions ou principes constitutionnels. Cette mention faite de la volonté sans compromis d’interdire toute forme de publicité des produits du tabac a convaincu l’Union européenne de la nécessité de s’investir sur une directive interdisant cette publicité. Le texte demande aussi aux pays de promouvoir les programmes visant à aider les personnes à arrêter de fumer (art. 14) ainsi que les programmes d’éducation (art. 12) visant à dissuader les gens de commencer de fumer. Elle demande aussi d’interdire la vente de produits du tabac aux mineurs (art. 16) et de limiter l’exposition à la fumée (art. 8) des autres. Ces aspects visent plus spécifiquement le domaine de la prévention de la santé. L’Union européenne y est d’autant plus sensibilisée que des programmes de prévention existent et font l’objet de financements de plus en plus importants de la part de l’UE10. Plusieurs des domaines abordés dans la convention sont déjà couverts par des instruments communautaires. Les principales dispositions de la convention reprennent les solutions adoptées dans le cadre de la législation communautaire. Cette dernière réglemente la publicité en faveur des produits du tabac dans les médias ainsi que le parrainage d’émissions de radio et de télévision et de manifestations internationales par des entreprises du secteur du 10. Exemple de la campagne Europe Against Cancer, en coopération avec l’OMS. Décembre 2004, vol. 4, n° 4
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SYNTHÈSES tabac11,12. Elle réglemente aussi le contenu des cigarettes, ainsi que les méthodes de mesure respectives, le conditionnement et l’emballage des produits du tabac13. Ainsi, les dispositions prévues par la convention cadre se conforment tout à fait aux législations de l’Union européenne, existantes ou en préparation. Pour approuver cette convention sans réserves en dépit de certains points de divergences, les législateurs européens se sont fondés notamment sur l’article 300, paragraphes 2 et 3, du traité instituant la Communauté européenne, qui précise que la signature d’accords internationaux est décidée par le Conseil, statuant sur proposition de la Commission, après consultation du Parlement européen, ainsi que sur le fait que la convention vise clairement un objectif de santé publique, au sens de l’article 152 du traité instituant la Communauté européenne, et que cette convention aura une incidence sur la réglementation du commerce international des produits du tabac. La base juridique est dès lors incontestable. Cela signifie donc qu’en tant qu’accord international, les législateurs peuvent s’y référer pour, à leur tour, donner une base juridique à leurs textes. L’existence de cette Convention cadre a des conséquences en termes de stratégie au niveau des politiques de lutte contre le tabac au sein de l’Union européenne et de ses États membres, comme nous le verrons plus tard. Mais, dans l’immédiat, ce fut cette convention qui permit le vote définitif de la directive 2003/33/CE, du fait des nouveaux engagements pris lors de sa signature. Toutefois, cela ne s’est pas effectué sans soulever de nombreuses difficultés sur le plan juridique, telle la réduction du champ juridique de compétence en matière de santé, et les contraintes de motivation posées par l’arrêt qui avait annulé la directive 98/47/CE. De ce fait, il convient de s’attarder sur le contenu de la nouvelle directive 2003/33/CE pour déterminer et analyser les conflits juridiques soulevés.
B – La directive 2003/33/CE, une prohibition partielle de la publicité des produits du tabac Le contenu de cette nouvelle directive sur l’interdiction de la publicité des produits du tabac diffère de la défunte directive 98/47/CE sur certains points précis, du fait d’un changement radical de base juridique. 11. Directive 89/552/CEE du Conseil du 3 octobre 1989 visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l’exercice d’activités de radiodiffusion télévisuelle” JOCE L 298 du 17.10.1989, p. 23. 12. Directive 97/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 juin 1997 qui interdit toute forme de publicité télévisée et de télé-achat pour les cigarettes et les autres produits du tabac JOCE L 202 du 30.7.1997, p. 60. 13. Directive 2001/37/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2001 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac JOCE L 194, 18.7.2001, p. 26.
