Ann Chir 2001 ; 126 : 505-7 © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0003394401005600/EDI
Éditorial
La prostatectomie radicale cœlioscopique G. Vallancien*, B. Guillonneau Département d’urologie, institut Montsouris, 42, boulevard Jourdan, 75014 Paris, France
cancer de la prostate / prostatectomie radicale cœlioscopique cancer of the prostatectomy
prostate
/
laparoscopic
radical
La prostatectomie radicale s’est développée tout au long du XXe siècle pour devenir le traitement de référence des cancers de la prostate localisés. Tentée dès 1867 par Billroth, elle fut standardisée par Young en 1904 dans sa voie d’abord périnéale, avant que Millin en 1949 n’utilise la voie d’abord rétropubienne aujourd’hui la plus pratiquée. Depuis 20 ans, à la suite des travaux de Walsh, la technique de préservation des nerfs et vaisseaux érecteurs s’est imposée, sûre sur le plan carcinologique et efficace dans la conservation de la fonction érectile. L’une des difficultés de la prostatectomie ouverte tient à la profondeur de l’accès à la prostate, située au fond du petit bassin sous la vessie. Le saignement peropératoire, la difficulté de dissection à bout de pinces, la réalisation parfois aléatoire de l’anastomose urétrovésicale étaient autant d’obstacles à une réalisation facile de cette opération. C’est pourquoi après avoir acquis l’expérience de la chirurgie cœlioscopique du rein, celle de la cure des prolapsus urogénitaux, celle des curages ganglionnaires ilio-obturateurs puis la maîtrise de la suture endocorporelle cœlioscopique, nous avons entrepris la mise au point de la technique de la
Communication présentée à l’Académie nationale de chirurgie au cours de la séance du 17 janvier 2001. *Correspondance et tirés à part.
prostatectomie radicale cœlioscopique avec les buts suivants : réduire l’hémorragie peropératoire, réduire la douleur postopératoire et la durée du séjour à l’hôpital, améliorer le taux de la continence urinaire et de la puissance postopératoire par une dissection plus appropriée, sans que le coût d’une telle chirurgie ne devienne prohibitif. Deux équipes américaines avaient essayé entre 1992 et 1997 sur une très petite série de malades [1, 2] puis ont reculé devant les difficultés. Il est vrai que les matériels opératoires et notamment les techniques de suture endocorporelle n’étaient pas encore très développés. Nous avons opté pour un abord transpéritonéal [3], considérant que l’accès au petit bassin était plus large que par voie sous péritonéale. Cinq trocarts (trois de 5 mm et deux de 10 mm) sont utilisés, l’un en position ombilicale et les autres dans les fosses iliaques. Le malade est installé en Trendelenburg et une insufflation à l’aiguille de Verees est réalisée pour créer un pneumopéritoine d’environ 4 litres de CO2 à une pression de 12 mm de mercure. Les instruments de base consistent en une pince coagulante bipolaire et un ciseau monopolaire. Les clefs de l’opération sont : – la dissection première des vésicules séminales en les abordant directement, après avoir incisé le péritoine au-dessus du cul-de-sac de Douglas ; – la création d’un espace entre le rectum et la prostate en refoulant l’aponévrose de Denonvilliers ; – la libération de la vessie afin d’aborder l’espace de Retzius ; – la dissection des faces latérales de la prostate en incisant de chaque côté l’aponévrose pelvienne ; – la séparation de la vessie en disséquant de près le col vésical ;
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– le contrôle des vaisseaux de l’espace de Retzius par une ligature endocorporelle de fil résorbable 2/0 ; – le contrôle des bandelettes vasculonerveuses par une dissection au plus près de la prostate sans risquer de pénétrer dans sa capsule ; – la suture urétrovésicale par des points séparés endocorporels de fil résorbable 2/0 (entre six à huit fils) en contrôlant la bonne mise en place de la sonde de Foley (18 French) ; – l’exérèse de la prostate dans un sac à travers l’un des orifices de trocart ; – la mise en place d’un drain aspiratif ; – la fermeture des deux orifices de 10 mm ; – si un curage ganglionnaire ilio-obturateur s’avère nécessaire (21 % des cas) il est effectué par la même voie transpéritonéale en début d’intervention. Ainsi décrite, cette opération a été réalisée depuis janvier 1998, sur une série de 620 malades consécutifs. Nous avons déjà publié les résultats préliminaires [4]. L’opération dure actuellement environ 2 heures 30 (moyenne 153 min, de 1 heure 35 minutes à 7 heures au début de notre expérience). Les pertes sanguines moyennes sont de 290 cL soit deux fois moins qu’après chirurgie ouverte et le taux de patients transfusés est de 2,6 % alors qu’il était en moyenne de 15 % après chirurgie ouverte. La durée moyenne de cathétérisme vésical est de 4,6 jours et la durée moyenne d’hospitalisation de 5,8 jours. La douleur postopératoire est minimale avec seulement 2 % des malades qui réclament des antalgiques au deuxième jour. Aucun décès n’a été observé, aucune embolie pulmonaire, aucun accident cardiaque. Les complications suivantes ont été colligées : deux phlébites surales, aucune lymphocèle, deux sténoses de l’anastomose urétrovésicale (0,2 %), deux éventrations sur orifice de trocart, quatre hématomes locaux, quatre plaies du pédicule épigastrique au passage des trocarts, 10 % d’infections urinaires asymptomatiques, cinq plaies du rectum reconnues immédiatement et suturées laparoscopiquement sans complication dans les suites opératoires, deux plaies rectales qui ont nécessité une dérivation colique temporaire de deux mois, trois plaies de l’uretère dont une section lors de la dissection des vésicules séminales et deux coagulations en utilisant un ciseau
