Annales d‘urologie – EMC Urologie 40 (2006) 50–56 d i s p o n i b l e e n l i g n e s u r w w w. s c i e n c e d i r e c t . c o m
j o u r n a l h o m e p a g e : w w w. e l s e v i e r. c o m / l o c a t e / a n n d u r
Anastomose urétrovésicale lors de la prostatectomie radicale laparoscopique Vesico-urethral anastomosis during total laparoscopic prostatectomy F. Rozet a,c,*, G. Fournier b,c, X. Cathelineau a,c, E. Barret a,c, G. Vallancien a,c,d a
Département d’urologie, Institut mutualiste Montsouris, 42, boulevard Jourdan, 75014 Paris, France Département d’Urologie, CHU, 2 avenue Foch, 29200 Brest, France École européenne de chirurgie, 45, rue des Saints-Pères, 75006 Paris, France Université René Descartes, 12, rue de l’École-de-Médecine, 75006 Paris, France
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MOTS CLÉS Cancer de la prostate ; Prostatectomie radicale ; Laparoscopie
Résumé L’anastomose urétrovésicale est le dernier temps opératoire de la prostatectomie radicale. Quelle que soit la voie d’abord, la prostatectomie radicale est une intervention difficile. Les temps de dissection sont similaires par voie ouverte et par voie laparoscopique. L’anastomose urétrovésicale laparoscopique requiert une gestuelle particulière. Cette gestuelle doit être maîtrisée par le chirurgien réalisant une prostatectomie radicale laparoscopique. Cette technique est codifiée et reproductible. Elle peut être assimilée sur pelvitrainer avant de commencer à réaliser cette intervention par voie laparoscopique. Cet article rapporte les points clefs nécessaires à la réalisation de l’anastomose urétrovésicale par voie laparoscopique, ainsi que les différentes variations techniques.
© 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
KEYWORDS Prostate cancer; Radical prostatectomy; Laparoscopy
Abstract Vesico-urethral anastomosis is the last step of radical prostatectomy. Whatever the approach, radical prostatectomy remains a difficult surgical intervention. The dissection steps are similar whatever the selected access, open or laparoscopic. Laparoscopic anastomosis requires specific skills that must be adequately mastered by the surgeon before starting any laparoscopic radical prostatectomy program. Pelvi-trainers allow training on the anastomosis technique, with reproducible results. This chapter presents the key points for laparoscopic vesico-urethral anastomosis.
© 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
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Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (F. Rozet).
0003-4401/$ - see front matter © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.anuro.2005.12.002
Anastomose urétrovésicale lors de la prostatectomie radicale laparoscopique
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Introduction La prostatectomie radicale est une option établie pour le traitement du cancer localisé de la prostate. L’approche laparoscopique développée depuis 1998, est désormais utilisée régulièrement dans plusieurs centres.1-3 Quelle que soit la voie d’abord, la prostatectomie radicale est une intervention difficile. Par voie laparoscopique, la prostatectomie radicale est considérée comme « extrêmement difficile ».4 Le temps d’anastomose lui-même est considéré comme difficile pour un chirurgien habitué à la prostatectomie « ouverte » et se formant à la voie laparoscopique.5 L’anastomose urétrovésicale est le dernier temps opératoire de la prostatectomie radicale, elle est réalisée par un chirurgien « fatigué » par les temps de dissection préalables. L’anastomose urétrovésicale laparoscopique requiert une gestuelle particulière. Cette technique est codifiée et reproductible. Elle peut être assimilée sur pelvitrainer avant de commencer à réaliser cette intervention par voie laparoscopique. La suture doit être maîtrisée par le chirurgien réalisant une prostatectomie radicale laparoscopique, cela permet la réalisation de l’anastomose avec des durées opératoires correctes, cela permet également de gérer les éventuelles complications peropératoires nécessitant une suture de qualité (plaie vasculaire, rectale, urétérale).
Technique L’anastomose est réalisée idéalement de façon ambidextre, à l’aide de deux porte-aiguilles. Les fils utilisés sont des brins tressés 3.0 (Vicryl®, Polysorb®), montés sur des aiguilles de 26 mm, 4/8e ou 5/8e de cercle.6 Les nœuds sont effectués les uns après les autres de façon intracorporelle. Les trois nœuds du plan postérieur (5, 6, et 7 heures) sont effectués à l’intérieur de l’anastomose, tous les autres sont noués en dehors. Les deux porte-aiguilles sont placés en triangulation autour de l’optique (Fig. 1)
Premier point (Fig. 2) Il est réalisé à 5 heures. Le porte-aiguille de main droite saisit l’aiguille en coup droit à 90°. Le point est passé dans l’urètre de dedans en dehors. Le béniqué, tenu par la main gauche de l’opérateur, guide l’aiguille à l’intérieur de l’urètre. Le fil est ensuite passé en coup droit de main droite, de dehors en dedans au niveau de la vessie, à distance du méat urétéral, puis noué de façon intracorporelle.