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1 – Le contenu de la directive, une reprise partielle de la directive annulée L’article 1 précise que la directive concerne la publicité des produits du tabac sur les journaux et autres médias imprimés, les programmes radiodiffusés. Elle concerne également le parrainage ou les distributions de tabac gratuit. L’article 2 entend par produit du tabac, tout ce qui se définit comme étant un produit susceptible d’être fumé, sucé, mâché ou prisé, et totalement ou partiellement composé de tabac. De même, la publicité se définit comme une forme de communication commerciale, directe ou non, dans le but de promouvoir un produit du tabac. Le parrainage, quant à lui, est défini par le législateur européen comme comprenant toutes les formes de contributions tant publiques que privées en faveur d’un événement, d’une activité ou d’une personne, dans le but de promouvoir directement ou non un produit du tabac. L’article 3 s’attache à interdire totalement la publicité des produits du tabac dans la presse écrite, excepté la presse professionnelle et celle à destination d’États non-membres de l’Union européenne, tant que ces publication ne sont pas destinée au marché intérieur. De même, l’article 4 précise que la publicité et le parrainage de produits du tabac, radiodiffusés et télévisuels, sont interdits. Le parrainage de produits du tabac pour des événements et des activités concernant plusieurs États membres, ou se produisant au sein de plusieurs États membres, ou bien produisant des effets transfrontaliers est interdit d’après l’article 5. Tout cadeau, ou distribution gratuite de produit du tabac dans le cadre d’un parrainage, dans le but de promouvoir des produits du tabac sont également interdits. Toutefois, cette nouvelle directive concernant la publicité comporte de nombreuses différences avec la précédente qu’elle est censée annuler. C’est notamment le cas pour son champ d’application, réduit par rapport à la précédente. Ce qui s’explique tant par la nécessité de respecter les contraintes juridiques, que par la volonté marquées des États membres. Entre la proposition de base établie le 30 mai 2001 et le vote final du 26 mai 2003, deux années de débats ont été nécessaires pour ce texte. Cette fois, la base juridique ne sera plus « l’harmonisation des échanges transfrontaliers », qui avait causé l’annulation de la précédente directive. En effet, le nouveau texte se fonde sur la directive 89/52/CE « télévision sans frontières », qui contenait certaines dispositions concernant la publicité télévisuelle et le parrainage en faveur des produits du tabac. Décembre 2004, vol. 4, n° 4
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2 – Une approche juridique fondée sur l’harmonisation du marché intérieur Sous l’impulsion de David Byrne, commissaire européen à la santé, et de nombreux parlementaires qui s’étaient investis précédemment dans la directive 98/47/CE, la Commission européenne adopte, en mai 2001, une nouvelle proposition de directive concernant la publicité en faveur des produits du tabac. Cette proposition vise à harmoniser les réglementations existantes des États membres sur la publicité en faveur du tabac, en vue de stimuler le marché intérieur. Cette motivation apparaît comme décisive, car elle permet l’interdiction de la publicité pour ces produits sans que l’on puisse reprocher à la directive un défaut de respect du principe de subsidiarité et les autres défauts juridiques de la défunte directive. La plupart des États membres ont mis en place des interdictions efficaces de la publicité en faveur du tabac, en raison de la transposition qui a suivi l’entrée en vigueur de la directive 98/47/CE et de la durée d’application effective de celle ci jusqu’à son annulation. Cette nouvelle directive cherche à garantir – comme prévu dans l’article 152 du traité instituant la Communauté européenne – un niveau élevé de protection de la santé pour ses citoyens, car elle interdit la publicité en faveur du tabac (ce produit étant cancérigène) dans les médias imprimés, ainsi que la publicité en faveur des produits du tabac à la radio et sur Internet. Le parrainage, par des entreprises productrices de tabac, d’événements ou de manifestations avec la participation de plusieurs États membres ou à l’intérieur de plusieurs États membres, est également interdit. La proposition est fondée sur l’article 95 du traité, qui a trait au fonctionnement du marché intérieur. La Cour a clairement indiqué qu’une directive interdisant certaines formes de publicité et de parrainage en faveur des produits du tabac peut être adoptée sur cette base14 (points 98, 111 et 117 de l’arrêt). La Commission a particulièrement veillé à ce que le projet de directive reste dans les limites fixées dans l’arrêt de la Cour. La Cour indique clairement que : « dès lors que les conditions du recours à l’article 95 (…) se trouvent remplies, le législateur communautaire ne saurait être empêché de se fonder sur cette base juridique du fait que la protection de la santé publique est déterminante dans les choix à faire ». Plusieurs plaintes ont été déposées. L’annulation de la directive précédente a entraîné une évolution divergente des législations nationales concernant les restrictions en matière de publicité en faveur du tabac. La Cour prévoit ainsi que : « compte tenu de l’évolution des législations nationales dans un sens toujours plus restrictif quant à la publicité des produits du tabac, (…) il est vraisemblable que des obstacles à la libre circulation des produits de la presse surgiront dans l’avenir ». La Cour reconnaît que : « L’article 95 du traité pourrait permettre l’adoption d’une direc14. Arrêt du 5 octobre 2000, Allemagne/Parlement et Conseil (C-376/98, Rec.p. 1-8419). Voir points 98, 111 et 117.