monopolaire : la section a été réparée immédiatement par voie laparoscopique ; les deux coagulations ont abouti à une fistule urinaire au 5e jour, l’une a été drainée par sonde double j, l’autre a nécessité une réimplantation urétérovésicale. Deux éversions d’un méat urétéral ont nécessité une reprise laparoscopique de l’anastomose et une anurie a été réopérée par laparoscopie. Une péritonite par brûlure électrique de l’iléon avec un ciseau monopolaire a nécessité une dérivation temporaire. Le taux de réinterventions précoces ou tardives a été de 3 %. La stadification a été la suivante : 38 % de pT2a, 49 % de pT2b, 13 % de pT3, 19 % de curages ganglionnaires tous négatifs sauf deux. Les marges étaient positives dans 15 % des cas, dans 2,5 % des malades pT2a, 11 % des pT2b, 29 % des pT3. Le taux de malades ayant un PSA inférieur à 0,2 ng/mL était de 90 % à un an dans les stades pT2 et de 52 % dans les pT3. Chez les malades ayant un PSA inférieur à 10 ng/mL, et un score de Gleason inférieur à 7, le PSA était inférieur à 0,2 ng/mL à deux ans, dans 97, 5 % des cas. Aucune greffe tumorale sur les orifices de trocarts n’a été observée, ni aucune évolution métastatique précoce. La continence urinaire a été définie comme l’absence jour et nuit de protections. Les malades ont répondu à 95 % au questionnaire de l’International Continence Society qui leur était envoyé à domicile. À un mois 58 % et à un an 83 % des malades étaient continents ; 5 % portaient une protection « au cas où » ; 9 % une protection le jour ; 3 % plus d’une protection ; chez trois malades, la mise en place d’un sphincter artificiel (0,5 %) a été nécessaire. La puissance a été évaluée par un questionnaire envoyé à domicile. La maîtrise de la dissection des bandelettes vasculonerveuses a été acquise, il y a un an. Une évaluation réalisée à six mois chez 35 malades de moins de 70 ans dont la vie sexuelle était normale avant l’opération et, chez lesquels une préservation bilatérale des bandelettes vasculonerveuses avait été possible, a montré que 65 % d’entre eux avaient des rapports sexuels sans l’aide d’un traitement médical. La prostatectomie radicale cœlioscopique comparée à la chirurgie ouverte apporte t-elle des avantages pour les malades ? Au vu de ces résultats, on
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peut répondre oui lorsque l’on compare le taux de transfusion, la douleur postopératoire, la durée du séjour hospitalier. Le taux de complications per- et postopératoires est faible malgré la nouveauté de la technique [3]. Les complications graves sont liées aux instruments monopolaires (ciseaux ou pinces). Le taux quasi nul de sténose de l’anastomose urétrovésicale s’explique par la qualité de la vision endoscopique lors de la suture. L’amélioration du taux global de la continence à un an comparé avec le même questionnaire chez les 100 derniers malades opérés par prostatectomie radicale ouverte (83 contre 73 %) s’explique probablement par un moindre traumatisme local où se combinent l’absence de traction sur la prostate et l’urètre, une dissection plus fine en ménageant les structures anatomiques voisines et une absence de déchirure de l’urètre lors de la suture avec deux porte–aiguilles. L’acquisition progressive de la maîtrise de la dissection antérograde des bandelettes vasculonerveuses en vue de préserver l’érection nous permet d’optimiser nos résultats. Les risques carcinologiques d’ensemencement de la cavité péritonéale ou des trajets de trocarts ont été nuls, rendant la technique aussi fiable sur le plan du cancer que la chirurgie ouverte. Le taux de malades
dont le PSA est indétectable à un et deux ans est similaire à celui que l’on observait après chirurgie ouverte. La technique se développe et les résultats d’autres équipes rodées à la cœlioscopie confirment l’intérêt d’une telle approche chirurgicale. On peut considérer qu’une trentaine de prostatectomies cœlioscopiques sont nécessaires pour en acquérir la maîtrise. En conclusion, la prostatectomie radicale cœlioscopique peut être considérée comme une technique carcinologique fiable et comme un progrès sur le plan fonctionnel. Elle réclame une bonne maîtrise des techniques de cœlioscopie notamment de la suture endocorporelle et devrait prendre une place prépondérante dans le traitement du cancer de la prostate localisé. RE´ FE´ RENCES 1 Raboy A, Albert P, Ferzli G. Early experience with extraperitoneal endoscopic radical retropubic prostatectomy. Surg Endosc 1998 ; 12 : 1264-7. 2 Schuessler WW, Schulam PG, Clayman RV, Kavoussi LR. Laparoscopic radical prostatectomy : initial short term experience. Urology 1997 ; 50 : 854-7. 3 Guillonneau B, Vallancien G. Laparoscopic radical prostatectomy : the Montsouris technique. J Urol 2000 ; 163 : 1643-9. 4 Guillonneau B, Vallancien G. Laparoscopic radical prostatectomy : the Montsouris experience. J Urol 2000 ; 163 : 418-22.