Figure 1
Position des trocarts.
Troisième point (Fig. 4) Il est réalisé à 7 heures. L’aiguille est passée de dedans en dehors, au niveau de l’urètre, en coup droit de main gauche ou de main droite. Puis dans la vessie, de dehors en dedans, à distance du méat urétéral, en coup droit de main gauche.
Quatrième point (Fig. 5) Il est réalisé à 3 heures. L’aiguille est passée en coup droit de main droite, de dehors en dedans, au niveau de la vessie. L’aiguille est ensuite positionnée en revers sur le porteaiguille de main gauche, avec une orientation de 120°. Le point est passé de dedans en dehors au niveau de l’urètre, puis noué à l’extérieur.
Cinquième point (Fig. 6) Il est réalisé à 9 heures. Il s’agit d’un point en « miroir » par rapport au précédent. Le fil est passé au niveau de la vessie de dehors en dedans, avec le porte-aiguille de main gauche, l’aiguille montée en coup droit. Le point est ensuite passé dans l’urètre, de dedans en dehors, en revers de main droite.
Deuxième point (Fig. 3) Sixième point (Fig. 7) Il est réalisé à 6 heures. La position de l’aiguille est similaire à celle du point précédent. L’aiguille est passée de dedans en dehors au niveau de l’urètre. La vessie est écartée vers le côté droit avec la main gauche. L’aiguille est récupérée par le porte-aiguille de main gauche, et passée en coup droit de main gauche dans la vessie, de dehors en dedans.
Il est réalisé à 11 heures. L’aiguille est passée en revers de main droite ou en coup droit de main gauche, de dehors en dedans, au niveau de la vessie. Le fil est ensuite passé au niveau de l’urètre, de dedans en dehors avec le porteaiguille de main droite. L’aiguille est montée en revers, à 90°.
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F. Rozet et al.
Figure 2
A, B, C, D, E. Point de 5 heures.
Anastomose urétrovésicale lors de la prostatectomie radicale laparoscopique
Figure 4
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A, B. Point de 7 heures.
Béniqué Figure 3
A, B. Point de 6 heures.
Septième point (Fig. 8) Il est réalisé à 1 heure. L’aiguille est passée dans la vessie, en revers de main gauche ou en coup droit de main droite, de dehors en dedans. Elle est récupérée en revers de main gauche, et passée dans l’urètre de dedans en dehors. Un huitième point peut être passé à 12 heures si nécessaire en utilisant la technique du sixième point.
Variations Porte-aiguilles Idéalement, la suture est réalisée à l’aide de deux porteaiguilles. La suture peut ainsi être effectuée de manière ambidextre. Contrairement à la suture effectuée lors de la pyéloplastie, la suture urétrovésicale demande une orientation de l’aiguille différente pour chaque point. Cette étape est effectuée au fond du pelvis, dans un espace restreint. La main dominante seule, avec un seul porte-aiguille ne permet pas de réaliser sans contrainte l’anastomose urétrovésicale.
Le béniqué est d’une aide précieuse lors de certains temps de dissection, il permet d’orienter les plans, ou de tracter la prostate. Il est également utile lors de l’anastomose. Manipulé par l’opérateur, il permet d’orienter l’urètre, de contrôler et de faciliter à ce niveau le passage des aiguilles.
Aiguilles Des aiguilles 4/8e ou 5/8e de cercle sont utilisées. Les aiguilles 5/8e de cercle permettent un passage facilité au niveau de l’urètre. Elles ont une forme d’hameçon plus prononcé, et risquent d’accrocher plus facilement les structures avoisinantes. Elles sont sorties par le trocart de 10 mm, la base de l’aiguille étant tenue directement par le porteaiguille.
Surjet L’anastomose peut être réalisée par des points séparés ou par un surjet en fonction des habitudes de l’opérateur. La difficulté de l’anastomose est liée au passage des points plus qu’à la réalisation des nœuds intracorporels, elle est donc similaire pour les deux techniques. Le surjet peut être réalisé avec un fil monobrin qui coulisse mieux qu’un
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F. Rozet et al.
Figure 6 Figure 5
A, B. Point de 9 heures.
A, B. Point de 3 heures.
fil tressé. La technique du surjet demande une bonne coopération entre le chirurgien et son aide, qui tient au fur et à mesure la suture en tension. Van Velthoven et al. rapportent une technique de surjet utilisant deux fils monobrins de couleur différente.7 Les deux fils sont noués entre eux à leur extrémité distale. Un hémisurjet est effectué de 5 h 30 à 12 h avec un des fils, puis un deuxième hémisurjet est réalisé de 6 h 30 à 12 h avec le fil de couleur différente. Les deux brins sont ensuite noués ensemble en intracorporel.