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tive interdisant la publicité des produits du tabac ». C’est précisément sur cette motivation que la Commission s’est fondée pour se prémunir contre une annulation juridique par la CJCE. Les journaux ou programmes radio locaux peuvent être lus ou écoutés dans d’autres pays, en particulier dans les régions frontalières. Il serait très malaisé d’opérer une distinction entre les médias locaux et ceux de portée nationale et une telle démarche risquerait d’entraîner des distorsions avec les médias touchant un public très large. La Cour indique que l’interdiction de la publicité en faveur du tabac dans les produits de la presse est possible à l’instar de la directive 89/52CE, dite « Télévision sans frontières » qui interdit la publicité télévisuelle pour ces produits. « Cette interdiction totale de la publicité pour le tabac à la télévision ne prévoit pas d’exceptions pour les programmes locaux »15. Le nouveau texte ne vise pas à interdire le parrainage de manifestations sans incidence au-delà des frontières d’un État membre, ce qui ressort de la compétence de chacun des Etats membres. La Cour indique clairement que l’interdiction du parrainage de manifestations dans certains États membres et non dans les autres donne lieu à la « délocalisation » de certaines de ces manifestations, au détriment de l’économie de l’État membre qui « perd » ces événements. Cependant, comme en témoigne la suppression par la FIA du Grand Prix de Belgique de Formule 1, le parrainage de certaines manifestations peut avoir un impact important au-delà des frontières d’un pays. La publicité a bel et bien pour effet de promouvoir la consommation de tabac. C’est la raison pour laquelle la totalité des États membres ont adopté des règles limitant ou interdisant la publicité pour le tabac. La publicité en faveur d’autres produits commercialisés légalement (dont les produits pharmaceutiques, l’armement et les boissons alcoolisées) est également soumise à des restrictions. La Commission se base ainsi sur ces arguments pour interdire la publicité en faveur du tabac dans la presse, à la radio et sur Internet. La directive adoptée, ses règles remplaceront progressivement (en fonction du délai de transposition accordé qui est le premier janvier 200716) les réglementations nationales, pour garantir que la publicité en faveur du tabac ne sera plus autorisée dans la presse imprimée, à la radio et sur Internet. Néanmoins, il subsiste des domaines mentionnés dans la directive 98/47/CE qui ne peuvent pas relever pas du champ d’application du nouveau texte, telle la publicité indirecte. Cette forme de publicité demeure de la compétence des législations nationales, ce qui n’empêche en aucun cas les États membres d’imposer des interdictions dans ces matières s’ils le souhaitent. La recommandation du Conseil du 2 décembre 2002 relative à la prévention du tabagisme et à des initiatives visant à renforcer la lutte anti-tabac, sug15. Directive 89/552/CE du 3 octobre 1989. JOCE, No. L298, 17 16. Directive 2003/33/CE du 26 mai 2003, JOCE. Décembre 2004, vol. 4, n° 4
Octobre 1989, pp. 23-30.