Anastomoses difficiles En fonction des patients, de la voie d’abord, l’anastomose urétrovésicale peut être plus ou moins difficile. En cas de tension excessive entre l’urètre et la vessie, plusieurs manœuvres permettent de faciliter l’anastomose. Il est possible de réduire le Trendelenburg, de diminuer la pression du pneumopéritoine. On peut également libérer la vessie latéralement, puis demander à l’aide de maintenir la vessie à proximité de l’urètre lors de la réalisation du plan postérieur. Lorsque le col vésical n’est pas préservé, il est nécessaire de réaliser une queue de raquette pour compléter l’anastomose. Lorsque les méats urétéraux sont à distance de la berge postérieure vésicale, on peut réaliser une queue
de raquette antérieure. Elle est plus facile à réaliser qu’une queue de raquette postérieure effectuée au début de la suture. Lorsque les méats sont proches de la berge, on peut réaliser une queue de raquette postérieure afin d’éviter de les prendre dans un point ou de les éverser.
Anastomose robotique La prostatectomie radicale peut être réalisée par voie robotique. Le robot Intuitive Da Vinci™ facilite l’apprentissage de la suture. La vision tridimensionnelle associée aux instruments chirurgicaux Endowrist™, articulés comme le poignet humain, permettent de réaliser très rapidement une suture de manière ambidextre. Les temps de dissection et d’anastomose sont similaires à la prostatectomie laparoscopique. La suture peut être réalisée par des points séparés8 ou par un surjet.9
Comment se former ? Rosser et al. ont montrés lors du Yale Laparoscopic Skills and Suturing Program, que l’apprentissage des bases techniques laparoscopiques pouvait être acquis, par des chirurgiens expérimentés ou en formation, avec un haut niveau de compétence lors d’enseignements réalisés en dehors du bloc opératoire.10 Ces compétences acquises au laboratoire sur des pelvitrainers sont transférables au bloc opératoire,
Anastomose urétrovésicale lors de la prostatectomie radicale laparoscopique
Figure 7
A, B. Point de 11 heures.
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et permettent d’améliorer la qualité des interventions chirurgicales laparoscopiques.11 Lors de l’apprentissage à la prostatectomie radicale laparoscopique, les lacunes les plus fréquemment rencontrées chez les chirurgiens en formation sont un manque d’habileté de la main non dominante, une fatigabilité physique, et la connaissance imparfaite de la gestuelle à chaque temps opératoire.12 Ces lacunes peuvent être corrigées lors de sessions de formation, avant le passage à la chirurgie réelle. Un modèle simple pour l’apprentissage de la suture sur pelvitrainer est la prothèse vasculaire. Katz et al. ont rapporté l’utilisation de peau de poulet pour l’apprentissage de la suture. Les morceaux de peau sont façonnés à la manière de l’urètre et du col vésical. L’avantage, comparé à la prothèse vasculaire, est l’obtention d’une consistance similaire à celle des tissus humains. L’accès aisé au pelvitrainer est indispensable lors de l’entraînement à la suture. Les colonnes vidéo des blocs opératoires sont difficilement empruntables en pratique courante, car utilisées par les équipes chirurgicales dans la journée, et non accessibles en dehors des heures d’ouverture du bloc. À moins de pouvoir récupérer du matériel obsolète, une solution rapportée par Chung et al. consiste à utiliser une webcam directement dans le pelvitrainer.13 Celle-ci est reliée à un ordinateur portable qui fait office de moniteur. La webcam peut être remplacée par un simple caméscope relié à un téléviseur. Plusieurs circuits de formation laparoscopiques existent, organisant des stages de formation pratique à la prostatectomie radicale, notamment à l’École européenne de chirurgie à Paris et à l’IRCAD à Strasbourg (cf. Pour en savoir plus). Un programme de formation peut être mis en place au bloc opératoire, à l’aide d’un chirurgien ayant l’expertise de cette intervention. Fabrizio et al. rapportent une expérience de 50 prostatectomies radicales laparoscopiques réalisées par un chirurgien expert assisté par un chirurgien en formation pour les 12 premières interventions, puis par le chirurgien en formation assisté de l’expert pour les 18 suivantes, puis par le chirurgien en formation seul pour les 20 dernières interventions.14 Ce type de programme permet de réduire la courbe d’apprentissage du chirurgien en formation et de limiter pour le patient, la morbidité liée à la formation du chirurgien à la technique.
Conclusion L’anastomose urétrovésicale est le temps opératoire le plus « technique » de la prostatectomie radicale laparoscopique. Il s’agit d’une étape de l’intervention parfaitement codifiée et reproductible. L’apprentissage de la suture peut être réalisé en dehors du bloc avant le passage à la chirurgie réelle. Cela permet de ne pas augmenter inutilement les durées opératoires, et de limiter la morbidité de l’intervention en période d’apprentissage.
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Figure 8
A, B. Point de 1 heure.
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Pour en savoir plus École européenne de chirurgie à Paris : www.eec-fr.com. IRCAD à Strasbourg : www.ircad.org.