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SYNTHÈSES gère en réalité aux États membres d’interdire la publicité indirecte et les encourage à le faire. En effet, le texte, n’a aucune force obligatoire pour les États membres. Cette recommandation s’inscrit dans une logique de complémentarité avec la directive 2003/33/CE, puisque insistant sur la nécessité d’une politique législative de lutte intense contre le tabac. Cette activité législative se doit de se manifester non seulement au sein de l’Union européenne pour amoindrir les problèmes de régulation du marché intérieur et soutenir une politique de santé publique, mais aussi et surtout, au sein de chacun des États membres, ces derniers ayant la charge la plus importante des politiques de lutte contre le tabagisme, à savoir : la mise en place des outils nécessaires à l’application de ces politiques.
Conclusion Le fait est que les directives de l’Union européenne ont eu un impact très important sur les consommateurs, et par suite, sur les citoyens. La très importante limitation de la publicité et les avertissements sanitaires ne sont pourtant que des mesures initiales de lutte contre le tabagisme. Il serait en effet illusoire de penser que l’on peut limiter très fortement un produit aussi addictif que le tabac par ces seules mesures. Certes, le but initial est de limiter ce fléau social, mais aussi de sensibiliser États membres à la nécessité pour eux de légiférer sur ce sujet. Les multiples programmes et recommandations de l’Union européenne deviennent ainsi autant d’exemples permettant à chaque État de mettre en place de nouvelles mesures contre le tabac. Il en est ainsi de l’Irlande qui a très récemment introduit une interdiction totale de fumer dans les lieux de travail, et également dans les pubs et restaurants (le 29 mars 2004). Fumer sur des lieux de travail « fermés » est donc désormais interdit. Ce texte, qui fut très médiatisé, en raison de cette « institution » que sont les pubs en Irlande, pourrait ainsi donner le jour à une directive européenne reprenant cette interdiction pour l’ensemble de l’Europe. Ce qui nous amène aux nouvelle voies d’actions envisageables pour l’Union européenne. On trouve des références à l’expérience canadienne, au travers de la décision de la Commission européenne 2003/641/CE du 05/09/03 sur les photographies en couleurs ou autres illustrations à faire figurer sur les conditionnements des produits du tabac en tant qu’avertissements relatifs à la santé. Cette décision, reprenant un principe appliqué au Canada, qui semble connaître un certain succès puisque la prévalence a fortement baissé. D’autres outils de « contrôle du tabac » sont envisagés. Le Canada, a récemment voté une loi obligeant les industriels du tabac, à commercialiser des cigarettes devant s’éteindre toutes seules, de manière à éviter qu’elles continuent leur ignition. Le but avoué étant de limiter le plus possible les incendies au sein des bâtiments. Cela obligerait les industriels à modifier le contenu de la fabrication des cigarettes, en 518
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supprimant par exemple les additifs, qui obligent la cigarette à poursuivre sa combustion. Toutefois, l’annulation de la directive 98/47/CE, tout en ayant eu le mérite de permettre au législateur européen de construire des directives antitabac très restrictives, a montré les limites juridiques de l’Union européenne. La mise en place de ces nouvelles stratégies anti-tabac voulues par son commissaire à la santé David Byrne17, risque de s’avérer extrêmement difficile voire impossible à mettre en oeuvre. Il faudrait dès lors, passer par la voie de recommandations ou de décisions européennes qui n’ont pas la même portée qu’une directive. De nouvelles complications sont à prévoir, avec l’entrée dans l’Union européenne de dix nouveaux pays, dont il va falloir attendre la « digestion » des très nombreuses directives qu’ils doivent encore transposer, avant de pouvoir continuer à créer de nouvelles normes en matière de contrôle du tabac. En sens inverse, la multiplicité des textes sur ce sujet démontre un intérêt croissant des européens en matière de santé publique, ce qui laisse espérer le développement de nouvelles normes dans des domaines relevant de sujets sanitaires différents, tels les biotechnologies, la santé alimentaire, les produits pharmaceutiques ou les rayonnements ionisants.
17. Conférence de presse de Limerick du 17-18 juin 2004. Décembre 2004, vol. 4, n° 4
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